[T1: Speed Dating] Premiers frissons

Sans être inédit, cet événement est assez inhabituel pour taper dans l'oeil - ou plutôt le coeur passionné - de la benjamine des Maeda. Voilà une semaine que Sae se prépare, prend mille précautions pour découvrir cet événement au coeur de Chicago. Un Speed Dating. De quoi rencontrer du monde, avec leurs bons et leurs mauvais côtés, expérimenter la vie, les gens, le monde !

Trois jours qu'elle cuisine en vue de cet événement. Toutes sortes de petites gâteries et autres échantillons de ce dont elle est capable. Si elle n'admet pas vouloir vraiment rencontrer l'amour, tester ses compétences en cuisine et, peut-être, en charme, n'est pas de trop.

Coquette, la jeune cuisinière a su rester simple. Vêtue d'un dérivé court et peu traditionnel de yukata léger, modernisé par une coupe et disposition dévoilant son tatouage ainsi que des accessoires moins communs, Sae a traversé la ville en getas, en compagnie d'un frère à la fois hilare, curieux, et protecteur. Un large et lourd sac de tissu suspendu à son épaule, elle a rejoint groupe - plus grand qu'elle ne l'avait supposé - pour intégrer l'événement, un grand sourire vissé sur le visage.

Elle est si enthousiaste qu'elle a bien du mal à réprimer de petits rires en observant le comportement de l'organisateur à l'accent assumé. Elle applaudit même à la fin de son petit discours, et sautille jusqu'à sa table, une fois son numéro reçu et son accompagnateur présenté. D'un geste rapide, elle sort un petit miroir de poche en bois clair pour vérifier son maquillage et sa coiffure : rien ne dépasse, parfait. Sans oser regarder son premier date, Sae pose son sac sous sa chaise, se penche pour fouiller à l'intérieur et en sort une petite boîte de bois et de verre qu'elle ouvre au milieu de la table. A l'intérieur, trois sashimis de trois différents poissons, quelques morceaux de légumes marinés, trois pâtes de fruits et un chocolat emballé dans un papier métallisé décoré d'un motif blanc, rose et rouge.

"Bonjour !" S'exclame-t-elle alors en levant enfin les yeux et poussant du bout des doigts la boîte vers son premier partenaire, qui s'avère être une jeune femme très agréable au regard. Son large sourire s'étire encore, son coeur bat à cent à l'heure. "C'est pour toi ! J'espère que ça te plaira ! Je suis Sae, enchantée." Et puis, réalisant qu'il s'agit bien d'un speed dating, et que la rapidité est importante. "Je suis cuisinière, j'aime les poissons, les couteaux et j'ai un chien qui s'appelle Hakuzosu !"

Voir son cadeau accepté avec tant d'enthousiasme emplit le coeur et l'âme de Sae de tout un tas de bouffées d'enthousiasme et de bonheur. Le rose lui monte aux joues et ses mains se mettent à trembler à tel point qu'elle doit les poser, bien à plat sur la table, pour se contenir. "Ca me fait plaisir ! Vraiment !!" S'exclame-t-elle sans la moindre retenue, sous les regards dubitatifs de certains participants dont la rencontre se passe moins bien.

" Enchantée Mei Lin !" Il y a de quoi être surprise de rencontrer quelqu'un qui ne cache pas un goût au moins aussi passionné pour les lames que le sien. Le regard de Sae s'illumine, et la voilà qui s'emballe de plus belle, parlant à un débit encore plus exagérément rapide que précédemment. "Oh ! Mais ! C'est ! Génial ! Attends attends !" Elle sort son téléphone de sous sa large ceinture de tissu et affiche sa galerie de lames de cuisine, forgées de ses propres mains. "Une fois, à chaque fois que je les utilise ! J'ai un peu tout tranché. Poisson, boeuf, tendon, muscle, cartilage j'ai même utilisé celui-là, le gros là, pour découper une dinde entière ! Et lui, là, j'ai découpé une jambe dr…" Elle s'interrompt, levant les yeux vers son interlocutrice, avant de se rattraper in extremis. "Une jambe de porc ! Direct sur le porc, j'ai découpé la jambe, c'est un super hachoir si on sait s'y prendre !"

