White Tiger | Pv. Livia Lombardi

_ Hey, Liv’ … T’as demandé après moi, il paraît ? … », résonnait alors la voix mécanique du masque.

Le Mongol n’avait rien mangé, levant même la main au serveur qui s’était approché de lui. Il n’avait pas faim et ne mangeait jamais en public. La pupille bleue du masque n’avait même pas fait attention à ce que l’autre lui présentait. « Je suis uniquement là pour affaires avec la gérante. », avait-il dit quelques instants après être entré. Il avait sorti un device de sa poche, quelques mots écrits dessus suggérant qu’il était bel et bien invité à se présenter au Capriccio, sur demande de la Marraine. Quelques hommes s’étaient levés et, dans un mouvement recherché, ils avaient vaguement montré leur arme. Ils n’étaient pas là pour rire ni manger mais protégeaient évidemment les hauts lieux de la Mafia italienne. Typique. Il n’avait rien dit, attendant d’être conduit vers l’arrière-cuisine, là où les vraies réunions se tenaient.

Quelques heures plus tôt, il s’était réveillé dans ton divan, un canapé qui avait déjà fait ses années. La seringue encore entre ses doigts de la dernière nuit, il avait réussi à dormir. Sans les voir. Eux. Ceux qu’il tuait impunément au nom d’abord des Yakuzas puis de la Triade. Il tuait et personne n’était capable de l’arrêter. Seule la nuit y arrivait. Avec ses démons. Ses cauchemars. Alors, pour mieux dormir, pour s’échapper de ceux qui le hantaient, il avait pris une autre seringue. Une de plus. En échange de quelques thunes. Puis la drogue avait pénétré son sang. Montant doucement à son cœur pour s’enfuir finalement dans l’ensemble de son corps. Il avait réussi à se relaxer. A se détendre. Et il s’était endormi en quelques minutes.

Le réveil n’avait pas été aussi tranquille. Des coups de feu. Des cris. Quelque part, une demoiselle demandait de l’aide, désireuse de tuer celui qui avait brisé sa virginité quelques nuits auparavant. Il n’en avait que faire, grommelant pour lui-même. Il s’était levé avec difficulté, retrouvant lentement l’ensemble de ses sens. D’abord l’audition. Puis l’odorat. Et finalement la vue, ébloui par la lueur terrible qui pénétrait par les fenêtres non-voilées par les rideaux. Trop tard pour se rendormir alors qu’il recevait un message entrant. Une demande privée de la Cheffe de la Mafia. Les Lombardi l’attendaient dans leur restaurant pour 11h. Il lui était demandé de ne pas être en retard auquel cas l’affaire lui passerait sous le nez. Une proposition faite directement au Mongol, ce qui entendait soit un contrat, soit une discussion privée.

Prenant l’une des longues vestes, il avait pris le premier pantalon qu’il trouvait, s’arrachant aux brumes matinales avec peine. Il n’était pas vraiment du matin. Il ne l’avait jamais vraiment été, en fait, même dans ses plus lointains souvenirs. Puis, agrippant l’un des masques, il cachait cette face qu’il détestait tant pour s’en aller vers le Capriccio.

Il connaissait Livia depuis plusieurs années. Sûrement quelques années après son arrivée dans les quartiers de Decay, cette dernière l’avait essentiellement embauchée pour quelques mauvais coups. Quand la Mafia ne souhaitait pas se salir les mains, elle faisait appel à un assassin d’ailleurs. Comme lui. Un mercenaire qui vendait sa lame à qui le payait. Sans aucune véritable loyauté. Sinon à lui-même et son art meurtrier. Tout cela avait toujours été son gagne-pain. Aussi n’était-il pas étonnant qu’elle le contacte à nouveau. Sûrement pour un autre coup dans un quartier qu’elle ne pouvait, ou ne voulait, atteindre.

"Signora Lombardi, vous êtes vraiment sûre ?"

"Sûre de quoi, de vouloir une assiette de tagliatelles allo scoglio ou de vouloir te garder en vie après ta période d'essai ?"

