Lovelace - ft. Karl

Dans quel pétrin s'est-elle encore fourrée ? Avec qui s'est elle encore acoquinée sans réfléchir et sans prévoir les conséquences ? Un drôle de type à priori patient et calme, la plupart du temps, mais prêt à la mettre dans la merde sans réfléchir. Le regard vide, Xiao serre contre elle l'un des multiples oreillers de son lit, comme pour se rassurer. Il n'y aura pas de conséquences, hein ? Ils ne vont pas la surveiller, ce n'est qu'une petite querelle de voisinage, rien de grave. Il a peut-être frappé pour rien, mais ça n'est qu'un accident de parcours, n'est-ce pas ?

La chinoise tente de respirer profondément, de se détendre. C'est à ce moment que la voix de Karl résonne dans l'appartement. Une question simple et honnête, posée de façon neutre. Un ton étrange qui, contrasté à son comportement précédent et ses propos tout au long de la soirée, semblent froids. Si elle se projetait dans la scène à laquelle elle a assisté un peu plus tôt, Xiao aurait même pu dire agressif.

Le silence qui s'installe n'a rien de calculé. Xiao ferme les yeux et son esprit s'embrouille. Elle est bien trop fatiguée pour crier. Elle ne peut pas, de toute façon, ou la situation s'envenimerait avec les voisins. Et puis quoi, il casserait une armoire ? De quoi la mettre encore plus mal avec son propriétaire. Lequel est également un de ses supérieurs à la Triade. Pas quelqu'un avec qui jouer sur la patience. "Viens au lit." Répond-elle, à moitié à côté. Si elle comprenait son comportement, peut-être que le sentir à côté d'elle lui permettrait de jauger la situation. Seulement, et ça n'est pas une exception, Xiao ne parvient pas à saisir toutes les ramifications de ce qui vient de se passer.

Les yeux toujours fermés, elle pousse un long soupir, discret. Elle tend l'oreille, espère l'entendre approcher, redevenir comme avant. La chinoise est bien mal placée pour parler de violence gratuite, mais le coup, parti sans préavis ni raison légitime, lui rappelle trop de choses. Des choses que son esprit la force à oublier, partiellement. "Viens." Sa voix, légèrement étouffée par la couette et la distance, se fait plus faible. La fatigue, sans doute, la rend plus suppliante, et si elle s'écoutait, Xiao se mettrait des claques. Ses doigts se resserrent sur le coussin, ses bras et ses jambes aussi, et il n'est bientôt plus qu'une boule agglomérée entre ses membres crispés.

Karl reste un instant immobile, retrouvant lentement son souffle. Ils se connaissaient depuis plusieurs années, mais certains pans de sa personnalité ne s’étaient pas encore dévoilés. Ou du moins, pas assez pour que Xiao s’en souvienne apparemment. Après tout, jusqu’à ce soir, le jeune homme ne se doutait pas de la réaction qu’elle aurait en apprenant qu’il l’aimait. Tout ceci participait à sa colère, et en était même la source principale. Mais puisqu’il ne pouvait pas s’énerver contre elle, ce pauvre type en avait fait les frais. Au moins pouvait-il être heureux de n’avoir pris qu’un coup de poing.

“ … “

C’est vrai, son ton contrastait avec celui qu’il employait avec elle d’habitude. Et alors ? Elle l’avait bien menacé, elle. Et plusieurs fois. En plus d’être plutôt égoïste. Si ce genre de choses lui passaient au dessus de manière générale, le jeune homme préférant en faire abstraction pour se concentrer sur ce qu’il aimait chez Xiao, la colère et la frustration le lui ressassaient inévitablement. Peut-être devrait-il lui parler de ses raisons. Se justifier, histoire de tout mettre à plat ? Mais ça ne servirait probablement à rien. Xiao n’écoutait jamais rien de ce qu’il disait. A croire que ses paroles étaient incompréhensibles. Ou qu’il n’était pas assez bien pour elle. Qu’y pouvait-il ? Elle n’en trouverait pas partout, des hommes comme lui, aussi serviables et gentils pour pas un “merci” en retour. Et pourtant, si l’envie de tout lui dire le démangeait, Karl ne dit rien.