La gêne l'emplit et se mêle à la passion que l'enthousiasme de son interlocutrice a fait naître. Elle guette le timer. "L-le Rong yuan ! C'est cool ! J'y suis jamais allée, tu découpes du poisson là-bas ? Il doit être bien frais ! Hah-h-a !" Son regard ne parvient pas vraiment à se poser sur quelque chose de précis, Sae essaie d'analyser le visage, les cheveux, la tenue, le regard de Mei Lin, pour la sonder, au delà de ce que ses mots veulent dire. Du bout des doigts, elle pousse encore la boîte de bois. "Faut que tu me dises si mon poisson est aussi bon, alors ! Y'a une tranche de fugu mais, promis, je sais le découper !" Elle se mettrait presque à begayer, guettant encore et encore le temps qui lui reste. "T'es cuisinière ? T'as des couteaux ? Tu tranches quoi ?" La Maeda s'apprête à applaudir une nouvelle fois d'impatience, mais se retient, joignant simplement les mains devant sa bouche, sans la lâcher des yeux. Ce Speed Dating commence très bien.

Incroyable. Le destin. Tout bonnement incrédule, Sae continue de détailler les gestes de Mei Lin, son regard, ses expressions, et ses quelques soupirs d'enthousiasme. Un esprit bénéfique a-t-il décidé de veiller sur elle à l'occasion de Speed Dating ? La bouche entrouverte, les yeux écarquillés, elle continue de la regarder faire sans dire un mot, un millier d'idées lui traverse l'esprit, et il lui faut travailler sa concentration pour ne pas partir dans tous les sens. Le minuteur dans le coin de son esprit taquine sa patience, néanmoins, et les idées de Sae se mélangent dans son esprit, encore et encore. "Ouais ! Ce qui bouge, ou ce qui bouge pas, ça dépend de la fraîcheur que tu veux ! Après, généralement, j'att- enfin, j'assomme les poissons avant de les couper, quoi. Je me suis pas encore occupée du bétail, on a pas la place pour ça …" L'idée l'intéresse moyennement de toute façon. Si Sae aime découper toutes sortes de viandes, il n'y a qu'un type de bestiau qu'il lui intéresse de  trancher à vif.

"Des congés pour t'entraîner ! Wah ! J'espère qu'ils finiront par te laisser cuisiner alors, avec la passion, rien ne peut t'arrêter !" Les deux poings ramenés sous ses joues toujours plus roses, Sae songe à tout ce qu'elle pourrait lui montrer si d'aventure elle venait assister à une démonstration au restaurant. L'idée de l'inviter se fait une place dans son esprit tourmenté par les flots passionnés de leurs intérêts communs, mais elle est interrompue par Mei, qui relance de plus belle sur un sujet certes peu connu et maîtrisé par la japonaise, mais qui ne manque pas d'éveiller leur intérêt.

" Ah vraiment ? Et elles sont comment tes aiguilles ? Genre, quelle taille ? Ca fait saigner ? Je me demande ce que ça donne … Je crois que j'aimerais bien tester. Enfin, peut-être pas sur moi, mais sur des gens." Après tout, jouer avec la pointe de ses couteaux les plus fins lui plaît beaucoup, sans doute que les aiguilles ont leur propre intérêt. "Ca fait saigner, les aiguilles ? J'ai cru comprendre que c'était pas supposé le faire … Ca arrive que des clients … patients … aient mal ? Qu'ils crient ? Ca doit arriver au début, non ?" Plus les mots et le temps s'écoulent, plus son intérêt grandit pour la discipline. "Ca fait longtemps que t'en fais ? T'as un cabinet ? J'aimerais bien voir ce que ça donne, mhh."Ses yeux passionnés posés sur son interlocutrice, elle continue de l'observer en posant son menton sur ses deux paumes, avide d'en savoir plus. "Elles font quelle longueur tes aiguilles ? Tu les enfonces jusqu'à quel point ?" Des tas d'images lui traversent l'esprit. Certaines sont honnêtes et propres, d'autres moins, lesquelles la poussent à se mordiller très légèrement sa lèvre inférieure rosie par un gloss léger. "Ca doit être passionnaaaant !"

