Chapitre 2 : La Corporation
Decay
Decay, destination de tous les possibles, terre en friche où fourmillent les possibilités et l'argent facile, où chaque vice est accessible, chaque désir libre d'être comblé. L'île prospère, se vautre dans sa propre réussite, quand l'ouragan Isaac survint, balayant sur son passage les installations des gangs comme leurs prétentions. Et un nouveau groupe émerge des brisures laissées par la tempête, la Corporation. Forte de son budget, celle-ci s'invite en sauveuse, promet à tous une aide financière et humaine, des avancées conséquentes, pour une vie meilleure. Avides de pouvoir ou simples fantoches, qui sont vraiment les acteurs de cette entité inédite qui prétend étendre son influence à tout Decay.
11/10/2020 HRP
La Newsletter est sortie ! Beaucoup de changements au programme, par ici
11/10/2020 RP
Quelques semaines après la fin de l'ouragan, la Corporation dévoile son visage ! A lire par ici
12/09/2020 RP
L'ouragan Isaac s'abat sur l'île ! Pour en savoir plus, par ici
12/09/2020 HRP
L'event Hurricane est lancé ! Vous pouvez toujours le rejoindre par ici.
27/08/2020 HRP
Nouvelle newsletter ! La lire ici.
05/07/2020 HRP
Nouvelle newsletter et nombreux changements ! La lire ici.
30/05/2020 HRP
Nouvelle newsletter en cette fin de mai ! La lire ici.
30/05/2020 RP
Un nouveau système de réalité augmentée sort au Space Station Bar ! Participer ici
5/04/2020 RP
Le Carnaval de Napoli est lancé ! Extravaganza
8/04/2020 HRP
Nouvelle newsletter ! La lire ici.
18/03/2020 HRP
Ajout des missions et petite update de l'index !
28/02/2020 HRP
Deuxième newsletter ! La lire ici.
28/02/2020 RP
La Milice redouble de violence et est plus présente sur le territoire de Decay !
31/01/2020 HRP
Première Newsletter, bébé forum deviendra grand ! La lire ici.
31/01/2020 RP
L'intrigue "Paranoïa" a été lancée ! Par ici.
17/01/2020 HRP
Ouverture du forum ! N'hésitez pas à rejoindre le Discord !
Il parait qu'une jeune fille a été aperçue allant dans les égouts. Depuis, elle n'a plus donné aucune nouvelle d'elle. Une nouvelle victime des monstres vivant dans les égouts ?Une vingtaine de serpents en liberté auraient été aperçus sur les Docks. La Triade en sueur.On déplorerait trois morts suite au dernier barathon de la rue de la soif.À Kabukicho, des rumeurs sur l'affaiblissement des effectifs du clan Oni commencent à poindre. L'absence de Yokai se fait-elle enfin ressentir ou cela n'est-il que le fruit de l'imagination de quelques résidents ?Une certaine Shrimpette serait en train d'écrire une fan-fiction sur certains membres de Decay.On dit que l'ensemble du corps d'un certain mercenaire travaillant pour la Triade serait entièrement recouverts de ses nombreux crimes. Une dizaine de cadavres auraient été découverts, au cours du mois de Janvier, sur les Docks. Certains évoquent un règlement de comptes. Un tout nouveau malware parcourrait la toile, déguisé sous la forme d'un logiciel à première vue inoffensif. Il installerait une backdoor sur les machines infectées. Pour quelle raison ? Cela reste un mystère. Une femme vagabonde à la chevelure d'un noir profond et aux yeux écarlates prendrait en charge des malades et blessés au travers de Decay pour une misère, offrant une alternative médicale à celle dispensée par l'Église. Fin Janvier/Début Février, une course de rue, en pleine nuit, aurait conduit certains hommes hors des pistes. Plusieurs voitures seraient sorties de la route suite à un « conducteur fantôme ».
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« Deux doses par jour pour la douleur, pas plus. Vous serez pris de douleurs pour trois ou quatre jours, mais ça finira par passer. Tout ira mieux après ça. »

Quelle journée surchargée. Alessa avait attiré l'attention, peut-être un peu trop à son goût. Nombreux étaient les patients venus séjourner dans cette auberge miteuse uniquement pour recevoir des soins sans avoir à passer par l'Église. Incidemment, la doctoresse s'était retrouvée à passer de longues heures à traiter différents virus bénins et infections diverses et variées, cela jusqu'à la tombée de la nuit. Elle avait annoncé ne plus prendre personne pour le moment et espérait que le message avait été clair. Son ton, ferme et autoritaire, avait servi de porte parole à son propos des plus autoritaires et absolus. Un regard froid accentué par la lueur écarlate de ses iris s'était assuré que le message avait bien été reçu. En l'instant, personne n'avait osé la contester, et c'était pour le mieux.

Elle ferma la porte au nez de quelques petites gens dont la condition n'était pas assez grave pour qu'elles nécessitent un traitement immédiat. Quelques bruits de pas se firent entendre, devenant de plus en plus distants au fil des secondes, ne laissant derrière eux que l'écho de quelques plaintes et d'un labeur à présent passé.

« Ce n'est pas trop tôt... »

Un souffle s'échappa de ses lèvres rougies par le maquillage, long et las. Elle aurait souhaité que sa peine soit écourtée, mais il lui fallait encore ranger le bordel que toutes ses interventions avaient pu mettre dans la chambre. Elle demanda de nouveaux draps ainsi qu'un nouvel oreiller, ne souhaitant certainement pas dormir dans un nid à microbes. Après quoi, elle rangea quelques fioles et boîtes de comprimés à l'intérieur d'une grande malle qu'elle fit glisser sous le lit. Tout ce matériel lui appartenait, elle se l'était procuré à Neo Atlantis avant de partir. Alessa n'avait pas la moindre envie d'aller faire les beaux yeux à l'Église pour aller obtenir de quoi opérer et traiter, comme bon nombre de personnes à Decay.

Enfin un peu de temps libre. Son bazar rangé, les clients dégagés, elle put aller se percher à la fenêtre pour s'allumer une cigarette. Elle avait bien besoin de ce petit instant de relaxion. Celui-ci fut cependant écourté par le bruit soudain de pas et de plaintes dans le couloir environnant. Allesa grogna, écrasa sa clope contre le rebord de la fenêtre avant de la jeter d'un geste prompt et agacé. Avant même que quiconque n'entre dans la chambre, sa voix brisa le silence pour retentir avec forces sur plusieurs mètres à la ronde.

« QU'EST-CE QUE J'AVAIS DIT ? »

Des claques se perdent. Des balles risquaient de partir à tout moment pour faire passer le message. Alessa avait déjà la porte en joug. Assise sur le rebord de la fenêtre, avec un revolver chargé dans une main, elle observa la porte de la chambre avec attention. Elle s'ouvrit quelques secondes après, laissant libre cours à quelques suppliques d'un jeune en détresse qui eurent au moins le mérite d'empêcher l'italienne de tirer une balle de sommation dans le mur à proximité de la porte. Puis la porte fut complètement poussé par le jeune homme, donnant vue sur l'homme en armure qu'il portait difficilement. L'inconnu aux cheveux gris semblait à moitié conscient, dans le gaz. Probablement blessé, et pas seulement par une simple éraflure. Alessa poussa un nouveau soupir, rangea son arme et ferma la fenêtre avant d'ordonner au jeune d'installer le blessé sur le lit puis de s'éclipser sur le champ. Cette fois-ci, elle n'eût pas à se répéter. Il sortit de la chambre à toute allure, claquant la porte derrière lui en laissant échapper quelques prières.

