Lovelace - ft. Karl

Le léger malaise avec lequel Karl semble répondre aux blagues vaseuses de Xiao la fait rire. C'est quand même amusant de constater que de tous les deux, c'est le grand malabar qui est le moins à l'aise. D'expérience, la gosse aurait plutôt supposé que les garçons, par défaut, sont plutôt versés là dedans. Mais soit, elle en prend note, et ne se gênera pas pour insister lourdement, pour rire un peu.

Petit à petit, la fraîcheur de la rue laisse place à une chaleur artificielle, un peu lourde et presque moite, qui règne dans le petit restaurant. Préférant prévenir que guérir, Xiao retire son sweat qu'elle bourre sans un regard dans un de ses sacs. Si ses souvenirs sont bons, le poulet est plutôt relevé ici, tout ce qu'elle aime. "Au pire on en reprendra !" S'exclame-t-elle, enthousiaste à l'idée de se faire inviter par quelqu'un qui ne regarde pas le montant. Un instant, la formule qu'il emploie pour lui promettre un éventuel dessert lui rappelle de vieux souvenirs et elle se tend, droite comme un I, avant de réaliser qu'elle n'est pas sur les docks, ni dans un vieux hangar, ni même dans une chambre de six mètres carré doté d'une simple paillasse et aucune fenêtre. C'est un petit restaurant de street food, au milieu de Chicago, et pas de trique de bois en vue.

Poussant un long soupir, elle pose ses bras sur la table, à moitié affalée. Le petit courant d'air qui traverse le restaurant et vient lécher leur coin fait du bien, alors qu'elle jette un coup d'oeil au coin des glaces. Ici, ils ne sont pas connus pour leurs desserts légendaires - c'est pas vraiment l'intérêt de la nourriture thaï, selon elle, ou asiatique en général - mais au moins, ils ont de bonnes glaces. La vue d'un nouveau bac de glace artisanale au citron la fait déjà saliver, et la voilà qui se lèche furtivement la lèvre supérieure, tendant néanmoins une oreille un tantinet distraite pour écouter Karl lui faire un petit point de sa situation. La façon dont il jongle avec une certaine liberté lui est étrangère, de même que l'idée de "train de vie sympa". Voilà seulement quelques années que Xiao est un peu libre de ses choix, dans une certaine mesure. Mais en contrepartie, on la maintient occupée, et bien payée. Pas que ce soit son principal objectif, mais chaque jour est un nouveau défi.

Tout à coup, la chinoise sent quelque chose lui effleurer les doigts et, réflexe oblige - petit coup d'angoisse éventuellement, à l'idée d'avoir perdu sa concentration habituelle au profit des glaces - Xiao vient attraper un couteau papillon dans son dos. Ne jamais sortir sans arme, l'un des enseignements de la Triade. On est une arme d'abord, une personne ensuite. Du même geste, elle retire sa main et se soulève à peine de sa chaise pour constater qu'il n'y a … rien ? Rien d'autre que Karl. "Y'avait pas une araignée ? J'ai senti un truc me toucher. Merde, je l'ai ratée ?" Déçue, elle replie alors le couteau d'un geste et le range. Il n'aura pris l'air que quelques courtes secondes, assez peu pour que personne d'autre que Karl ne la voie se crisper ainsi.

" Tu disais. Oui, moi ! Ca va. Un peu toujours le même principe depuis la dernière fois tu sais. Avec un peu plus de temps libre. Quand on s'améliore, on gagne de temps, forcément." Elle se racle la gorge en vérifiant que le couteau reprenne bien sa place à l'arrière de sa ceinture. "Des brochettes ! Non ! L'assortiment pour deux, spécial poulet. Si vous avez du frit, on prend ! Et des nouilles pour deux." Evidemment, le serveur s'est approché, elle n'irait pas passer commande auprès de Karl. Tous ces stimulis visuels font exploser sa concentration et elle ne sait plus vraiment où elle en est. "Oui, ça devrait aller pour commencer. C'est bon !" Et sans transitions, sans même reprendre son souffle. "Mais c'est super, si tu aimes les aider. Ils te font faire quoi ? Tu bosses au Dvorets ? Il paraît que c'est blindé de suites thématiques super perchées et qu'ils tournent des porno là bas, c'est vrai ? T'en as déjà vu ?" Xiao a beau être presque née à Decay, il y a bien des endroits qui lui sont encore mystérieux. L'hôtel de luxe de l'Organizatsiya en est un. Si les paillettes et le côté "bling-bling" ne l'intéresse pas plus que ça, sa réputation sulfureuse éveillent bien plus sa curiosité. L'esprit en ébullition, Xiao ne peut s'empêcher de jeter un regard attentif tout autour d'eux, sous la table en particulier. Du bout du pied, elle tente même de sentir si elle trouve la fameuse araignée invisible, mais sans succès. Elle rencontre de nombreuses fois les sacs et les jambes de Karl, en revanche, avec plus ou moins de brutalité. "Oups."

