Fight! | ft. Karl [Violence]

Les néons aux multiples couleurs ont quelque chose d'hypnotisant, dans cette ville. Moskva n'est rien en comparaison d'autres quartiers comme Kabukichô, mais il a ses illuminations particulières qui sont dépaysantes pour les yeux de la chinoise. Debout sur le marchepied, elle observe chaque détail, chaque lampe grésillante, chaque silhouette indiscernable dans l'ombre à laquelle elle imagine une histoire. Peut-être que celui-ci rentre du travail, un travail nocturne difficile, éreintant, et s'apprête à noyer la difficulté dans un pack de bières ou une bouteille de vodka. Peut-être que la femme, juste derrière, va rencontrer un client. Elle a l'air attifée pour. Et cet homme, là bas, qui prend la direction du Dvorets, tiré à quatre épingles ? Qui va-t-il rencontrer ?

Le sourire aux lèvres, Xiao continue d'apprécier la vue, et la fraîcheur légèrement humide du toit. Il est si tard, et pourtant, le quartier est plein d'une vie assez singulière. Des gens qui chantent n'importe quoi dans la rue d'à côté au vieux chat de gouttière qui escalade les échelles de secours, se cherche un abri, comme s'il sentait quelque chose arriver. Un instant, Xiao se sent presque faire un avec son environnement, comme ce chat, ou ces oiseaux qui ont fui un peu plus tôt.

Les yeux fermés, Xiao prend une grande inspiration. On ne peut pas dire que ce quartier se démarque par sa fraîcheur, mais il a une identité propre. Et elle n'est finalement sortie de sa torpeur que par les inquiétudes que Karl lui renvoie. "Si je devais tomber, ce serait arrivé depuis longtemps. Sois pas rabat-joie !" Lance-t-elle avant de finalement se retourner pour trouver un Karl plus blanc que de coutume, l'air perdu. Il semble chercher quelque chose, alors la chinoise décide de l'ignorer. Mais elle ne semble pas pouvoir retourner à son étrange communion, l'univers le lui refuse quand une goutte vient tomber sur son nez, puis une autre. Et une troisième vient frapper sa joue.

Xiao aime la pluie. Pour l'instant, ça n'est qu'une légère averse, pas de quoi s'inquiéter. Mais c'est suffisant pour élargir son sourire, et la faire descendre du rebord. "Des bières ? Tu penses que quelqu'un est parti en laissant ça ici ?" Après avoir rejoint le russe pour estimer l'état des boissons, elle ne peut que constater qu'elles sont fraîches, bien scellées, et dans un état acceptable. Alors, sans demander l'autorisation ou se faire prier, elle en chipe une, l'ouvre d'un coup sec sur le rebord bétonné se met à la goûter, à grandes goulées. "J'connaissais pas cette marque, mais c'est pas mauvais. Un petit arrière goût de miel, tu devrais tester !" De plus en plus enthousiaste à l'idée de se faire offrir des boissons par l'univers, en plus d'une agréable pluie pour rafraîchir sa peau, Xiao descend très rapidement sa première bouteille, avant de s'en offrir une seconde. Du bout des doigts, elle essuie ses joues mouillées de gouttes de pluie et lève les yeux vers Karl. "Tu devrais vraiment boire un coup, t'as pas l'air bien." Et puis, parce qu'elle n'a encore vu qu'un côté du toit, la voilà qui se met à faire le tour, pour apprécier tous les angles, et toutes les vues, en tournant, erratique, sous l'averse. "Haaa ! Tu vois que j'ai raison de monter sur les toits !"

Le jeune homme reste immobile un instant devant la glacière. Sans doute qu’il se fait du mouron pour rien, elle a raison. Cette peur est aussi irrationnelle qu’idiote, à croire que Karl cache une fragilité exacerbée sous cette montagne de muscles. Lorsqu’il regarde xiao, le boxeur n’y voit aucune peur ni inquiétude. Elle ne renvoie rien de tout cela. Comment fait-elle pour être aussi insouciante ? A moins que le problème vienne de lui. Sans doute ferait-il mieux de se contenter de boire afin d’oublier un peu toutes ces conneries, en plus de sa peur du vide. Le jeune homme s’est toujours retenu de boire de l’alcool par peur de ruiner sa santé, mais Karl ressent expressément le besoin de se vider la tête ce soir.

“ Ouais… j’imagine que quelqu’un l’a oublié. Bah, on laissera la glacière. “

Dit-il alors que la pluie commence à tomber. Par réflexe, le jeune homme se crispe pour garder un maximum de chaleur bien qu’il apprécie la mélancolie nostalgique qu’offre l’eau tombant en trombe sur la ville illuminée de ses néons. Si seulement Decay était aussi agréable a vivre qu’elle est belle, la vie serait sûrement plus belle. A la place, le Russe est simplement tombé dans une antichambre ou vanité et cruauté trônent en maître. Cette ville le dégoûte, au plus profond de lui-même. Le gouvernement aurait mieux fait de balancer une bombe nucléaire sur cette foutue île histoire d’en finir une bonne fois pour toutes.