« Si vous m'entendez, tâchez de rester éveillé le temps que j'examine la blessure. »

Elle s'accroupit le temps de ressortir sa malle de sous le lit, la déposa sur la table de chevet après en avoir viré la lampe sans ménagement et l'ouvrit pour en sortir une paire de gants inutilisée.

« Il va aussi falloir que vous m'aidiez à retirer votre équipement. Je ne peux pas intervenir avec tout ça. »


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Nuit. Rouge. Sang. Sueur. Cris. Nuit. Silence. Il ne perçoit le monde que par intermittence. Se sait au bord de la rupture. Du drame. Mais il lutte, pourtant, contre les ténèbres qui l’emportent. Confortables. Sereines. Il lutte, parce que ces ténèbres-là sont définitives. Un simple coup. Imprévu. Une erreur de calcul. Un défaut dans l’armure vieillissante. Et la chute. Les coups suivants. La violence. Tout ce sang qui lui obstrue la gorge.

Il tousse. Crache. Tousse encore. Silhouette brisée, agonisante qui n’a même plus la force d’appeler à l’aide. Survivre. Le mot tourne en boucle, pensée résiduelle, moteur dont la puissance s’efface peu à peu, chassée par la douleur qui pulse en lui. Lucidité. Elle revient parfois, instinct de survie vague et mis à mal par le choc. Les cadavres finissent dévorés. Un sursaut. Un visage qui se penche, les traits figés dans une expression horrifiée. Ou peut-être est-ce de la surprise ?

Il voit mal, trop mal. Des mouvements en périphérie. Du bruit. Trop de bruit. Et une voix. On le déplace, et il se retient de hurler. Un raclement sur le sol le rassure. Confirme la présence de l’arme qu’il ne quitte jamais. Qui l’a trahi, pour la première fois. En même temps que son corps, trop sollicité. Machine bien rôdée montrant enfin les limites de sa résistance. Un seul coup. Un coup de trop. « … mal. » parvient-il à murmurer, les lèvres asséchées, couvertes de sang coagulé.

« On arrive, on arrive, ne vous inquiétez pas, on va s’occuper de vous. »

Encore la voix. Précipitée. Fébrile. Paniquée ? Il doit vraiment faire peur à voir. L’idée l’amuserait s’il n’était pas incapable de formuler une pensée cohérente. Son crâne lui donne l’impression qu’il va éclater, d’un instant à l’autre. Est-ce qu’on le porte ? Est-ce qu’on le traîne ? Où est-ce qu’on l’emmène ? « Pas l’Eglise… Pas l’Eglise ! » Nouveaux murmures qui s’éteignent rapidement dans l’effort qu’ils lui coûtent. Une supplique, vaine, quand parler même est douloureux. Et peu importe finalement quelle est la destination, chaque nouveau pas lui tirerait un râle de douleur si ses mâchoires n’étaient pas verrouillées avec toute la force que seule une obstination à toute épreuve peut conférer.

Il ne crèvera pas la gueule ouverte, ça, non. Mais crever tout court reste une éventualité. Une éventualité qu’il n’est plus censé craindre depuis longtemps. Qu’il redoute pourtant, maintenant que le moment approche, se précise, le rattrape, après toutes ces années à avoir nargué la mort comme si elle n’avait pas d’importance, pas d’existence réelle. Il la connait bien, pourtant, cette compagne douce-amère qui peu à peu lui a retiré tous ceux qu’il chérissait. Pour mieux l’isoler, lui, et peut-être le placer face à ses erreurs.

D’autres voix. Nouvelles. Trop fortes. Trop vives. Qui lui vrillent les tympans. Font danser sous ses paupières closes des milliers de lueurs. De flammes. « Arrête. S’il te plait. » Prière vaine. Le hurlement lui fait plisser les paupières, manque le jeter droit dans l’abîme dont il agrippe les bords de justesse. Pas d’inconscience. Pas maintenant. Pas alors que les contours de la pièce s’esquissent à peine devant ses yeux douloureux qu’il peine à rouvrir. Et à garder ouverts, vision floue ne captant que les reliefs des formes sans se soucier de leur accorder leurs détails.

Une femme ? Elle parle. Et le bruit d’une porte qui se referme lui tire une grimace alors que l’étau se referme sur ses tempes. Il l’entend, elle, malgré le bourdonnement constant qui lui sonne aux oreilles. Il tente de lever le bras gauche, échoue lamentablement, tourne le visage vers l’inconnue dont il distingue mal les traits. « Tête. » souffle-t-il en essayant de se redresser, sans autre idée précise que l’envie fixe de foutre le camp, de ne pas se retrouver là, vulnérable, dans un lieu qui pourrait fort bien être un dispensaire. La pièce danse devant ses yeux, et bien qu’il parvienne à se tenir sur les coudes, il sent ses bras trembler sous son poids. Se relever ? Marcher ? La pensée même lui donne la nausée. Il essaye quand même, buté, têtu, insiste jusqu’à retrouver une position assise, les jambes pendant au bord du lit. Son esprit s’éclaircit quelque peu, sans que la douleur ne se calme. « Je n’ai pas… je ne veux pas … » commence-t-il, la voix hachée, le regard vide rivé vers le plancher. « Je dois partir. »

Il a tout d’un robot, enfoncé dans son armure qui ne laisse voir que quelques traînées rougeâtres. Une balle, sûrement. Peut-être deux. Et la plaie dans son cou, qui n’en finit pas de saigner. Il n’en a cure. Ne se préoccupe, maintenant qu’il est là, que de quitter l’endroit. La mort n’est plus qu’une sirène lointaine dont il refuse d’entendre le chant. Il a vécu pire. Sûrement. Il arrive presque à s’en convaincre, quand une douleur sans précédent lui arrache un halètement, un cri avorté, alors qu’il porte une main à ses côtes. Il n’a pas la moindre idée de ce qui l’a touché, ni comment. Une détonation. Peut-être. De ça même il ne jurerait pas. Et c’est un regard égaré qu’il pose vers la femme, interrogateur, aussi, lorsqu’il réalise subitement que peut-être elle peut l’aider.

Il se prend la tête entre les mains, tente de calmer la nausée qui remonte, les pulsations qui ne cessent pas, la crainte, aussi, vicieuse, honteuse, de ne pouvoir compter sur ses capacités. « Vous êtes quoi, au juste. Et qui ? Je ne vois rien. » Son débit est lent, haché, et son attention se focalise sur la porte fermée. « Ce n’est pas un dispensaire, n’est-ce pas ? Vous n’avez rien à voir avec l’Eglise ? »

Il hésite, doute. Ramène ses bras contre lui, pour préserver un peu de cette chaleur vitale qui semble le fuir. D’un geste mécanique, il retire la protection qui lui enserre la mâchoire, retient un grognement de douleur, dévoile un visage couvert de sang séché. « Je doute de pouvoir faire plus. » regrette-t-il à voix haute, sans même s’en rendre compte. Il a l’esprit ailleurs, déconnecté, comme pour échapper aux filaments furieux qui lui harcèlent les nerfs.
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Déboussolé, dépossédé du moindre repère, l'homme en armure semblait réellement mal en point, comme si son mal physique le plongeait également dans un délire, un genre de semi-torpeur ou de cauchemar éveillé. Alessa avait déjà pu assister à de telles scènes par le passé. Le cerveau, cherchant à fuir la douleur, carburait plus qu'à l'accoutumée, créant cet état de panique voire de paranoïa qui pouvait paraître alarmant. Heureusement, le patient présent était dans un état beaucoup trop calamiteux pour causer le moindre problème à la doctoresse. Une seule main posée fermement sur une des épaules du blessé fut suffisante pour le retenir, tant ses forces lui échappaient à chaque seconde.

