Road to the Throne. | ft. Livia « Liv' » Lombardi

Il ne peut s’empêcher de sourire sous son masque. Evidemment qu’elle allait lui proposer à boire ou à manger au départ du médecin. Alors, il poussait un soupir tandis que ses muscles tentaient encore de se détendre. Epuisé qu’il était, depuis longtemps ses yeux s’étaient clos. Il respirait. Il avait survécu. C’était bien là tout ce qui comptait à cet instant. Une autre inspiration qui soulevait son torse nu et il réfléchissait dans le même temps. Sa tête tournait tellement qu’il était toujours sur le point de remettre de cette bile qui noircissait son estomac. Il n’avait plus rien sur le ventre depuis trop longtemps et l’exercice engendré par la course folle ne l’avait pas aidé. Son corps réclamait.

Alors, finalement, il hochait de la tête. « Ouais, … », lâchait-il simplement en reprenant déjà. « … Un peu d’eau ne serait pas de trop, je pense. Et du riz devrait pouvoir passer. » Pas de trop, inutile de surnourrir son corps. Il réclamait, c’est certain, mais s’il en faisait trop, il risquait surtout de ne pas pouvoir se reposer correctement. Puis il soufflait. Il se fichait bien de son masque en cet instant. Il avait juste besoin d’oublier cette terrible et mauvaise semaine. Une inspiration. Tandis qu’il se redressait un peu pour se tasser mieux dans le divan, il reprenait encore.

_ Je ne fais pas partie de ta famille, Liv’. Ne mets pas les tiens en danger dans un combat qui n’est pas le leur. » Puis il soupirait alors qu’il tentait encore de rassembler toutes les informations de son esprit pour les donner de façon le plus structurée possible. Il était d’étaler le reste du rapport à l’abri des oreilles. Baissant la tête pour découvrir son propre corps meurtri, il soufflait. Très mauvaise journée. Ce n’était plus arrivé depuis bien longtemps d’être en si mauvais état. Une longue inspiration. Puis il soupirait. « Ton homme n’était jamais vraiment seul, en fait. Il était toujours entouré de trois ou quatre hommes de ta Mafia. L’un d’eux était encore tout jeune. A peine la majorité. Il s’appelait Ezio. C’est lui que j’ai interrogé le premier sur les activités de son nouveau Maître. Il n’a pas été très bavard. Je ne crois même pas qu’il ait été réellement au courant de ce qui se passait, se pensant à ton service jusqu’au bout. » Ses épaules se soulevèrent. « Je ne pense pas que vous le retrouverez un jour … » Une façon diplomatique de dire qu’il l’avait achevé.

Dans une benne à ordures de Napoli se trouvait encore le corps, défiguré et torturé, d’un jeune garçon qui serait à tout jamais oublié. Ezio était l’une de ces victimes collatérales et innocentes des crimes d’un autre. « Il a rencontré plusieurs fois le Dragon du Nord. L’un voulait le contrôle entier sur les Docks et l’autre sur Napoli. Ensemble, leur idée était de prendre en tenaille les Yakuzas, les étrangler et les étouffer pour prendre une partie de leur territoire. » Il s’arrêtait brièvement. « De ce que j’ai observé, aucun Yakuza ne faisait partie de ces réunions. Ils désiraient juste s’approprier leur territoire. »

_ Mais tu ne trouveras rien sur son laptop. Il en a utilisé un autre pour leurs échanges digitaux. Il te faudra mettre la main dessus si tu souhaites tes preuves. », disait-il finalement alors qu’elle le coupait brièvement en se levant.

Livia ne devrait pas être surprise de voir le mercenaire accepter quelque chose d'aussi simple que de l'eau et de la nourriture. Pourtant, malgré tout, elle s'attendait à un énième refus. Lorsqu'il accepte, elle ne peut s'empêcher de retenir sa respiration, brièvement. C'est une occasion de le voir un peu plus comme un humain, un peu moins comme une machine à tuer. Soucieuse de ne pas le laisser seul - des fois que sa surveillance intimide son corps pour le forcer à tenir le coup, aussi absurde que ça puisse paraître - Livia choisit de contacter les cuisiniers via message, pour demander une assiette de riz. Blanc. Tout juste assaisonné pour être mangeable. De quoi faire jaser dans les cuisines sur son propre état de santé et implanter des visions d'horreur dans leurs esprit mais soit.