D'un signe de tête, Livia fit repartir en courant le serveur sur le regard contrit de son bras droit. Elle savait très bien où il voulait en venir. Personne n'oserait critiquer ses choix alimentaires. Sa tendance à embaucher de drôles d'oiseaux venus d'autres gangs, en revanche, elle nourrissait bien les discussions ineptes de ses subordonnés. A croire qu'ils n'apprenaient jamais à rester à leur place, le conseiller en première ligne.

"Ce qui est bien avec toi, Maurizio, c'est que tu ne surprendras jamais personne. Quand on te voit, on suppose que tu es un lâche à cause de ton physique. Et puis tu finis par ouvrir la bouche et ça ne fait que confirmer la première impression. C'est pas mal, on sait à quoi s'en tenir. Tu es fiable."

Fière de son skud mais sans le moindre sourire, Livia saisit son verre de vin blanc pour en siroter quelques gorgées avant l'arrivée de son assiette. De son côté, Maurizio devenait grenat, mais ne disait rien. Il savait qu'il ne valait mieux pas se montrer désobligeant envers la boss, les licenciement n'existaient pas chez les Lombardi.

"Puisque je suis d'humeur pédagogue, je vais t'expliquer quelque chose. Les liens, ça s'entretient. Dans la famille, ils sont forts, mais peuvent se défaire en un rien de temps. J'ai parfois besoin de passer par quelqu'un qui n'aura pas les scrupules ou la vulnérabilité de nôtres."

L'explication était un peu cryptique. Elle n'en fit pas grand cas. S'il ne voulait pas comprendre, il ne comprendrait rien. Et puis, son assiette arrivait. D'un signe de main, la Lombardi intima à son conseiller de vaquer à ses occupations qui, dans le cas présent, consistaient de toute évidence à l'observer de loin en silence. "Foutues recommandations de Naples." Si ça n'avait tenu qu'à elle, Maurizio serait pendu à un arbre depuis bien longtemps.

Livia avait à peine attaqué son assiette avec appétit - elle n'avait rien avalé depuis le lever, aux alentours de cinq heures du matin - lorsqu'un commis entra dans la pièce en faisant de grands signes. Cela voulait généralement signifier l'arrivée de quelqu'un pour elle. "Merde, c'est vrai." Quelle idée de manger à onze heures, aussi ? Elle baissa les yeux vers son assiette, sa bouteille et son verre de vin, hésita quelques secondes. Puis, elle prit l'assiette dans une main, la bouteille dans l'autre, et se rendit en salle pour retrouver son invité, lequel était témoin d'une très subtile intimidation de quelques uns de ses gardes.

"C'est bon les gars,il sait à quoi s'en tenir. J'avais besoin de te voir ! Amène toi." D'un geste de la tête, Livia l'invita à la suivre en direction de sa table privée, celle où elle avait menacé Maurizio quelques secondes auparavant. A la vue du mercenaire, il s'était vite échappé par la seconde porte tout en baladant un oeil à travers la vitre légèrement teintée de la porte.

Une fois assise à nouveau à sa table, la marraine se resservit un verre. "Je t'en propose pas, je suppose ?"

Un petit sourire. Elle était fière de sa blague. "Au moins, tu me coûtes pas cher en bouffe." Combien étaient-ils, chez les mercenaires crados, à profiter d'une invitation pour affaires au Capriccio pour s'empiffrer comme des malpropres ? Au moins, ce type entretenait une certaine sobriété, il était comme une machine à priori.

D'un geste vif, elle piqua de sa fourchette dans une crevette qu'elle observa attentivement en reprenant la parole. "Bon. J'ai peut-être du boulot pour toi, mais c'est un peu inédit, je risque d'avoir besoin d'un peu plus que d'habitude." Une demande lourde de sens. "Et par là je ne veux pas dire plus de monde. C'est plutôt côté préliminaire, que j'aurais besoin de plus."

Ce contrat était compliqué. Il pouvait la rendre vulnérable, c'était bien la raison pour laquelle Livia contactait un indépendant dont l'affiliation était toute relative. "J'ai quelqu'un à faire suivre et potentiellement à tuer. Quelqu'un de chez moi. Je sais que ce n'est pas dans tes habitudes de tuer de façon conditionnelle, mais dans ce cas précis, j'ai besoin d'un peu plus de tact que de coutume. Ca te semble abordable ?"