Et le contraste était d’autant plus étonnant que le jeune homme travaillait au milieu des prostituées, escort et autres actrices porno du Dvorets. Evidemment, cela le rendait insensible à toutes les dérives sexuelles possibles tant qu’elles n’étaient pas dirigées vers lui. Et c’était bien sur ce point là qu’il péchait. Karl ne couchait jamais avec ces filles la, et ne participait aucunement à quelques ébats sexuels que ce soient au sein de l’Organizatsiya. Il lui était déjà arrivé spontanément d’avoir des relations sexuelles, mais il les avait toujours voulues. Quelque part, peut-être que c’était cet amoncellement de sexualité décomplexée qui l’avait rendu frileux.

Remarquant la chaleur, Karl imita Xiao par mimétisme. Le jeune homme retira sa veste pour se retrouver en débardeur, et ainsi exposer encore plus ses muscles. A bien y regarder, il était facile de deviner que le jeune homme devait pratiquer à un niveau extrême pour avoir une musculature si tracée, si bien que cela impactait parfois sa santé. Mais il n’était pas à plaindre. Surtout à côté d’elle bien qu’il n’en savait rien.

“ … “

Karl remarqua quelque chose de louche, quand il lui parla “d’être sage”. Ces années de boxe à mains nues l’avaient forcé à être observateur, à voir la moindre faille chez l’adversaire, si bien que cela se transposait désormais hors du ring, dans de simples discussions. A la différence que cette fois, ce n’était pas pour exploiter les failles de la personne en face.

“ … “

Karl allait ouvrir la bouche mais se tut finalement. Il n’allait pas lui demander si quelque chose n’allait pas, puisqu’il savait déjà quel genre de réponses il obtiendrait. Le jeune homme n’avait aucune idée de ce qui avait tendu son amie ainsi, peut-être un simple moment d’égarement. S’il ne pouvait pas spéculer avec si peu, il garda l’événement dans un coin de sa tête. Ce n’était pas la première fois que Xiao avait des réactions étranges, comme si son passé lui revenait. Enfin, pour l’heure, le repas était plus important. Karl réservait sa soirée pour elle, et à moins qu’elle n’ait des obligations, ils auraient tout le temps nécessaire pour discuter.

“ Pour les desserts, je crois qu’on p- “

Il fut interrompu par un couteau papillon qu’elle vint agiter sous son nez à la vitesse de l’éclair. Boxeur ou pas, ses réflexes ne lui avaient servi à rien, et pour cause. Karl était bien trop en confiance avec ses amis, si bien qu’il pourrait facilement se prendre un coup de couteau par l’un d’eux un jour si cela tournait mal. Mais bien heureusement, elle ne semblait pas lui en vouloir directement.

“ Nan… c’était ma main… “

Dit-il en l’éloignant lentement. La situation prêtait à rire, mais le confortait surtout dans ses réflexions. La jeune femme réagissait comme un chien que l’on aurait battu durant l’enfance, chose qui ne le ravissait pas du tout. A vrai dire, s’il en avait la confirmation, sans doute aurait-il envie de fracasser les gens l’ayant éduquée, et la triade avec. Peut-être que ce comportement si atypique découlait finalement de choses bien plus graves qu’il ne l’aurait pensé, ce qui rendait le tout dramatique.

“ Tu es sûre que ça va, hein ? “

Demanda t-il comme pour se réconforter plus qu’autre chose. Pas sûr qu’elle ait envie de parler, cela viendrait en temps et en heure. Pour le moment, repas.

“ Reste plus qu’à voir jusqu’ou tu peux t’améliorer. “

Il la laissa ensuite débattre quelques instants avec le serveur, vérifiant que les sacs étaient toujours à leurs pieds.

“ Ils me font faire tout ce qui implique d’avoir des gros bras et de savoir taper. Intimidation, corrections, tout ça. J’ai rarement pour ordre de tuer par contre. “

Et dieu savait que c’était facile avec la force qu’il pouvait mettre dans ses coups, sans parler de sa batte.

“ Oui je bosse là-bas et c’est sympa, on s’y sent à l’aise. Enfin faut aimer le cul ! J’ai déjà vu plein de porno d’ailleurs oui mais je ne participe pas. “

Dit-il, un sourire en coin en imaginant l’intérêt que cela provoquerait chez elle.

“ Tu sais, je pourrais toujours t’emmener là-bas avec moi. “

Dit-il très sérieusement. A voir si elle ne se mettait pas à y faire n’importe quoi, dieu savait à quel point elle pouvait être intenable. Et Karl ne voulait pas la retrouver à se faire exploiter par ses collègues.

Bizarrement, il sentit des coups de pied le frapper aux tibias. Le jeune homme haussa un sourcil pour regarder ce qu’elle pouvait bien fabriquer, et répondit avec ironie.

“ C’est pas comme ça qu’on fait du pied tu sais. “

Dit-il, un demi sourire aux lèvres avant que la nourriture ne soit finalement servie. Nul besoin de se faire prier, il attendit que la jeune femme s’y mette pour attaquer ensemble tout en balançant ses pieds pour repousser les siens, comme une sorte de petit jeu.