Derrière elle, dans le placard, trois grandes bouteilles en verre remplies d'eau. Température ambiante, de quoi boire plus vite, mieux s'hydrater. Tout en tendant l'oreille, la Donna sert un grand verre mais n'omet pas de prendre la bouteille également, qu'elle pose sur la table basse. Elle tend l'eau au mercenaire de la Triade sans perdre son sérieux. "On dirait bien que je perds autant que je gagne en t'employant. C'est fâcheux." Fâcheux, mais nécessaire dans ce cas précis. Pour autant, quand bien même elle est à cheval sur la loyauté et les faits d'armes, Livia ne peut s'empêcher de grimacer à l'idée de la mort d'un de ses petits complètement inconscient du pourquoi de sa sentence.

Peut-être aurait-elle pu l'épargner, si la décision lui était revenue. Elle a bien envie de lui reprocher ce choix. Mais Livia n'y était pas. Et de par le chemin qui l'a menée jusque là, elle est bien mal placée pour parler de vies gâchées et meurtres inutiles et injustes. Decay baigne dans l'injustice, Neo-Atlantis aussi. Parfois, il faut ce qu'il faut.

" Ce combat c'est le mien, et par extension, c'est le leur aussi." Souffle-t-elle en se mordant l'intérieur de la joue, nerveuse. "Je sais bien que la Triade n'a pas ce genre de fonctionnement et que vous faites bande à part quand ça vous arrange mais, chez moi, mes intérêts sont les leurs, et inversement." Pour le meilleur comme pour le pire et surtout, sans qu'ils aient leur mot à dire. Dix ans à gouverner ainsi en vertu de l'état de Napoli à l'époque où Livia en a pris la tête.

"Malheureusement, tout ça arrive à un bien mauvais moment." Et en parlant de mauvais moment, l'assiette de riz arrive. Une chance qu'ils en servent, au restaurant, et qu'il suffise d'en réchauffer. Serveuse de l'heure, Livia récupère l'assiette tendue par le commis à la porte de son bureau et referme à clé immédiatement avant de la déposer sur la table à son tour. " J'ai bon espoir quand même que ton petit coup d'éclat mette du plomb dans la tête de certains, en particulier de ceux qui comptaient valser avec la Milice. Avec ce qui semble se profiler, ils y perdront des plumes, de toute façon." Encore une fois, la Marraine est bien placée pour en parler. Ce genre de relation est un combat de tous les instants, combat dont elle regrette les retombées sur son emploi du temps. "Je suppose que j'aurai des choses à discuter avec tes patrons. Enfin, les autres. Ceux qui ont de la jugeote." Négocier à nouveau avec la Triade n'est jamais une bonne nouvelle. Livia n'apprécie pas d'être en position de faiblesse et force est de constater que ceux qui possèdent les Docks ont naturellement l'ascendant sur les autres groupes, y compris celui qui tient la communication et le transfert vers Neo-Atlantis. Et qui valse avec la Milice depuis dix ans.

Toujours debout, Livia se retourne pour lui laisser un peu d'intimité - quelque chose qu'elle ne s'attendait pas à faire pour quelqu'un qui s'apprête à simplement manger. "Je tâcherai de me débrouiller pour les autres échanges. Mais m'est avis que si mon traître à moi masquait mal ses intentions, la Tête du Nord a probablement laissé quelques traces derrière lui que les deux autres pourraient retrouver. Ils ont sans doute quelques soupçons." Si tant est qu'ils soient aussi paranoïaques et maniaques du contrôle que Livia, ce qui, selon elle, est indispensable pour endosser ce genre de rôles.

Il poussait un soupir alors que l’assiette se posait finalement sur la table, accompagnée d’un verre d’eau qu’il ne touchait pas dans un premier temps. Pas tant qu’elle pouvait encore voir son visage. Il ne comptait pas commencer maintenant. Pas après toutes ces années de partenariat où les jeux avaient été omniprésents. Moins elle en savait sur lui, mieux il la protégerait de ses propres ennemis. Moins elle le connaissait, moins il la mettrait en danger. Avec appréhension, alors qu’elle s’était finalement détournée, il avait tenté de s’étendre brièvement, gémissant sous la douleur de l’ensemble de son corps. Prendre même un verre d’eau était horrible pour tout son mental qui tentait de survivre comme il le pouvait. Un soupir. Il était dans un pire état qu’il voulait se l’admettre.

