Chapitre 2 : La Corporation
Decay
Decay, destination de tous les possibles, terre en friche où fourmillent les possibilités et l'argent facile, où chaque vice est accessible, chaque désir libre d'être comblé. L'île prospère, se vautre dans sa propre réussite, quand l'ouragan Isaac survint, balayant sur son passage les installations des gangs comme leurs prétentions. Et un nouveau groupe émerge des brisures laissées par la tempête, la Corporation. Forte de son budget, celle-ci s'invite en sauveuse, promet à tous une aide financière et humaine, des avancées conséquentes, pour une vie meilleure. Avides de pouvoir ou simples fantoches, qui sont vraiment les acteurs de cette entité inédite qui prétend étendre son influence à tout Decay.
11/10/2020 HRP
La Newsletter est sortie ! Beaucoup de changements au programme, par ici
11/10/2020 RP
Quelques semaines après la fin de l'ouragan, la Corporation dévoile son visage ! A lire par ici
12/09/2020 RP
L'ouragan Isaac s'abat sur l'île ! Pour en savoir plus, par ici
12/09/2020 HRP
L'event Hurricane est lancé ! Vous pouvez toujours le rejoindre par ici.
27/08/2020 HRP
Nouvelle newsletter ! La lire ici.
05/07/2020 HRP
Nouvelle newsletter et nombreux changements ! La lire ici.
30/05/2020 HRP
Nouvelle newsletter en cette fin de mai ! La lire ici.
30/05/2020 RP
Un nouveau système de réalité augmentée sort au Space Station Bar ! Participer ici
5/04/2020 RP
Le Carnaval de Napoli est lancé ! Extravaganza
8/04/2020 HRP
Nouvelle newsletter ! La lire ici.
18/03/2020 HRP
Ajout des missions et petite update de l'index !
28/02/2020 HRP
Deuxième newsletter ! La lire ici.
28/02/2020 RP
La Milice redouble de violence et est plus présente sur le territoire de Decay !
31/01/2020 HRP
Première Newsletter, bébé forum deviendra grand ! La lire ici.
31/01/2020 RP
L'intrigue "Paranoïa" a été lancée ! Par ici.
17/01/2020 HRP
Ouverture du forum ! N'hésitez pas à rejoindre le Discord !
Il parait qu'une jeune fille a été aperçue allant dans les égouts. Depuis, elle n'a plus donné aucune nouvelle d'elle. Une nouvelle victime des monstres vivant dans les égouts ?Une vingtaine de serpents en liberté auraient été aperçus sur les Docks. La Triade en sueur.On déplorerait trois morts suite au dernier barathon de la rue de la soif.À Kabukicho, des rumeurs sur l'affaiblissement des effectifs du clan Oni commencent à poindre. L'absence de Yokai se fait-elle enfin ressentir ou cela n'est-il que le fruit de l'imagination de quelques résidents ?Une certaine Shrimpette serait en train d'écrire une fan-fiction sur certains membres de Decay.On dit que l'ensemble du corps d'un certain mercenaire travaillant pour la Triade serait entièrement recouverts de ses nombreux crimes. Une dizaine de cadavres auraient été découverts, au cours du mois de Janvier, sur les Docks. Certains évoquent un règlement de comptes. Un tout nouveau malware parcourrait la toile, déguisé sous la forme d'un logiciel à première vue inoffensif. Il installerait une backdoor sur les machines infectées. Pour quelle raison ? Cela reste un mystère. Une femme vagabonde à la chevelure d'un noir profond et aux yeux écarlates prendrait en charge des malades et blessés au travers de Decay pour une misère, offrant une alternative médicale à celle dispensée par l'Église. Fin Janvier/Début Février, une course de rue, en pleine nuit, aurait conduit certains hommes hors des pistes. Plusieurs voitures seraient sorties de la route suite à un « conducteur fantôme ».
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Elle est calme cette soirée, et belle, aussi, aussi belle qu’on peut l’espérer d’un crépuscule avalant lentement Moskva, ses bruits incessants, ses silhouettes imprécises dans la nuit tombante. Il n’a rien vu venir. L’alcool le rend de plus en plus imprudent. De plus en plus téméraire. De plus en plus dangereux, aussi. Et lorsque le groupe se pointe, exigeant qu’il décampe de son territoire, un sourire désaxé ourle  les lèvres de Treize. Les mèches blanches lui retombent devant les yeux, masquent la lueur de folie furieuse qu’abritent ses prunelles braquées sur les branleurs.

Ils sont quatre. Il est seul. Et sans arme. Aucune importance. Il se jette sur eux sans réfléchir, oubliant la vodka qui, si elle ralentit ses mouvements, annihile la crainte d’une blessure mortelle. Et les coups pleuvent, de tous les côtés, jetant les corps au sol jusqu’à ce que deux silhouettes seulement continuent de se relever, de se ruer l’une contre l’autre, mesurant leur rage respective. Et Treize gagne, contemple, le regard fou, le dernier homme embrasser le béton crade qui lui servira de linceul. Puis il s’effondre à son tour, privé d’énergie, de volonté, les jambes coupées par la douleur qui, montante, prend peu à peu le pas sur tout le reste. Lorsqu’il ferme les yeux, le souffle court, rachitique, le monde ne forme plus sous ses paupières mi-closes qu’une brume étrange, de gris, de rouge, et de noir.  

Ténèbres doucereuses hachées de phases d’inconscience. Il rouvre des yeux rougis sur le ciel assombri, tourne lentement la tête, crache par terre un mélange de glaires et de sang, avant de tenter de se redresser sur les coudes. La manœuvre lui arrache un grondement animal, alors que la douleur reflue, abrutissante. Il ouvre la bouche, tente de dire quelque chose, mais ne rend qu’un gargouillis inintelligible avant de plisser les yeux pour tenter d’ajuster sa vision qui déconne. Quelque chose bouge, non loin. Comme une silhouette imprécise. Incertaine. Le russe ne sait s’il hallucine à cause de la manière dont son crâne a heurté le sol, ou si quelqu’un s’approche réellement de lui.

Vu son état présent, son absence de résistance en cas d’agression ne fait aucun doute, et un rire heurté lui crisse dans la gorge, s’échappe d’entre ses lèvres en sifflant.

Ses cheveux gluants de sang lui encadrent lamentablement le visage. Il a la tête qui bourdonne, l’impression que son cœur tente de sortir de sa poitrine, peine à conserver son attention sur quelque chose de concret. Pourtant, un sourire fin lui relève les lèvres, alors qu’il essaye de se relever. L’impulsion lui tire un nouveau grognement de douleur, alors qu’il porte l’une de ses mains à ses côtes, la seconde lui évitant de s’étaler purement et simplement.

