Mauvais bail -Sam

“ Sur place, c’est trop étroit chez toi, j’ose même pas imaginer mon “chez moi”...”

C’était le moment pour lui demander un double des clés de chez lui pour ne pas fracturer la porte ? Non, j’allais en faire un dans son dos, plus simple. Ainsi il n’y aurait pas vraiment d’effraction n’est-ce pas ? Puis quant à ses énièmes avertissements… Un membre de mon gang ? Voyons, comme si j’étais assez  imprudente pour ça. Sa réflexion n’avait eu pour réponse qu’une mimique et un rire. Même si je prenais ça avec légèreté, j’avais bien compris les enjeux. C'était seulement très drôle de lui laisser penser le contraire. Même si ses bonnes intentions et sa galanterie allaient bientôt me donnaient des remords à être aussi épuisante.  Mais il ne fallait pas qu’il s’imagine que j’allais si facilement lâcher l’affaire.

“ Mais voyons, comme si j’allais m’en prendre ou laisser quelqu’un s’en prendre à mon bienfaiteur. Crois-le ou pas, je ne suis pas ingrate. Quand j’ai dit que je serais une alliée pour toi, j’étais sincère. Ça inclut ta personne seulement, pas la Milice on s’entend. “ Un grand geste théâtral pour dédramatiser tout cela. “ Je sais plus faire la part des choses que tu ne le penses. On a joué et j’ai perdu. Pour ma part, je n’ai aucune raison d'être hostile avec toi, bien au contraire. “

Sur cette note, je m’étais penchée sur la table comme pour lui glisser un énième secret, pensez-vous, j’avais vu  le reflet du serveur en face qui matait mes fesses, je lui améliorais la vue, ça allait suffisait souvent à améliorer le “service”.

“ Et en admettant que je te prouve que je peux être fiable et gagner assez d’argent “honnêtement” pour qu’on s’offre plus de luxe que ce taudis. Tu acceptes ma proposition ? “

Pourquoi tant d'insistance ? c’était évident qu’on était coincés l’un avec l’autre pour un bon moment, et il n’était pas question que je change mon niveau de vie pour une petite -oui petite- erreur de parcours. Et qu’importe si je faisais ma “princesse” en agissant ainsi, je reviendrais à la charge autant de fois, et avec autant de méthodes que nécessaire…  J’avais ça dans le sang, la révolution !

“ J’ai plein d’idée de déco dans le style mexicain si c’est que ça ! “ Petit rebond à la pinata sur un ton amusé.

Puis ce n’était pas tout ça, mais la stratégie avait été payante, puisque l’on était servis assez rapidement. Le moment parfait pour prendre à partie le serveur.

“Han… vous pensez aussi que je ne ferais pas une bonne colocataire ? “ L’homme affichait un sourire aussi gêné que sa réponse étouffée. “ Vous vous me prendriez en colocataire ?  “  Ce n’était pas tant sa réponse qui m'intéressait, le rebond que je pouvais y faire. “ Donc… tu m’autorises à moi à déménager et avoir des colocataires hum ? “ C’était le moment parfait pour lui dire non entre deux tranches de pizza !

Le serveur offrait alors un regard aussi compatissant que moqueur au milicien en s'éclipsant, comme si j’allais rater ça. On était qu’à la première heure.

“ Oh, on pourrait demander à la fille de la photo de se joindre à nous, tu te sentirais plus en sécurité comme ça. “ C’était dit en croquant dans ma part…

Il ne m’avait pas fallu longtemps pour comprendre son charabia. Posant mon coude sur la table, je l’écoutais s’attarder sur des détails , tandis que ma joue venait s’écraser dans la paume de ma main. Un air de dire, tu crois vraiment me convaincre d’arrêter avec ça ?

“ J’aime écrire aux parents, si ce n’est que ça. Tu dictes, je note ou bien alors quelques directives et je me débrouille pour faire passer la pilule. “  Je me redressais devant son argumentation ceci dit, levant un doigt en l’air comme pour me donner plus de crédibilité. “ Raison de plus pour ne pas que tu me laisses sur la touche. Ils seront si fiers de toi les parents s’ils voient que tu arrives à faire quelque chose de moi… parce que c’est bien pour me remettre dans le droit chemin qu’ils m’ont confié à toi hum ? “ Tu parles.

Puis le meilleur moment, celui qui faisait que c’était limite un don pour moi de dire les bonnes choses au bon moment. Il s’en étouffait presque et cela ne fit que me confirmer qu’il fallait absolument que je prenne contact d’une façon ou l’autre avec cette fille. Si je l’avais dans la poche, peut-être serait-elle une alliée de taille… En attendant, je m’étais levé pour faire le tour de la table et tapoter son dos pour l’aider à faire passer ça avant de frotter comme on le ferait avec un nourrisson.  Plus de l’ordre du réflexe maternel que de la moquerie pour le coup.