S’abreuvant pour la première fois depuis trop longtemps, et malgré l’arrêt obligatoire qu’il s’était imposé dans les égouts pour boire, il goûtait finalement au plaisir d’une eau saine. Puis il avait repris la parole. Sans même le filtre d’un masque tandis qu’il scrutait attentivement qu’elle ne se tourne pas. Prenant le bol de riz entre ses doigts droits, il était bien difficile pour lui de tenir correctement le couvert de sa main gauche. Une grimace de frustration. D’agacement. Pour la première fois, il était un incapable.

_ Ton combat est politique, Liv’. Tu dois protéger les tiens contre ceux qui se dressent à toi. Comme le Dragon du Nord et les Miliciens. Mais je ne fais partie de ce combat. », avait-il alors dit tandis que le couvert tombait finalement à terre sous son impuissance. Impossible même de le reprendre. Se coucher lui demandait bien trop d’efforts. Plus que son mental pouvait le supporter. Grimaçant, il continuait de lui parler, tentant de s’étendre comme il pouvait sans qu’elle ne s’aperçoive de sa galère. Alors, colère mêlée de son incapacité mais aussi de son épuisement, il reprit d’une façon un peu plus cassante qu’il ne l’aurait voulu. Ce pourquoi il détestait parler sans son masque qui modulait de façon monotone chacune de ses paroles.

_ Tout ceci était une mission. Je n’étais qu’une mission ! Alors, ne commence pas à faire dans le sentimental à tenter de me protéger, Liv’. Je veux que tu survives mais dans ton échiquier, je suis seulement un soldat. Occupe toi de te protéger. De protéger les tiens. Je m’occuperai bien de moi pour le reste ! » Puis il jetait le plat de riz sur la table basse. Agacé d’être incapable de reprendre un bête couvert tombé à terre. Se couchant à nouveau avec toutes les douleurs qui parcouraient son corps, il n’avait même pas remis son masque tant l’ensemble de son corps le rendait fou.

Entendre sa voix, sa vraie voix, a ce quelque chose de perturbant que ça le rend humain. Peut-être plus encore que de le voir se faire désinfecter, soigner, recoudre, panser. Elle l'entend grogner, entre deux phrases, des bruits, quelque chose qui tombe, mais n'ose pas tout de suite se retourner. Et puis, son esprit est au problème posé. Cette histoire de trahison. Et de tête de dragon. Et aucun moyen, pour cette fois, de s'exposer en envoyant ses hommes. Impossible et hors de question.

Toujours dos à lui, elle reprend. "Si c'est vraiment le sentimental qui t'emmerde, ta mort serait tout sauf stratégique. T'as peut-être l'habitude que tes chefs t'envoient au saloir en en ayant rien à foutre parce qu'ils ont de la chair à canon à n'en plus finir. Je vois bien le genre. Mais chez moi on récompense le sacrifice par une certaine forme de loyauté, c'est comme ça. Et je crois vraiment qu'au bout du compte, j'y gagnerai bien plus qu'eux sur la durée." En temps normal, elle aurait mis en évidence qu'elle aurait bien moins à surveiller son dos, et les couteaux qui s'y planteraient en obtenant la loyauté des siens comme de son entourage, mais le timing est bien mal choisi, alors qu'il revient complètement déchiqueté d'une expédition punitive contre les traîtres qui se faufilent dans ses rangs.

Excédée par la frustration mêlée de culpabilité sur laquelle il appuie de sa voix trop teintée par l'humanité, Livia finit par se retourner pour le retrouver allongé, le couvert par terre, le plat jeté à la volée sur la table basse. Instinctivement, elle évite son visage, quand bien même elle ne peut l'ignorer. Elle n'a pas envie de l'analyser, de comprendre ce qu'il y a sous le masque. Malgré la curiosité amusée dont elle peut faire preuve habituellement, au fond, sans doute n'a-t-elle pas envie de découvrir l'humain en dessous et, de fait, lui apposer toutes les atrocités commises. Comme s'il faisait un meilleur humain en semblant robotique et dénué d'émotions ou de faiblesses. Une personne qu'il fait bon fréquenter sans culpabiliser de la portée de ses mots ou de ses actes. Quelqu'un qui parle par l'action et ne répond qu'à l'argent. Les yeux de la Donna se posent sur les mains décharnées du mercenaire. "T'es pas obligé d'utiliser une fourchette, hein. Je crois qu'on a dépassé ce stade. Mange comme tu peux, mais manges."