Le Mongol n’avait pas peur des quelques hommes. Ils n’auraient pas tiré. Il l’aurait fait sans le moindre clignement. Il était un tueur entraîné. Habitué. Il n’avait pas la pitié ou la décence de réfléchir. S’il devait tuer pour survivre, il tuerait. S’il le devait même pour vivre et acquérir quelques thunes, il l’aurait tout autant fait. Sa vie importait, celles des autres beaucoup moins. Aussi, alors qu’il passait dans la pièce du fond, où elle prenait chaque invité de façon privée, il laissait tomber quelques premiers mots. « Tu sais que je peux m’occuper de tes hommes. Leur holster est trop haut et j’en aurai déjà abattu deux avant que le troisième n’ait le temps de sortir son arme. » Il haussait les épaules. Peut-être devait-elle revoir aussi le comportement de ses caïds. Ces Italiens savaient faire des affaires. Pour le reste, le Mongol n’était pas impressionné.

Il avait levé un sourcil sous son masque alors qu’elle faisait une blague. Elle avait demandé si elle lui proposait quoi que ce soit. Il ne buvait ni ne mangeait en public. Il ne le faisait avec personne et ce, même après autant d’années. Elle avait déjà essayé par le passé. Dorénavant, c’était devenu comme un jeu pour elle. Lui faire remarquer qu’il portait un masque. Désactivant néanmoins la voix synthétique du masque, il parlait de son mauvais anglais, où son accent mongol ressortait alors énormément. « C’est toujours inédit avec toi, Liv’. » Il haussait les épaules alors que ses yeux observaient partout autour de lui. Un tour sur lui-même alors qu’il s’approchait de la table. Ils n’étaient qu’eux et, à priori, il n’y avait là aucune caméra. La méfiance légendaire de la Marraine. Aussi, appuyant encore une fois sur son masque, il désactivait les caméras des pupilles.

_ Etonnant. Tu m’engages pour abattre l’un des tiens, cette fois-ci ? » Un court silence alors que son esprit en déduisait déjà beaucoup des quelques paroles données. « J’imagine que tu le suspectes de bosser à ta Chute, voire même de travailler avec un autre groupe pour te faire tomber, tu veux que je ramène des preuves et que, ensuite, tu prennes ta décision sur sa mise à mort. Est-ce que je me trompe quelque part jusque-là ? »

Il était encore debout, ses deux mains posées sur la chaise, le corps légèrement en avant. Il lève finalement un doigt, posant déjà ses conditions sur le contrat qu’il allait décrocher, il le savait. « Première condition, Liv’, tu ne mets aucun autre contractuel sur cette mission. Si je repère qui que ce soit suivant ton homme, je les abats et tu porteras le chapeau. Je suis seul sur ce contrat. Et n'essaie même pas de me rouler. »

Puis levant un deuxième doigt, il continuait sur sa lancée. Car la négociation ne faisait que commencer. « A combien s’élève ta prime pour ce coup ? »

Le mercenaire était consciencieux, cela arracha un petit sourire amusé à la Marraine. Il avait raison de vérifier qu'il ne se jetait pas dans la gueule du loup, c'était bien son genre de piéger quelques pourris en leur faisant miroiter des contrats juteux ou des promotions. Les faire danser sur les pattes arrière pour les descendre une fois qu'ils tombent sur le dos. Mais dans le cas de ce type, elle n'avait encore jamais eu à se plaindre. C'est pourquoi elle abordait la discussion en toute décontraction, sous le regard excité de Maurizio de l'autre côté de la porte. Le pauvre idiot n'entendait rien et le masque du mercenaire l'empêchait de se faire une idée du tournant de la discussion, de même que son contenu.

"Ma Chute, oui, en quelques sortes." Elle fronça les sourcils. Elle avait trop longtemps pris la cible pour un abruti qui versait trop naturellement dans l'insubordination. Trop impatient - pire qu'elle. Livia s'était simplement convaincue qu'il finirait trucidé par un autre gang à force de tenter de négocier dans son dos. Mais il était moins idiot qu'il n'en avait l'air, ou alors les autres s'amusaient avec lui. Ou pire.

"A ce stade, il serait compliqué de procéder comme ça. Pour cette fois, j'ai besoin de ton jugement. C'est toi qui prendras la décision." Un ordre surprenant de la part de Livia "Control Freak" Lombardi, mais les circonstances l'imposaient.

