[T2: Speed-Dating] Les mêmes et on r'commence.

Après quelques semaines d'hésitation et de touffe indomptée, Xiao a fini par se rendre au Jacked-in-k pour effacer une bonne fois pour toutes les traces de sa décevante soirée à Moskva. Une coupe courte, pratique, pour égaliser les mèches tranchées au couteau, brutalement. C'est pour le mieux, finalement. Une nouvelle Xiao. Un nouveau petit oiseau.

C'est toute pimpante et pleine de bonne humeur qu'elle traverse le quartier du Red Light en recherche d'inspiration, pour occuper son temps libre. Et elle n'a pas à attendre très longtemps, avant d'être alpaguée par quelqu'un et embarquée dans quelque chose qui la dépasse, de loin. Elle qui se faisait un plaisir d'aller s'enquérir des nouveautés de son magasin préféré.

Un type, portugais, l'entraîne dans une échoppe dont elle ne parvient pas à comprendre la spécialité. La chinoise ne faisait qu'apprécier l'air frais du quartier, se posant quelques secondes pour réfléchir. Elle n'a d'ailleurs pas grand chose d'autre à répondre qu'un couinement, et se laisse embarquer, sa curiosité prenant le pas sur ses éventuels questionnements.

Speed-Dating ? Qu'est-ce que c'est encore que cette bête là ? Curieuse, elle s'avance dans une salle où de drôles de duos se font face, mais est rattrapée par un type, lequel lui glisse rapidement que ce n'est "pas encore le moment". Le moment de quoi ? Se demande-t-elle ? Mais le chaos ambiant lorsqu'un moustachu au fort accent latin vient prendre la parole dans un micro bien puissant. C'est qui, ce gros Mario ?

La question ne reste que brièvement en suspens. Poussée par l'homme qui la retenait un peu plus tôt, elle est emmenée vers une table, on lui fourre un bout de papier dans la main, et la voilà assise. Sur une chaise inconfortable, laquelle ne tient pas vraiment sur ses quatre pieds lorsqu'elle se dandine dessus. Les sourcils froncés, l'air contrit, le petit oiseau de la Triade regarde autour d'elle, avant de voir son attention captée par une voix douce, qui peine presque à s'imposer.  "Oh, tu es japonais ?" Demande-t-elle en un nippon aux quelques accents et intonations trahissant son mandarin natal.  "Moi c'est Xiao !" S'exclame-t-elle en s'inclinant, manquant de peu de prendre la table dans le front.  "Woh, elles sont hautes les tables." Elle s'interrompt un instant.  "Ou alors, c'est les chaises qui sont basses, erh." Agacée, elle vient remonter ses pieds sur l'assise, et s'installe en position accroupie.  "Tu permets, j'aime mieux comme ça."  

Un large sourire vient orner le visage de la petite. Elle n'a pas la moindre idée de ce qu'elle fiche ici, mais ne s'en formalise pas vraiment.  "C'est quoi, on doit discuter, y'a des énigmes ? Faut battre un record ?" A nouveau, Xiao tente d'analyser les comportements de ceux qui l'entourent. Qu'est-elle sinon une stratège et une analyste de talent ? A en croire le langage corporel de certains, tout porte à croire qu'il est question de séduction. "T'es mignon. Tu cherches quelqu'un pour la nuit ? C'est un genre de Tinder, mais en vrai ? Ils m'ont rien dit à l'entrée." Son enthousiasme débordant nourrit sa curiosité. Si elle ne sait que penser de l'homme qui lui fait face, au moins, elle a quelqu'un pour subir ses questions incessantes.

Un compliment lui est adressé, et Xiao affiche un large sourire. Encore heureux que son japonais semble correct, avec tous les coups qu'elle a pris derrière la tête pour l'apprendre ! Mais un compliment, c'est une victoire de plus, et quelques points supplémentaires. Si sa performance était notée, elle commencerait très bien. Elle acquiesce simplement, sans vraiment le remercier autrement, et passe aussi tôt  la suite.

" Quelques minutes, hein ? Alors c'est un contre le montre …" Murmure-t-elle, sans perdre son sourire. Des rendez-vous avec un objectif et un temps limité ? Exactement ce qu'il faut pour parler au coeur de la chinoise. Enthousiaste, elle pose ses coudes sur la table et repose sa tête sur ses paumes, scrutant le visage de cet Usui avec grande attention. Quel est le but, le séduire ? Mais alors, quel est le critère de réussite ? Dans le doute, sans doute faut-il viser le plus loin possible.