Cette angoisse mise en emphase par son état avait cependant une source ; l'Église. Comme beaucoup de personnes à Decay, cet homme semblait vouloir éviter l'organisation et ses agents. Qui pouvait lui en vouloir ? Certainement pas Alessa qui, en réponse aux interrogations du blessé, se contentant d'un rictus nerveux de mots prononcés sans aucune retenue.

« Plutôt mourir que de me plier à leur idéal corrompu de la médecine. »

Son plus gros tatouage était pris pour témoin. Le caducée, symbole universel de la médecine aussi bien antique que moderne, possédait littéralement le corps de la doctoresse. Il était la preuve matérielle de son dévouement et de sa volonté d'aider ceux dans le besoin, ceci sans distinction de sexe, d'ethnie, d'âge ou d'appartenance. Aujourd'hui, seuls les ennemis directs d'Alessa n'avaient pas droit à un tel traitement de sa part.

Il coopéra finalement, aidant à révéler la partie basse de son visage. Ce geste ne fut que le premier déclencheur d'une série de flashbacks, lesquels étaient en lien avec un fantôme du passé. Alessa secoua rapidement la tête, se reconcentrant sur son travail. Impossible, il n'est plus de ce monde. Le doute subsistait cependant et grandissait à chaque instant, alors qu'elle s'attaquait aux pièces d'armure couvrant le buste du blessé. Bien que pressée par le temps – se sachant évidemment pas quelles blessures cet attirail pouvait cacher – elle fit preuve d'une minutie et d'une précision à toute épreuve, ceci afin de lui épargner la moindre douleur en cas de commotion. Son premier réflexe fut ensuite de poser une main au niveau du coeur du souffrant. Un rythme très rapide, cependant sans irrégularité.

« Distrayez-vous l'esprit, restez éveillé par tous les moyens. Comptez, racontez un histoire qui vous tient à coeur. N'importe quoi ! »

Elle passa en revue l'intégralité du buste de son patient, découvrant de nombreuses petites plaies au niveau d'une côte. Alessa se saisit d'une lampe torche de poche pour éclairer les blessures et vit la lumière être plus vive à certains endroits. Des petits éclats de verre s'étaient logés dans la peau de l'homme. Peut-être même que certains bouts avaient atteint ses tissus, ses nerfs ou pire encore, un organe. Elle priait pour que la dernière éventualité ne reste qu'un cauchemar et fit un aller-retour au travers de la pièce, ne revenant qu'après avoir enfilé ses gants  et s'être munie d'une petite pince ainsi que d'un bac en plastique qu'elle disposa juste à côté du blessé.

« S'il vous reste un semblant de force, utilisez-le pour ne pas trop gesticuler. »

De son côté, elle s'accroupit, fourra le manche de la lampe entre ses lèvres pour avoir les deux mains, appliqua l'une d'entre elles à proximité de l'assemblée de blessures et l'autre de façon perpendiculaire à la chair de l'homme, pince entre les doigts. Ne laissant pas la pression l'affecter, elle se mit à opérer sans trembler, sans hésiter, son expérience l'épargnant d'erreurs de ce genre. Le plus dur était de faire en sorte que les mouvements éventuellement incontrôlés de l'homme ne viennent pas la déranger en plein office. Si aucune complication du genre ne survenait, il ne lui faudrait que du temps pour extraire un à un les bouts de verre logés dans le corps du patient. Comment s'est-il fait ça ? Dire que ce n'est peut-être sa seule blessure. Un questionnement naturel qui avait au moins le mérite d'éclipser les doutes d'Alessa quant à l'identité de cet homme. L'urgence faisait passer ceci au second plan.

De toute l'adresse dont elle pouvait faire preuve, elle passa les prochaines minutes à extirper les morceaux de verre de la chair ensanglantée, les déposant ensuite dans le bac disposé à proximité. Les éventuels cris du blessé n'étaient qu'une récompense pour ce travail très demandant ; ils prouvaient que les terminaisons nerveuses de l'homme n'avaient pas été endommagées, et qu'il était encore conscient. Et heureusement, car ce désir de le maintenant éveillé n'était plus seulement motivé par des raisons pratiques mais aussi personnelles. Alessa avait besoin de réponses, et pour les obtenir, elle devait sauver la vie de son patient. D'une pierre deux coups.

Suite à cette opération improvisée longue de plusieurs minutes, chaque bout de verre fut retiré. Seules les plaies vestigiales laissées par ces bris subsistaient encore, dont une, plus large que les autres, qui laissait s'écouler un peu de sang dans le bac. Il fallait la refermer par suture, mais pas sans désinfecter le tout avant cela, ce à quoi elle s'affaira aussitôt qu'elle eût la certitude de bien avoir tout retiré. Un coton imbibé d'antiseptique passa plusieurs fois par dessus les plus petites plaies. Lorsqu'il était trop imbibé de sang, il était immédiatement remplacé par un autre bout de coton, cela jusqu'à ce que l'intégralité de la partie risquant l'infection soit passée en revue. Enfin, elle s'attaqua au pourtour de la plus grande plaie, épongeant au passage le surplus de liquide qui commençait à s'accumuler à l'intérieur de la blessure. Devoir se charger de tout ça le moindre assistant était relativement pénible, mais l'experte finit par s'en sortir.

D'un geste précautionneux, elle appliqua une forte pression sur la plaie pour la maintenir fermée pendant que son autre main vagabonda jusqu'à la table de chevet pour s'emparer du nécessaire à suture. Elle n'avait malheureusement pas d'agrafeuse médicale à disposition ; juste du fil. Heureusement, elle avait déjà opéré ainsi, ce qui lui permet de réussir son coup après avoir pris toutes les précautions nécessaires pour ne pas déraper. Dans l'ensemble, le résultat lui permit d'assurer qu'aucune complication ne devrait survenir.

« Encore en vie ? Même si c'est le cas, ne forcez pas trop. Il va falloir attendre quelques heures, le temps que les tissus se consolident un peu et empêchent tout saignement. »
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Il a froid. Trop froid. Et les tremblements s’intensifient. Secouent ses membres par intermittence, malgré ses efforts pour les contenir. Il se laisse déshabiller sans mot dire, sa concentration vacillant au même titre que ses forces déclinent. Les griffures qui lui mordent la peau lorsqu’elle commence à retirer le verre planté dans la chair lui tirent des frémissements incontrôlés, mais la douleur reste douce, gérable, par rapport à l’étau qui lui serre toujours les tempes.

Sa vision ne se rétablit pas, et c’est dans le même flou incertain qu’il observe la femme qui s’occupe de lui. Cheveux noirs. Il n’en sait pas plus. Elle a quelque chose de rassurant cette femme, de professionnel, aussi, et il la laisse faire sans protester, du moins au début. Les choses se corsent lorsqu’une fois l’armure retirée, elle commence à ôter les morceaux de verre qui lui hérissent la chair. Pas que la douleur soit insupportable, mais le contact le rend nerveux, et la nervosité éveille tous ses instincts de combattant aguerri. Il la laisse faire encore un moment, les muscles rigides, tendus à l’extrême, le corps parcouru de tressaillements alors qu’il tente de calculer son prochain geste.