“ C’est délicieux, je ne m’attendais pas à manger ça si près d’ou on vient. “

La tête penchée sur le côté, Xiao observe son ami d'un air dubitatif. "Ben oui, ça va !" Qu'elle lâche. Cette question est étrange, et peu commune. On ne la lui pose généralement que quand elle est blessée. Comment aurait-elle pu se blesser au restaurant thaï ? Préférant ignorer la confusion causée par cette réflexion, elle hausse les épaules. Il y a bien plus stimulant et enthousiasmant autour d'elle. Cette conversation, déjà, et l'opportunité d'en savoir plus sur le hollywood du porno de Decay, par exemple.

"T'as vu des tournages ? Mais la chance !" Ce n'est pas tellement de la jalousie qui la fait réagir et s'exclamer ainsi. Elle est bien trop projetée dans l'idée de voir ce genre de performance, tous les jours. Une forme d'admiration pour ces acteurs qui ont "réussi". "Sérieux ?! Ce serait trop bien !" Réveillée comme jamais, elle ne peut s'empêcher de taper sur la table en criant. Le coup part, et le tibia de Karl reçoit une pointe de pied un peu plus brutale que les autres. Loin de s'excuser, Xiao reprend sa jambe vers elle et se met à chercher un peu sur le côté.

"Du pied ? C'est quoi ?" En voilà une drôle d'expression. Est-ce là une technique de combat Russe dont le Mentor ne lui aurait jamais parlé ? La curiosité titille ses nerfs. Sa réflexion est de toute façon interrompue par l'arrivée bien prompte de leur commande. Avec un restaurant aussi vide à cette heure, il n'est pas surprenant qu'on les traite comme des rois et que les délais de service soient réduits. La table se garnit alors de deux assiettes d'assortiments de poulet, en brochettes ou en morceaux marinés et frits, et deux bols moyens de nouilles aux légumes. Quelques petits ramequins de sauces sont disposés sur le plateau, rangées par ordre de puissance avec lesquelles elles nucléarisent les papilles et, sans doute par acquis de conscience, une grande bouteille d'eau en verre. Les serveurs ont probablement fait des suppositions sur Karl, car la petite boîte de couverts contient à la fois deux paires de baguettes et deux assortiments de fourchettes et couteaux. Bien évidemment, Xiao se précipite sur les baguettes à usage unique, les sépare, et s'attaque à l'assiette de poulet frit épicé. "C'est normal, le loyer est pas cher ici, trop d'inconvénients à devoir chasser tous les gens qui viennent baiser derrière les poubelles ou dans les terrasses. Pas hygiénique, il paraît." En voilà une excuse qui revient souvent.

"Aaaah bon appétit !" Premier morceau de poulet, et elle pioche allègrement dans la sauce relevée. "C'est encore meilleur que dans mes souvenirs. Goûte une brochette ! Et les nouilles !" Si elle ne peut pas tout engloutir elle-même, Xiao se ravit tout de même de voir que quelqu'un d'autre apprécie. Tout simplement parce que ça veut dire qu'elle avait raison, et que ce traiteur est délicieux. "J'y pense, mais tu crois vraiment que tu peux faire venir n'importe qui au Dvorets ? Genre, c'est pas réservé à la clientèle ou genre … Aux russes ? Paraît qu'ils aiment pas trop les autres. Et qu'il faut aimer la vodka." Xiao n'a rien contre la boisson emblématique des russes. Mais elle est aussi pleine d'idées préconcues sur eux. Il faut croire qu'à la Triade, on ne s'embarrasse pas tellement de la déconstruction des préjugés et des stéréotypes. Xiao lève les yeux derrière les larges épaules de Karl pour constater que les deux nanas se sont arrêtées de manger et l'observent silencieusement. Lorsqu'elles perçoivent son regard curieux, elles se remettent brusquement à leur boîte de nouille à priori déjà vide. Pourquoi restent-elles si elles ont fini ?

La chaleur du piment commence déjà à monter à travers tout le corps de Xiao. C'est la puissance de ces sauces qu'elle aime tant, elles réchaufferaient un esquimau en pleine banquise. Attrapant un petit fascicule présentant les desserts sur la table d'à côté qui se retrouve bien vite dénuée de tous ses accessoires, la jeune femme commence à s'éventer. Hors de question d'arrêter de manger, il suffit de prendre les bonnes précautions. "Ca réchauffe !" Balance-t-elle comme une évidence. Avant de réaliser qu'elle bute sur quelque chose, avec ses pieds, depuis un moment. "Toi aussi tu cherches l'araignée ?"

L’innocence presque extravagante de Xiao le fit sourire. Evidemment qu’elle allait bien. Du moins, selon sa propre conception “d’aller bien”. Karl était presque certain de déceler une petite pointe au coeur, et s’il n’était pas un surhomme capable de régler tous les problèmes, surtout quand la personne ne les exposait pas, il espérait au moins que sa compagnie soit réconfortante pour la jeune femme. Elle ne le lui dirait sans doute jamais, encore faudrait-il qu’elle en ait conscience si tel était le cas, mais ça lui ferait plaisir.

“ Je savais que ça te ferais plaisir. Mais tu te feras pas trop remarquer hein ! “

Dit-il, s’imaginant déjà gérer la jeune femme alors qu’elle courait partout.