“ … “

Un soupir. Il n’y penserait sûrement plus demain matin. Inutile de se disputer pour rien. Et puisqu’elle l’invitait à remonter, sûrement signe qu’elle ne lui en voulait pas, Karl se dirigea vers la mezzanine et se hissa en haut en faisant en sorte de ne pas trop la secouer. En montant, c’est finalement sur une boule qu’il tombe. Comme si elle se recroquevillait dans son malheur. C’était donc si grave que ça, de frapper quelqu’un ? Karl avait du mal à comprendre. Encore un peu tendu, mais trop amoureux pour être dur avec elle, le jeun homme s’allonga et se blottit contre elle pour l’entourer de ses bras. Il laissa planer un silence de quelques secondes avant de finalement avouer.

“ Pardon. “

Un simple mot. Mais il ne savait pas quoi dire d’autre. En l’instant, Karl était aussi perdu qu’empli de questions. Comme tout à l’heure, lorsqu’elle l’avait menacé. Si bien qu’il craignait que leur “amitié” ne le satisfasse jamais.

Lorsqu'il monte l'échelle de la mezzanine et à chaque pas ensuite, Xiao se recroqueville un peu plus, comme si c'était possible. Elle ferme les yeux, contracte ses paupières, ses autres sens en alerte. Elle ne sait pas trop pourquoi elle lui a dit de venir alors qu'il semble différent. Epuisée physiquement, les muscles endolori, l'esprit encore un peu embrumé par l'orgasme et tout ce qui s'en suit, elle ne sait pas si, en l'état, elle pourrait le mettre hors d'état de nuire s'il venait à s'en prendre à elle. Ou si les voisins faisaient à nouveau irruption dans l'appartement pour réclamer une vengeance somme toute légitime. Ici, Xiao n'est pas toute puissante. Elle est comme toujours à la merci de la Triade. A cette idée, elle se met à se mordre la lèvre, presque à sang.

La chinoise sent la couette se soulever, une masse s'installer à côté d'elle et, finalement, des bras l'entourer. De dos, elle ouvre les yeux et regarde dans le vide, quelques longues secondes où un silence se pose avant qu'il ne le brise. Un unique mot qui, sans la détendre totalement, la force à s'ouvrir, rien qu'un peu. Elle lâche le coussin coincé entre ses jambes et se retourne pour faire face à Karl. Ou tout du moins, vue la différence de taille, à son torse contre lequel elle se blottit sans rien dire. Forçant sur sa chance, elle passe même un bras dans son dos pour se serrer un peu plus contre lui, le faufilant sous celui de Karl. Sentir ce contact lourd sur elle, qui la compresse légèrement, la rassure et l'apaise. Pour autant, elle ne lève pas encore les yeux pour voir son visage. Elle passe ensuite ses jambes par dessus celles de son ami, comme pour chercher la chaleur et le contact, tel un serpent embrassant sa branche.

"Hm." Un petit son, à mi-chemin entre le gémissement et le grognement. Xiao tente de dire quelque chose, mais ne sait pas ce que ça pourrait causer. Elle pourrait rester silencieuse mais un étrange pressentiment la porte à croire que ce serait pire. Alors elle serre encore et referme les yeux. "Merci …" Le son de sa voix est étouffé, à la fois par sa position, la couette, et un manque d'assurance évident. Elle semblerait boudeuse si elle ne s'était pas à ce point accrochée à lui comme un koala. C'est qu'elle ne sait pas trop où elle va, avec ça. "Pour le restaurant…" Entre chaque morceau de phrase, c'est comme si elle reprenait son souffle. Comme si elle faisait la course, encore une fois, à travers les rues nocturnes de Decay. Karl n'a pas à le savoir, mais l'effort est plus ou moins le même, pour elle. "... et pour le reste." Quel reste ? Elle préfère rester floue. C'est déjà un effort considérable que de s'avouer vulnérable auprès de, certes, un ami. Mais la règle reste la même pour tout le monde. N'osant rien ajouter de plus, elle se tortille un peu sur sa position, comme pour gagner encore plus de place contre lui alors que, de toute évidence, elle peut difficilement en faire plus. Les quelques bruits qu'elle lâche n'ont alors rien d'intelligibles et alors, elle ouvre à nouveau les yeux. Pour jauger la situation, voir s'il se crispe, s'il bouge, si quelque chose se passe n'importe où sur son corps pour l'aiguiller. N'importe où sauf son visage.