Il réussit à s’asseoir, et reste là, les jambes étendues devant lui, l’esprit brumeux, et toujours ce sourire incongru accroché aux commissures, qui ne s’adresse d’ailleurs à personne. « J’crois que j’ai merdé. » lance-t-il dans un soupir épuisé, luttant contre son envie de s’endormir de nouveau malgré les élancements qui lui cisaillent les muscles. « Si t’es venu me finir, magne-toi, paraît qu’l’enfer c’est l’bon plan pour les orgies. »

Accent russe prononcé, vocabulaire approximatif, il s’exprime dans un anglais rudimentaire, sans mettre les formes, la voix cassée et le timbre abimé par les excès, la diction rendue difficile par le sang qui continue de lui couler le long de la mâchoire. «Quitte à caner dans un coin, j’aurais choisi un plus chouette caniveau qu’celui-là. » lâche-t-il encore en s’essuyant le visage d’un revers de main, se barbouillant un peu plus de sang au passage. Il n’a pas la moindre idée de l’identité des mecs qu’il avait butés. Ce n’est pas la première fois, et ça ne lui fait plus ni chaud ni froid.  Les corps, par contre, l’interpellent. Il connait trop bien sa ville pour croire qu’ils vont longtemps pourrir ici, les cadavres ont toujours quelque chose à offrir. Il s’ébroue, projetant des gouttelettes brunes autour de lui, avant de porter son attention sur la silhouette en question.

« P’t’être que si tu m’aides à m’lever, j’pourrais faire un truc pour toi par la suite. » risque-t-il devant le silence qu’elle lui oppose. Quitte ou double. Comme d’habitude, finalement, là où règne la fange.

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Sérieux, c’était une fois de plus un sacré merdier…
Parce que c’est toujours toi qui finis avec le contre-coup et les insomnies, c’est toujours toi qui prends sur toi pour soigner les inconscients, les endiablés, les colériques, les p’tits cons. C’est ton rôle, car t’es la gentille, n’est-ce-pas ? Toi t’es la douceur, t’es la pureté qu’il faut préserver. Tu dois rester loin du danger, loin des risques inconsidérées… Parce qu’on doit te protéger, mais qu’ils aillent tous se faire enculer… Ce soir t’as la rage au ventre et le diable au corps. T’as pas envie d’être sage et toute propre. T’as pas envie de rester à la Casa ou la Red’Room, t’as pas envie de rentrer chez toi. Alors t’es sortie, seule. T’es allée boire, danser et tout oublier. T’as provoqué d’un déhanché, t’as flatté d’un baiser, t’as claqué un cul ou deux puis t’as quitté sans être remarqué. T’as fait la pute pour les plus frustrés et l’égoïste pour les esseulés mais t’avais pas envie d’aller plus loin que ce genre de jeu. Pas ce soir,

C’est le chemin du retour que t’as bifurquer.
Toujours pas décidée à rentrer, t’as changé ton itinéraire pour t’enfoncer plus dans les basfonds de ce quartier, peut-être que t’as besoin de violence ce soir ? Taper, fracasser, planter ? Toute cette colère, cette frustration qui anime chacun de tes pas, calquant le sol comme une protestation. C’est là, que tu poses tes grands yeux sur cette scène. Quelqu’un semble s’être chargé de la violence à ta place, une fois encore. Fais chier… Est-ce qu’ils sont tous morts ? Ah non, il y a du mouvement… Un mouvement lent et douloureux, clairement tu peux voir qu’il souffre. Il a une sale gueule… Tu t’avances, préférant commencer par t’assurer de l’état des autres macabés du bout de ta doc…  Il te dit qu’il a merdé, en effet, il est dans un sale état, ça te fait sourire… Et quand il te parle d’orgie, tu poses ton regard sur lui. Il est capable de faire de l’humour ? C’est que lui il est pas si fracassé que ça, non ? Mais il est quand même pas mal couvert de sangs, non ? Et il se tient les côtes ? Coup de couteau ? Côtes cassées ? Blessure de surface ou profonde ? Sérieux tu as oublié ta vocation, l’infirmière Lucky dans son costume blanc, ça doit être bandant. Tu t’avances encore. Deuxième coup de pieds dans un corps, inerte. Deuxième victime. Mec dangereux en face, c’est certain…

Pour quelques gouttes de sang et un sourire…
Tu l’observes avec attention, il te dit un truc, maintenant que t’es devant lui. Tu le connais ce type, tu sais pas d’où, tu sais pas depuis quand… Mais sa voix, son accent, t’en as connu des masses des comme lui, alors tu dois creuser un peu. Est-ce-qu’il est passé dans ton lit ? Non c’est pas ça… C’est plus ancien, c’est plus profond, tu viens te mettre à la hauteur de ses yeux, ainsi face à lui, t’es bien contente de pas porter cette foutue jupe, ton jeans sombre est parfait, tu penches la tête sur le côté. Tu recommences à fixer le monde de tes grands yeux si particulier. Tu ne le juges pas, tu cherche des morceaux à quoi te raccrocher et lui ? Il te demande si tu veux pas l’aider à se lever. Tu souris à nouveau, il te fait rire, t’as toujours aimé ce genre d’humour sale, tu sais quel genre de caractère tu peux trouver derrière.  Tu viens attacher tes cheveux en répondant simplement :

- « Honey, je pense que j’vais devoir faire plus que t’aider à te lever vu ton état… »

Avant de te pencher en avant pour pouvoir l’attraper comme tu peux et l’aider à se mettre debout, tu viens glisser tes mains autant que tes yeux un peu partout, juste pour t’assurer qu’il n’a pas une lame planquée sur lui dont il pourrait faire usage. Pourquoi voudrait-il planter la nana qui décide de l’aider ? Une réponse évidente pourtant. Decay. Une fois que t’as assuré tes arrières, tu viens te pencher pour l’aider comme tu peux, à se remettre sur ses deux pieds. Y’a pas à dire l’équilibre est bancal, il pèse son poids putain. Tu fronces les sourcils, t’es déjà tachée de sang. Tu soupires, et tu te marres :

- « Putain c’que t’es lourd… T’habite dans le coin ? Car avec les pochettes surprises que t’as laissé traîner sur le sol, faudrait pas tarder à bouger loin d'ici, se planquer et t’soigner. »

Car oui, faut toujours faire les choses dans l’ordre… Sans attendre sa réponse pour la direction à prendre, tu veux déjà bouger d’ici, loin de cette odeur ferreuse et ce spectacle morbide. Les vautours ne sont jamais loin, c’est bien connu. Tu te glisses sous son bras, tu le tiens assez fermement pour assurer vos pas sans lui faire mal. T’as de la pratique là-dedans. C’est fou comme ça peut rapprocher les gens l’entraide hein ? Maintenant que tu relèves le nez vers lui, si proche que ça en ferait rougir les prudes, maintenant que tu peux avoir tout le loisir de décortiquer son visage, sa gueule d’Ange fracassé et surtout son regard, t’as les neurones qui arrêtent de tourner et tu comprends qui il est, oui tu le connais ! Tu souris de toutes tes dents : « Oh … J’te connais toi… »