La plaie semble recousue, s’il en croit les picotements qui ne cessent de lui tirailler les côtes. En espérant que les points tiennent. Sinon, tant pis. « Les bêtes blessées sont toujours les plus dangereuses. » souffle-t-il avant de lui attraper un poignet avec une vivacité impressionnante pour quelqu’un dans son état. Il ne la lâche pas, la tire vers lui brusquement, pour essayer de capter son visage autrement que sous une forme incohérente dessinant devant ses rétines fatiguées des formes et des couleurs imprécises. « Je dois… partir. » Il se redresse de nouveau avec effort, libère le poignet de la femme pour s’appuyer sur le lit en haletant.

La plaie se remet à suinter méchamment, sans qu’il s’en préoccupe. Il n’a visiblement que peu de reconnaissance pour les soins apportés, observe fébrilement la pièce à la recherche de son katana. Il a entendu l’arme racler le sol durant le trajet. La personne qui l’a traîné ici doit également avoir amené l’arme. Il ne la voit pas pourtant, et la simple idée d’en être privé le rend fou. Il se lève, vacille un moment le temps de prendre des repères dans la pièce, et laisse son regard tomber sur la femme avant de demander, les sourcils froncés. « Je n'ai rien sur moi, je ne peux pas vous payer, mais laissez-moi votre nom et je reviendrai. »

La promesse sonne creuse à Decay, il le sait bien, mais ne peut empêcher ses anciens réflexes de lui revenir, qu’elle le croit ou pas ne fait pas grande différence de toute façon. Il se sent fiévreux, fragilisé au-delà de tout, mais parvient quand même à faire quelques pas chancelants dans la pièce avant que ses jambes ne refusent de le porter. Il s’affaisse sur les genoux dans un fracas d’armure, avant de fixer le plancher, les poings serrés.

« Je ne dispose pas de quelques heures. Il faut que je parte, maintenant. Vous avez bien un truc, un médicament, une saloperie, qui peut me booster le temps que je termine ce que j’ai à faire, non ? » Sa confiance déjà limitée en ce que peut faire la médecine n’est pas loin de voler en éclats alors qu’il songe à la mission ratée, à la cible qui court sans doute toujours, et à la manière dont il s’est fait baiser. Une erreur de débutant. Des morceaux de la scène lui reviennent, alors qu’enfin sa vision se stabilise. Agenouillé par terre, il se masse lentement les tempes, tente de résorber la migraine.

« Et un truc contre le mal de crâne ? C’est mon cerveau qui risque d’exploser, pas le reste, je crois. » souffle-t-il encore en résistant à l’envie viscérale qu’il a de se jeter la tête contre les murs. Peut-être va-t-il le faire finalement, décide-t-il lorsqu’un nouveau pic de douleur lui tire un gémissement étouffé. Il a l’habitude d’encaisser pourtant, sans geindre et sans que cela ne l’empêche de mener à bien ses missions. Soudain, il se sent vieux, trop vieux, trop abîmé par les épreuves pour pouvoir continuer comme si de rien n’était. Plus lucide, mais pas plus en forme.

Il retient le mouvement qui le pousse à se relever encore, à forcer encore sur des réserves qu’il ne possède plus. Finalement, c’est d’être coincé ici qui, plus que le reste, morcelle sa patience. Aussi faible qu’un enfant, livré à des mains inconnues, au mieux neutres, au pire ennemies. Il n’a pas la moindre idée du genre de produit qu’elle peut lui administrer, et malgré l’assurance qu’elle lui a confié, le ton farouche sur lequel elle lui a dit ne pas appartenir à l’église, nombreux sont dans l’ombre les groupes capables du pire. L’Union et ses apôtres ne sont qu’une partie bien mince de l’iceberg, et sous la surface d’autres monstres rôdent toujours.

Il ferme les yeux, relève un genou pour y poser un bras, et laisse sa tête retomber dessus, vidé, le corps toujours parcouru de frissons, dus au froid, à la fièvre, au choc aussi, certainement. Il n’y a plus rien de la rage qui l’habite habituellement, seulement quelques braises éparses, délicates, et bien prêtes de s’éteindre.   La voix de la femme appelle dans son esprit des réminiscences qu’il n’arrive pas à replacer dans un contexte précis. Il ne la connait pas. Impossible. Et, pourtant, il ne peut s’empêcher de réclamer, d’une voix assourdie et à peine audible. « Parlez. Encore. »
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Pourquoi l'idiotie d'un patient était-elle proportionnelle à la gravité de son état ? Alessa eût envie de pester en constatant à quel point celui à sa charge souhaitait s'en aller, cela en dépit de ses blessures. La doctoresse se racla la gorge et soupira lorsqu'on lui attrapa sèchement le poignet, l'envie de se faire comprendre grandissait en elle. Et bien qu'elle aurait pu immédiatement calmer le blessé avec une éventuelle injection d'anxiolytiques, elle n'en fit rien. Sa curiosité la poussait à garder le patient conscient, puisque son visage lui rappelait tant de souvenirs. Alors, elle se contenta simplement de se reculer aussitôt son poignet libre, passant sa main autour de la faible trace laissée par l'homme.

« Vous ne partirez pas. Pas maintenant, en tout cas. »

Alors elle l'observa, en train de se faire du mal, et tout pour quoi ? Pour retourner faire le kamikaze et revenir encore plus blessé que tout à l'heure ? Ou peut-être même pour mourir. Si un certain fantôme du passé ne hantait pas l'esprit d'Alessa, cette dernière aurait certainement collé une bonne giffle à l'homme pour lui remettre les idées en place. Mais elle était incapable de porter la main sur lui, paralysée par tous ces moments qui retournèrent la tourmenter à chaque regard porté sur le visage de l'inconnu – lequel n'était d'ailleurs pas si inconnu que ça.

D'un pas lent, elle s'écarta du lit pour le laisser passer, se disant qu'il n'arriverait même pas à sortir de la pièce par ses propres moyens. Il était trop blessé pour ça. Plus encore, les ressources de son corps étaient intégralement mobilisées pour accélérer le processus naturel de guérison. Sans qu'il ne mange ou boive pour compenser cela, ses forces devaient sans doute le quitter à grande vitesse. Alors qu'elle reprenait petit à petit son calme, Alessa prit une chaise et s'y assit en silence tout en observant le patient en train de se démener pour faire le moindre pas. Quelle vision pitoyable. Ne savait-il pas quand s'arrêter ? C'était peine perdue, jamais il ne parviendrait à accomplir quoi que ce soit dans son état.

Elle passa une jambe par dessus l'autre, croisa les bras sous sa poitrine et poursuivit ses observations. Comme elle l'avait supposé, l'homme ne pouvait plus entreprendre quoi que ce soit de physique, si bien qu'il finit par chuter. Pourtant, ce n'était toujours pas suffisant pour qu'il daigne s'arrêter. Alessa, dans l'opposition la plus totale à le laisser partir, refusa même de lui répondre lorsqu'il demanda un nom, signe qu'elle ne comptait pas le laisser s'échapper maintenant. Elle ne lui donnera cette information qu'en temps voulu, ce qui était pour le moment très loin d'arriver à en juger par ses yeux perçants et froids en train de toiser l'homme se donnant en spectacle.

« Non. Absolument rien de tel. »

Elle jeta un bref coup d'oeil à sa malle pour s'assurer que les quelques doses d'adrénaline qu'elle avait à disposition ne soient pas mis en évidence. Bien qu'elle doutait de l'acuité visuelle de son patient en l'état actuel des choses, elle préféra s'assurer qu'il ne puisse rien trouver de tel en baladant son regard un peu partout. Fort heureusement, les petits flacons se trouvaient à l'abri des regards, dans une pochette encore fermée.