Le coup qu’elle lui porta le fit sursauter, a force de frapper plusieurs fois au même endroit il allait sûrement finir avec de bons gros bleus. Enfin, s’il n’était pas aussi indulgent avec elle peut-être aurait-il les tibias intacts. Tant pis, ça n’allait pas le tuer à priori. Ceci dit, en la voyant chercher, il leva les yeux au ciel. Ah, celle la alors. Elle croyait encore à cette histoire d’araignée. Elle ne l’avait même pas écouté.

Il allait répondre à sa question sur le pied, se demandant déjà comment il pourrait expliquer ça, mais heureusement, le serveur arriva pour les interrompre. Karl n’avait pas vraiment envie d’expliquer que l’on pouvait draguer quelqu’un en le titillant du pied, qui sait quelle dinguerie irait encore lui inventer la jeune femme. D’ailleurs, la mise en place est carrément royale. Le serveur a même l’air d’avoir pensé à lui puisqu’il a droit à deux paires de baguette et même à des couverts conventionnels ce qui lui vaut un mauvais regard. Il le prenait pour un touriste ou quoi ? Comme pour se prouver à lui-même qu’il était parfaitement capable de manger avec des baguettes, Karl s’exécuta mais les brisa entre ses doigts en deux secondes à peine.

“ Et merde. “

Encore cette force qu’il ne savait pas contrôler. Le jeune homme pris la deuxième paire pour agir avec un peu plus de douceur cette fois, comme s’il manipulait des objets en porcelaine. Il n’allait tout de même pas manger avec des couverts !

“ Je me demande comment ils font tout ça ! “

Dit-il en suivant les conseils de Xiao, prenant une brochette qu’il ne mis pas longtemps à engloutir, sans le piquet, avant d’attaquer les nouilles. Quand il s’y mettait, le jeune homme pouvait vraiment manger des tonnes de bouffe sans s’arrêter. Il fallait bien ça pour faire carburer la machine, son corps n’allait pas s’animer tout seul ! Par contre, pour Xiao, la question demeurait sans réponse. Mais ou pouvait bien partir toute cette nourriture ?

En entendant sa question, le jeune homme leva les yeux vers Xiao. C’est vrai, on voyait sur son visage qu’elle était asiatique. Mais a priori, n’importe qui était accepté comme client la bas. L’organiza n’allait tout de même pas refuser de l’argent sous prétexte qu’il ne sortait pas des poches d’un russe. Bon, certes, il ne comptait pas lui faire payer quoi que ce soit, mais il se débrouillerait pour la faire passer pour une cliente.

“ N’importe qui, je ne pense pas. Mais depuis quand t’es n’importe qui ? “

Dit-il en lui faisant un clin d’oeil.

“ On aura qu’à dire que t’es une cliente, t’inquiètes. Je me débrouillerai. Et pour la vodka, personne va t’obliger à en boire. “

Elle pouvait lui faire confiance de toute manière. Le jeune homme l’avait prouvé à maintes reprises. Dans le pire des cas, s’il y avait un problème, ce serait lui qui prendrait. Ses employeurs n’avaient jamais eu à se plaindre de lui jusqu’ici, espérons que cela ne change pas.

Il continua de manger. Si les deux filles peu vêtues qu’il avait croisés à l’entrée le regardaient, il n’en savait rien et n’imaginait même pas que ce soit le cas. Elles devaient être parties depuis le temps non ? Du moins, c’est ce qu’il pensait. Une fois le repas terminé, le jeune homme attrapa une serviette pour s’essuyer le front. Satané piment, il n’en avait pas l’habitude lui. Néanmoins, en voyant qu’elle continuait avec cette histoire d’araignée, il répéta avec un peu plus de fermeté histoire qu’elle l’écoute. Ce qu’elle pouvait être tête en l’air quand elle s’y mettait.

“ Y’a pas d’araignée j’tai dit, c’était ma main que tu as sentie. “

Dit-il en recommençant pour le lui prouver. Espérons qu’elle ne lui coupe pas les doigts.

“ J’te bloque juste les pieds pour éviter que tu m’assassines les tibias, bécasse. T’en as de la force. “

Dit-il en souriant. Il ne lui en voulait pas de toute manière. S’il devait s’arrêter à toutes les fautes d’inattention de Xiao, il aurait cessé de la fréquenter depuis des lustres. Et comme ils allaient passer au dessert, le jeune homme tourna la tête pour pouvoir lire sur le même menu que Xiao, ce qui lui donnait une drôle de position. Il aurait bien parlé de perles de coco ou autres choses du genre, mais il pouvait très bien confondre les desserts asiatiques entre eux. Mieux valait éviter de confondre Japonais et Chinois, si bien qu’il se tût.

Le voir s'enthousiasmer sur la nourriture éveille de drôles de choses en Xiao. En particulier, son esprit de compétition, et un vieux réflexe d'engloutir toute la bouffe que son corps est capable d'entasser. Alors, après avoir savouré deux trois morceaux, la chinoise se lance allègrement dans un concours de dégustation rapide dont elle seule connaît les règles et même l'existence. Pour peu qu'on lui demande, sans doute supposerait-elle que c'est Karl qui a commencé, son esprit va beaucoup trop vite pour qu'elle réalise qu'il se trompe. Le bol de nouilles est mis de côté un temps, l'assassin préférant se concentrer sur les morceaux de poulet mariné. Elle ne s'arrête même pas pour boire et faire passer l'agression du piment. Non. Xiao compte les points, et elle prend de l'avance.