Lui il a peut-être oublié, non ? Vos foutus bouteilles d’eau, toutes ces heures passées à l’observer s’entraîner. Son regard, tu aimais son regard. Peut-être même que maintenant, quand tu t’entraînes toute seule, tu gardes les mêmes mouvements que lui. Ce souvenir… Faut dire qu’il était fascinant pour la gamine que tu étais. Quoiqu’il en soit, vous avez encore quelques mètres à parcourir, que ce soit pour vous rendre chez lui ou dans un hôtel pourri choisi au coin de la rue…
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Tous ses muscles protestent lorsqu’elle le relève, et si son visage reste figé sur ce même masque douloureux, presque haineux, il n’hésite pas à s’appuyer sur elle de tout son poids, sauveuse inespérée dans ce monde composé en majeure partie d’assassins et de fils de pute déguisés en bons samaritains. Il détourne la tête, tente de cracher par terre pour dégager ce qui lui obstrue la bouche, mais la salive épaissie lui dégoutte lentement le long de la mâchoire avant de s’échouer sur le sol. Chaque inspiration lui arrache un gémissement, mais les yeux de la fille dansent, encore devant ses rétines, l’accrochent au présent.

Il y’a comme un gout d’ailleurs dans ce regard-là, quelque chose d’autrefois. Il se concentre, tente de rappeler à lui les souvenirs de ce bleu si particulier. Sans succès. Il abandonne vite, son attention captée par les messages d’erreur que son corps lui envoie sans discontinuer.

« Putain d’merde. » râle-t-il en galérant à placer un pied devant l’autre. Il voit trouble, de plus en plus, et la gueule lui tourne méchamment. Pas d’autre choix que de se fier à la nana, qui semble miraculeusement disposée à l’accompagner jusqu’à un endroit safe.

« Soigner ? » Une bulle de sang lui éclate au coin des lèvres lorsqu’il répète machinalement ce qu’elle vient de lui dire, et il serre une main en étouffant un nouveau gémissement. La douleur est partout, abrutissante, à tel point qu’il n’a pas la moindre idée des réels dommages subis. La seule chose dont il se souvient réellement, c’est d’avoir attrapé à mains nues l’un des couteaux cherchant sa gorge. Il a un sursaut lorsqu’elle dit le reconnaître, cherche de nouveau ce regard dont les réminiscences s’attardent dans son esprit. « T’es qui bordel. » gronde-t-il en faisant quelques pas supplémentaires, tout aussi malhabiles.

Il ne s’arrête pas, ne veut pas s’arrêter, parce qu’il sait qu’il ne se relèvera pas, et que toutes les bonnes intentions du monde ne suffiront pas à le redresser s’il s’effondre. Ses oreilles bourdonnent, et il s’écroule à moitié contre la porte qu’ils rencontrent au bout de quelques minutes de marche, en attendant qu’elle l’ouvre. Il reconnait plus ou moins l’endroit. Un motel pourri. Qui accueille chaque soir les résidus que les ruelles vomissent. Plus morts que vivants, en général. Ici, on ne leur posera pas de question, il suffit de demander une clé, d’aligner le fric, et le tour est joué.

Un vieux mec derrière le comptoir les observe sans mot dire. Le russe ne voit plus que des contours flous, des formes imprécises, et il met toute sa volonté dans l’effort qui le pousse vers le type, l’une de ses mains plongeant dans la poche de son jean croûté de sang, afin d’en sortir une poignée de billets répugnants. Il les plaque sur le comptoir, reçoit la clé correspondante, et se dirige droit vers les chambres, sans un regard vers la nana.

Qu’elle le suive ou pas n’a plus vraiment d’importance, il faut qu’il s’allonge, avant d’embrasser le sol pour de bon. Il se tient au mur pour avancer, garde la tête droite pour s’éviter de valser, glisse la clé dans toutes les serrures, jusqu’à ce qu’enfin, un déclic se fasse entendre, annonçant l’ouverture. Il fait sombre à l’intérieur, malgré la lumière qu’il allume, projetant une myriade de gouttelettes rouges sur le mur.

Un seul lit. Minable. Vers lequel il s’avance, avant de s’y laisser tomber en étouffant un cri. Putain, c’que ça fait mal. Son cerveau même hurlerait s’il le pouvait. La face contre l’oreiller, un bras pendant le long de la couchette, les doigts touchant le sol, et l’autre replié sur le côté, il essaye de reprendre son souffle, de calculer ce qui le sépare réellement de l’agonie pure et simple. L’inconscience ne semble pas vouloir le reprendre, mais son esprit flotte, peine à se focaliser.

Ce n’est qu’en remarquant la sensation d’humidité qui lui colle à la peau qu’il remarque qu’il est vraiment couvert de sang. Un sang chaud qui s’étend sous lui, trempe les draps sur lesquels il est allongé. « T’es là ? » marmonne-t-il à la pénombre, dans l’espoir, sans doute, que la fille lui réponde. Est-ce qu’elle l’a déjà abandonné ?

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« T’es qui bordel. »
Tu ne réponds que d’un sourire, que d’un regard assez tendre. Dans le fond, t’es qu’une fille de plus sur son chemin. Une fille qui a grandi après ces quelques bouteilles d’eau en guise d’excuses. Une fille qui n’a jamais oublié son reflet. C’est ce que tu es, mais pour le moment t’es surtout son infirmière, sa compagnie d’une nuit.  N’est-ce-pas ? Une fois de plus, t’es celle qui vient réparer les dégâts des ravagés. Tu voulais fuir cette réalité mais elle revient valser entre tes bras. Il est lourd, couvert de sang, l’esprit brumeux. Tu l’aides à marcher, tu l’aides à avancer. Vous ne devez pas rester là plus longtemps. Il est cabossé, complètement niqué. Un peu trop fracassé pour s’arrêter. Tu ne sais pas réellement où vous aller mais tu te moques de l’enseigne, tu te moques de l’état, tout ce que tu veux c’est que vous puissiez vous arrêter pour vous poser. Un instant en suspense.

Quelques billets usés et maculés…
Dans un élan de dignité ou de férocité, il s’avance seul vers le comptoir pour balancer l’argent trouvé dans le fond de la poche. Il vous offre, l’antre sécuritaire dont vous avez besoin pour cette nuit. Tu le laisses gérer le paiement, t’as déjà les yeux qui cherche autre chose. T’as besoin d’une trousse de soin, t’as besoin d’une bouteille d’eau. Tu fouines dans tes poches, le petit sachet de calmants. Toujours sur toi, hein ? Toujours. Depuis le temps, t’es prévoyante.  Il s’éloigne vers la porte, t’aura qu’à suivre les traces. T’auras qu’à trouver la porte marquée par le sang. Tu te penches vers le mec, tu glisses un nouveau billet, bien plus propre et lisse. Il fronce les sourcils, tu claques la langue. Il se râcle la gorge et il te dépose sa trousse personnelle. Les premiers soins, c’est le plus important. Il ne te manque plus qu’un uniforme, sérieusement.  Tu le remercies d’un petit sourire, il ajoute une bouteille d’eau. Il secoue la tête, il va tout oublier, il ne vous aura jamais croisé. C’est parfait. Le petit poucet des gouttes pourpres sur le sol te guide jusqu’à la porte. Tu rentres, admirant la décoration douteuse, bonifiée par les traces de son passage. Tu fermes la porte derrière toi.