« Pour la tête, par contre, ça peut s'arranger. Mais seulement si vous restez. »

Lui faisait-elle du chantage ? Oui, sans aucun doute, mais elle n'en avait cure. Tout était bon pour le retenir ici. Fort heureusement, il finit par capituler ; à moins que ce soit simplement son corps qui le force à rester calme un instant. En guise de bonne foi, Alessa se leva donc de sa chaise pour aller fouiller dans ses effets personnels et y sortir une petite boîte de comprimés. Elle n'apporta évidemment pas tout au patient, mais juste une dose correspondant à un homme de son âge et de son poids. Et, alors qu'il eût une réalisation apparente, Alessa s'avança jusqu'à lui et s'accroupit pour lui faire face, tout en lui tendant deux cachets qui devraient l'aider à faire passer son mal de crâne pour un petit temps.

« Si cela est nécessaire pour vous maintenir éveillé, je veux bien me donner cette peine. »

Elle plaça sa main libre sous le menton de la tête de mule, l'aida à lever la tête et à prendre les deux comprimés. Dans un même temps, son regard se planta dans celui du blessé, comme pour chercher à déchiffrer ses pensées, à l'analyser. Ce n'était cependant pas ce qui l'intéressait, pas pour le moment. Peu après, l'italienne détailla les traits du visage de son interlocuteur, rafraîchissant par la même occasion sa mémoire qu'elle croyait défaillante, délirante. Maintenant qu'elle l'observait de si près, sans que tout cet attirail mécanique n'obstrue l'expression du casse-cou, Alessa en eût la certitude. Le passé ressurgissait. Ne restait plus qu'à le confirmer.

« Jake ? »

Son ton, à présent plus doux et compatissant, cherchait à interpeller l'homme, à obtenir une moindre réaction de sa part. Elle avait besoin d'une confirmation de sa part.

« C'est vraiment toi ? »
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Il ne bouge plus, bloqué dans sa tête, figé sur place comme un animal pris au piège d’une lumière trop vive. Même ses pensées se télescopent, plus incohérentes les unes que les autres. Partir, oui, mais pour aller où ? Pour quoi faire ? Il ne sait même pas, ne sait même plus. L’absence de réponse derrière lui lui fait froncer les sourcils, alors qu’il se démène pour retrouver le fil de son raisonnement. Le soupçon, aussi, qui pèse sur la voix qui lui a sonné aux oreilles.

« Je reste. » finit-il par grommeler. Elle se moque de lui. S’il a suffisamment conscience de son état pour se savoir incapable de fuir, elle doit bien le savoir, elle aussi, ce qui donne à sa tentative de chantage des airs de plaisanterie.« Comme si je pouvais faire autrement. » ajoute-t-il décidé à s’enfermer dans sa morosité. Il a de la chance, pourtant, d’avoir été amené ici, d’avoir reçu des soins concrets qui paraissent corrects. Il aurait aussi bien pu se faire traîner dans un laboratoire clandestin, ou sur le parvis de l’église. Il s’en sort bien. Toujours. Malgré les fautes. Les erreurs. Et les ratés.

Il l’entend bouger, se retient de tourner la tête, se contente de la laisser venir à lui, attentif, concentré, autant qu’il le peut. Il déglutit, manque s’étrangler avec l’un des cachetons, foudroie brièvement sa sauveteuse du regard avant de s’immobiliser complètement, choqué par l’appel de son nom. De son vrai nom. Son nom de personne, d’individu. Et pas ce pseudonyme adopté lors d’une mission, dont il ne s’est plus jamais défait.

L’une de ses mains file accrocher la gorge de la femme, la serre, sans trop de force encore, pour menacer, seulement, guidé par un réflexe instinctif. Elle le met en danger. Elle le connait. Comment peut-elle le connaître ? Est-ce une espionne ? Est-elle chargée de le retrouver ? De terminer le travail ? Impossible. Pourtant, alors qu’il la dévisage à son tour, les traits de marbre, sa prise se relâche d’elle-même. « Alessa. » Le constat tombe, froid et impersonnel.

Il s’assied par terre, sans cesser de la regarder, troublé au-delà de tout. « Tes yeux… » c’est tout ce qu’il trouve à lui dire, tout ce que son cerveau lui propose en guise de retrouvailles, lui parler de ses yeux, de leur couleur qui n’est pas celle de ses souvenirs. Il plisse les paupières, la regarde, mieux, la détaille en redécouvrant celle qui à l’époque lui paraissait si prometteuse. « Qu’est-ce que… » nouvelle pointe de douleur, il porte une main à son front, maudit le médicament d’être si long à agir, avant de reprendre, la voix raffermie « Qu’est-ce que tu fous là putain de merde. »

Pas son truc la vulgarité, mais les circonstances aident, et celle-ci plus que toute autre. Alessa, milicienne de talent, pleine d’idées, de ressources, reléguée à Decay, au cœur de l’enfer ? Jamais de la vie.

Il rejette violemment l’idée, balaie les choix qui ont pu la mener jusque-ici, également, et, quelque part, il ne peut s’empêcher de la juger. Il ne sait rien de sa vie, mais aucune raison n’est valable à ses yeux pour expliquer sa présence. Alors quoi ? L’auraient-ils neutralisée elle aussi ? Pourquoi ? De quoi a-t-elle bien pu se rendre coupable ? Il patine, nage, cherche, sans  dévier son regard d’elle. Il la reconnait désormais, mais l’assurance de son identité le plonge dans un désarroi encore plus grand.

« Explique-moi, qu’est-ce qui s’est passé ? » Le ton est cassant, durcit par l’exigence, par le besoin viscéral d’une explication plausible. Et ce n’est que lorsqu’il est bien certain de celle qu’il a devant les yeux qu’il se pose la question des conséquences directes d’une rencontre entre eux. Il est censé être mort, tué au service, depuis longtemps. Pas végéter tranquillement dans cette non-vie qui est maintenant la sienne, en quête d’une rédemption qu’il se sait incapable d’atteindre.

« Ne leur dis rien. » souffle-t-il sur le ton de l’avertissement. Parce qu’elle est une menace, autant qu’une alliée. Et qu’il a la trop nette habitude d’éliminer les menaces à peine celles-ci découvertes.

« Je pourrais te tuer. Ici et maintenant. Sans que personne n’en sache rien. Donne-moi une bonne raison de ne pas le faire, Alessa, parce que sinon, peu importe à quel point j’ai du mal à aligner deux pensées, je te jure que tu ne verras pas l’aube se lever. » La mise en garde est limpide. Sérieuse. S’il manque de forces, qu’il est désarmé, il ne doute pas un instant de pouvoir la maîtriser si le besoin s’en fait sentir. Ou peut-être que s’ils engagent un combat, peut-être bien que c’est elle qui le tuera. L’espace d’une seconde, l’idée le transporte, le séduit.

« Réponds-moi. » exige-t-il avec un sourire froid, bien peu enclin à la reconnaissance pour l’heure, un début de plan germant déjà dans son esprit. Est-elle armée ? Il en doute. Est-ce qu’il la sous-estime ? Fort probablement. Est-ce que ça change quelque chose ? Absolument pas.
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Pas de réponse orale, pas de confirmation explicite. Pourtant, la réaction de l'homme voulait tout dire ; c'était bien lui. En réaction au geste menaçant de son interlocuteur, Alessa posa sur main sur l'avant-bras tendu pour le serrer à son tour, n'y mettant que peu de force pour le moment. Elle voulait simplement lui transmettre qu'elle n'allait pas rester passive en cas d'agression, mais qu'elle ne se montrerait pour autant pas proactive sur le plan de la violence.  