L'esprit échauffé par toutes les explications de Mei, Sae n'arrive plus à la lâcher de yeux. Elle imagine tant de choses ! Un joli cabinet à la décoration apaisante, un présentoir muni de dizaines d'aiguilles de toutes tailles et couleurs, prêtes à rencontrer la chair des patients. Elle ne fait même pas attention aux nombreuses fois où son interlocutrice semble rattraper ses mots, supposant qu'elle est simplement aussi enthousiaste qu'elle, bafouille, se mélange dans ses idées et ses concepts, et ne parvient pas à se ravoir. Après tout, elle a exactement le même problème.

Cachant sa bouche souriante du bout de ses doigts vernis de bleu outremer, elle acquiesce à chaque nouvelle information qu'elle reçoit, sans même essayer de calmer le battement de son coeur affolé. "Wow, je pensais que c'était des aiguilles beaucoup plus fines ! Ca doit être un travail de précision quand même, pour faire les choses, pile comme il faut." Elle doit, tout comme elle, en avoir beaucoup appris sur l'anatomie. Qu'est-ce qu'elle est polyvalente ! "Ca fait longtemps que tu fais ça ? S'il faut beaucoup de pratique."

La tête penchée sur le côté, Sae tourne et retourne les mots de Mei dans sa tête. Ainsi, le Rong Yuan proposerait des services complémentaires ? Voilà une idée. Peut-être qu'ils devraient voir plus grand, à l'Orochi. Ils sont pourtant déjà si occupés. "J'espère qu'ils te paient bien pour ça, c'est une sacrée expertise, surtout si tu as appris toute seule !" Réalise-t-elle soudain. "J'ai bien envie de voir ça. Si tu trouves quelqu'un à qui proposer ce service !" Elle regarde autour d'elle. Plutôt douillette, la Maeda n'a jamais été femme à se proposer comme cobaye sur ce genre d'expérience. Si elle s'intéresse à l'acupuncture, c'est pour la pratiquer sur d'autres, pas pour recevoir ce genre de traitements. "Mais … Je ne savais pas qu'on était supposé aller aussi loin ! Au delà du squelette ? C'est quand même bien fait ! Mais ça soigne quoi ?"

Au delà de la curiosité vis à vis d'une telle révélation, Sae ressent comme une bouffée d'adrénaline à l'idée de voir quelqu'un, n'importe qui, se faire enfoncer des aiguilles de tous les côtés. Une nouvelle fois, elle vient mordiller sa lèvre avant de se remettre droite. Et d'observer autour d'elle si le tour est près de se terminer. Il y a tant de choses à découvrir sur cette fille, et sur leur passion commune ! La japonaise ne peut s'empêcher de reprendre à toute vitesse. "Il faudra que je voie ça ! Et toi, toi, si tu veux, tu pourrais venir à mon restaurant, je te montrerai mes couteaux ! J'ai une collection, et j'en ai même fait quelques uns moi-même ! On fait des démonstrations de découpe et tout ! Tu trouverais peut-être même des clients potentiels, je suis sûre que ça intéresserait plein de monde !"