" Une cliente ? Huh. Pas bête, mais j'vais devoir mettre un déguisement ?" Un petit sourire bordé de sauce se dessine sur son visage. Ça n'est pas forcément dans ses méthodes de  travail, le mentor lui ayant plutôt enseigné l'art de s'effacer, se faufiler, infiltrer, plutôt que le jeu de rôles. Mais ce domaine lui plaît depuis toujours et la gosse aime les déguisements. Pas sûr qu'elle soit très crédible, avec ses idées blindées de stéréotypes sur les autres, riches ou pauvres, chinois ou … "autres". Probablement qu'elle se prendrait pour un des personnages de ses films préférés, mais tant que ça fonctionne, pourquoi pas ?

"Ta main ? Oh, dommage." Ouais, dommage. Une main, on peut pas l'empaler pour 200 points. La voilà qui hausse les épaules avant de reprendre enfin ses pieds pour elle. "Tant pis !" La dernière brochette en main, Xiao prend son temps pour la déguster, continuant de s'éventer avec le menu des desserts. La tête en arrière, elle mâche le dernier morceau de poulet mariné en poussant un grand soupir de soulagement. C'est étrange, même chez elle, elle n'est pas si détendue que dans ce vieux restaurant à moitié cassé. A nouveau, le courant d'air vient caresser leur coin tandis que trois adolescents entrent pour s'installer un peu plus loin. Ils sont bruyants, parlent une langue qu'elle ne reconnaît pas, mais ça ressemble vaguement à du Russe dans les intonations. Peu importe. Karl fait un truc bizarre.

" Qu'est-ce que tu fous ?" Lui demande-t-elle quand elle pose enfin les yeux sur son ami. "Ah tu veux voir ? Vas y, moi j'prends une glace de toute façon. C'est le meilleur truc, ici. J'prends deux boules à la fraise !" Un petit sourire entendu, parce que Xiao sera toujours un peu crade. "Leurs desserts sont pas mauvais mais c'est beaucoup de riz gluant, j'en mange assez tous les jours. Mais fais toi plaisir !" Impatiente, elle hèle le gars derrière le présentoir des glaces. "Eh ! Deux boules fraise s'teuplait ! J'ai chaud !" Après s'être essuyé le coin de la bouche et avoir englouti un verre d'eau d'une traite, elle lance un grand sourire à Karl. " Alors, t'as quoi de prévu les prochains jours ? Hormis apprendre à utiliser des baguettes, j'veux dire." Le questionne-t-elle en fouillant un de ses sacs d'un geste machinal. Xiao ne sait pas se contenter d'une seule chose à la fois, et comme une enfant le matin de Noël, elle ne sait pas non plus attendre avant de s'amuser avec ses cadeaux. Mais elle se souvient soudain de l'interdiction. Erh. Quel dommage. "Ils vendent des trucs au Dvorets ? Enfin, t'as déjà vu s'il y a une boutique dedans ou quelque chose ?" Les yeux pleins d'étoile, comme une enfant devant le rayon des jouets. Un autre type de jouets, quoi. "Tu me montreras ?"

Karl la regarde faire, hébété. Il mangeait vite, certes, mais elle… c’était surréaliste. Lui qui pensait que son esprit de compétition était surtout centré sur les jeux videos, la voilà qui faisait un concours de nourriture. Night fit semblant de continuer un peu pour qu’elle n’ait pas l’air de jouer toute seule, mais il n’avait clairement pas envie de faire une indigestion. Et que Xiao en fasse une non plus d’ailleurs.

“ Xia’, tu vas vraiment exploser ! “

Dit-il en exagérant un peu, bien qu’il voyait mal un si petit gabarit assumer tant de nourriture. A croire qu’elle se désintégrait directement dans son estomac. Ou qu’elle se faisait vomir après, car il ne voyait vraiment pas comment son corps pouvait assumer autant de bouffe en si peu de temps. Encore un de ses petits secrets. Lui, termina de bonnes minutes après, presque repu. Il ne restait de la place que pour un dessert.

“ Hein ? Non. Les gens viennent sobrement souvent. Enfin, ils évitent de ressembler à des prolo mais c’est à peu près tout quoi. Tu veux que je t’achètes des vêtements ? “

Heureusement qu’il n’avait pas des tonnes d’amis, le jeune homme serait sans doute ruiné. Ensuite, le jeune homme se penche sur la table et attrape une serviette pour la passer aux coins des lèvres de la jeune femme, histoire de la débarrasser de cette sauce. L’air de rien, il se rassoit ensuite dans son fauteuil, et s’étire de tout son long, affichant ses muscles une fois de plus.