"Et tu comprendras que ta condition m'est de toute façon indispensable. Je ne veux éveiller aucun soupçon chez lui, et lui coller plusieurs mercenaires aux miches serait franchement idiot de ma part." Toujours le sourire aux lèvres, elle leva la fourchette pour enfourner une bonne dose de pâtes dans sa bouche. Elle mâcha lentement, sans détourner le regard, alors que la question de la prime flottait dans les airs. D'un air détaché, elle arrosa le tout d'un peu de vin blanc avant de s'essuyer la bouche en tapotant de sa serviette beige.

"Un million." Un prix inhabituel pour une simple cible. Elle ne cherchait pas à négocier à la baisse, et elle avait ses raisons. "Le problème, vois-tu, c'est qu'il te faudra le suivre de l'autre côté." Neo-Atlantis. Une zone difficile à atteindre, même pour elle. Son territoire était bien celui du checkpoint et ses accords avec les gens "de la haute" lui garantissaient certains accès mais dans ce cas précis, elle ne pouvait pas intervenir. D'où la prime élevée. "Je ne pourrai pas te faire passer moi-même, c'est trop risqué. J'ai confiance en tes talents, mais si tu te retrouves avec toute la milice sur le râble, je donne pas cher de ta peau, tu comprends ?"

Les avantages et inconvénients de fricoter avec Neo-Atlantis : c'est juteux, mais peut exploser au visage à tout moment. "Et justement, comme il serait difficile d'envisager d'entrer à Neo et en ressortir comme dans un moulin, j'aurai besoin que tu juges de ce que tu vois avant, et prennes la décision une fois là-bas. S'il meurt de l'autre côté, les soupçons pèseront bien moins." Quand bien même elle l'explicitait, Livia se doutait qu'il avait compris ce qu'elle tentait de faire. Il avait de la bouteille, depuis le temps, et l'avait assez fréquentée pour se faire une vague idée de sa façon de fonctionner.

Il fronçait les sourcils sous son masque alors que les pièces du puzzle s’imbriquaient lentement mais sûrement. Soudainement, il comprenait les raisons du message. Oui, le contrat était juteux. Mais il était surtout dangereux. Heureusement ne pouvait-elle pas observer la respiration serrée du Mongol qui se rendait compte de la difficulté de la tâche. Même pour un million, la mission lui semblait périlleuse. Calculant silencieusement ses chances, il tentait d’analyser le contrat sous chaque angle. Il avala sa salive, incertain de la décision qu’il devrait prendre. Devait-il peut-être refuser ce contrat, pour la première fois ? Son poing s’était serré sur la vieille chaise en bois.

_ J’aurai besoin de plus d’informations. » Il acceptait.

Bel et bien debout, dominant la position de la jeune femme, il se dressait finalement. Se détournant même, il observait l’Homme de Main qui se trouvait juste derrière la porte, observant la scène sans rien comprendre. Sûrement s’imaginait-il des scénarios en tout genre. « Aucun de tes chiens ne me suivra. Je ne peux pas risquer de me faire repérer parce que tes imbéciles marchent comme si tout leur appartenait. » Il le disait pour elle. Mais aussi pour l’homme qui n’entendait rien. Il connaissait trop bien la jeune femme. Elle avait besoin de contrôler. Et si elle ne mettait pas plusieurs assassins sur le contrat, il n’empêchait pas qu’elle serait désireuse d’observer le seul qu’elle mettait.

Il se tournait à nouveau vers elle, les pupilles se posant sur elle tandis qu’il devait savoir dans quelle entreprise il se lançait. « Qui est-il ? Et comment se fait-il qu’il se trouve à Neo ? » Et comme une pique à la jeune femme, il lâchait encore. « Tu as perdu ta lucidité au point de laisser un de tes hommes fricoter avec la Milice et les Politiques ? » Il savait que cela n’allait sûrement pas aider à la négociation mais il ne gardait jamais sa langue dans sa poche, surtout en présence de la Marraine. Surtout qu’il détestait déjà ce contrat. Beaucoup trop dangereux. Tellement risqué.

