[T1 : Speed-Dating] Ca va bien se passer ?

Il attend sagement la réponse, tripotant machinalement son mégot du bout des doigts. Il n’a aucune conscience d’avoir posé une question malheureuse. Se concentre désormais plus sur les réponses attendus que sur de nouvelles interrogations à soumettre. Le temps. Le temps file, leur échappe irrésistiblement, et peut-être que ce n’est que ça, finalement, qui lui donne tant envie d’une suite, d’un nouvel essai, d’un nouvel échange. Il est perdu, avec ce qu’il ressent, la manière dont cet inconnu l’attire, le déroute en même temps. Il y’a dans l’inattendu de leur révélation quelque chose de doux, qu’il n’a jamais pris la peine de rechercher ailleurs. Il penche légèrement la tête sur le côté, attentif, avant de laisser échapper un éclat de rire rauque devant la précision apportée.

« Sexuel ? Elle te faisait du mal au pieu ? » Il ne peut pas s’empêcher de relever, encore une fois, friand de la roseur qui s’invite à nouveau chez son vis-à-vis. « Nan, t’es pas soporifique, sinon j’me serai tiré. » s’empresse-t-il d’annoncer, avant d’hausser les épaules, ne sachant pas réellement comment réagir à ce qui vient d’être dit. Il hésite, se mord les lèvres, cherche du regard un appui, une inspiration, avant d’abandonner. Trop de choses se bousculent dans sa tête, trop de choses qui n’ont rien à y faire, qu’il ne souhaite pas voir s’attarder. Le rapport à sa famille. Le fil sur lequel il danse, alors que la gravité ne cesse de l’attirer, toujours plus tentante. Et ce porte-clés, donné si spontanément à une personne qu’il vient tout juste de rencontrer. Il n’est pas sentimental, pourtant, Ace. Ne disperse pas ses attentions aux quatre vents, s’emballe aussi vite qu’il oublie, pour mieux passer à autre chose. Quelque chose dans l’immobilité du japonais le retient pourtant. Malgré le joyeux brouhaha qui règne dans la salle, les nombreuses distractions qui s’offrent sans se faire prier, il n’a d’yeux que pour lui. Et il se trouve maintenant presque gêné dans son absorption, une main refermée sur le coupon, et une envie de fuir, de respirer un air absent de cette présence là, au creux du bide.

Il se lève un peu trop brusquement, refait le tour de la table pour s’emparer du coupon d’Usui, qu’il rassure d’un hochement de tête. « Ouais, sûrement. J’vais voir c’que j’peux trouver, bouge pas. » Il ne lui demande pas vraiment son avis, s’éloigne d’un pas rapide pour rejoindre le stand des boissons en question, attrape deux gobelets sans même vérifier ce qui se trouve à l’intérieur pour revenir à la table, se laisser tomber sur sa chaise avec un soupir mêlant dépit et soulagement.

« Tiens. J’sais pas c’que c’est, mais si ça t’plait pas, j’fais un scandale t’inquiète. » souffle-t-il en poussant le gobelet vers son partenaire. Il renifle le sien avec circonspection, jette un regard vers Usui, et trempe les lèvres dans le breuvage avant d’esquisser une grimace exagérée. « Vodka orange. C’est grave dégueulasse. Ça devrait être interdit. T’as quoi, toi ? Un truc sain genre soda ou jus de pomme ? » Il avale une gorgée, s’étrangle, tousse quelques secondes avant de taper du poing sur la table pour retrouver son souffle, une larme à l’œil et un air plus renfrogné que jamais gravé sur les traits. « Putain de bordel de merde de connerie de vodka de mes burnes. » balance-t-il en s’essuyant le visage d’un revers de poignet, reniflant une fois de plus sans la moindre classe.