Il la reconnut enfin, confirmant définitivement les doutes de la doctoresse dont l'expression s'adoucit aussitôt, et ne trouva qu'une seule remarque à faire ; ses yeux. Elle hocha cependant la tête en réponse. Ils n'étaient pas naturellement rouges, et si Alessa portait déjà des lentilles de contact à l'époque où elle n'était qu'une simple recrue, celles-ci avaient pour couleur celle du naturel, de la teinte avec laquelle elle était née. Mais aujourd'hui, c'était différent. Et tout ça dans un but stylistique. Cela n'empêcha pourtant pas toute reconnaissance, tout comme Alessa fut en mesure de le reconnaître également aussitôt son équipement en partie retiré.

Le blessé passa les prochains instants à délirer, ou plutôt à être victime de la douleur et des questions qui le taraudaient à juste titre. Alessa poussa un soupir, força un peu pour s'extirper de la poigne du patient et l'observa longuement, sans dire un mot, alors qu'il continuait de poser toujours plus de questions. Elle patienta, elle attendit le moment où il cesserait de l'assaillir d'interrogations pour enfin en placer une, sur un ton des plus calmes.

« Si tu commençais par te calmer, je t'expliquerais tout sans rechigner. Ou bien tu peux continuer de t'agiter, de puiser dans les forces que tu n'as pas récupérées dans l'espoir vain de me faire parler par la force, ce que je refuserai de faire. Choisis. »

Malgré la surprise, malgré la joie ressentie dès qu'elle eût la confirmation de son identité, Alessa campait sur ses positions. Ancien supérieur ou pas, elle ne renierait pas ses principes pour une belle paire d'yeux. La santé du blessé primait sur tout le reste, et si se servir des quelques informations qu'il désirait pouvait le faire se tenir à carreaux, alors elle le ferait autant de fois que nécessaire, et cela sans jamais hésiter. Alors elle patienta, retournant s'asseoir sur la chaise, et observa Jake aussi longtemps qu'il le fallait, jusqu'à ce qu'il se décide d'être calme. Qu'il prenne dix secondes ou une heure entière pour ça, elle était prête à attendre, ne lui donnant pas la moindre réponse tant qu'il ne restait pas calme. Mais lorsque ce fut le cas, Alessa put enfin le gracier d'un discours qui devrait lui éclairer l'esprit.

« Premièrement, je ne leur dirai rien. Je peux me le permettre et n'ai pas le moindre intérêt à vendre la mèche à qui que ce soit, même si les éléments autour de ta "mort" m'intriguent. Elle prit une première pause, tendit un bras en direction d'une veste posée sur le rebord du lit et en sortit un paquet de cigarattes accompagné d'un briquet. Elle en aura besoin. Deuxièmement, disons que je m'autorise quelques "vacances" loin de Neo Atlantis. Les choses ont bien changé depuis ta disparition. Je ne suis plus la simple recrue que tu as connu. Nouvelle pause. Elle s'alluma une cigarette et posa les deux objets sur le lit. Troisièmement, pourquoi est-ce que tu ressentirais la nécessité de me tuer après que je t'aie sauvé la vie ? Mais s'il le faut, je vais te dire pourquoi tu ne devrais pas essayer. »

Elle poussa un long soupir avant de tirer pour la première fois sur sa clope, consternée. Pour elle, ça coulait de source. Devoir lui expliquer tout cela n'était que, selon elle, une preuve de plus de son état déplorable. Il délirait, en somme.

« Dès l'instant où tu vas te relever pour essayer de m'attraper, tu vas forcer sur la blessure, laquelle est suturée mais pas encore cicatrisée. Tu risques de la rouvrir, et pas qu'un peu. La douleur va t'empêcher d'être réactif sur la droite. J'aurais juste à profiter de cette faiblesse pour t'échapper. Ne parlons même pas du fait qu'un simple coup à ce endroit suffirait à te remettre à genoux. Ou, si tu préfères, j'ai suffisamment de doses d'anesthésiant pour faire tomber un éléphant dans le coma. Te les administrer dans ton état serait aussi facile que de voler sa sucette à un nourrisson. N'oublie pas que je reste une milicienne formée. »

Aussitôt l'idée émise, un bref sourire étira les lèvres d'Alessa. Elle s'imaginait déjà en train de le faire, au cas où il venait à favoriser la manière forte, et restait sûre de sa victoire. Elle ne voyait pas comment il pourrait s'en sortir, pas dans son état actuel.

« J'ai oublié le plus important : pourquoi voudrais-tu t'en prendre à moi alors que je ne suis ni là pour toi, ni hostile envers toi ? Il y a une heure, je te croyais encore mort. Qui que tes ennemis soient, ils doivent également penser la même chose. Alors fais-toi une raison, redescends sur Terre et accepte le fait que je ne sois pas ici pour te finir ou te ramener. »

En parlant de ça, beaucoup de zones d'ombre subsistaient. Pourquoi était-il en vie ? Pourquoi les grands pontes l'ont-ils déclaré mort peu après l'avoir envoyé ici ? Et pourquoi fuyait-il à présent ? Intriguée, l'italienne chercha à tirer sa propre conclusion, toutefois sans grand succès. Alors, pour se soulager, elle tira une nouvelle taffe. À défaut de pouvoir résoudre ce mystère pour le moment, elle pouvait au moins rendre le sien plus clair aux yeux du revenant, histoire de le mettre un peu plus en confiance.

« Depuis que tu es parti, je suis passée de marionnette à marionnettiste. En tirant les bonnes ficelles, je peux aller et venir où je le souhaite. Elle se tut un instant, passant sous silence son lien avec une certaine personne qui rendait les choses encore plus aisées qu'elles ne l'étaient déjà, puis reprit naturellement. Et si je suis ici, c'est pour des raisons personnelles. Rien qui devrait t'inquiéter. Et toi, alors ? Pourquoi es-tu en vie ? Et pourquoi n'as-tu pas établi le moindre contact ? Les dossiers te concernant te disent mort au cours d'une mission. Qu'est-ce que ça cache ? »
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Genji a l’habitude d’être toujours rationnel, réfléchi, pondéré. Il privilégie l’intellect à l’affect, pense longuement chacune de ses décisions, possède toujours deux coups d’avance. La force de l’habitude, alliée à l’adaptabilité que confère l’expérience. Un conditionnement mis au point durant des décennies. Qui pour l’heure est totalement inopérant, inefficace, incapable de lutter contre les démons internes qui grignotent petit à petit toutes les défenses que l’esprit rationnel tente de maintenir.

Il essaye vainement de se rappeler de chaque détail de la rencontre, de mettre le doigt sur ce qui a mal tourné, de comprendre ce qui l’a blessé, aussi. Il n’a pas regardé la blessure, n’a pas pris le temps d’un examen minutieux sur lui-même. D’autres zones de son corps restent douloureuses, et demanderont sûrement son attention sous peu. Petit à petit, son esprit s’apaise, sans abandonner encore ses idées chimériques.

« Des vacances » relève-t-il sans plus commenter, l’idée même de vacances au sein de la milice lui arrachant un rire sec et heurté. Il a bien saisi l’ironie du propos, mais préfère la laisser continuer, les raisons qu’elle s’apprête à lui exposer l’intéressant au moins autant que la garantie qu’elle gardera le silence sur leur entrevue.