_ Ce sera deux pour un tel contrat, Liv’. Et encore, je te fais un traitement de faveur comme je suis là. » Deux millions, il savait que ce n’était rien. Il savait que ce n’était même pas suffisant pour couvrir tous les frais. Car il devrait payer son passeur. S’en sortir dans Neo-Atlantis par lui-même, voire même crécher sur place plusieurs nuits. Sans compter les frais médicaux s’il était blessé durant la mission. Il y avait les frais pour, ou non, faire disparaître les corps. Et disparaître lui-même après cela. Des caméras de Neo-Atlantis. Se faire oublier. Deux millions couvriraient uniquement les frais. Un vrai traitement de faveur. « D’autant que tu te fais vraiment vieille. Tu me laisses la décision finale. » Puis reprenant en se tournant vers Maurizio.

_ Et à quel moment dois-je en juger que j’en ai assez sur ton homme ? Parce que de ce que j’entends. J’entre. Je tue. Et je sors. Qu’as-tu besoin ? Quelle preuve veux-tu que j'ai exécuté le travail ? »

Si le mercenaire portait un masque qui dissimulait ses réactions, Livia, elle, avait appris à maîtriser son propre visage. Des années à gérer un groupe de vieux cons rétrogrades encore endoctrinés par les méthodes du paternel et à se faire sa place sur le territoire le plus dense et actif qui soit.

"Comme je le disais, tu seras seul. Je ne peux pas me permettre de donner le moindre indice de ce qui se passe." Il était vraiment très méfiant. Compréhensible, mais Livia faisait déjà beaucoup de concessions pour régler cette histoire au mieux. Contrairement à ce que Maurizio semblait croire, ça ne lui faisait pas plaisir de remettre sa position entre les mains d'un mercenaire dont la loyauté pourrait se montrer très fluctuante.

" Il n'est pas encore là-bas. Mais si j'en crois mes observations - et tu sais bien qu'elles sont toujours justes, hein ? - il s'apprête à s'y rendre, après un passage chez tes copains des Docks." Il n'était pas bête, essayer de nullifier les accords avec la Triade et les instances de Neo-Atlantis. Sans tout cela, le pouvoir de Livia en prendrait un sacré coup. "Il y sera dans une semaine et demi, pour rencontrer quelqu'un. Si ce que tu vois jusque là te confirme mes craintes, tu t'en occupes directement." C'était là tout ce qu'elle lui demandait. La seule et unique fois où son jugement entrerait en ligne de compte. Pour le reste, ça ne regardait qu'elle.

" C'est justement parce que je suis lucide que je sais avec qui je dois fricoter, te soucies pas de ça. " L'audace dont elle avait toujours fait preuve, à passer des accords avec Ces Gens faisait d'elle la Marraine qu'elle était. Tout mercenaire talentueux qu'il était, il ne pouvait pas comprendre de quoi il était question. Mais parce qu'elle avait besoin de lui et était encore en négociations, Livia se garda bien de lui faire des reproches. Il n'en ferait rien de toute façon. Les mercenaires, ça ne s'éduque pas, ça s'utilise.

"Tu es bien gourmand. Moi qui pensais que tu serais intéressé par un petit défi. Ce serait assez inédit, non ?" La Lombardi s'en doutait un peu, pour le commun des mortels, passer le checkpoint sans contacts ni fournisseurs était bien plus compliqué et onéreux. Elle était bien placée pour le savoir, elle-même était responsable de la montée des prix, en vertu de la disposition de son territoire là dedans, et de son quasi-monopole en la matière.

Une longue pause s'installa avant qu'elle finisse par céder. Quelque part, ça faisait sens. Mais ça ne coûtait pas plus cher de tenter. "Deux millions, très bien." Une nouvelle lampée de vin, avant de se resservir un verre. Ce blanc sec était vraiment délicieux. "C'est simple, il n'a été chargé de rien venant de moi. Si tu le vois négocier quoi que ce soit d'autre qu'un whisky ou le prix d'une pute avec la Triade ou son contact à Neo, c'est que tu as le feu vert."