Sentant Xiao se blottir contre lui, s’accrocher même, Karl enfouit son visage dans ses cheveux pour humer son odeur, les yeux clos. Le jeune homme se pose trop de questions. Se blottir ainsi à quelqu’un est normalement signe d’une extrême confiance, d’une certaine affection. Surtout après une dispute. Tente t-elle de l’amadouer pour qu’ils se réconcilient ? Ou cherche t-elle la chaleur en faisant abstraction du moyen qu’elle emploie pour cela ? Karl est bien trop rationnel et à l'affût de ses agissements pour pouvoir la comprendre. Pourtant, en entendant ses mots, il finit par se décrisper et la jeune femme peut alors sentir son corps se ramollir, bien qu’il resserre tendrement son étreinte.

“ … “

Elle le remercie. S’il ne sait pas si elle est sincère, au vu de son hésitation évidente, Karl prend ses mots à coeur. C’est la première fois qu’elle le remercie aussi loin qu’il s’en souvienne. Du moins, avec des mots. C’est si peu, mais représente tellement pour lui. C’est au moins une manière de se dire qu’il ne fait pas tout ça pour rien. Que ses efforts pour l’aider, pour la rendre un peu plus heureuse ne sont pas vains. Du moins, c’est ce qu’il espère en prenant ses mots comme de véritables remerciements. Et la jeune femme n’a encore rien vu de ce qu’il serait capable de faire pour elle. Peut-être ne s’en doute t-elle même pas. Après tout, leur conversation sur l’amour a totalement dû disparaître de son esprit.

Lentement, le jeune homme entrouvre ses lèvres pour lui souffler, la voix hésitante.

“ Je t’... “

Mais il s’arrête. Ça ne servirait à rien. La situation semble appropriée mais un mot pourrait tout faire basculer, du moins de son point de vue. Karl n’a plus envie de se disputer avec elle, plus jamais. Si les disputes sont essentielles pour se faire comprendre, c’est du moins ce qu’il pense, celles qu’il a avec Xiao sont bien au delà de ce qu’il peut supporter. Ainsi, le garçon la serre un peu plus dans ses bras avec tendresse, histoire qu’elle ne se sente pas étouffée ou emprisonnée. Comme pour lui montrer, au travers des gestes, son amour. Les actes parlent parfois plus que les mots.

“ Je serais toujours la pour toi. “

Dit-il, réchauffant la petite Xiao. Karl est désormais totalement détendu. Elle ne peut que constater sa plénitude, la douceur avec laquelle il l’étreint, et la chaleur de son corps.

Lovée dans un cocon de chaleur, Xiao se sent à nouveau comme une enfant. Celle qui n'a jamais vraiment eu ce genre de confort ou de sérénité. Les paroles de Karl semblent résonner au loin, flous, presque faux, et la chinoise n'a pas vraiment les mots pour y répondre. Elle donne alors simplement signe de vie, lui laissant entendre qu'elle l'a entendu, en relevant la tête pour le regarder dans les yeux. Les siens sont écarquillés, dans une forme d'incompréhension. Ce qu'il dit n'a pas vraiment de sens pour elle, les vies sont si éphémères pour elle qui est chargée de tuer tous les jours. Et le pire, c'est qu'elle n'éprouve pas de remords. Tout cela est bien normal.

Pourtant, elle pense comprendre l'intention. Ou au moins une partie de l'intention. N'étant pas sûre, elle préfère supposer le meilleur, au vu de son comportement avec elle, laisse passer sur ses lèvres l'ombre imperceptible d'un sourire, avant de se rouler à nouveau contre lui. "T'es gentil." Souffle-t-elle sans être certaine ni de ce qu'elle raconte, ni de ce qu'il entend. A cette heure et dans cet état, ses mots sont comme un mélange de souhait, d'ordre et de constat. Rien n'a plus vraiment de sens quand la fatigue prend le dessus.

Dehors, les voix et les bruits ont disparu. Dans l'appartement, tout est sombre et la jeune femme se laisse bercer dans la sensation cotonneuse du sommeil qui l'emporte bien plus vite que d'habitude. La chaleur, peut-être, ou bien le confort rassurant d'être serrée, presque immobilisée dans un abri rassurant. "Bonne nuit, Karl." Parvient-elle néanmoins à murmurer avant de se sentir partir, son point serrant son ami contre elle comme si elle s'accrochait à un coussin.