Il te demande si tu es là.
Tu n’attends pas d’être à côtés de lui pour répondre avec une voix aussi douce que calme : « Evidemment qu’je suis là. » C’est pas comme si tu pouvais partir, non ? Si tu pars maintenant, ça pourrait être sa dernière nuit. Quoique c’est pas une petite demi-portion, mais t’es pas de ce genre de personne, trop droite pour cette foutue réalité, alors oui t’es là. Tu restes. C’est comme ça. Tu déposes le bordel dans tes bras sur le lit, comme tu peux. Tu prends une grande inspiration. Tu observes la situation, tu l’analyses et remontant tes cheveux avec une queue de cheval. Ils pourraient finir à traîner dans le sang. Une étape à la fois... Déjà... Il faut le retourner, ce p'tit con, il est sur le ventre... Tu te vois déjà galérer ta race pour le retourner. Tu pousses comme tu peux, tu le portes comme tu peux et voilà il s'étale sur le dos, tu t'es presque sur lui. Tu pestes un  « Putain... »  qui vient du coeur et tu profites de cette proximité pour attrape le petit pochon dans ta poche. Un des petits cachets entre tes doigts. Ceux qui savent inhiber la douleur, ceux qui te font un peu planer sans trop t’amocher la conscience, ceux qui servent à te booster quand tu dois t’échapper car t’as fini salement amocher. Tu viens le poser directement sur sa langue, t’attrape la bouteille d’eau, t’essaie de le faire boire à même le goulot. Et si tu vois que ça marche pas, tu vas prendre l’eau directement entres tes lèvres et les coller sur le siennes pour tout lui cracher dans le gosier. Ouais c’est pas très propre mais qu’est-ce qu’on s’en branle des manières en cet instant, t’as juste besoin de le soulager de cette agonie.

Les compresses noyées dans le désinfectant…
Faut savoir choisir les premières à prioriser. Ouais, t’essaies d’y aller avec un semblant d’étape. C’est pas facile, il a été touché à plusieurs endroit, t’as l’impression que plus tu l’examines des yeux et des mains, t’as droit à une surprise de plus. Sacrée baston pour un sacré bonhomme. En premier tu vérifies les grosses plaies, tu galères mais t’arrives plus ou moins à le déshabiller, sinon tant pis, son t-shirt finira déchiré et tu lui feras la promesse de lui en reprendre un. Avant de commencer tu lui précises en posant ta main froide sur son front : « T’as rien à craindre, J’suis là et j’sais ce que je fais… » T’es pas réellement formée mais t’as appris au fils des années. Alors, tu te relèves pour aller remplir une bassine d’eau. Tu u nettoies, enchaînant les foutues compresses et linges déchiré à la hâte. Pauvre drap. Tu fais les pansements. Un à Un. Tu poses des straps, tu recouds même si c’est trop profond. La main. Le flanc. Puis son visage. Cet endroit qui demande enfin plus de douceur. Tu viens retirer le sang séché, tu le fixes. Lèvres pincées, sourcils froncés. Mains tâchées, gestes doux. Tu viens refermer l’arcade avec des straps chirurgicaux, tu passes à ses lèvres. Souvenir ferreux de ton baiser médical. Tu souris enfin un peu, la pression commence à retomber. T’as réussi, t’as géré comme t’as pu pour le soigner… Ouais, il est hors de danger. Tu penches la tête :

-  « C’est bon, t’as plus qu’à te reposer maintenant… Le plus dur est passé, c’est promis. »

Tu pourrais lui en dire plus. Ou lui expliquer que tu resteras à son chevet mais c’est pas compliqué à comprendre, quand l’infirmière pousse les vestiges des soins sur le sol pour venir se glisser de l’autre côté dans le lit. Avec lui. T’es pas certaine de trouver le sommeil tout de suite mais t’es là, c’est déjà ça, non ? Tu l’observes, ce visage marqué, usé. Plus proche, plus propre. Tu soupires, ton index caressant doucement sa tempe ou l’arrête de son nez. L’aider à dormir ? Ouais c’est l’idée. Occuper tes pensées ? Aussi, faut l’avouer.
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Le noir l’entoure, l’englobe, mais la présence le rassure, comme si elle lui promettait un nouveau lendemain, plutôt que des abysses bien trop tangibles. Parfois, il se sent partir, complètement, mais au lieu d’être effrayante, la sensation l’enveloppe, calme ses nerfs trop sollicités.

Elle a une voix apaisante, cette fille, une voix qu’il a envie d’entendre, encore. Il ne la voit pas, ne cherche plus à distinguer quoi que ce soit, d’ailleurs, ne remue que lorsqu’elle se met en tête de le retourner. Il l’observe une seconde en silence, silhouette imprécise qui fond vers lui, manque s’étrangler lorsqu’elle essaye de le faire boire, mais s’immobilise ensuite lorsqu’il sent ses lèvres contre les siennes, regard écarquillé et pourtant aveugle croisant celui de la fille.

« Qu’est-ce… » murmure-t-il avant de déglutir, avalant le cachet sans plus broncher. Est-ce que c’est de la drogue ? Sûrement. Aucune importance, finalement, puisqu’il ne faut pas plus d’une minute pour qu’il sente enfin la douleur refluer, le laissant libre de revenir plus ou moins à lui.

« Rien à craindre. » un grondement sourd et unique, alors que ses prunelles traquées portent vers la sauveuse un regard dépourvu d’aménité. Heureusement pour elle, il n’a pas la force de se débattre, de l’envoyer valser, purement et simplement, pour se soustraire aux soins. Il subit donc, grommelle de temps à autre lorsqu’une aiguille lui mord la chair de façon trop franche, ne file pas le moindre coup de main pour rendre la tâche plus facile à son infirmière improvisée.

Il porte une main à son visage, fronce les sourcils devant le bandage qui l’empêche de constater l’ampleur des dégâts, fronce le nez également devant l’odeur de désinfectant, trop forte, avant de reporter son attention sur la nana. Se reposer. Le plus dur est passé. Il est loin d’en être certain, et ne fait aucune confiance à son corps pour se remettre de toute cette merde sans faire de vagues. Finalement, la convalescence est ce qu’il aime le moins dans ces situations merdiques qu’il aime provoquer.

Il soupire, soulagé toutefois de ne plus se sentir au bord du gouffre, se demande même un instant s’il ne serait pas plus sage de partir. L’idée fait son chemin, sans qu’il n’en parle, sans qu’il ne l’affiche, silencieux, même lorsqu’elle vient se nicher près de lui, son corps chaud contre le sien, sa respiration calme et apaisante, ajoutée au contact léger de ses doigts contre sa joue tirant au russe un nouveau soupir. Il n’a plus envie de partir, se sent trop cotonneux pour bouger, mais il est têtu, borné, et fonctionne aux idées fixes.