Il l’écoute avec une attention manifeste, toujours troublé, toujours aussi peu alerte, mais décidé dans la mesure de ses moyens à trancher dans le vif du sujet. Un sourire désabusé lui relève légèrement les lèvres lorsqu’elle arrive au terme de son explication, et il rétorque d’un ton mesuré. « Je ne suis peut-être pas contre le fait que tu me finisses. J’connais de pires façon de partir, et je suis curieux de voir ce que tu as dans le ventre aujourd’hui, maintenant que ta formation est achevée et que tu sembles pleine de ces ressources si chères à la milice. »

Il hausse une épaule, non sans que le geste ne lui arrache un grognement douloureux, et ajoute tranquillement après avoir reçu la suite de l’éclaircissement. « Je vois. Donc tu es un agent double. Je ne vois pas ce qui te permettrait autrement  de franchir sans inquiétude le checkpoint, au nez et à la barbe de tes collègues. Pas de problème, chacun ses zones d’ombre. Tu ne m’en voudras pas de te considérer avec d’autant plus de méfiance maintenant que je sais que tu es capable de m’administrer n’importe laquelle de tes merdes. Mais je vais essayer de rester raisonnable encore un temps. Celui de te raconter la fin de l’histoire, puisque vraisemblablement, personne de votre côté n’est venu la conter. »

Il se relève avec effort, une main de nouveau portée à l’endroit de la plaie comme pour l’empêcher de s’ouvrir davantage, retenir les points que sa propre bêtise l’incite à faire valser. Il regagne le lit en boitillant, s’y laisse tomber prudemment, et fixe la médecin avec un reste de sourire au fond des yeux. « Tu m’aides à me déshabiller ? Je crois que cette putain d’armure ne retient pas la chaleur, je crève de chaud, et en même temps je suis congelé. »

Il pense à ce qu’il va lui dire, à comment le lui dire, aux informations qu’il peut se permettre de lui transmettre sans trop s’exposer, sans la mettre elle en danger. Ça fait si longtemps qu’il est branché en mode survie qu’il ne sait même plus si le secret de sa renaissance vaut la peine d’être préservé. Encore une chose qui doit être tirée au clair. Il inspire profondément, ignore le tiraillement désagréable qui lui agace les côtes, et demande rapidement, sans chercher à s’attarder « Il y’a eu beaucoup de changements au sein de la milice ? Les chefs de département, sont-ils toujours les mêmes ? Et me concernant ? Est-ce qu’ils m’ont au moins fait des funérailles correctes ? »

Le sourire qu’il étend maintenant est amer, rongé de rancœur. Sa disparition a été orchestrée de main de maître. Aucune chance ne lui a été laissée. De s’expliquer. D’agir. De contrer le plan visant à le rayer de toute équation à venir. Il soupire, se masse longuement les tempes, avant de reprendre « Il y’avait une mission. Un raid, organisé dans le Red Light, à Chicago. Des appels, nombreux, pour une intervention, un sauvetage. Au final ? Un piège. Une affaire montée de toutes pièces.  Dans un seul but. M’écarter. » Le sourire se transforme en rictus. « Quand je suis revenu à moi, je n’étais plus tout à fait entier. Plus tout à fait conscient de qui j’étais non plus, de ce que j’étais. Je savais seulement ce que j’avais perdu. Ma vie, Alessa. Ma vie, ma famille, tout ce que j’avais pu construire. Mes idéaux, au sein de la milice. Mes hommes. Ceux qui m’étaient loyaux se sont fait descendre, comme j’aurais dû me faire descendre. Abattus comme des chiens, pour la seule faute d’avoir été sous mon commandement. »

Il marque une pause, déglutit, prunelles revenant guetter Alessa avant qu’il ne reprenne, la voix éteinte. « Elles sont mortes, tu sais. Ma femme. Ma fille aussi. Mortes et enterrées. Je n’ai jamais pu repasser le checkpoint. Je n’ai jamais pu aller me recueillir sur leur tombe. Et quelque part, c’est mieux ainsi. Ça me permet de me concentrer sur ce qui se passe ici. De récolter des infos. Des attitudes. Des contacts. Je suis bien dressé. J’ai conservé certains automatismes. Mais visiblement, pas la totalité puisque je viens de me faire baiser. Alors tu vois, j’imagine que certains côté Néo-Atlantis ne seraient pas ravis de savoir qu’une partie de leur plan n’a pas fonctionné. Que sous les décombres de leur trahison, un spectre demeure. »

La fatigue le reprend, l’assomme alors qu’il tente de calculer ce qui est compréhensible ou non dans ce qu’il vient de lui confier. Il ne parle jamais de sa famille. Ni de sa vie d’avant. Quant à la milice, elle est à ses yeux plus viciée encore que la faune de Decay. « Alors ? Tu vas me finir, maintenant ? » demande-t-il avec une pointe d’ironie. « Peut-être même que ça me rendrait service. Tu m’as parlé de coma tout à l’heure. L’option me paraît alléchante. Tu me veilleras ? »
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Alessa l'écouta répondre à chacune de ses explications, saluant la perspicacité de son interlocuteur qui n'avait pas été diminuée par ces quelques années passées. Même blessé, même abattu, il restait suffisamment lucide pour pouvoir démêler les non-dits et les sous-entendus laissés par un propos lacunaire. Un sourire amusé se dessina sur les lèvres de la fumeuse, alors qu'elle ne réfutât ni n'admît l'affirmation de Jake. Ce secret devait être préservé, et le meilleur moyen de s'en assurer était simplement de laisser couler l'affront, car un déni catégorique et immédiat aurait été tout aussi louche qu'une acceptation sur un air de mauvaise blague. Dans tous les cas, la méfiance qu'il lui portait déormais n'était pas injustifiée même si, dans son ego et son honneur de doctoresse, Alessa se permit une réponse plutôt sèche à destination du blessé.

« Ne sois pas ridicule. Mon serment passe avant tout. Si je voulais réellement faire mes expériences sur toi, tu serais sanglé au lit et peut-être déjà mort d'une overdose. De même, je n'ai pas vraiment envie de t'achever. Ce n'est dans l'intérêt de personne, sauf peut-être dans celui des types derrière ton "meurtre". Et même si ce ne sont que des mots, je peux t'affirmer que je ne bosse pas pour eux. Je ne sais même pas qui et combien ils sont. »

D'un oeil circonspect, elle l'observa de relever et ressentir au moins autant de douleur qu'elle avait pu l'imaginer, avant qu'il ne quérisse son aide pour lui retirer le reste de son équipement. Alessa répondit à la requête d'un bref hochement de tête et offrit une mort prématurée à sa cigarette, allant l'écraser sur un cendrier posé non loin. Elle souffla une dernière volute de fumée, s'activa pour écarter la chaise du lit et l'assista du mieux qu'elle put dans son office, allant jusqu'à corriger les mouvements de l'homme pour qu'il ne force pas sur sa blessure dans l'opération. Sans tout cet attirail, il semblait tout de suite moins agressif, moins étranger, plus similaire au Jake qu'Alessa avait connu par le passé, si bien que son regard se perdit quelques instants sur les coutures de l'homme avant qu'elle ne revienne à la réalité peu après, tirée par les nouvelles interrogations de son patient.