Ses muscles se détendent et tout s'envolent, les questions, les quelques doutes, la douleur et la fatigue, dans un sommeil malgré tout chaotique. Xiao reste Xiao, et on ne change pas une vingtaine d'années de batailles ensommeillées en une nuit. Cependant, cette nuit n'est pas aussi froide que les autres.

Karl était sincère et en avait l’air. Du moins, pour quelqu’un comprenant les émotions humaines. De toute manière, le jeune homme n’avait aucun intérêt à lui faire cette promesse. Si ce n’est à ce qu’elle sache que Karl était la pour elle. Les mots restaient tout de même importants pour lui.

“ C’est normal. “

Souffla t-il avant de fermer les yeux pour de bon, tenant contre lui ce petit bout de femme lové comme un écureuil. Comme ça, il en viendrait presque à oublier qu’elle était une assassin. Après tout, elle ne l’avait sûrement pas choisi. Karl ne pouvait ni lui en vouloir, ni la craindre. Parfois, les poussins naissent dans le mauvais nid.

“ Bonne nuit Xia’ .”

La chaleur de leurs corps unis et la fatigue de cette soirée éprouvante fut suffisante pour le faire sombrer. Rapidement, le jeune homme perdit complètement conscience de ce qui l’entourait, sentant seulement la petite Xiao lovée contre son torse. Même l’obscurité ambiante disparut, ne laissant rien d’autre qu’un sommeil profond régir son esprit qui n’était enfin plus tiraillé de questions. Ses nuits n’étaient jamais passionnantes. Ni rêves ni cauchemars, simplement un néant infini. Pourtant, cette nuit fut différente. Sans doute était-ce dû à son contact avec Xiao, aux événements ou à ses pensées la plaçant au centre de tout. Toujours est-il qu’elle était la. Debout, devant lui, dans un grand champ de fleurs. Cette vision idyllique et caricaturale aurait presque pu le prêter à rire, si elle n’avait pas l’air heureuse. Plus heureuse qu’il ne l’avait jamais vue.

" Je t'aime. "

Dit-elle. Ah, un rêve. C’était trop beau, evidemment. Mais à l’instant même ou la jeune femme prononça ces mots, elle fut décapitée net. Le cauchemar s’arrêta aussitôt, Karl ouvrant alors les yeux, en sueur, toujours dans le lit. Un léger coup d’oeil par la fenêtre pour constater que les premières lueurs du jour passaient entre les rideaux lui indiqua qu’il devait être sous les coups de six heures.

“ … “

Il tremblait. Tout ceci n’était qu’un rêve, mais il lui fallut quelques minutes pour s’en remettre pleinement. Xiao dormait toujours paisiblement, dans une position abracadabrantesque. Quelques douleurs aux cuisses lui rappellent d’ailleurs bien vite que la jeune femme reste sauvage même en plein sommeil. Il gardera deux ou trois bleus pour la semaine. Bah, tant pis. Il est tôt, et Karl est pris d’une idée qu’il compte bien exploiter pendant que la jeune femme dort. Aussi doucement qu’il le peut avec sa carrure, le jeune homme descend de la mezzanine et va rapidement se rhabiller, ses affaires étant désormais propres et sèches. Il se saisit ensuite des morceaux de table cassées, déverrouille la porte et sort dehors en refermant doucement derrière lui. Il ne reste plus qu’à trouver un magasin.

Le jeune homme commence par déposer la table brisée aux poubelles, et se met à déambuler dans les rues plutôt vides de si bon matin. Il ne lui faut qu’une petite dizaine de minutes pour trouver un magasin d’immobilier. Celui-ci s’occupe des petits meubles, et son emplacement est plutôt impromptu si près des docks. Sûrement est-il destiné aux marins, qui ne peuvent se permettre de prendre des meubles trop encombrants sur leurs navires. Quoi qu’il en soit, Karl s’occupe de chercher une table basse. Et son dévolu se jette sur une petite table ressemblant fort à celle qu’il a brisée, tout en étant un modèle plus évolué. Celle-ci est équipée d’un rétroéclairage et d’une surface adhésive activable et désactivable à volonté. Espérons que cela lui fasse plaisir. Le jeune homme dépense alors les trois quart de l’argent qu’il a sur lui, à peu près tout ce qui lui reste. Il n’est pas dans son habitude de se balader avec du liquide, c’est déjà ça.