Il ne sait pas qui elle est, même s’il est désormais certain de connaître ce regard, celui qu’elle porte sur lui sans discontinuer. « Putain. » marmonne-t-il encore en se retournant, l’effort qu’il fait pour se redresser dans le lit lui faisant happer son air dans un hoquet surpris. Ok, si le médicament aide, il n’a rien de miraculeux, et il sent bien que s’il force trop, il risque de réveiller complètement ce qui pour l’heure ne fait que somnoler.

Il prend une longue inspiration, retient son souffle le temps de balancer ses jambes sur le côté du lit, la tête lui tournant de plus belle lorsqu’il pose ses paumes abimées à plat contre le matelas. « Wow. » Il souffle son air entre ses dents, dans un sifflement meurtri qui lui arrache la gorge, force sur ses poings pour se soulever,  se donner l’impulsion nécessaire, se tient, là, debout, quelques secondes, avant qu’un dernier vertige ne l’envoie s’étaler par terre de tout son long.

Une longue flopée d’injures russes s’ensuit, signe qu’au moins, il peut encore parler, et c’est avec la même détermination idiote qu’il tente de nouveau de se lever, s’arrêtant une fois agenouillé par terre en décidant qu’il est peut-être allé suffisamment loin pour cesser d’insister. Il ne se retourne pas, ne cherche pas à savoir ce que fait la fille pendant qu’il se donne en spectacle, la simple idée de devoir se concentrer pour parler lui semblant insurmontable.

Il a la nausée, n’est même plus vraiment sûr d’où ils se trouvent, mais se traîne tout de même péniblement jusqu’à ce qui ressemble à une longue commode, contre laquelle il s’adosse avant d’estimer que tout mouvement supplémentaire relèverait du suicide pur et simple.  

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Si c’était à refaire, tu recommencerais…
Encore et encore, tu forcerais sur tes bras pour le retourner. Tu collerais tes lèvres sur les siennes pour lui imposer un calmant, une ébauche bancale de soulagement. Tu reviendrais percer sa chair de ton aiguille, tu reviendrais désinfecter et bander ses blessures sans la moindre aider. Tu écouteras ses grognements, tu encaisseras son absence de volonté à vouloir rendre ça plus facile… Oui, tu recommenceras tout, jusqu’à venir à ses côtés pour le fixer, pour te lover contre son corps pour le réchauffer, finir de le rassurer. Car t’es ce putain de genre de nana, depuis toujours. Parce que t’es pas capable de laisser quelqu’un qu’à l’air dans le besoin, surtout quand tu reconnais ces beaux yeux qui t’avaient déjà tant fasciné. De l’inconscience ou une trop grande confiance, entre le génie et la démence, il n’y a qu’un pas. Ceux qui te voit comme l’ignorante n’ont pas toujours pas compris que la crasse du monde elle t’a déjà contaminé… Alors oui, tu referais les mêmes choix, encore et encore. Et c’est pour ça que t’es là, dans ce lit.


Tu restes allongée, les yeux posés sur son visage...
T’as eu l’espoir d’apaiser assez ses pensées agitées pour lui offrir un peu de répit. Juste un peu de repos, pour celui qui a l’air d’en faire trop. Mais il ne semble pas décidé à vouloir s’offrir ce luxe, cet instant en suspens. Ce souvenir sans lendemain, d’une rencontre au coin de la rue. Tu te souviens de cette fascination qu’il provoquait chez toi quand il s’entraînait. Cette manière de frapper. Tu te souviens alors qu’il râle. Ce « Putain » qui fait frissonner ta peau… Que fait-il ? Il se retourne, il se redresse. Tu admires désormais son dos. Les épaules larges, les cheveux encore trop tâchés de sang. Il ne devrait pas forcer, il ne devrait pas essayer de se relever. Est-ce que tu vas lui dire ? Non. Est-ce-que tu vas l’aider ? Autant fracasser ce qui lui reste de fierté. Tu le laisses dans sa merde. S’il pense qu’il est assez fort pour se remettre sur ses deux pieds, qu’il essaie. Est-ce-que tu crois qu’il va s’écrouler ? Oui. Mais t’es bien décidé à le laisser trouver ses propres limites.

Sa respiration qui se coupe,
La manière dont le hoquet vient secouer sa carcasse aurait pu lui mettre la puce à l’oreille mais l’homme est têtu, entêté, entêtant. Il s’appuie sur les mains, ça doit faire mal. Tu grimaces un peu. Tes yeux ne l’ont toujours pas quitté…. Il se redresse sur ces deux pieds dans un dernier effort et avant que tu ne puisses tendre la main vers lui pour espérer le refaire tomber en arrière, il s’effondre de toute sa longueur à même le sol. Tu savais que c’était pas une bonne idée, peut-être que tu aurais du lui dire. Le voilà étalé sur ce planché usé et poussiéreux à jurer dans sa langue natale, non ? Le russe.  Tu ne bouges toujours pas, tu t’es juste un peu approchée du bord du lit, les bras ballant dans le vide en admirant sa détermination. C’est de l’arrachement à ce stade. Un soupire passe tes lèvres. Tu le vois qui s’efforce de trouver un support, peut-être un repère contre la commode qui craque sous son poids. Pauvre commode, pauvre homme. Pauvre treize. Tu pinces les lèvres et tu décides de sortir du lit… Tu te laisser couler sur le sol, d’une manière presque féline, pour t’avancer vers lui. Tu arrives à sa hauteur et tu tends la main pour la poser sur sa joue. Oui, t’es douce.

T’as toujours été aussi douce que brute.
C’est juste que t’es jamais douce avec les gros cons. C’est tout. Là, lui il a besoin de douceur. Il a pas besoin qu’on le brusque plus, il le fait déjà tout seul. Alors c’est ta main sur sa joue qui vient le ramener chercher tes yeux, ou alors est-ce toi qui cherchait les siens ? Tu ne sais. Mais tu murmures : «Sérieux… T’as pas fini tes conneries… » Car là, il va juste réussir à se faire encore plus mal, il va juste se fracasser un peu plus corps et l’esprit. N’a-t-il pas assez souffrance à encaisser ? Il est temps d’arrêter les frais. Il est temps d’arrêter de s’entêter. Tu t’avances encore pour venir toi aussi faire craquer la commode. T’as glissé sur le sol pour être à ses côtés, t’as glissé jusqu’à soutenir son bras du tien, tu le passes derrière sa tête pour le faire basculer vers toi. Oui la tête contre ton cou, contre tes seins. Qu’importe l’endroit, le but était surtout de pouvoir le prendre contre toi, caresser la naissance de cheveux qui habillent sa nuque. Tu fermes les yeux, ta voix comme un murmure, tu lui expliques : « T’es pas en état… Mais si t’veux vraiment partir, j’t’accompagne. J’t’aiderais à marcher jusqu’à ce qui t’veux retrouver… » Car c’est peut-être juste ça, son entêtement. Il a peut-être quelqu’un à retrouver, non ?