Il regarda sa main. Dommage ? C’était une belle main pourtant. Enfin, sûrement disait-elle ça pour une raison qu’il ne pouvait pas comprendre. Lui était bien content de l’avoir gardée en tout cas, peut-être ne lui aurait-il pas pardonné si elle lui avait planté la main. Chacun ses limites tout de même. Quoi qu’il en soit, le jeune homme finit par voir un dessert qui lui plaît, faute d’avoir envie de chercher plus longtemps, et se remet dans une position un peu plus confortable quand Xiao lui file le menu. De la glace ? Non merci, pas pour un homme du froid comme lui.

“ Tu n’en veux pas trois ? “

Dit-il en écoutant d’une oreille distraite la conversation des ados bruyants. Evidemment, puisqu’ils parlaient dans sa langue natale, son attention ne pouvait qu’être attirée. Et globalement, ce qui ressortait de leur conversation bruyante était un ramassis de jurons à propos des “chintok” et autres injures racistes décomplexées. Sans doute pensaient-ils pouvoir se le permettre puisqu’il n’y avait pas beaucoup de Russes dans le coin. Pas beaucoup, sauf lui. Le jeune homme resta calme mais leur adressa d’une voix forte, en Russe.

“ Baissez d’un ton et cessez de dire des conneries, ça pourrait se retourner contre vous assez vite. “

Et il parlait de lui. Insulter les chinois, c’était insulter Xiao et ceux qui leur avaient servi cette délicieuse nourriture. Il ne l’accepterait pas, ça non. Karl était quelqu’un doté d’un fort sens de l’honneur. Le groupe se tourna vers lui, étonné, puis ils ruminèrent ensemble sans qu’il puisse entendre avant de changer de sujet. Ça n’alerta pas plus que ça le jeune homme. Il alla demander son dessert à la suite de Xiao.

“ Je vais prendre un flan à la fleur de rose, merci. “

Dit-il dans un chinois impeccable. C’était bien pratique d’avoir appris cette langue.

“ Oh ça va, elles sont en bois aussi. C’est fragile. “

Dit-il en soufflant du nez.

“ Ben rien de spécial. J’aimerais bien passer du temps avec toi. Et toi ? “

Dit-il en la regardant fouiller dans son sac, ayant presque une goutte de sueur à la tempe. Elle n’allait quand même pas sortir ses trucs devant tout le monde ? Mieux valait attendre qu’elle soit chez elle. Enfin, sans lui de préférence ce serait tout de même assez vexant de devoir y assister. Heureusement, elle semble avoir un éclair de génie et s’arrête. Ouf.

“ Ouais, ils ont à peu près tout ce qu’il faut. C’est surtout au cas ou un client en aurait besoin en plein acte, ce serait con qu’il doive sortir pour aller chercher ou ne sait ou. “

Il acquiesce ensuite, comme d’habitude.

“ Evidemment, je t’ai déjà refusé quelque chose ? “

D’ailleurs, il enchaîne sur une question qu’il pose d’un air mutin. Elle devait très bien savoir qu’il n’attendait pas grand chose en retour quand Karl rendait des services, si ce n’est le bonheur de la personne.

“ Et moi, qu’est-ce que tu m’offriras en échange de tout ça ? “

Si elle ne dit rien, c'est comme si les oreilles de Xiao picotaient à entendre la proposition de se faire acheter des vêtements. Elle n'est pas femme à refuser qu'on lui paie quelque chose, mais son attention est déraillée par la nourriture, et elle se laisse oublier ce qui lui est offert. Dommage, quelque part, mais seulement pour elle.

" Non, deux ça suffit, et puis, c'est plus équilibré !" Non, Xiao ne parle pas d'équilibre calorique, mais il n'y a bien que son sourire mauvais pour la trahir. Elle ricane toute seule, fière de sa bêtise, mais impatiente tout de même de se rafraîchir avec son dessert. C'est tout ce qui accapare son attention, à un point tel qu'elle ne fait même pas attention à Karl qui se retourne pour parler en Russe à quelqu'un. Son apprentissage est assez rudimentaire, aussi, elle n'essaie même pas de comprendre de quoi il est question.

" Du temps avec moi ?" Elle aurait bien envie de demander pourquoi, c'est même la première chose qui lui vient à l'esprit. Xiao n'a pas l'habitude qu'on exprime ce genre d'envie. Là encore, elle n'a pas vraiment appris à le faire non plus et se contente de faire avec ce qui se présente. Souvent par pur hasard, comme cette nuit. C'est à ce moment que le serveur choisit de débarasser la table pour y déposer les desserts. Immédiatement, le regard de la chinoise est comme happé par le petit bol de glace à la fraise déjà partiellement fondue dans le fond - la faute à la chaleur ambiante du restaurant qui n'a finalement pas tant à voir avec les épices des plats.

La cuillère à la main, Xiao attaque, plus lentement cette fois qu'avec les brochettes un peu plus tôt. Elle déguste, et prend bien le temps de profiter de chaque petite goutte restante sur la cuillère, les yeux fermés pour se concentrer sur les arômes sucrés de fruits. Le soupir qu'elle pousse est sans équivoque - enfin, pour peu qu'on ait l'esprit clair et bien tourné. "Mhhhh c'est vraiment trop bon." Sa pensée est interrompue par Karl. "C'est bien, t'es fiable !" S'exclame-t-elle avec joie lorsqu'il accepte sa nouvelle demande. Comme d'habitude. L'assassin s'attaque à une deuxième cuillerée de glace lorsqu'elle est interrompue dans sa communion avec la fraise par une nouvelle question.