"Oh ben, je vais pas filer maintenant, le jeu ne fait que commencer !" Jamais de la vie, Xiao abandonnerait un défi quel qu'il soit. "Trente ans ? Tu les fais pas ! Moi j'ai heu …" La voilà qui compte dans sa tête, les yeux en l'air. Elle n'a pas vraiment l'habitude de fêter son anniversaire, ou de compter son âge. "Vingt-deux ? Ou vingt-trois ? Je sais plus." Ses prunelles reviennent se fixer sur le visage d'Usui. "Oh, je boirai plus tard, quand le timer ne sera plus là ! Mais c'est gentil de proposer. Déformation professionnelle ?" Demande-t-elle avant de reprendre, sans laisser le temps de répondre. "Ce que j'aime, mhh …" Ca n'est pas une question commune. Il lui faut bien quelques secondes pour y réfléchir, mais elle se précipite, de peur de perdre trop de temps et rater sa récompense. Parce qu'il doit bien y en avoir une. "J'aime manger, tester des trucs. Les jeux vidéo, escalader des immeubles - t'as déjà testé les vues dans ce quartier ? C'est incroyable, ce qu'on peut voir. J'aime bien gagner. Les concours et les compétitions. Les documentaires animaliers, aussi." Elle fait une courte pause. "J'ai rien d'autre qui me vient." Elle baisse les yeux et, songeant à ses projets perturbés par ces fameux speed-dates, ajoute. "J'ai une grande collection de films porno et de jouets, aussi ! J'aime beaucoup ça !"

Enfin satisfaite, emplie d'un sentiment d'accomplissement, le petit oiseau de la Triade se laisse tomber sur le dossier de sa chaise, après avoir retiré son gilet qu'elle roule en boule sur ses jambes repliées, dévoilant du même coup ses bras, et le tatouage de serpent noué sur son épaule - lequel révèle, accompagné d'une bouffée de fierté son appartenance au groupe Chinois. Xiao pousse alors un long soupir, faisant voler quelques mèches venues lui manger le visage. "Et toi, tu fais quoi quand tu vends pas du saké ? Et que tu te fais pas embarquer ici par tes amis ?" Curieuse, comme toujours. Et en vertu de cette admirable qualité, le regard de la chinoise revient scruter le visage d'Usui sans la moindre gêne. Penchée sur la table, les cheveux en bataille et les pommettes rougies par la chaleur de la pièce, elle prend un air très concentré, contrasté par un petit sourire en coin. Lequel devient peu à peu plus large, révélant une dentition légèrement irrégulière. On ne peut pas tout avoir.

Occupée ? Peut-être. Sans doute. Après tout, le Mentor a toujours établi qu'écouter ses instincts, quand il s'agit de se reposer, n'est pas une bonne chose. Fainéante. Incapable. Inefficace. Xiao doit à tout prix éviter ça. Être active, réactive, toujours. Ne jamais se laisser aller. Avoir une longueur d'avance. "Oh, ben oui ! Il faut s'occuper. C'est important." Son sourire est toujours là, éclaire son visage pourtant assombri par un regard qui se vide. C'est pas le moment. Il faut se concentrer sur le jeu, gagner le gros lot, battre le record.

La chinoise se fait presque impatiente, et se met à tapoter des doigts sur la table. Les règles ne sont pas claires, c'est frustrant. Elle doit faire quoi, coucher avec ? Gagner son numéro ? Quelque chose entre les deux ? Il y a des notes, des points, un tableau des scores ? Où est-il ?

Ses questions sont interrompues par Usui qui vient reprendre la parole, et la forcent à sortir de sa réflexion, laquelle commençait à s'imprimer sur son visage concentré, à la mine semblant boudeuse pour qui n'aurait pas la retranscription de ses pensées obsessionnelles. "Rasoir ?" Commente-t-elle en se remettant à réfléchir. Il n'est peut-être pas très surprenant ou intimidant, mais il serait malhonnête de sa part de le considérer ainsi. Pour une fois, elle ne l'est pas. Après tout, à sa sortie du Mausolée, elle était un peu comme ça. Pire, même. La rencontrer à l'époque aurait été encore plus "rasoir" que discuter avec un inconnu presque trop poli.

"C'est pas rasoir du tout !" S'exclame-t-elle, en songeant finalement que, comparé à ses quelques fréquentations régulières, en particulier au sein de la Triade, la simplicité sympathique de cet Usui a quelque chose d'original et de rafraîchissant. Qui sait, peut-être cache-t-il quelque chose ? Et si c'était ça, le défi ? Comme réveillée par cette pensée, le petit oiseau de la Triade se mordille légèrement la lèvre avant de se redresser sur sa chaise et planter un regard résolu dans celui du japonais. "Je ne lis jamais, mais je le ferai, ça a l'air bien. Dis moi des noms de trucs à lire !" Exigea-t-elle d'un ton péremptoire, sans pour autant lui donner le temps de répondre immédiatement. "J'ai pas besoin de beaucoup de points communs pour avoir envie de passer du temps avec quelqu'un." A bien y réfléchir, ceux qui ont le plus régulièrement partagé son quotidien n'ont que très peu de similitudes avec elle. Sans doute ne supporterait-elle pas de côtoyer une autre Xiao.