Tu veux à nouveau voir ses yeux,
Tu veux comprendre ce qui le motive à forcer autant. Oui tu veux savoir ce qui l’anime, ce qui lui donne tellement envie de fuir loin d’ici. Car ce n’est pas toi qu’il fuit, tu le sais. Alors tu veux chercher au fond de ses yeux, la raison pour laquelle il s’acharne autant. Délicatement, tu te décales comme tu peux. Tu lui redresses légèrement la tête. Tu réalises votre proximité à la manière dont son souffle danse sur ses lèvres. Mais toi, tu cherches surtout ses yeux. Tu les fixes quelques secondes avant de sourire légèrement. Comme si les réponses se trouver dans les regards fatigués, quelle idée à la con. T’es quand même contente de pouvoir à nouveau les contempler quand tu lui murmures le fond de ta pensée : « T’as pas envie de t’offrir un peu de répit ? De.. Lâcher prise juste pour cette nuit, Toi» Car c’est tout ce que tu lui souhaites, arrêter de lutter, arrêter de s’acharner. Tu aurais pu dire Treize mais qu'importe le nom pourvu qu'on est l'ivresse... c’est pas si mal comme idée, non ?
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Une carcasse vide et immobile, inutile, figée, brisée, presque, dans la pénombre de la chambre. C’est à peine s’il sent encore, s’il ressent. Sûrement l’effet du truc qu’elle lui a filé, qui lui a fondu sur la langue avant de lui empoisonner les veines. Un mirage, contre une illusion de bien-être. Qui déjà s’amenuise, s’efface.

La main fraîche sur sa joue brûlante le fait sursauter, l’arrache au vide qui l’attire, encore, et ses prunelles éclatées cherchent à leur tour à capter celles de la fille. Le bleu. Toujours. Ce bleu. Malicieux. Grave, pour l’heure, et sombre, aussi. Et c’est la couleur plus que le conseil qui le fait se laisser aller, tomber contre elle sans plus résister. Il sent les doigts qui glissent contre sa nuque, frissonne sous leur caresse en gardant le regard résolument rivé sur le visage qui le contemple.

Il ne se souvient plus de son nom, se remémore seulement sa silhouette gracile, et cette façon qu’elle avait de l’observer, insistante, sans être intrusive. Elle parle de répit, de lâcher prise, autant de concepts qu’il est incapable d’appliquer, qu’il aimerait bien pouvoir maîtriser, sans jamais s’en laisser l’occasion. Parce que survivre, c’est forcer, chaque jour, un peu plus que le précédent. Compter sur la chance, aussi, pour un nouveau sursis.

Ses lèvres sont sèches, gercées par le vent, froid dehors, par le sang, aussi, qui leur donne un gout de sel. Il refuse de fermer les yeux, de chasser la vision, et ces autres images qu’elle appelle, réveille, révèle. Son nom lui échappe toujours ,comme une mélodie à l’orée de sa conscience qui refuse de se montrer. Il l’a su un jour, il en est sûr, certain, sa main à couper, et pourtant, pourtant, dans les ténèbres dans lesquelles il se débat, rien ne lui vient.

« S’arrêter. C’est mourir. » souffle-t-il en réponse aux belles idées qu’elle invoque, qu’elle laisse peser entre eux, comme s’il ne s’agissait que d’une simple histoire de volonté. La volonté est absente, de son esprit, de ses muscles, de son corps inerte qu’il laisse peser contre elle. Il a horreur d’être vulnérable, démuni, incapable. Il ferme les yeux, lutte contre l’inconscience, finit par demander dans un souffle haché, rouvrant sur elle deux prunelles hantées.

« Parle-moi de la ville. Parle-moi de la vie. Les néons, dehors, est-ce qu’ils sont toujours aussi vifs ? » Une pause, il se crispe, légèrement, cherche ses mots encore quelques minutes envahies par un silence terne, qu’il brise de nouveau de son timbre éraillé caractéristique. « Ton nom. Donne-moi… ton nom. C’était toi. Les bouteilles. C’était toi ? Et ton regard, toujours sur moi. » Les images viennent, se bousculent maintenant, et il la visualise, mal, certes, mais suffisamment pour retrouver dans ces traits d’aujourd’hui ces expressions qu’elle arborait déjà jadis.

« Ouais, c’était toi. » Une dernier affirmation, une confirmation même, de ce qu’il a pressenti en croisant de nouveau ces yeux-là. Et il est content, subitement, de ne pas être dans les bras d’une parfaite inconnue. Non pas qu’ils aient vraiment partagé quoi que ce soit, mais elle lui est familière, et cette familiarité le rassure, l’apaise, à la manière de sa voix un peu plus tôt. Il n’a plus envie de partir, noyé dans sa faiblesse, et dans les décors d’antan que la silhouette pressée contre lui dessine. Ainsi, elle est encore ici. A Decay. Et elle a grandi. Tout comme lui. Ils étaient si jeunes. Si jeunes encore, si inconscients de ce que cette ville leur réservait. Ici, les secondes chances n’existent pas. Mais, parfois, le hasard se montre clément.

« Raconte-moi une histoire. Ou parle-moi de toi. De ce que tu fais, maintenant. Il ne faut pas que je m’endorme. Il ne faut pas. » répète-t-il machinalement, s’accrochant à cette idée comme on s’accroche à une branche lorsqu’on craint de se noyer. La fixité d’une pensée, comme un phare dans l’obscurité.  

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Il reste accroché à tes iris si singuliers…
Comme s’il espérait y trouver une réponse. Un repère face à ce monde qui s’effondre. Cette souffrance, elle te déchire les tripes. Il ne contrôle plus rien, il ne fait que subir. Il te parle de mourir, tu ne veux pas envisager le pire. Ce n’est pas la seule réponse possible. Dans le silence, tu te contentes d’un signe de tête contradictoire. Non, il n’est pas question de mourir ici et il le sait. Ainsi figés, collés l’un à l’autre sans avoir de le lâcher un seul instant, tu restes accroché à son regard désaccordé, tu restes fascinée par ce souffle qui s’invite contre le tien avant qu’il ne ferme les yeux. Il n’a pas le droit de partir, il n’a pas le droit de te laisser. Tu n’as pas le cœur de le secouer. Tu préfères le serrer un peu plus contre toi, tu le retiens de toute ta force, de ton soul. Non, il ne doit pas lâcher. Il revient, ses yeux trouvant sans difficulté les tiens puisque tu n’as pas eu le courage de les détourner un seul instant loin de son visage marqué par la violence de l’existence. Il te demande parler, lui raconter comme est la vie dehors. Lui rappeler dans le fond qu’il est en vie. Tu sens ce sursaut, celui de ton cœur qui serre et ton souffle qui se coupe légèrement. Que devrais-tu lui répondre ? Prête à broder quelques banalités, il te devance en demandant ton nom.