Lui offrir quelque chose ? Voyons. Ses services ? Pas sûre qu'il en aie besoin, et puis, la Triade a un droit de regard sur les contrats privés. Hors de question de bosser gratuitement. Alors quoi, un jouet ? Peut-être est-il intéressé par ce qu'elle a dans ses sacs ? Son esprit nourri à la fiction pas toujours très fine ne peut que partir dans de mauvaises directions. "Heuuu…" Elle se met à fouiller dans ses sacs. Ouais, ce serait dommage, mais elle pourrait lui donner deux trois trucs. "J'pense pas avoir quelque chose que tu ne puisses pas trouver en mieux au boulot, honnêtement…" C'est qu'elle réfléchit puissamment, la gamine. Elle ne voit vraiment pas. "T'aimes pas la glace donc …" Ce n'est pas vraiment offrir que de lui donner un dessert qu'il ne veut pas et qu'il va payer de toute façon. "Laisse moi réfléchir une minute. " Pensive, elle joue avec la cuillère en tapotant contre sa bouche, sans réaliser qu'elle se met encore de la crème glacée sur la bouche. C'est en passant lentement la langue qu'elle réalise et l'enlève. Son esprit passe en revue ses possessions, son appartement. N'importe qui considèrerait ses "trésors" comme des ordures, c'est généralement ce que dit son propriétaire de toute façon. Des tas de petits trucs volés à ses cibles. Son esprit continue, passe la cuisine - elle sait cuisiner mais ne le fait jamais, pas la patience - le salon. Rien de bien nouveau pour Karl sans doute, il a certainement une télé et un canapé. Arrive la chambre, son grand lit et ses placards, ses caméras et tout son matériel de travail.

Xiao rouvre alors les yeux et les plonge dans le regard de Karl pour la première fois depuis le début de la soirée. Concentrée, son visage s'est totalement refermé, sérieux, professionnel. Il s'agit d'une négociation, d'une transaction. Il lui faut sonder le client pour comprendre ce qu'il veut. Elle laisse bien une vingtaine de secondes passer comme ça, silencieuse, son regard analysant chaque trait de Karl - il a deux cils qui se croisent, mais ça ne va pas l'aider. Le souffle de la chinoise s'est ralenti tandis qu'elle se penche en avant, absorbée par sa réflexion et son analyse. Qu'est-ce qu'elle pourrait lui proposer ? C'est l'air tout à fait sérieux et les yeux plissés sous la concentration qu'elle finit par briser le silence. "Une pipe ?" C'est généralement ce qu'elles répondent à cette question, dans les films.

Il souffla simplement du nez à sa petite plaisanterie. Elle n’avait pas tort ceci dit, bien qu’elle n’évoquait pas l’équilibre calorique. Après tout ce qu’elle venait de manger, lui donner encore plus ne serait pas très raisonnable. Surtout au vu de la manière qu’avait Karl de prendre soin d’elle, chose dont elle n’avait peut-être pas conscience. Parfois, le jeune homme se demandait bien comment elle pouvait voir le monde. Remarquait-elle la manière dont il se comportait avec elle ? Il ne devait pas y avoir beaucoup de gens autour d’elle prêts à la cajoler ainsi. Du moins, c’était la supposition qu’il se faisait du milieu dans lequel elle évoluait. Si il pouvait lui apporter un peu d’insouciance, tant mieux pour elle.

“ Oui. Un peu comme maintenant. Tu serais d’accord ? On pourrait faire plein de trucs ensemble. “

Dit-il sans perdre de sa patience ni de son empathie. Certes, elle ne comprenait que la moitié de ce qu’il disait réellement, et lui rendait donc la tâche difficile. Mais c’était bien pour cela qu’il s’était autant attaché. Xiao lui renvoyait une image qu’il ne pouvait décrire, comme s’il avait envie de la protéger d’elle-même, par peur qu’elle ne finisse par se nuire… tant pis si elle ne comprenait pas ses intentions ou ses paroles. Chaque chose viendrait en son temps, Karl ne comptait pas baisser les bras ou se lasser d’elle. La jeune femme avait bien le droit d’être comme elle était.

Il s’attaqua ensuite à son dessert, qui était tout aussi bon bien qu’il ne pris pas vraiment le temps de s’y attarder comme elle. Karl n’avait pas vraiment le palais d’un fin gourmet, c’était bon, point. Entre deux bouchées, le jeune homme répondit à Xiao d’un air concerné. Ce genre de choses comptaient beaucoup pour lui, plus que tout en réalité. Mais il se doutait que cela lui passerait sûrement au dessus.

