Inner animal ft. Night Prowler.

L'air frais portait avec lui la promesse d'une pluie soudaine qui étira un bref sourire sur les lèvres de Tolstoï, le nez vers le ciel d'un noir d'encre de chine. Encore un de ces soirs un peu fade à courir après les grandes ombres de la nuit, après ses propres démons. Elle jouait du point de la langue sur une de ses molaires qu'elle avait découvert branlante il y avait quelques heures, au sortir d'une boîte BDSM où la personne qui s'était occupée d'elle avait peut-être eu la main lourde ; peu importait, finalement. La jeune femme se passa une main gantée sur le visage - la sensation du cuir froid la réveilla un peu - et referma son trench. Ses oreilles bourdonnaient encore, la laissant comme assourdie de ses débauches ordinaires.

Fourrant ses mains dans les poches, elle se hâta de s'éloigner de l'entrée du club pour bifurquer dans une ruelle, louvoyant entre un ou deux trafiquants de chair à bas prix, comme ceux qui l'avaient trouvée et revendue quand elle était encore enfant. Au loin, les trottoirs accrochaient les lueurs criardes dégueulées par les néons des enseignes, agressant ses yeux fatigués. Était-ce bien prudent de se réfugier dans les petites allées de cet antre du stupre. Surement mais, mais Tolstoï n'en était pas à sa première escapade ici. S'il y avait un nouvel Atlantis, il y avait une nouvelle Babylon et c'était ici. Et Tolstoï venait directement de ses poubelles.

La nuit s'avançait et la jeune femme marchait sans se retourner, fatiguée mais toujours alerte par habitude, par profession peut-être. Sa main n'était jamais bien loin de la crosse d'un revolver dans son holster d'épaules et s'il est vrai qu'il la démangeait parfois, elle était plutôt du genre raisonnable et loin d'être paranoïaque. Mais la sensation qu'elle avait depuis tout à l'heure ne cessait de la troubler, si bien qu'elle s'arrêta un instant pour se retourner, embrassant la ruelle d'un regard fugace : rien. Tolstoï doutait qu'il s'agisse de la fatigue ; ses sens n'étaient pas encore si émoussés et elle n'avait rien bu ce soir. L'endroit était trop dangereux pour y être ivre, surtout quand on était une femme.

Mais il y avait quelque chose dans l'air, comme une menace sourdre et subtile. Se sentant suivie, elle reprit la route d'un pas plus précipité, essayant se semer qui diable penserait à la filer. Elle jura un instant entre ses dents en se disant que si quelqu'un voulait lui coller une balle, le meilleur moment c'était quand elle sortait de ses exactions du soir. Mais qui voudrait aligner une simple nettoyeuse ? Naviguant de ruelles en ruelles, de plus en plus rapide, la blonde se mit alors à courir avec moins de précaution ; la personne qui la filait se dévoilerait peut-être si elle faisait mine d'essayer de la semer...

Elle manqua de se prendre les pieds dans une poubelle qui traînait par là, perdant un instant l’équilibre en gratifiant la rue d'un juron dans son plus beau russe. C'était foutu pour semer quelqu'un, et elle ralentit la cadence en reprenant son souffle. Était-ce possible qu'elle se trompe ou était-elle la cible de quelqu'un ?