Il se souvient de toi et tes foutus bouteilles d’eau.
Ce souvenir d’un temps que bien d’autres aurait pu oublier, lui il s’en souvient aussi bien que toi. Il n’a pas été dévoré le temps et ses démons, il est toujours là, ce précieux souvenir. Même avec des contours flous, il arrive à revoir toute la vérité, elle lui écorche la gorge à chaque mot cette vérité comme une fatalité à laquelle tu ne peux répondre qu’un simple « Oui c’était moi. » Tu devrais être plus précise mais les mots te manquent. Pourtant tu as bien suivi, tu sais que tu dois lui parler de la ville, de la vie et des néons qui brillent trop pour être réglos, mais tu n’arrives plus réellement à aligner deux mots. Cette voix prisonnière de tes lèvres humides à force de venir les mordre. Cette émotion qui vient envahir tes cordes vocales et tes pensées, cette frayeur de le voir à nouveau fermer les yeux et repartir.... Il te demande encore de lui raconter une histoire, lui parler de toi. Tu pourrais surtout parler de tout ce que tu veux car le plus important, c’est de continuer à le ramener vers toi, encore et encore. Tu voudras pouvoir le guider vers ce répit tant mérité. Juste pour cette nuit.

« Je m’appelle Lucky… Mais c’est surtout Lulu. » Il y en a même un qui t’appelle Blondie. Tu continues de jouer de tes doigts dans sa nuque, de tes bras autour de son corps pour le garder contre toi. Il est tout de même un peu lourd, mais tu es bien décidé à le retenir au point de t’en brûler les bras. Tu ne le lâcheras pas. Tu reprends dans un soupire : « J’vais bien, je t’assure… J’ai pas à me plaindre… J’suis toujours avec les miens… » Ces garçons qui forment ta famille, cette famille qui ne demandera toujours qu’à s’agrandir. Lui aussi, il fait partie de cette famille sans fondement que tu t’es construite avec le temps, même si c’est juste pour quelques bouteilles d’eau.Tu te dis que c’est amusant de rebondir sur ce détail : « Alors tu as réussi à te souvenir des bouteilles d’eau de la gamine qui t’fixait pendant des heures… » Tu as ce petit rire attendri. Trop doux pour cette réalité. Puis tu as  cette manière délicate de venir dégager les cheveux collés sur son front. Avant de rependre de ta voix de plus en plus douce et chuchotée: « J’me suis toujours dit qu’un jour, j’viendrais te montrer qui j’suis devenue… »

Mais tu n’as jamais osé ?
La peur de réalisé qu’un souvenir peut vite se briser quand il n’est plus partagé car on l’a oublié… Et maintenant ? Qu’est-ce-que tu pourrais dire de plus pour espérer le maintenir à tes côtés ? Tu hésites, tu cherches des choses sans importance que tu pourrais lui confier mais rien ne vient. Il est épuisé, il doit se reposer, il doit vraiment se résoudre à se laisser aller : « Treize, j’reste avec toi, c’est promis. S’il te plait… Laisse-toi aller. Je t'assure...Il faut que tu te reposes. » Qu’il se rassure, il sera toujours dans tes bras quand il se réveillera. Tu viens de lui en faire la promesse… Et tu tiens toujours parole. Tu aimerais pouvoir vous remonter sur le lit mais tu n’auras jamais la force nécessaire pour le faire toute seule, et lui est-il en état ? Tu essaies d’amorcer le mouvement, ce dernier effort ? Un dernier espoir pour rendre votre nuit plus agréable ? Qu’il se redresse avec toi pour rejoindre les draps maculés ou que vous vous contentiez de ce sol poussiéreux en guise de sommier, le résultat restera le même. Sans la moindre hésitation tu le ramèneras tout contre toi, tu lui offriras ton cou, ton buste et tes bras. Tu l’enlaceras au point d’en mélanger vos jambes. Oui, tu le garderas contre toi, aussi longtemps qu’il le faudra.
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Il résiste encore, repousse la somnolence, pour l’écouter encore un peu, profiter quelques minutes de plus de sa présence. Au petit matin, sera-t-il partie ? Il se raccroche à sa voix, en mesure les nuances, s’attarde sur les modulations, s’étrangle sur un soupir avant de répéter avec un effort de volonté évident.

« Lu…Lucky. » Il étire un spectre de sourire, se détend légèrement, comme rassuré de pouvoir la nommer. Il l’écoute, se laisse porter par le timbre délicat, par les images qui continuent de défiler sous son crâne endolori, chassent les pensées délétères qui s’attardent. « C’est joli, Lulu. » note-t-il encore, le timbre éteint. Il n’a plus la force de bouger, et seuls ses flancs se creusent régulièrement sous l’effet d’une respiration lente qui se saccade parfois.

« Ouais. J’me souviens. » Un marmonnement à peine esquissé, la moitié des mots crachés plus  qu’articulés. Les idées se fragmentent, perdent leur consistance à mesure que les minutes s’écoulent, que la douleur revient, sourde et lancinante. De nouveau, il se concentre, porte son attention sur de menus détails qui importent bien plus que les messages d’alarme que son corps lui envoie, qu’il n’a aucune envie d’écouter. Hors de danger. Il faut qu’il le soit, et s’il se sait en mauvais état, d’autres souvenirs d’autres nuits passées à danser sur le fil du rasoir, à provoquer la mort sans qu’elle ne se décide à l'emporter lui viennent, lui arrachent ce qui sous la grimace pourrait ressembler à un sourire satisfait. Il referme les yeux, bercé par la voix de Lucky, et murmure en retour avant de laisser la fatigue l’emporter. « T’es devenue… Un putain d'canon. »



Lorsqu’il rouvre les yeux, la position n’a pas changé, et son corps meurtri le lance de partout. Ses paumes, surtout, irradient sous les bandages de fortune. Il remue à peine, les idées plus claires, se rappelle avec un temps de retard de la silhouette contre laquelle il est toujours échoué, lève les yeux, capte les traits délicats du visage qui se dessine, esquisse un sourire.

Elle n’a pas bougé, a supporté son poids tout ce temps, sans broncher. Elle a l’air de dormir, et il ne fait rien, rien du tout encore, pour la réveiller. Elle mérite le repos qu’elle s’accorde, pour l’avoir traîné ici, et veillé, aussi. Il n’a pas la moindre idée de l’heure, mais le jour commence à poindre, s’il en croit la lueur timide qui s’annonce à travers la vitre sale.

« Lucky ? » Il chuchote, frissonne dans l’air froid de cette petite chambre miteuse, ses mains engourdies rougissant les bandages. Il se redresse avec difficulté, une main sur les côtes, comme si le mouvement pouvait les faire tomber, s’extirpe précautionneusement de l’étreinte de la fille, tangue légèrement sur ses deux jambes en se relevant.