Livia n'est pas femme à jouer les infirmières, ou à torcher le cul des vieux incontinents. Pourtant, elle se sent pour une fois le devoir de proposer son aide. Sans doute qu'il la refusera, elle compte même un peu dessus. "Je me doute un peu de la réponse mais, sait-on jamais. Tu veux un coup de main ?" Elle tente de sourire, ou d'afficher un air rassurant, mais rien ne vient. Trop de malaise, trop d'inquiétudes diverses, trop de réflexions. "Si l'altruisme te met mal à l'aise, tu pourras toujours me rendre un service ensuite. M'aider à trouver quelqu'un pour gérer cette histoire avec la tête du Nord, par exemple."

Se tournant finalement la face dans le divan, grognant tous les maux qui parcouraient actuellement son corps, il s’abandonne à ce qui lui manque depuis si longtemps. Du sommeil. Du repos. Il n’a pas la faim sur l’estomac, ayant encore trop peur du dernier repas indigeste mal digéré. Il ne lui resterait qu’à refaire l’un des murs de la Donna pour qu’elle découvre que, comme elle, il n’était qu’un autre humain. Se voiler la face, cacher son visage sous un masque, être une ombre. Elle n’aurait pas à se poser trop de questions. Fermant les yeux, face cachée et plongée sous un coussin, il soupire. Pour lui avant tout. Assez de tout cela. Il déteste les jeux politiques. Il déteste le pouvoir. Qu’elle le garde. Qu’elle le prenne. Ce n’était pas à lui de choisir.

_ Si tu veux bien, je te ferai cela demain. », murmure-t-il. Il a quelques contacts qui pourraient l’aider. Mais, pour le moment, il n’a plus la tête à cela. Ni même à penser. Son esprit dérive lentement. Vers ses propres cauchemars. Ceux qu’il a enfoui depuis si longtemps. Puis ces deux dernières nuits. Son Pacte avec l’Underground. Ses mains saccagées. Que dirait le Mentor seulement ? Il lui demanderait bien pourquoi, surtout. Cela n’avait aucun sens d’agir de la sorte. Sûrement qu’il aurait reçu une tape sur ses doigts restants, lui disant que cela ne valait guère la peine. Elle était déjà une femme morte. Il n’avait fait que retarder un compte-à-rebours qu’il aurait aussi bien pu accélérer.

_ Et merci pour tout, Liv’. », soupire-t-il encore. Parce qu’elle n’a pas regardé son visage. Ou pas assez longtemps pour sentir le poids de son regard. Puis il s’endormit là, à moitié nu, dans le divan qui ne lui appartenait. Vide de ses forces. Vide de ses émotions.

Force est de constater que la soirée a été longue pour tout le monde. Pour Khan, c'est plus que la nuit, d'ailleurs. Peut-être n'a-t-il pas eu l'occasion de dormir depuis des jours. Echappée à sa compassion, Livia a fini par tout mettre de côté pour se concentrer sur les nouveaux problèmes déterrés par le mercenaire. Pour réaliser finalement que non, ce n'est pas une machine aux ressources infinies. Au bout du compte il a ses limites, comme tout un chacun. Comme elle, aussi. Le ton autant que l'absence de puissance dans la voix du guerrier lui intime d'en finir et la Donna accueille cette conclusion avec un certain soulagement.

Elle le sait, elle va passer quelques temps à se faire du soucis pour tout ça. Pour lui aussi, quelque part. C'est inévitable. Et tant qu'elle n'aura pas des hommes fiables sur ce contrat, elle n'aura pas l'esprit tranquille. Ce n'est pas son genre, et surtout, ce n'est pas une bonne chose. C'est parce qu'elle a toujours eu l'esprit tourmenté et cette paranoïa latente qu'elle est encore là, songe-t-elle.

Se retournant enfin, elle sourit discrètement avant de s'éloigner, pour une fois sans un mot. En sortant, elle monte un peu le chauffage de la pièce, faute d'avoir l'envie de le couvrir d'une étoffe elle-même, et éteint la lumière. Alors qu'elle rejoint sa chambre à l'étage, la Donna jette un oeil aux rues désertées de Napoli. Sans doute faudra-t-il donner un petit coup de pouce à Decay, dans les semaines qui viennent, pour lui redonner le sourire.