La jeune femme ne prend pas vraiment la peine d'attendre qu'il termine de fouiller dans son sac pour continuer, enthousiaste. "Pourquoi tu fais du saké ? Ca te passionne ? Tu dis que t'as pas beaucoup de passions parce que tu travailles beaucoup …" Elle s'arrête un instant. La question ne s'est jamais posée de son côté. Mais elle ne changerait sa situation pour rien au monde. Le fait de ne pas avoir le choix, peut-être, pèse son poids dans cette décision. Mais pas que. "En tout cas, si t'aimes les jeux d'arcade, je connais deux trois coins sympa. Enfin, tu les connais peut-être. T'es japonais, tu dois être de Kabukichô, non ? J'ai passé deux trois nuits au Space Station Bar, avant qu'ils bouclent tout." On a pas idée de compliquer son travail à ce point.

Le monologue allait repartir de plus belle lorsque le joli paquet apparut sur la table. "Oh !" Une simple exclamation, avant de se jeter dessus. Xiao le déplie sauvagement, ouvre la boîte, et pousse un nouveau petit cri devant son contenu. "Oh ! A manger !" Tout sourire, le rose lui montant aux joues, elle en enfourne déjà un dans la bouche. "Ch'est trop bon ! T'es chur que t'en veux pas ?" Les yeux font l'aller-retour une bonne dizaine de fois entre le cadeau et l'homme. Après avoir enfin avalé, elle reprend. "J'savais pas qu'il fallait offrir des trucs, j'ai rien prévu, moi. Tu veux quelque chose ? Un service ? J'ai peut-être un truc dans mon sac …" Soucieuse de jouer correctement au jeu, elle vient fouiller dans ses poches, puis dans la besace. Petit à petit, elle vide leur contenu sur la table, dévoilant des papiers de chewing-gum - vides ou non - une bonne quinzaine de préservatifs accrochés tous ensemble, un flacon de lubrifiant parfumé à la cerise, un emballage de poulet frit, une fausse rose jaune en plastique, son téléphone, une bague en argent surmontée d'un minuscule saphir, et une fourchette en plastique.

C'est alors qu'elle s'arrête un instant, pour constater l'amas éclectique qui envahit la petite table. Quelques secondes passent, où elle réfléchit silencieusement. Avant de prendre la bague, déterminée, et la tendre des deux mains à Usui. "Tiens ! J'crois que ça s'appelle une une "bague de fiançailles", mais j'en veux pas !"

Distraite, Xiao écoute partiellement l'homme plus âge d'une oreille, son regard passant de lui à ses propres mains, aux autres participants, aux murs. Incapable de se concentrer sur quoi que ce soit, trop occupée à chercher la clé, l'indice sur quoi faire, sur ce qui lui permettra de gagner. De sortir victorieuse, numéro un, ramener le trophée, n'importe quoi. "Huh, ouais, c'est bon le saké !"

Lorsqu'elle finit par présenter le premier objet brillant qui traînait au fond de son sac, un lourd et long silence se pose. Bien sûr, elle n'en perçoit que la longueur, bien incapable de saisir ce qui se passe sur le visage de son interlocuteur. Pour ça, il faudrait qu'elle y prête attention.

Au final, ce choix n'était qu'un pur hasard. Second trophée arraché à la main de sa dernière cible - au même titre que la fleur en plastique récupérée sur la tenue de la même personne - la bague n'est qu'un objet de plus qu'elle a décidé de ne pas garder. Au profit de la fleur. La fleur est jolie, un peu sale et froissée mais toujours sympathique. Elle n'est pas lourde et lui a directement tapé dans l'oeil. La bague, elle l'a prise par réflexe, principalement parce que le doigt d'où elle l'a arraché a été sectionné, et que cette petite chose lui est tombée sur le pied. Elle est restée au fond de sa besace un moment et, à vrai dire, c'est en la sortant de là, vidant littéralement son sac, qu'elle s'est souvenue de l'avoir volée.

Alors quand elle tend cette bague, pour elle, c'est comme proposer une frite froide, ou le pain vide d'un ancien kebab baguette dont elle aurait mangé tout le contenu. Ou un fond de thé qu'on aurait oublié et laissé refroidir. Quoique, dans le grand livre de Xiao, ce type de générosité est certainement bien plus marquante qu'offrir cette fameuse bague.