Au fond, le comportement de la cible était compréhensible : ses actions l'avaient fait mettre au placard. Forcément qu'il essayait d'en sortir par le haut. Seulement, il était encore plus simple pour Livia de constater ses insubordinations, de loin. Qu'importent les motivations de ses initiatives, elle n'avaient pas lieu d'être. "C'est là que j'ai besoin de ton talent : tu ne dois surtout pas te débarasser du corps. J'ai besoin qu'il soit trouvé mort, à Neo-Atlantis. Et que personne ne sache que c'est toi, ni ne remonte à moi." Elle avait bien conscience de ce qu'elle demandait, et du risque qu'il encourait à ne pas se débarasser du corps, surtout sur le territoire de Neo-Atlantis. "C'est pourquoi je suis prête à payer la totalité en avance, pour la logistique, bien sûr. Et un bonus à la fin si j'obtiens satisfaction."

Il grommelait dans son masque. Il détestait l’absence d’informations qu’elle lui donnait. Et, il le savait mieux que personne, sur ce coup, elle avait bel et bien déconné. Et c’était donc à lui qu’était incombé la fabuleuse mission de conserver le statu quo. Su-per. Il se faisait déjà une joie de devoir suivre un homme durant une semaine et demie, puis de l’abattre au milieu de Neo-Atlantis, sans laisser une preuve de son propre passage. Le tout, évidemment, en essayant de survivre en option. Et elle appelait cela un petit défi. Elle avait quand même le don de le mettre quasiment hors de lui, heureusement était-il capable de garder son calme en toute circonstance, surtout en présence d’une des Big Boss.


_ Tu saoules, Liv’. », lâchait-il finalement. Elle le savait. Il le savait. « C’est plus un petit défi que tu me proposes là … » Il soupirait alors qu’il réactivait la voix synthétique dissimulant au mieux son propre accent. Il le faisait surtout lorsqu’il tendait à perdre un peu de son calme. « Tu te rends seulement compte de ce que tu me demandes ? Et pour deux millions seulement … »

Son poing se serrait et il était peut-être à un rien de vouloir jeter une chaise, agacé par le calme dont elle faisait preuve. Evidemment. Elle ne risquait rien, là, son cul assis sur une chaise, son vin blanc. Sa vie n’en dépendait même pas car, au pire, elle serait reléguée au titre de catin pour un nouveau puissant. S’il échouait, il crevait sans que personne ne sache comment. Superbe aventure.

_ Je dois suivre ton homme pendant une semaine. Puis traverser pour aller du côté de Neo, sans me faire repérer. Puis je dois réussir à l’abattre et tu veux que je laisse le corps à la vue de tout le monde, sans que personne ne sache que je suis connecté ou que tu l’es. Et je reviens seulement ici, en espérant que personne n’est au courant. » Un suicide. Une mort même pas glorieuse au fond des caniveaux de cette Cité puante. Il levait finalement la tête, réalisant le véritable défi de ce contrat. Forcément qu’elle l’avait choisie. Il était sûrement le meilleur pour ce job. Devenir un fantôme. Devenir Personne.

Il poussait un soupir sous son masque, sans que celui-ci ne soit entendu ni traduit par la voix synthétique. Légèrement débité, il reprit. « Les dommages collatéraux, quelle est ta marge ? » Autrement dit, s’il tuait qui que ce soit en contact avec l’homme, était-ce gênant ? La Milice ? Ou même le Contact ? Seraient-ils de véritables pertes ?

"Je me rends très bien compte de ce que je demande, et je me rends compte aussi d'à qui je le demande." Un peu de pommade pour faire passer la brûlure des conditions du contrat. "Et n'oublies pas le petit bonus." Évidemment que c'était compliqué. C'était la politique de gestion d'une organisation comme la Famille Lombardi avec tous les handicaps qu'elle avait. Une femme, à la tête de la famille Lombardi ? Relativement jeune, qui plus est, et fille du Don de Naples ? Népotisme et foutage de gueule, rien de plus.