Ensuite, table sous le bras, le jeune homme se rend dans une boulangerie pour y prendre croissants, pain au chocolat et baguette. Espérons que Xiao aime les viennoiseries françaises, celles-ci ont tellement de succès qu’on en trouve un peu partout à Decay de toute manière. Il ne prend donc pas trop de risques en faisant son choix. Une fois la nourriture en mains, le grand gaillard rentre d’ou il vient sous le regard intrigué des passants, voyant un grand dadais portant une table basse sous le bras aux premières lueurs du jour. Il n’y accorde aucune importance, bien trop excitée à l’idée de faire passer une bonne matinée à Xiao.

Le jeune homme pousse alors la porte d’entrée, constatant qu’elle dort toujours. Parfait. Il s’affaire à poser la table asse, place les provisions de la boulangerie dessus et change les coussins du canapé pour les laver avant de les remplacer. Karl se rend ensuite dans la cuisine ou il prépare le plus discrètement possible un jus avec les fruits qu’il trouve, qu’il ajoute ensuite aux côtés des croissants et autres baguettes. Tout semble prêt, bien qu’il vérifie qu’il n’y ait rien d’autre à ranger. Il n’y a plus qu’à attendre que la petite princesse se réveille, Karl ne voudrait surtout pas écourter sa nuit. Elle est bien trop fatiguée pour qu’il se le permette.

Xiao dort souvent très profondément. Invités ou non, travaux à l'extérieur, voisins qui frappent à la porte, coups de téléphone, rien ne la sort de sa torpeur. Il n'y a que l'eau glacée qui fonctionne, les albums de nightcore insupportables et, bien sûr, le réveil naturel. Pour cette fois, c'est la dernière option qui s'applique. Lorsqu'elle ouvre les yeux, Xiao est bien incapable de lire l'heure tant ses yeux voient flou et sa capacité à émerger rapidement et efficacement est inexistante.

Après quelques longues minutes pour réaliser qu'elle est vraiment réveillée, Xiao étend tous ses membres à travers le lit, telle une étoile de mer. "Mh ?" Grogne-t-elle en constatant que la configuration des coussins et des draps n'est pas la même que d'habitude. Même sa position est légèrement différente. "Qu'est-ce que …" Elle entend du bruit en bas. Il y a quelqu'un chez elle ? La chinoise ferme toujours très bien sa porte, ce doit être un invité. Mais qui, déjà ? Se relevant brusquement, assise au milieu du lit, elle s'assied en tailleur et se masse les tempes. "Ok, dans l'ordre …" Elle n'a évidemment pas dormi seule. Ses muscles sont engourdis, certains plus que d'autres, mais globalement, pas de grosse douleur à signaler. Difficile d'estimer quoi que ce soit de ce côté là, Xiao est devenue si résiliente avec le temps qu'elle ne peut pas juger par ce biais. Comme de coutume, elle glisse et roule jusqu'au pied du lit pour se mettre enfin sur ses deux pieds et entame des étirements. Ils sont faits, comme d'habitude,de façon assez automatique, à un point tel qu'après dix minutes de grands écarts et autres torsions des bras et du dos, elle est encore à moitié dans le cirage. La soirée de la veille a vraiment dû être épique.

Un frisson la parcourt après ce petit effort. Elle fouille donc dans une seconde commode - celle qui ne contient pas sa collection de jouet, donc - en sort un pantalon de yoga sombre et un tshirt blanc, volontairement large et orné d'une tête de koala dégustant une petite branche d'eucalyptus. Xiao les enfile et pousse un long soupir de plaisir en sentant l'odeur de lessive qu'ils dégagent. Enfin, approchant de la rambarde faisant le tour de la mezzanine, elle s'accroche aux barreaux pour descendre, comme d'habitude, d'un saut dans le fauteuil. Elle se lève d'un mouvement tout aussi automatique, et finit par ouvrir complètement les yeux, lesquels tombent directement sur Karl.

"Ah !" Voilà que tout est plus clair. Et la soirée de la veille commence à lui revenir, partiellement. Tout du moins, les morceau les plus salaces. Les sourcils froncés, témoins d'une réflexion intense, Xiao s'approche de lui et lui donne une accolade en s'appuyant à moitié sur le canapé avant de, finalement, se laisser tomber à côté de lui. "T'as dormi ?" Pas bien, pas correctement, juste, dormi. La chinoise sait comment elle est et se souvient qu'il a insisté malgré ses avertissements. Ça, elle s'en souvient un peu.