“ Evidemment… on est amis non ? Je ne suis pas comme ça avec tout le monde tu sais. “

Dit-il, tentant tant bien que mal de lui faire réaliser un peu la place particulière qu’elle avait pour lui. Certes, le jeune homme aurait pu le lui expliquer clairement avec des mots, mais il était peut-être un peu trop timide pour ça. Sans doute avait-il peur de sa réaction aussi. Ce genre de choses étaient trop fortes pour être balayées d’un haussement d’épaules, quand bien même cela n’entacherai en rien l’attachement qu’il lui portait. Enfin, si c’était seulement de l’attachement. La frontière pouvait être floue et il ne pouvait pas vraiment savoir ce qu’il ressentait. Après tout, il tenait à tous ses proches de la même manière.

Voyant qu’elle prenait sa demande très au sérieux, il haussa les sourcils. Ce qui n’était à la base qu’une blague plus ou moins destinée à voir sa réaction se transformait en un vrai business. Elle était concernée, à tel point qu’elle pris de bonnes minutes à chercher méticuleusement une idée. Cela dit, il n’avait vraiment pas besoin d’aucun de ses jouets.

“ De toute manière je n’aime pas vraiment les jouets du genre, je préfères les vraies femmes. “

Avoua t-il avant de se taire. Elle avait besoin de réfléchir, soit. Il termina son gâteau sans la quitter des yeux, la regardant simplement planer en pensant sans doute à quelque chose à trouver avant qu’elle n’ancre soudainement son regard dans le sien. Cela lui faut un léger froncement de sourcils de la part de Karl, qui continue de la regarder entre deux bouchées. Elle lui faisait une sorte de blague ou quoi ? Voir cette expression sur son visage n’était pas chose commune. Néanmoins, il la connaissait un peu trop pour en rire, et supposa donc qu’elle était dans une véritable introspection. Ce serait bien son genre tiens. Et alors qu’elle s’avance, s’attendant à une révélation de folie, Karl s’étouffe avec la dernière part de son gâteau.

“ Kof kof ! “

Le jeune homme se tapote la poitrine pour faire passer ce mauvais moment, pris au dépourvu. Et merde. Il aurait du prévoir. De quel con il avait l’air maintenant. Evidemment qu’il ne repousserait pas une gâterie de sa part. Xiao restait attirante, et elle lui avait toujours fait envie physiquement sans qu’il n’aille plus loin. Mais accepter une pipe en l’échange d’un service ? La proposition était tentante, mais il ne se voyait pas profiter d’elle.

“ Hum… ça me ferait plaisir de faire ça avec toi tu sais. Mais finalement, je ne voudrais pas que tu te sentes obligée. “

Tout dans les propos de Karl semblent mener à quelque chose que Xiao ne parvient pas à décrypter. Ou du moins, elle n'essaie pas. Ca n'est pas dans ses habitudes d'analyser les paroles des gens sur lesquels elle n'enquête pas. Pourtant, chaque phrase, chaque nouveau mot prononcé la met dans cette position où elle vient à se questionner.

Ok. Il attend quelque chose. Il "n'est pas comme ça avec tout le monde". Certains de ses chefs employaient ce genre d'expressions aussi, pour justifier leurs demandes. Il ne veut pas de jouets, il préfère les vraies femmes. Les femmes comme Xiao ? Soit … Forcément, sa conclusion ne peut être que juste. Il veut qu'elle lui fasse quelque chose dans ce goût là. Qu'est-ce que ça pourrait être d'autre ?

L'esprit de la chinoise s'active tandis qu'elle continue de déguster sa glace avec application, comme si les morceaux de fraises allaient lui donner la réponse. Elle recule brusquement lorsqu'il se met à tousser. Pourquoi semble-t-il surpris ? Après tout, ce n'est que la conclusion logique de ce qu'il semble exprimer depuis tout à l'heure. La tête penchée sur le côté, comme un cocker dubitatif, la jeune femme l'observe en détail sans mot dire, tentant de trouver dans ses gestes et ses manières les réponses aux questions que soulèvent le comportement de son ami.

" Ben ?" Ne peut-elle même s'empêcher de lâcher en le voyant reprendre son souffle après avoir avalé de travers le dernier morceau de son dessert. "Ça va aller ?" Souffle-t-elle sans vraiment s'inquiéter. Elle a vu des gens mourir étouffés par moins que ça, mais il n'a pas l'air d'être vraiment submergé par son gâteau. Ce serait ridicule, quand même, de perdre la vie de cette façon.

Et puis vient sa réponse. Il serait mentir que de dire que Xiao prête attention à tout ce que disent les autres, y compris ses amis. Tout ce qu'elle retient donc de cette phrase - et c'est bien ce qui lui semble être la véritable substance de son intervention, enjolivée par des mots qu'elle n'écoute qu'à moitié ensuite - c'est que ça lui ferait plaisir. Parce que Xiao, hors de la Triade, ne se sent pas vraiment obligée de quoi que ce soit. "J'ai plus très faim mais bon." Tout l'amuse, et ça, c'est vraiment sans conséquences. Amusant, même ! Alors, laissant tomber sa cuillère dans son bol, elle hausse les épaules et jette un coup d'oeil rapide aux clients et employés du troquet qui n'ont vraiment aucun intérêt pour leur petite vie dans le coin le plus reculé de la salle.