Il se tient debout, droit, immobile, contemple la pièce, la commode qui leur a plus ou moins servi de lit, la couchette, délaissée, aux draps encore imbibés de sang, scène sordide pourtant cent fois vécue. Il renifle, se passe une main sur le visage, gronde lorsque la douleur le gifle, puis se traîne d’un pas lent vers le matelas, pour s’asseoir sur une zone que les taches épargnent encore.

« Lucky. Viens là. » Il n’a pas osé la tirer du sommeil, encore moins la toucher. Il est répugnant, couvert de sang séché, de sueur refroidie, et ses mèches, rigidifiées, lui encadrent lamentablement le visage. Il faut qu’il rentre au QG, qu’il s’informe sur les morts de la nuit dernière, également. Et qu’il fasse en sorte de garder le moins de séquelles possibles de cet accident. Il observe l’intérieur de ses mains bandées, grimace lorsque les images floues de la nuit viennent se superposer à ce qu’il ne peut plus voir. Salement amochées, il mettra du temps avant de pouvoir s’en servir correctement.

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Il se souvient de cette gamine…
Devenue une femme aujourd’hui. Femme avec laquelle il s’offre quelques heures de repos. Il lutte pour répéter ton identité, ce mot devenu ton prénom comme une plaisanterie de mauvais goût. Tu le laisses faire, tu le laisses complimenter ce surnom. Il se souvient de toi, il se souvient avant de sombrer dans un nouveau compliment. T’es donc devenu un canon ? C’est amusant. Dernier soupire avant le repos. Tu ne peux t’endormir tout de suite, tu ne peux te résoudre à libérer. Perdu tout contre toi, enlacé à même le sol avec l’innocence de deux enfants cachés. Voilà ce que vous êtes à cet instant, espérant que la porte ne s’ouvre pas tout de suite sur la réalité. Un sommeil sans rêve, un sommeil sans mouvement. Ce n’est pas le sommeil profond, à chaque mouvement son coup d’œil et son soupire de soulagement. Il est toujours là, il respire, il vit. Pensée extrême, peut-être un peu inquiète mais pensée sincère… Puis le sommeil s’approfondit et sur le matin, tu ne le sens plus bouger, tu es échouée sur lui ou est-ce l’inverse ? Qu’importe, il est toujours là, tu le sais, tu le sens. Que le soleil ose se cacher derrière rideau, que le jour s’avance ne changera pas l’évidence que tu dors enfin plus paisiblement. Tu t’es faite à l’idée que ses jours n’étaient plus comptés. Tu as fait ton boulot d’infirmière comme il fallait. Alors tu dors, souffle paisible. Visage calme.

Puis tu peux entendre sa voix qui te ramène…
Oui, c’est toi Lucky. Tes doigts se desserrent, tu le libères. Il se redresse avec difficulté, tu ouvres un œil. Sans un mot, juste un regard qui s’assure qu’il est en mesure de se redresser, te convaincre qu’il pourra se mouvoir sans toi. Que lui, dans la mesure du possible, ça va. Tu fronces légèrement les sourcils de le voir si « vite » debout. Vitesse relative à en juger de son état, évidemment. Mais tu ne bouges pas, tu attends. Tu te questionnes, combien il souffre, qu’est-ce-qu’il va faire. Pourquoi avoir dit ton prénom ? T’informer de son départ ? Quelques pas douloureux, tenant les côtes. C’est à t’en fendre le cœur, mais il y a des combats qu’on mène seul. Finalement ce n’est pas la porte mais le lit qu’il visait. Ce n’est pas partir, il te demande même de venir. Alors tu te dresses.... Assise sur le cul, t’as le dos dans un état pitoyable. Tu t’étires, ça craque trop fort pour être ignoré, tu te frottes les cheveux, les poussières coincées dedans te chatouille la gorge, tu te redresses en répondant simplement : « J’arrive, Treize. »

Une fois sur tes deux pieds, tu recommences à le fixer.
Il y a des choses qui ne changeront jamais. Que tu sois cette gamine aux bouteilles d’eau ou cette femme couvert de son sang et de courbatures à l’avoir veillé toute la nuit, tu continueras toujours de le regarder avec tant d’insistance. Ce regard énigmatique et perçant qui dérange tant de monde. Ce regard qui scrute sans pudeur le moindre signe annonciateur d’un possible vertige ou d’une chute. La drogue ne doit plus faire effet c’est certain. La douleur à froid, le sommeil sur le planché usé et les muscles crispés ne doivent vraiment pas le ménager. Quelques côtes brisées, des mains presque stigmatisées. Tu t’avances comme annoncé et tu viens trouver une place à ses côtés. Qu'importe qu'il soit couvert de sang séché et de sueur passée. Tactile comme à ton habitude, tu viens doucement poser ton épaule contre la sienne, poser ta tête proche de la sienne, glisser ta main sur sa cuisse, seule endroit encore épargné pour venir offrir cette caresse jusqu’à son genou, simple prétexte pour venir un peu plus te rapprocher et soupirer cette vérité qui te laisse un sourire à la douceur amère : « Tu m’as fait une de ses peurs hier soir… J’te demande pas comment tu vas, tu m’en veux pas… »

Et ça te fait ricaner en plus, tu fermes les yeux.
Il est toujours là, il est toujours avec toi. C’est déjà ça, ton soupire de soulagement parle pour toi. Puis après quelques secondes de pensées égarées, vestiges de ces étranges retrouvailles, Tu relèves le nez, tu te redresses un peu pour observer son visage, menton posé sur son épaule. Tu peux ainsi laisser tes yeux chercher les siens. Proche, toujours trop proche mais vous n’êtes plus à ça près n’est-ce-pas ? Tu tends ta main libre, celle qui n’est pas occupé à effleurer cette cuisse, pour venir une fois encore dessiner la ligne de sa mâchoire : « J’t’ai pas remercier pour ton compliment, toi aussi t’as toujours été canon. » Un peu de légèreté avant de venir se fracasser devant la réalité, avant de devoir retourner à vos responsabilités et vos vies trop mouvementés, un nouveau soupire avant de lui demander comme un secret : « Alors l’canon dis-moi… On fait quoi ? On va où maintenant ? »

Tu aurais pu lui demander s’il se sent la capacité de rentrer sans aide mais t’as bien remarqué que l’aide et le soutien n’était pas ses alliées. Mais t’as le cœur de partir sans te retourner, t’es pas en mesure de le laisser filer comme ça sans finir de le soutenir. Toujours finir ce qu’on a commencé.  Bien décidée à l’accompagner, t’as besoin de t’assurer qu’il est bien rentré pour pouvoir retourner à la réalité. Toujours là à le fixer, pendus à ses lèvres pour recevoir la moindre réponse, tu aurais quand même savoir s’il va réussir à marcher, s’il a pu se reposer. Tellement de questions pour lesquelles tes yeux cherchent les réponses sur ce visage, qu’importe qu’il soit salé, croûté, fatigué, t’as pas hésité à revenir à ses côtés. C’est comme ça que tu as toujours fonctionné.
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