Enfin, son regard se pose sur la table basse, et en particulier, ce qui la garnit. "Ohlala !" De la bouffe. Tellement de bouffe. De la bouffe française en plus, des viennoiseries, les quelques rares victuailles qu'elle apprécie plus chez les occidentaux que les asiatiques, en terme de nourriture. Elle attrape un croissant qu'elle se met à sentir longuement sans même commencer à le manger. "Ohlala, c'est vraiment du crack." Pas faute d'avoir testé le crack. Elle préfère les croissants. Voilà à quel point Xiao adore les pâtisseries et viennoiseries françaises. "Mais t'en as pris plein ! Ca a dû te coûter tellement cher ! Je te dois combien ? Je suis sûre que je dois avoir quelque chose ... " En fouillant sur la table bien garnie pour trouver son téléphone, elle constate quelque chose d'étrange sur la table. "Tiens, t'as fait le ménage ?"

Karl était déjà en train de somnoler à nouveau. Sa nuit avait été courte, si bien qu’il est sorti de sa torpeur par la jeune femme. Le jeune homme cligne des yeux, secoue lentement la tête et fait finalement de même une fois qu’elle s’installe à côté de lui pour lui déposer un baiser dans le cou. Il se détache ensuite, ne voulant pas la coller pendant qu’elle mange.

“ Oui. Je me suis réveillé y’a une petite heure. Avec quelques bleus mais bon visiblement ça ne m’a pas réveillé donc c’est le principal. “

Karl la laisse ensuite manger en première, choisir ce qu’elle préfère. Il mangera ce qui reste. D’ailleurs, le jeune homme lui tend un jus multifruit fait maison, tout sourire. Il faut dire qu’il l’a fait lui-même et sans la réveiller. Puisqu’il n’a aucune idée de la lourdeur du sommeil de la jeune femme, c’est déjà une petite victoire en soi pour lui.

“ Si tu as soif. J’espère que tu vas aimer. “

Le jeune homme se saisit ensuite d’un pain au chocolat, qu’il mange proprement. Apparemment, son choix a vraiment été le bon. Ils sont tout simplement délicieux. Et surtout frais. Les boulangers se levant à 2 heures du matin pour faire leurs préparations de nuit ne sont plus si courant que ça. A l’ère du rapide et du consommable, il n’est pas rare de prioriser la quantité à la qualité. Le jeune homme jette un coup d’oeil à son amie, se réjouissant de la voir aussi contente.

“ Est-ce que je t’ai déjà demandé de me rembourser quoi que ce soit ? Ça me fait plaisir, laisse. “

Dit-il en terminant de mâcher, se nettoyant le coin des lèvres avec une serviette en papier. Quand Xiao remarque que la table a quelque chose de particulier, le jeune homme appuie sur le verre (renforcé) qui en fait la surface. Il change alors de couleur, éclairant la pièce d’un léger halo turquoise.

“ J’ai cassé ta table hier, tu te souviens ? Je t’en ai racheté une du coup. Elle fait pas mal de trucs, je sais pas exactement quoi mais tu verras à mesure. “

Dit-il en faisant glisser son doigt sur celle-ci. Un jeu space invaders se lance. En vérité, l’objet ressemble plus à une tablette à pieds qu’une table basse. Les merveilles de la technologie dirons nous. Ne reste plus qu’à éviter de la casser, mais Karl a bien vérifié à ce qu’elle soit renforcée pour éviter un nouvel accident à l’avenir. Enfin, il doutait que que quiconque d’autre que lui puisse être assez maladroit pour casser une table basse. Et s’il lui arrivait d’inviter d’autres gens ici… et bien, Karl préférerait simplement ne pas y penser pour garder sa santé mentale.

“ Mais oui j’ai fait le ménage sur le canap’ notamment. Et j’ai nettoyé un peu ce qui traînait. “

Dit-il, neutre. Pas besoin de la ramener, c’était normal à ses yeux. Après tout, ce bazar était aussi de sa responsabilité. Ainsi, karl attrapa son propre verre de jus de fruit et commença à le boire lentement pour profiter. Qu’est-ce qu’il avait soif.

“ Et toi, bien dormi ? Tu te souviens de tout ce qu’on a fait hier ? “

Puisqu’elle semblait désorientée.