« Tu disais ? Tu tiens pas l’alcool ? Moi non plus on dirait, littéralement. » La toux lui a brûlé la gorge, et il écarte sa boisson avec un regard mauvais, avant de planter ses coudes sur la table pour laisser son menton reposer entre ses paumes. « Pour le bar, t’as l’adresse notée sur le porte-clés, tu passes quand tu veux, sois pas effrayé par les cas qu’on a là-bas, grandes gueules, mais inoffensifs. Sauf quand. » il s’interrompt brusquement , détourne le regard, et reprend d’un ton clairement moins enthousiaste pour signaler. « On arrive à la fin, non ? Si j’te file mon numéro aussi, tu penses que tu vas m’appeler ? »

Il lorgne vers le jus de pomme, pas franchement enchanté à l’idée d’en boire, et finit par le refuser d’un léger signe de tête. « Ça va, c’est bon. » lance-t-il, la voix encore enrouée et le regard liquide. Il l’écoute de nouveau, hausse les sourcils à mesure que les mots s’enchaînent, et finit par acquiescer, sans grande conviction. « Tu t’prends beaucoup la tête pour pas grand-chose, mais va pour les messages. J’imagine que c’mieux que rien. »

Le sourire revient sur ses lèvres, jusqu’à lui manger tout le visage, et son enthousiasme naturel le reprend lorsqu’il accepte. « Ouais carrément, cinéma c’pas ouf pour parler, faut voir c’qu’ils passent. Par contre pour manger j’suis chaud ! » Il tourne la tête après avoir pivoté sur sa chaise, distingue parmi les participants une paire d’oreilles de chat qui lui dit quelque chose, et se retourne vers Usui, un reste d’interrogation au fond de ses yeux verts.

« Ah, ouais, les amis, ceux qui t’ont amené ici ? Ils sont sympas ? Ils viennent d’où ? Tu traînes souvent avec eux ? » Il est presque content pour lui, de savoir qu’il ne rentrera pas seul, ne se retrouvera pas aux prises avec la faune de Decay libérée dans la nuit. Regrette pourtant de ne pas les connaître, ces fameux amis qui ont su apprivoiser le petit sauvage qui lui fait face. « J’suis venu parce que ma sœur venait, mais j’l’ai pas croisée encore. J’espère qu’elle va pas s’taper d’plan merdique, j’ai pas envie d’me battre ce soir. »

Il soupire, remet le nez dans son gobelet de vodka orange, et s’en enfile le contenu cul sec en évitant de s’étrangler cette fois. « C’est vraiment mauvais. » crache-t-il sans cesser de sourire pour autant, les yeux un peu plus brillants.« Du coup, ça t’emmerde pas si j’te rejoins au buffet ? J’veux dire, si t’es avec tes potes, j’veux pas m’imposer tu vois, paraît que j’suis pas vraiment fréquentable. » Il hausse les épaules, se demande une nouvelle fois qui peuvent être ces gens, espère très fort qu’ils ne font pas partie d’un cercle privé qu’il ne tient absolument pas à fréquenter, à savoir tout ce que la ville compte de clans yakuzas.

En termes de réputation, Ace Maeda n’est clairement pas une référence, et autant s’éviter cet écueil alors qu’il a face à lui un type qui a l’air tout à fait inconscient de ce qui peut se tramer en dehors d’événements comme celui auquel ils participent ce soir. Il se lève, normalement cette fois, sans manquer d’emporter sa chaise avec lui, attrape son téléphone et ses clopes pour les glisser dans sa poche après s’en être allumé une autre, et s’approche tranquillement d’Usui pour lui tendre une main dans l’optique de serrer la sienne

« J’passerai sûrement, même si j’m’ennuie pas. Tu vois, toi, ici, ce soir, ça change un peu mes plans concernant la suite de la soirée. » Il a de nouveau ce sourire qui lui éclaire le regard, et la même assurance décontractée qu’à son arrivée. S’il ne projette encore rien de précis sur la suite de la soirée et qu’il attend des nouvelles de sa sœur pour savoir s’ils partent ou non,  sa première rencontre a douché une bonne part de son potentiel intérêt pour d’autres rencontres.