Le brouhaha ambiant ne parvient pas à déconcentrer les deux jeunes femmes. Sae, les yeux toujours écarquillés, le sourire aux lèvres, écoute Mei avec une grande attention, et se met même à tapoter du bout des doigts sur la table, un signe manifeste - pour elle - de bonne humeur. Elle ne sait pas trop quel air elle tapote, mais elle ne s'en prive pas. "Cinq ou six ans, tu m'étonnes que tu dois bien maîtriser !" Après tout, elle-même s'est passionnée pour la découpe depuis à peu près autant de temps. Si sa fascination pour les chairs cédant sous le métal était présente bien avant, la concentration de cette passion dans la cuisine et la découpe fine est bien plus récente. Un bref instant, la Maeda se demande bien comment on peut avoir conscience des problèmes de sensations, de sang qui gicle ou de douleurs sur un mannequin, mais Mei est si enthousiaste qu'elle ne parvient de toute façon pas à s'attarder là dessus. Sans doute des mannequins conçus pour ce genre d'entraînement. Après tout, ça peut exister, qui sait ?

Montrer sa collection de couteaux est toujours un plaisir. C'est bien pour ça qu'elle se permet de les exhiber à la première occasion. Plusieurs fois, déjà, Sae a songé à créer une chaîne de vidéos sur internet pour en faire la démonstration. Si elle est bien consciente que le faire sans contexte peut paraître saugrenu et surtout suspect, l'idée de créer une chaîne de cuisine lui trotte en tête depuis bien longtemps. Mais a été balayée par son oyabun de père avant même qu'elle n'ose se lancer. "Je te dirai tout ! D'ailleurs, si tu veux, tu peux en voir déjà plus sur mon profil en ligne, c'est KoiGal-Ito !" Reprenant son téléphone, elle affiche son profil et, en gros, son pseudo. Si elle a pour coutume de se montrer plus secrète vis à vis de ses activités en ligne, le côté pratique de ce réseau prend le pas et tant pis pour ses drôles d'occupations. Après tout, cette Mei est intéressée par la facette la moins glorieuse de sa personnalité, elle en a bien conscience. Qu'est-ce qu'une fanfiction horrifique, quand on partage une passion pour les couteaux bien aiguisés ?

L'explication qui vient éclaircir ses questionnements sur l'usage des aiguilles semble, au mieux, flou, au pire, suspect. Mais Sae est bien trop engagée dans cette discussion, cette passion qui les unit et ce début de drôle de relation, qu'elle préfère aller naturellement vers le meilleur. Et simplement admettre qu'elle n'y connaît probablement rien en comparaison d'une praticienne experte comme Mei. Les doigts de ses deux mains entrelacés sur la table, elle hausse les épaules et sourit avec douceur. "Je suppose ! Je n'ai jamais eu à faire ça, mais si tes patients sont délivrés de leur souffrance, c'est tout à ton honneur !" Son regard parcourt l'assistance, pour trouver des indices qu'elle a encore plein de temps pour partager sa passion du métal effilé, mais rien. "J'avoue que je n'ai jamais testé, enfin … Je participe jamais aux abattages. Il y en a ici ? On se fait toujours livrer la viande directement au restaurant …" Les sourcils froncés, Sae réfléchit à la provenance de ce qu'elle sert. Elle n'a pas beaucoup de scrupules à ce sujet, tant que c'est bon. Si elle est très à l'aise avec l'idée de trancher de l'humain vivant, sans aller jusqu'à tuer, celle de torturer ou retirer la vie d'un animal la met bien moins à l'aise. Exceptions paradoxales et malhonnêtes faites de sa cuisine où de nombreux poissons, homards et autres bestioles bien choisies ont été assommée ou ébouillantées sans sommation et sans remords. "Tu as raison, ça pourrait valoir le coup de tenter ! Quand j'aurai eu ma démonstration, je testerai. Je suis sûre que ça pourrait faire la différence." S'exclame-t-elle, enthousiaste comme une enfant s'apprêtant à recevoir un nouveau jouet.

"Tu aimes manger quoi ? C'était bon, mes échantillons ? J'pourrais te préparer un truc spécial, si tu viens à l'Orochi ! Pendant les démonstrations, je prépare ce que je veux !"