“ Ouais, ouais… j’vais essayer… “

Dit-il en piochant une bouteille. Le jeune homme la cécapsule à la seule force de ses doigts et commence par sentir le goulot, peu confiant. C’est bien la première fois qu’il boit de l’alcool de sa vie. A priori, l’odeur n’évoque rien d’imbuvable. Enfin, ce n’est pas comme s’il était un grand connaisseur d’alcool. Quelle odeur est censée avoir une bière périmée ?

“ Hum… ça a une odeur chelou. “

Dit-il avant de boire sa première gorgée. Le russe s’arrête, prend le temps d’apprécier, et hausse les sourcils. Ce n’est pas mal. Le goût de l’alcool le dégoûte mais ces bières sont relativement bonnes, comme s’il buvait une sorte de soda ou de jus de pomme improvisé.

“ T’as raison c’est vraiment bon en fait. “

Karl engloutit la boisson d’un coup. Si elle est agréable en bouche, il compte bien se désinhiber histoire de se libérer un peu de ses inquiétudes. Le jeune homme ne s’est pas totalement remis de ses réflexions de tout à l’heure et son mal être général aurait bien besoin d’être mis de côté au moins pour une soirée. Ainsi, dès la première bière terminée Karl enchaîne sur la seconde et se munit d’une troisième en prévision lorsqu’il suit Xiao pour faire le tour du toit.

“ Ouais… fin, c’est que de la lumière et des bâtiments en béton. Y’a pareil partout. “

Dit-il sans vraiment sentir les effets de l’alcool monter. Sans doute est-ce à retardement. Après tout, il n’y connait rien. Une fois la seconde bouteille terminée, le jeune homme enchaîne sur la troisième en s’arrêtant au bord. Il s’immobilise un instant, sent son corps tanguer tout seul, et recule. Drôle de sensation. Le sportif se sent plus détendu, plus… mou. Comme s’il était pris d’une fatigue physique sans en ressentir les effets mentalement. C’est donc ça, être “bourré” ?

“ Eh… on devrait… “

Le jeune homme est coupé dans ses paroles par l’arrivée d’un couple sur les toits. Un homme aux cheveux longs dépassant d’un bonnet, plutôt grand et musclé, accompagné par une femme à l’air déjà bien chargée ne sachant plus ou donner de la tête.

“ Mais merde, qui s’est servi dans la glacière putain ? “

Karl soupire. Les ennuis. Encore.

C'est avec un grand sourire que Xiao profite à la fois de la vue, de la bière, et de la pluie sur ce toit au beau milieu de Moskva. Elle ne se soucie pas de grand chose. Que ce soit des considérations des autres sur elle, sur sa vision de la beauté. Karl est toujours trop réticent à se lancer, tester des choses, se mettre à l'épreuve. C'est du moins la conclusion qu'elle fait de ce qu'elle voit de lui, face aux bières. Ce ne sont que des bières. Elles sont abandonnées là, mais sont scellées, après tout.

"Je m'en fous, c'est beau !" Lance-t-elle en ignorant sa tentative de mettre à mal son enthousiasme. la chinoise n'est pas là pour le convaincre, de toute façon, mais pour apprécier.

Seulement, la Triade n'est pas de cet avis. Elle n'attend jamais. Lorsqu'elle appelle, Xiao se doit de répondre, et enfiler son casque et sa tenue. Il en a toujours été ainsi, et elle ne l'a jamais remis en question. Lorsqu'elle sent son téléphone vibrer et le sort de la poche arrière de son short, elle se doute que ça ne peut être que ses patrons. Son regard se vide un instant, lorsqu'elle lit le message qui s'affiche. "Je … Dois y aller."

C'est à cet instant que la porte s'ouvre et qu'un couple arrive sur le toit. Ignorant ce qu'ils racontent et ce à quoi ils ressemblent, la chinoise se faufile discrètement derrière eux avant que la porte ne se referme naturellement, et descend les escaliers jusqu'à l'appartement de Karl, où elle file directement dans la salle de bains pour trouver son sweater finalement tout juste séché. Elle ne fait pas de manières et le sort de la machine, l'enfile - il est tout chaud et sent encore un peu la lessive malgré tout, un bonheur. Sur son téléphone, elle tape un message pour la Triade - enfin, celui qui l'a contactée, quand bien même ils représentent tous la même chose pour le petit oiseau - puis pour Karl, pour lui demander de ne pas la suivre. Elle a du boulot. Hors de question de prendre des risques.

Enfin, avant de prendre définitivement congé, la jeune femme attrape le dernier morceau de naan restant dans le sac presque vide de nourriture indienne. Elle mord dedans avec entrain, puis passe la porte qu'elle laisse claquer derrière elle. Mieux vaut prendre l'escalier, elle arrivera bien plus vite chez elle ainsi. En escaladant le bâtiment d'à côté, discrètement, elle pourra passer par les toits et retrouver son appartement et son matériel plus vite. La soirée distraction a bien assez duré.