Xiao sent quelque chose dans son cou. Elle passe la main mais n'y trouve rien. Sans doute son esprit mal réveillé qui lui joue des tours. "C'est pas faute de t'avoir prévenu !" Lance-t-elle sans s'excuser vraiment pour les coups. Après tout, il a choisi de dormir dans le même lit qu'elle en connaissance de cause. Voilà longtemps que la chinoise a cessé de s'excuser pour les choses sur lesquelles elle n'a pour ainsi dire aucune maîtrise. "Tu parles que j'ai soif !" S'exclame-t-elle en prenant le verre. "J'ai la bouche tellement sèche, je sais pas ce que j'ai fait cette nuit, c'est dingue." Elle prend alors une grande lampée et fait claquer sa langue d'appréciation. "C'est super bon ! J'me demande où t'as trouvé ça !" C'était sucré mais pas trop, un mélange assez équilibré de différents fruits qui se complémentent assez bien pour qu'elle ne soit pas capable de dire exactement ce qui constitue la boisson.

Et tout ça est gratuit. C'est inhabituel, dans une ville comme Decay. Enfant de ses rues - ou plutôt enfant de ses enfants - Xiao n'est pas coutumière de ce genre de générosité désintéressée. Tout ici a un but, une motivation cachée. Elle mord allègrement dans un croissant et répond, la bouche pleine, une main devant néanmoins pour éviter de tout perdre en parlant. "T'es chur ? Tu veux pas un cherviche ou quelque choche ?" Elle avale. "J't'offrirai un truc, je sais pas quoi. Mais j'trouverai." La chinoise n'est pas une bonne donneuse de cadeaux. Elle a du mal à se faire une idée de ce que les gens aiment. Probablement parce qu'elle a des goût atypiques de son côté, et qu'elle ne s'intéresse pas naturellement à ceux des autres. Une forme d'égocentrisme encore léger dans cet aspect de sa personnalité.

Lorsqu'il touche la table basse, le petit oiseau de la Triade n'en croit pas ses yeux écarquillés. "Woah !" Elle est si surprise qu'elle se lève du canapé et fait quelques pas autour du nouveau meuble. Du bout du doigt, elle se met à tapoter et se lance dans une partie de space invaders, profitant de la difficulté ajoutée des victuailles sur la table. D'une main, elle attrape le verre de multifruits qu'elle termine d'une traite puis pose par terre. Elle est déjà prise par le jeu. "Elle est trop cool, woaah ! J'adore ce jeu !" Plus la difficulté avance, plus elle s'amuse. Après tout, Xiao est compétitive dans l'âme et apprécie tout particulièrement les défis de scoring et les jeux mettant à l'épreuve ses réflexes.

Le regard toujours happé par le jeu, elle écoute néanmoins son ami d'une oreille, tandis qu'elle enfourne dans sa bouche un pain au chocolat. La bouche occupée par la viennoiserie, elle articule difficilement. "Ch'est cool ! Merchi !" Xiao a ses habitudes en terme de ménage. Aussi chaotique qu'elle soit, elle a appris à avoir une certaine organisation, et un environnement propre, faute d'être totalement simple. Si les pièces principales sont somme toute assez bien rangées et que tout ne déborde pas, il n'en va pas de même des pièces peu usitées autour du salon. Lesquelles sont rarement visitées. Mais finalement, Xiao apprécie de voir son temps libéré par l'initiative de Karl. Plus de temps pour jouer à ce jeu fabuleux.

"Ça va ! J'ai dormi d'une traite. Ça faisait longtemps que j'avais pas si bien dormi, même !" Sans doute la fatigue. Et puis, levant très brièvement les yeux vers Karl, un petit sourire en coin sur les lèvres, elle répond, avant de reporter son attention sur sa partie déjà bien entamée. "Hinhin. Oui oui, je me souviens." Elle continue de ricaner. "T'as peur que j'oublie ta performance ? T'en fais pas, j'ai encore un peu les fesse rouges, je pense." Il serait bon de noter que Xiao a la mémoire sélective et surtout sensorielle. Si tout ce que sa fatigue a englobé est flou, les coups et les mises à l'épreuve de ses sens et son corps sont, eux, bien ancrés dans ses souvenirs. "Pourquoi, tu as des trous ?"

Ah, encore cette manie de penser à des insectes ou autres coups de vent. Peut-être que Karl devrait la prévenir avant de l’embrasser à l’avenir. Il a d’ailleurs une petite idée, qu’il mettra en oeuvre plus tard.