“ Eh bé, eh bé, remet-en ! “ Je le fixais un sourire en coin. “ Dis-moi qui sait, on sait tous les deux que je finirais par le savoir. " Sur cette note, je m’étais assise sur la table à ses côtés pour lui piquer une part de sa pizza histoire de tester sa saveur. “ Je finis par croire que t’aimes vraiment m’avoir sur le dos. Pourquoi tu fais tant de mystères ! “

Enfin, en l’occurrence, maintenant, il m’avait surtout dans les pattes.

“ Bon faisons un marché, je réponds franchement et sans détour à ta prochaine question et tu en fais autant à la mienne si je joue le jeu, ok ? “

C’était que j’avais l’impression de passer mon temps à négocier ou marchander avec lui. Mais bon, jouer le jeu ne me gênait pas tant que ça, ce n’était pas un gros risque, même s’il acceptait, était-il capable de poser une question véritablement gênante ? À voir comment il dealerait avec ça avant de nous ramener dans sa cage à poules.

“ Oh et après mangé, on doit faire des courses oublie pas. Mais si tu veux, je peux m’en occuper toute seule, t’as pas l’air en état de faire des kilomètres… “

Il était en convalescence après tout et même si j’étais capricieuse je pouvais aussi me montrer raisonnable et rentrer gentiment à la “maison”.

J’avais ris à sa blague, le mauvais humour était définitivement notre point le plus commun, puis je ne pouvais que me moquer de lui qui tenait tant à me suivre. Pauvre diable, du shopping au bras d’une femme ? Était-il vraiment prêt pour cela ? Même pas sûre qu’il en avait déjà fait. Mais ce point là restait en suspens alors qu’il s’était décidé presque trop facilement à parler ou accepter le jeu.

“ Oh petite soeur ? Elle est mignonne. Tu me présentes quand du coup ? “

Sourire de carnassier, je me doutais bien qu’il n’avait pas envie de mêler sa soeur à ses histoires, encore moins à moi. Mais c’était une bonne ficelle pour le taquiner.

“ Bah voyons. Comment ça maintenant ? Tu veux dire avec moi dans les pattes  ? Tu serais pas déjà en train de te plaindre de notre union. Bouhhh ! “

Évidemment. Voilà qui allait être compliqué à gérer cette proximité. Peut-être plus pour le milicien que moi en réalité, au pire, en faire mon petit quatre heures n’aurait pas tant de répercussions que ça dans ma vie… Mais ce n’était pas le moment de s’égarer, pas sitôt en tout cas, si au bout de quelques heures je ne savais plus me tenir, la suite s’annonçait mal pour mes petites fesses. Parlant de surchauffe, il jouait rude le bougre.  Sur le coup, j’avais pris un temps fou à mâcher ma pizza, comme pour écraser la pilule dure à avaler.  Difficile de dire, si la seconde question était au final plus cruelle que la première.

“ Je vois. “ Fini la plaisanterie n’est-ce pas ? Mettre les choses à leur place n’était au final pas si mal. Et je prenais le temps d’essuyer ma bouche pour méditer ma réponse. “ Parce qu’il m’a élevé comme ça, dans la soumission la plus totale. D’après toi, pourquoi je me suis barré au bras du premier connard ? “ J’avais dit cela sous un ton plaisantin, mais le sujet était d’autant plus sérieux et son ton glacial, mérité un répondant tout aussi froid pour sa seconde question. “ Probablement mon bras droit, Nik’. Ou cet enculé de Chester qui n’attendait que ça pour prendre ma place. Je n’ai pas eu de nouvelles d’eux, faudra te contenter de mes spéculations. Et je n’ai pas de noms de famille non plus, on ne se les a jamais échangés exprès pour ce genre de situation.  “

Là-dessus, autant sauver ce qu’il me restait de contenance et continuer à avaler cette foutue pizza même si l’appétit s’était dissipé. S’il pensait me couper le sifflet aussi simplement, c’était raté ceci dit.

“ Tu veux continuer à jouer ou on s’arrête là ? “

Si jamais, j’en avais deux choisis pour lui aussi. “ Pourquoi tu es entrée dans la milice ? “ Et “ Pourquoi es-tu si cordial avec moi ? En soi, c’était encore dans l’ordre du gentillet.  Et puis au final, j'étais encore là à sourire sous son nez comme si de rien n'était, pourtant il avait appuyé sauvagement au mauvais endroit en matière d'intrusion...

Et c’était sous cette note qu’il m’avait planté là. Surement par galanterie plus qu’autre chose, maudit bonhomme trop perspicace. Le pire était sûrement que je savais, qu’il saurait pertinemment que j’avais compris sa manoeuvre. Fatiguant dès le premier jour, au moins il était à la hauteur de mon numéro et je commençais à me dire qu’au-delà du pognon aligné par ce vieux renard,  la milice avait joué sa meilleure carte contre moi.

Un bruit m’avait fait sursauter un instant, comme le reste de la salle en réalité par son côté si inattendu. J’avais tellement l’esprit tranquille depuis mon arrestation qu’un instant je m’étais imaginé qu’une balle allait venir se loger dans ma petite tête. Enfin, c’était trop tôt pour ça, on ne devait pas encore savoir que j’étais “libérée”. Il allait falloir expliquer tôt ou tard comment je m’étais démerdé… un problème à la fois. Je devais déjà accommoder un Sam à ma présence et ce n’était pas une mince affaire.