Mais elle ne perdait pas son calme. Elle sirota encore du vin en l'écoutant récapituler ce qu'elle venait de lui expliquer. On ne pouvait pas lui enlever qu'il était consciencieux. En plus d'être efficace. "Tu n'auras rien à espérer, si tu ne parles pas - et je doute vraiment que tu le ferais - personne ne saura rien. A vrai dire, de ce côté du checkpoint, tu ne risques vraiment rien, précautionneux comme tu es." Elle jeta un regard en direction de la porte d'où Maurizio observait la discussion silencieusement. " Personne d'autre que moi ne saura ce qu'il en est de cette affaire. Le danger n'est vraiment qu'à Neo." Toute proportion gardée, étaient-ils vraiment si méfiants, à se rouler dans le luxe sans penser au lendemain ? Livia ne s'y était pas rendue depuis une dizaine d'années, mais si ça n'avait pas changé, tout le zèle de la milice ne suffisait pas à en faire un coupe gorges comparable à Decay.

" Tu as carte blanche." Après tout, ceux qui négocient avec la Cible sont des traitres en puissance. Si sa magnanimité la poussait à leur laisser le bénéfice du doute - après tout, en l'absence d'un véritable concurrent à la Marraine, elle n'avait rien à craindre de leur part - elle n'aurait pas de scrupules à s'estimer responsable de leur mort. Elle n'aurait pas leurs âmes sur la conscience si d'aventure ils venaient à tomber sous la lame du mercenaire.

Silencieusement, elle reprit quelques pâtes qu'elle dégusta avec plaisir. Livia n'avait décidément aucun problème à imposer ses repas à des invités qui ne pouvaient pas en profiter, lui comme d'autres. "Je me fiche de qui tu dois tuer en chemin, tant que tu n'es pas retrouvé et mon nom n'est pas prononcé."

Livia se permit un petit sourire. Il fallait dédramatiser tout ça, le mercenaire était bien trop sérieux. "Je sais que ce n'est pas dans tes habitudes d'envisager les choses autrement que par ta seule organisation personnelle, mais j'ai tout prévu de mon côté. Hormis mon … cahier des charges un peu inédit, tu ne dois te soucier que de ta propre sécurité. Elle sera la mienne également. Ca me semble pas déconnant."

_ Faut-il encore que je survive à ton contrat pour bénéficier du bonus. », lâchait-il, grincheux qu’il devenait au fil des minutes. Il évaluait silencieusement la situation. Cela restait jouable, surtout si les dommages collatéraux étaient autorisés. Il pouvait tuer des Miliciens protégeant la Cible et son Contact. Ils pouvaient même tuer les deux dans le pire des cas si le premier ne voulait pas rester seul. Sûrement l’usage d’une lame serait plus sanglant et agonisant pour l’individu mais y aller sans son arme à feu le mettait en danger lors de contacts à distance. Elle faisait trop de bruits. Coupant le modificateur de voix, il laissa tomber de son mauvais accent. « Tu m’en devras une. Et une belle. Je te sauve la peau pour cette fois. » Court silence. « Et ni toi ni tes hommes n’aurez à vous salir les mains. » Une promesse qu’il lui faisait. Mais sur ce coup, un voyage à Neo ne lui plaisait définitivement pas. Surtout pour abattre une cible.

Il jetait un nouveau coup d’œil à cette dernière, la laissant manger tranquillement. Cela ne lui donnait même pas faim. Il avait l’habitude, dans le fond. A force, il avait appris à accepter ce fait. Il avait même commencé à détester voir les gens manger mais n’en disait rien. Elle faisait ce qu’elle voulait, dégustant son repas pendant qu’elle essayait de le convaincre de la facilité du contrat. Il ne se laisserait pas berner comme par le passé. La fois passée aussi était trop facile. Inédit mais facile, selon les termes utilisés à l’époque. Puis il avait dû appeler « Doc » pour panser deux perforations par balles et une entaille sévère dans le flanc.

Pour baratiner, elle était douée. Une Italienne dans le sang. Jusque dans ses belles paroles.

Il s’approchait de la petite fenêtre de la porte, se mettant face à Maurizio. Le regardant droit dans les yeux, il reprit la parole à l’adresse de la Marraine. « Tu vas me laisser vraiment croire que même ‘Zio ne sera pas au courant du contenu de notre entretien ? Il veille comme un Cerbère aux portes des Enfers et tu me crois assez idiot pour me dire qu’il ne sera pas au courant de notre affaire ? »

Au fond, il souriait. Il s’amusait avec ces Italiens. Tout était négociations et mensonges mais il profitait finalement encore assez bien de la discussion avec la Marraine. Elle restait une fine joueuse qu’il savait apprécier par moments. Seulement par moments, évidemment.