“ C’est pas grave. J’aime bien dormir avec toi, j’espère le faire plus souvent… “

Il faut dire que le jeune homme ne dort pas très bien dans son petit appartement. La solitude le pèse. Après tout, c’est sa plus grande phobie. Mais un grand gaillard comme lui ne pourrait jamais l’avouer. Ce côté ressort déjà assez pour les plus perspicaces. Xiao ne risque pas de le remarquer. Du moins, pas tant qu’elle n’y a pas un intérêt.

“ Oh, j’ai cherché un peu partout. “

Dit-il en s’étirant de tout son long, encore légèrement engourdi. Peut-être que le froid matinal des rues portuaires n’a pas aidé. Qu’est-ce qu’il ne ferait pas pour elle de toute manière ? L’espace d’un instant, Karl se fait un scénario improbable. Que ferait-il si la triade se retournait contre Xiao ? Peut-être se sacrifierait-il pour elle. Le jeune homme ne veut pas imaginer un monde sans les personnes qui lui sont chères et encore moins un monde ou il ne les aiderait pas en cas de danger. Plutôt mourir. Mais les paroles de Xiao l’extirpent de ces pensées bien sombres de bon matin.

“ Non. Tout ce qui m’importe c’est que tu sois contente. C’est ça ma récompense. “

Dit-il, tête maintenue par sa main qu’il cale contre un accoudoir. Karl la regarde, tendre, pendant qu’elle mange. Il n’a pas besoin de récompenses, et si la dernière qu’elle lui a donné n’était pas déplaisante, le jeune homme n’a plus envie de profiter d’elle ainsi. Et encore moins de faire l’amour de si bon matin, ce serait gâcher un beau moment d’innocence et d’oisiveté. Karl n’est pas aussi obsédé, et peut-être qu’éloigner un peu Xiao du sexe tout le temps serait plus sain pour elle. Loin de lui l’envie qu’elle choppe une maladie ou se fasse abuser un jour. Il ne se le pardonnerait pas.

Il secoua la tête. Encore ces pensées négatives. A croire que quelque chose l’angoissait. Quoi ? Il n’en avait aucune idée, c’était bien la le problème.

“ Ah, ça te plaît ? Il doit y avoir d’autres jeux. “

Dit-il en l’observant, empli de tendresse. La voir s'amuser ainsi innocemment l’emplissait de joie. Ce n’était pas si dur de lui faire plaisir. Mais dès qu’on creusait un peu plus… heureusement que la surface était déjà suffisamment agréable. Lentement, le jeune homme se redresse et prend un morceau de baguette en veillant bien à ce que les miettes n’aillent pas partout. Avec ça et la farine, on salit vite une table.

“ De rien ! Si tu veux d’autres trucs un jour demande moi. “

Dit-il avant de croquer. Karl était prêt à lui payer n’importe quoi, n’importe quand. Ce qui en soi était un problème, il suffirait d’être tombé sur une fille un peu trop vénale et profiteuse. Ce que Xiao n’était pas. Karl ne décelait pas l’ombre d’une méchanceté chez Xiao, et si c’était le cas, le déni ferait le travail pour lui en lui bandant les yeux. Une fille ayant souffert ne peut pas être foncièrement mauvaise, c’est impossible. Surtout Xiao.

“ Ah, vraiment ? Mes gros bras font souvent cet effet la. “

Dit-il en lui faisant un clin d’oeil.

“ Oh non, j’ai pas peur… tu me dis si tu as mal, je te trouverais un truc pour soulager. “

Dit-il en se rapprochant d’elle, sans toutefois trop se coller pour ne pas gêner ses mouvements. Elle n’apprécierait sûrement pas d’être perturbée dans son jeu, bien que le fait de tenir une conversation soit suffisant pour ça.

“ Non, non… je me demandais juste si toi tu n’en avais pas. “

Alors elle avait sûrement toujours oublié leur dispute. Karl ne savait toujours pas sur quel pied danser à ce sujet, et ce n’était pas des plus agréables à vivre. Néanmoins, revenir la dessus de bon matin…

“ Est-ce que tu… tu invites d’autres hommes ici parfois ? “

Demanda t-il d’une traite. La question lui avait presque échappée. Pourquoi demandait-il ça ? Cet idiot se faisait volontairement du mal.