« Les choses vont et viennent, Jake. Certaines têtes sont les mêmes tandis que d'autres que tu n'as jamais vues se démarquent. Quant à tes funérailles, elles étaient sobres. Tu as reçu les honneurs que tu méritais, certains sont venus se recueillir sur ta tombe – laquelle n'abritait évidemment pas ta dépouille. Parmi tous ceux venus te "parler", ça ne m'étonnerait même pas qu'il y ait ceux ayant orchestré tout cela, juste pour faire bonne figure. Malheureusement, je ne peux pas te fournir la moindre piste quant à tout ça. »

Puis elle se tut, se montra attentive et respectueuse lorsqu'il se mit à discourir, à exprimer ce qu'il pouvait ressentir par moments. Alessa ne pouvait que trop bien s'identifier à une certaine partie du passif de Jake ; la perte de son amour, de sa progéniture. De douloureux souvenirs refirent surface à cet instant, même si elle n'en laissa rien paraître. Elle ne comprenait que trop bien la peine de l'homme et voulut lui faire savoir, le rassurer, le réconforter. Mais elle n'en fit rien, se contentant pour le moment de l'écouter en silence tout en réfléchissant à la démarche qu'il fallait suivre. Bien qu'heureuse de le voir, Alessa devait admettre sur cette rencontre soudaine créait bien des problèmes et des interrogations. Comment le laisser à son sort après avoir entendu tout ça ? Mais comment l'assister sans risquer de se mêler à une affaire susceptible d'entraîner sa propre chute ? Le dilemme, profond et complet, hantait l'esprit de l'italienne qui ne sortit de ses réflexions qu'une fois le discours de Jake achevé, alors qu'il posa une nouvelle question sur un ton sarcastique.

« Tu peux toujours rêver, lui lâcha-t-elle aussitôt. Si jamais il t'arrivait quelque chose n'étant pas de mon fait, je te veillerais, tu peux compter sur moi. Mais jamais je ne causerai ça moi-même. »

S'il voulait mettre fin à ses jours, alors il aurait à le faire loin d'ici, loin du regard de la doctoresse qui ne resterait pas les bras croisés s'il venait à tenter quoi que ce soit du genre, encore plus maintenant qu'elle avait pu entendre l'autre version de l'histoire, celle d'un homme trahi par ce en quoi il croyait. Alessa aurait pu sentir coupable et s'excuser au nom de la milice, mais elle estimait que ce n'était ni son rôle ni son droit. Après tout, son coeur résidait déjà ailleurs. Comment pourrait-elle lui présenter quoi que ce soit de sincère dans de telles circonstances ? C'était impossible. Pourtant, il y avait bien une chose qui demeurait authentique ; son désir de l'aider dans son affaire, à la fois en hommage à leur passé commun mais aussi par désir de faire tomber les têtes de ceux qui dirigeaient dans l'ombre, sans doute avec l'ambition de les remplacer.

« M'enfin. Tu as parlé de Chicago, c'est ça ? C'est ma destination. Je vais creuser de mon côté, pour voir si je peux trouver une piste. Et avant que tu m'en empêches : ma décision est prise, Jake. Je ne changerai pas d'avis. Une fois de retour à Neo-Atlantis, je jouerai également sur ma position pour en savoir plus. Si je trouve des noms, tu les auras. Quoi que tu en dises, je ferai tomber les enfoirés qui t'ont fait ça. Jusque là, tu as l'interdiction formelle de mourir. »
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Il fronce les sourcils devant la vivacité de la réponse qui lui est donnée, mais ne peut s’empêcher de sourire encore. Elle est amusante, finalement, cette milicienne qu’il n’aurait pas cru recroiser un jour, encore moins dans un pareil contexte. Peut-être que c’est seulement la faiblesse qui le rend plus sensible, ou peut-être qu’il a tellement perdu l’habitude des contacts humains normaux qu’il ne fait plus vraiment la différence entre conversation normale et prise de risque inconsidérée.

« Je me doute qu’ils y étaient. Tout comme je doute qu’ils tirent encore la moindre ficelle. Finalement, cela fait sûrement trop longtemps que j’oublie de laisser cette histoire derrière moi. Pourtant, c’est plus fort que moi. Je leur dois, à elles. Et peut-être aussi un peu à moi ? » La phrase termine sur une pointe interrogative, comme s’il cherchait une forme d’approbation de la part de son ancienne collègue. Elle a l’air de comprendre, mais il se méfie depuis toujours des airs que les gens se donnent.

Certains sont doués pour le théâtre, pour revêtir des rôles, jouer des émotions et des sentiments qui leur sont pourtant étrangers. Alors il la jauge, tique sur la volonté qu’elle affiche de vouloir l’aider à régler cette affaire. La seule autre personne à laquelle il s’est permis de confier une partie de son histoire n’est pas la mieux placée pour l’aiguiller et s’il tire toujours une forme de réconfort à lui en narrer certains détails. Une manière comme une autre d’extérioriser ses démons, avant que ceux-ci n’achèvent leur lent travail de sape. Ils gagneront un jour, il en est certain. Mais ce jour n’est pas encore arrivé. « Pourquoi pas ? Si je te le demande ? Ton serment t’empêche-t-il réellement d’aider une âme dans le besoin ? »

Le sourire qu’il lui adresse est cynique. Tout comme le ton de sa voix lorsqu’il ajoute tranquillement « Quant à m’attacher au lit, je ne suis pas contre, je doute simplement que tu y parviennes aussi aisément que tu sembles le croire. Tu veux essayer ?» Il redevient sérieux, réfléchit aux options qui s’offrent à lui, aux opportunités que la présence d’Alessa et sa connaissance de la milice amènent sur la table. Imprévues, mais bien réelles. Il serait idiot de ne pas saisir sa chance, de ne pas tenter d’exploiter à son avantage son envie de l’aider.

« Il me faudrait les noms de chaque personne présente à cette mascarade, est-ce que tu penses pouvoir te les procurer ? Ces archives-là ne doivent pas être protégées, tu devrais pouvoir mettre la main dessus sans trop de problème. Pour le reste, pourquoi est-ce que tu tiens tant à participer ? J’ai du mal à comprendre tes intentions. Tu n’as jamais représenté d’autre pour moi qu’une personne talentueuse destinée à s’élever, et je suis même étonné que tu te souviennes de mon nom, c’est un peu mince pour brandir l’étendard de la solidarité et te déclarer prête à faire tomber ces fameuses têtes, ne crois-tu pas ? Quel est ton intérêt, dans cette affaire ? Je connais peu de gens capables de s’investir sans rien demander en retour, mais je ne vois vraiment pas ce que je pourrais t’offrir, alors que je te suis déjà redevable de m’avoir sorti de la merde ce soir. »

Il l’observe avec la même intensité, passe au crible toutes les nuances qui traversent le regard de la milicienne. Elle a forcément un plan. Une raison d’agir ainsi, de vouloir intervenir de manière aussi radicale. Et il veut savoir laquelle. Le retrait de l’armure l’a libéré d’une partie du poids qui l’oppressait, mais avec la fatigue, la douleur revient, lancinante malgré les antalgiques. Il a envie de fermer les yeux, de s’étendre, de tout oublier au moins jusqu’au lendemain. Mais la présence de la femme l’en empêche, lui interdit d’abaisser toutes ses barrières comme le pousse à le faire son instinct terrassé. Un fond de défiance. D’alerte. Qui toujours lui a permis d’échapper au pire. Ce dernier se présentant souvent sous les traits les plus prometteurs.  

« Tu n’as pas besoin de te mouiller pour moi. Au départ, mon idée était simple. Affûter mes capacités, redevenir aussi létal que je pouvais l’être à l’époque. Et une fois que ce serait chose faite, marcher sur Néo-Atlantis, et arracher les réponses qui me manquaient aux gorges des responsables. Tu sais comme moi que les choses se passent rarement comme prévu. Je me suis mis à accepter des contrats, ici. Toujours pour servir mes objectifs. Mais finalement, je crois que je me suis pris au jeu. A cette forme de roulette russe, de hasard qui me projette d’une cible à l’autre sans jamais me garantir d’en sortir vivant. Je n’avais pas peur, avant ce soir. Et je déteste cette peur. Elle me paralyse. Et je ne connais pas de remède. »
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