[T2 : Speed-Dating] Qui De Nous Deux

Voir de la lumière et entrer, c’est un peu son crédo, surtout lorsqu’il est fait mention de boisson gratuite. Non pas qu’il ait besoin d’un énième verre, son regard étrangement vacillant et sa démarche lourde et incertaine plaident pour une alcoolémie déjà bien installée. Il se laisse tomber à la table assignée sans vraiment regarder qui s’y trouve déjà, se coince une cigarette entre les lèvres, et la retire sitôt qu’il entend la première phrase qui lui est adressée. « Hein ? Quoi ? Putain. » marmonne-t-il en russe de sa voix éclatée, avant de prendre le temps de regarder la fille. Peut-être qu’elle vaut le coup qu’il se dispense de fumer, au moins pour les dix prochaines minutes.

Il étire un sourire dévoilant deux crocs, se masse lentement les tempes, et pose sur la table ses paumes entourées de bandes, ses phalanges tatouées annonçant à qui les lit d’aller se faire mettre. « On la joue comme ça alors. » souffle-t-il dans un ricanement, toujours dans sa langue natale. « Treize. 34 ans. Tu cherches quoi ici, l’amour, genre, vraiment ? Ou un plan cul pas emmerdant ? Tu captes le russe ? »

Il est passé à l’anglais pour la dernière phrase, un anglais difficile et heurté qu’il maîtrise mal et ne se donne pas la peine de rendre plus compréhensible. Il observe un peu la salle, les couples formés, et reporte machinalement son attention sur la nana, se rappelant subitement de sa dernière question. « La baise. La vodka. Les combats. Ça fait trois passions. » énumère-t-il tranquillement sans que le sourire n’ait quitté ses lèvres. « Tu bosses dans quoi ? » s'informe-t-il ensuite en se penchant légèrement en avant pour poser ses coudes sur la table, une lueur d’intérêt dansant au fond de ses yeux vairons.

Il a le crâne prêt à éclater, le regard trouble, et de moins en moins envie de rester sagement assis sur une chaise. Il n’écoute plus qu’à moitié la femme qui lui fait face, peu intéressé finalement par ce que ce date pourrait donner. Il est venu pour boire, pas pour se forger de nouvelles amitiés, encore moins à la lueur de rendez-vous savamment minutés. La réponse lui tire un sourire qu’elle ne voit peut-être pas, occupée qu’elle semble être à regarder ce qui se passe ailleurs dans la salle. Il lève un sourcil en la voyant proche de l’étranglement, ne manifeste pour autant pas la moindre intention de l’aider. L'empathie n'a jamais été son fort, et ce ne serait de toute façon pas la première fois qu'il voit quelqu'un lui crever sous les yeux. Alors il l'observe, légèrement intrigué, comme pour voir si elle va s'en remettre, ou si, au contraire, pour elle, l'aventure s'arrête. Définitivement.

« J’suis venu pour boire, essentiellement. » claque-t-il lorsqu'elle reprend contenance, sans s’embarrasser d’une politesse qu’il s’efforce de toute façon d’ignorer la plupart du temps. «J’pense pas que qui qu’ce soit trouvera l’amour ce soir. Y’a trop d’jolis culs pour attendre les sentiments. » Il lui décoche un sourire provocant, comme pour la dérider un peu, et se lève brusquement avant de se rattraper à la table. « Wow. Bon, beauté, tu m’excuses, mais j’crève de soif, j’me casse au buffet. » souffle-t-il en direction de la pauvre jeune femme qu’il abandonne sans plus de cérémonie, dirigeant sa démarche alourdie par l’alcool vers le fond de la pièce. Après tout, c’est ce que la publicité promettait, de quoi boire gratuitement.