Un qui s’éternisait aux toilettes. Voilà qui était moins galant en revanche, mais qui me laissait au moins le temps de me remettre du petit échange déplaisant. Est-ce que je m’en faisais pour le gang ? Pas vraiment.  Bonne chance pour venir emmerder Nik’, est-ce que j’avais envie qu’il remue le couteau dans la plaie ? Non, mais c’était de bonne guerre, j’imagine. Je foutais sacrément la merde dans sa vie en y réfléchissant deux minutes; l’accord n’était arrangeant que pour moi. Impatiente, j’avais piqué sa place pour avoir vu sur sa sortie, mes doigts tapaient machinalement sur la table sous le regard amusé du cuistot.  Puis finalement, le brun se décidait à refaire surface, j’avais bien dans l’idée de lui balancer une ou deux vannes salaces, mais le changement de teint de sa part me ravisa  instantanément dès qu’il était à portée de ma vue. Mon regard se froissait accusateur, alors que je relevais pour réduire la distance  et l’aider à se poser sur cette maudite chaise, de grès ou de force.

“ Te maintenir en forme hein ? “ Ma moue était désapprobatrice, il n’avait pas l’air en état de faire des efforts… grâce à moi en grande partie. Pas comme si je pouvais oublier ce détail. “ Patron, un truc sucré s’il te plait. “ Puis mon attention se portait sur lui à nouveau. “ T’aurais simplement pu me le dire si ça n’allait pas. Tu croyais que je ne verrais pas ta face déconfite.  “ Quel homme borné, il n'allait pas être de tout repos. “ Je propose qu’on lui commande un truc à réchauffer pour plus tard aussi, parce qu’on va rentrer directement après manger. “ Je glissais la dose de sucre choisi par le boss entre ses doigts. “ Tu pourras aller te coucher, je vais sagement rester dans mon coin et inspecter ma nouvelle prison… “ Je levais les yeux au ciel en avance préventive de toutes réflexions. “ C’est promis et je n’ai qu’une parole très cher ! Aucun de nous deux ne veut plus d’emmerdes qu’il n’en a déjà pas vrai. Dès que tu te sens prêt, rentrons ok ? “ D'un signe, je demandais de quoi emporter nos restes. On avait assez déconné comme ça. " Sam, tu veux vraiment que je joue les infirmières pour toi hm ? Va falloir être plus raisonnable si tu veux pas que ça arrive. "

Oh ça, je voulais bien le croire, entre son cadeau de descente et  notre valse, il avait sacrément dû avoir besoin  de leurs services. Et quoiqu’il en dise, vu comme il était borné, je commençais à me dire qu’il voulait peut-être les retrouver plus vite que prévu. C’était assez perplexe que je l’observais se lever, régler la note avec du liquide, au lieu d’utiliser la carte,  puis me suggérer de le suivre. Quel homme fatiguant, heureusement qu’on était dans un quartier relativement aisé. Me faire de l’argent de poche allait être un jeu d’enfant…

“ Frigo ? “ Mon sourire en disait long. Garçon tu aurais dû saisir ta chance de te sortir de là tant que tu le pouvais.  “ Ah ah ! À la fin les achats pour le frigo. Tes chemises sont sexys chéri, mais j’aspire à retrouver ma féminité. La boutique en face là, elle a l’air bien. Je veux des chaussures aussi.  “

Et sur cette note je le doublais pour prendre les devants de la marche et traverser la rue vers la destination dans mon viseur. En chemin, je n’avais pas omis de heurter élégamment un bonhomme en costume, mimant ma tête étourdie en étant trop accaparée par la vitrine et ses belles choses. Merci pour ton porte-feuille gars. Dire qu’il avait souri et s'était excusé en prime. Quelle vilaine fille alors… c'était tellement routinier qu'au final cela n'avait même plus quelque chose d'amusant.

“ Bah alors ? Tu viens ? “

Et l’instant d’après sans lui laisser un quelconque répit, j’étais à l’intérieur remplissant mes bras en quelques instants d’une pile de tissu choisi aléatoirement et   prêt à être essayé. Quitte à le faire chier, autant le faire bien jusqu’au bout. N’avait-il pas dit qu’il me laissait libre de mes mouvements ? Profitant de la cabine d’essayage,  je vérifiais mon butin et la liasse de billets avait de quoi me donner le sourire, puis m’encourager aussi à pousser le vice tout en me débarrassant de l’objet gênant.  Et c’était d’un :

“ Je les prends tous. “ Que je refaisais mon apparition auprès de la vendeuse, mais le calvaire n’allait pas s’arrêter là. “ Par contre chou, j’ai besoin de ton avis… “ Je m’écartais pour lui monter la pile… “ pour tout cela.  “

Ce petit air de garce impossible à camoufler n’est-ce pas. Puis la vendeuse avait déjà emballé mes premiers choix en un temps record. Comment il allait dealer avec ça ? C'était peut-être plus amusant de tester son répondant et sa limite de sa patience que tout le reste en fait.