_ Pas déconnant, c’est encore à voir. On va dire que je ne suis pas encore mort bien que je pense qu’au vu de son regard, ‘Zio m’a déjà tué quatre fois dans son esprit. » Se tournant finalement vers elle, il reprit encore. « Compte que ton homme est mort dans une semaine et trois jours, à Neo-Atlantis. » Hochant de la tête, il continuait. « Une fois l’argent en avance est versé sur mon compte, je commence la filature. » Elle connaissait son numéro de compte en banque. Elle connaissait aussi le numéro de son device.

Inutile de revenir sur de tels sujets alors qu’il approchait définitivement près d’elle, s’asseyant même sans son autorisation. « Sinon, ça va depuis la dernière fois ? Cela fait quoi, six mois ? Que tu n’as pas demandé mes services. J’allais définitivement croire que tu m’avais trouvé un remplaçant. »

Toutes les inquiétudes du mercenaire n'étaient pas de bon ton. Livia avait bien conscience de la difficulté du contrat qu'elle lui imposait presque au nom de leur longue collaboration. Mais c'était bien parce qu'il était toujours si sur de lui, si sérieux et prêt à tout qu'elle l'avait contacté, lui. Elle aurait pu embaucher un bon mercenaire qu'elle ne connaissait pas, et s'il se faisait attraper, la piste ne remonterait jamais si facilement jusqu'à elle. Mais non, elle l'avait choisi lui. Pour la garantie qu'il ferait les choses bien, et malgré cet inconvénient majeur qu'ils n'en étaient pas à leur premier rodéo. "Je sais très bien tout ça. Et tu auras une récompense à la hauteur du danger quand tout sera réglé de ton côté comme du mien." Scrutée comme elle l'était actuellement, tout pouvait être un indice et faire foirer le plan. Il fallait y aller minutieusement.

" J'ai bien dit ce que j'ai dit. Tu n'auras pas à te soucier de lui." Un bref regard en direction de la porte, regard qui croisa celui de son conseiller, lequel s'éclipsa, honteux. Il devait savoir, elle en était sûre. Il se doutait de ce qui était en train de se passer. S'il n'avait rien compris - et sa présence laissait à penser que c'était le cas - il était encore plus idiot qu'elle ne le pensait. "Tu vas pas me dire que tu le crains ?"

Le sourire aux lèvres, elle accueillait la validation du contrat avec un soulagement qu'elle se gardait bien d'exprimer, préférant la politesse un peu théâtrale qui la caractérisait. "Tu m'en vois ravie !" Une nouvelle gorgée de vin, pour finir le verre, avant de se resservir. Bon sang, cette cuvée était vraiment réussie.

"Tu te doutes bien que je dois faire travailler mes gars de temps en temps, sinon ils se tapent dessus entre eux. Et puis, ça fait passer un message, toi t'es trop discret. Trop … nobody." C'était appréciable d'avoir un mercenaire indépendant mais fiable. Mais comme tous les mercenaires, ils vont là où se trouve l'argent. Sa chance résidait dans ses larges réserves de liquidités. Livia préférait ne pas envisager le jour où quelqu'un paierait ce mercenaire là plus qu'elle ne pouvait se le permettre. "Après, tu sais que ma maison t'est ouverte quand tu voudras. Je te garantis pas une intégration facile, tout le monde n'est pas branché carnaval de Venise, mais je suis sûre que tu saurais gagner leur respect." Elle lui décocha le sourire le plus commercial qu'elle avait en stock, sachant fort bien qu'il refuserait, comme à chaque fois. Lui proposer de rejoindre la famille Lombardi tenait plus de la politesse conventionnelle que d'une véritable demande.

Livia soupira avec agacement. Son regard était retourné vers la porte où elle voyait la silhouette de Maurizio, revenue la hanter. Fouillant dans sa botte, elle en sortit un revolver qu'elle posa sur la table, comme un rappel pour plus tard. "Et toi alors, beaucoup de boulot ? J'imagine que tu peux pas me dire pour qui t'as bossé, c'est les secrets d'artiste ? Tu sais, c'est vraiment dommage que tu ne boives pas."