Elle n'a pas l'air de lui faire plaisir. Il est bizarre. Il l'est depuis le début ? La chinoise ne s'en souvient pas vraiment. Elle n'y a pas prêté attention. Il est mignon mais pourquoi sourit-il comme ça ? "Que j'aimerai ?" Demande-t-elle, le visage tout à coup plus sombre. Comme par réflexe, elle jette la bague à travers la pièce, comme si elle lui brûlait les doigts. L'anneau vient taper sur la tête d'un participant, à en croire le rebond tardif sur le sol. Lorsque son regard revient se poser sur Usui, le fond de méfiance y est bien visible.

" Hm. Okay. Donc en gros, vos cadeaux et vos gâteaux, c'est totalement gratuit ?" Sans attendre la réponse, elle se sert à nouveau, et tâte le gâteau. "C'est bizarre. Vous vous faites pas avoir, avec ça ? C'est pas très commun, comme façon de faire. Si personne ne vous le rend, ça doit vous ruiner." Curieuse, elle s'avance à nouveau, rassemble ses objets en un petit tas, et mord enfin dans son gâteau. "Vous offrez vraiment à tous les gens ?" Demande-t-elle avant d'avaler. "Moi on m'a dit que ceux qui agissent comme ça gratuitement me veulent du mal. Qu'ils m'affaiblissent." Le petit oiseau penche alors la tête sur le côté. "Mais t'as pas l'air de me vouloir du mal. Ou d'être menaçant."

Ce type est impossible à lire. Il ne veut rien, son visage n'exprime rien de clair, et il a l'air partiellement ailleurs. Et pourtant, Xiao ne peut pas gagner. Sans doute parce qu'elle ne connaît pas les règles, ce qui la frustre d'autant plus. C'est de la triche, ou les dés sont pipés depuis le début ? Est-ce un piège ?

L'air contrit, sourcils froncés et regard sérieux posé sur les mains d'Usui, la chinoise ne prononce pas un mot. Ses muscles sont crispés, elle est comme prête à bondir, et refermée à la fois. Ce qu'il explique lui est étranger. Ses mots sont exactement ceux dont on lui a toujours dit de se méfier. Le partage. Le lien. Les autres. Les sentiments, et les histoires de confiance, le tout avec un sourire. Tout ça est piège et faiblesse, lui a-t-on toujours enseigné. Et si elle peut s'épargner l'acte inutile d'exécuter un inconnu qui lui a pourtant offert à manger, Xiao est ravie de le voir prendre lui-même la décision de s'en aller.

De toute façon, elle n'est pas armée. Aurait-ce été un problème ? Sans doute pas. Mais il ne s'est pas assez imposé dans sa vie pour mériter ce traitement. Son seul vice est probablement d'avoir tort.

Il y a des jeux qu'il vaut probablement mieux perdre. Ca n'est pas dans les habitudes ni le naturel de Xiao, cependant, et la frustration la gagne tant et plus en le voyant partir, après quelques politesses auxquelles elle répond par un grognement crispé. "Pff." Lâche-t-elle bruyamment en regardant autour d'elle. Qu'est-ce qu'ils ont de plus qu'elle, ces autres abrutis, pour être encore en course ? Tout ça est ridicule. Un jeu sans règles et sans récompense annoncée. S'il y a quelque chose que Xiao déteste, c'est ne rien comprendre. Une boule lui monte dans la gorge, douloureuse, alors qu'elle se met à gémir. "C'est nul !" S'exclame alors la mauvaise perdante.

Le petit oiseau bondit de sa chaise, embarque tout ce qu'elle trouve sur la table dans son sac - dont les derniers gâteaux, en enfournant un au passage dans la bouche, tout entier. La chaise tombe sur le côté, et la table est repoussée en arrière. D'un pas nerveux, elle se dirige vers la sortie, bousculant au passage un participant très pris dans sa discussion, qui prend un coup de coude à l'arrière de la tête. Mais Xiao ne prend pas la peine de se retourner. Si elle ne part pas immédiatement, l'autre portugais moustachu risque de ne plus voir le soleil se lever, et elle n'aurait rien à gagner à une telle perte de patience.

En sortant de la pièce, elle hésite un instant en observant le coin aménagé en buffet où quelques personnes sont rassemblées. Manger gratuitement ? Peut-être est-ce un bon moyen de rattraper le coup et se consoler d'un échec aussi frustrant. Un bref regard à son téléphone pour constater qu'aucun message de ses chefs ne s'y affiche. Tout est décidément fait pour la forcer à faire face à son amertume.