Girlfriend experience | ft. Choupette

Belladone n'a entendu que du mouvement derrière elle et lorsqu'elle parcourt la salle du regard pour se faire une idée de la situation, c'est pour constater que Treize est tranquillement installé à une table éloignée pour biberonner une bouteille de vodka. Un cliché presque ambulant. C'est un début, songe-t-elle en haussant les épaules. Elle s'installe à nouveau avec les copains de Choupette en sirotant un cosmo tout neuf déposé sur le comptoir à l'instant où elle s'assied. Hors de question de toucher à une boisson perdue de vue, même un quart de seconde. Elle ne sait que trop bien ce dont sont capables les types du coin, surtout quand elle joue les escorts en recherche de clients.

"Alors, qui tient plus debout, toi ?" Balance-t-elle à un type au hasard qui semble bien rouge et bien bouffi. "Vous en avez tombé combien pendant que j'étais là bas ?" Elle n'est pourtant pas partie si longtemps. Habituée à concentrer tous ses efforts sur les egos masculins, elle néglige un instant de surveiller Choupette. Pas que ce soit son boulot mais son comportement éveillerait presque chez Belladone une sorte d'instinct … Protecteur ? Maternel ? Elle ne saurait le dire. Elle n'est même pas une amie de Mandy qui n'a de toute façon jamais donné l'impression d'avoir le moindre intérêt pour sa gamine. La petite la fait rire. Elle lui rappelle de vieux souvenirs sur lesquels elle a étalé un vernis de nostalgie, faute de vouloir garder en mémoire les très mauvais côtés de cette époque. Et puis, la voir encore en vie et pleine de caractère donne quelques espoirs concernant ce trou à rats dont Belladone s'isole dans sa suite au Dvorets.

La gosse a disparu, c'est à peine si elle la voit se précipiter vers les toilettes. "Eh bien. J'espère qu'elle va pas se noyer dans la cuvette." Rit-elle en terminant son cocktail. "Je vais voir." Glisse-t-elle alors à l'un des gars avant de la rejoindre, toujours gênée dans sa démarche par le putain d'oeuf vibrant. Quelle décision à la con. Certains clients ne valent vraiment pas le coup, quel que soit le prix qu'ils sont prêts à mettre.

Pressée, elle ouvre la porte des toilettes en trombe. "Choupette ?" C'est bien sa voix qu'elle a cru entendre. "Je crois qu'ils sont trop bourrés pour capter que tu es partie, gamine." L'escort regarde brièvement autour d'elle pour constater qu'elles sont seules. Dans un soupir  de soulagement, elle se cache un court instant dans une cabine pour retirer l'oeuf. Elle mentira, et dira qu'il s'est cassé parce qu'elle est "teeeellement excitée", quelque chose dans ce goût là. Enrique est de toute façon bien trop con pour connaître le corps des femmes. Belladone glisse l'oeuf dans sa housse de satin qu'elle fourre au fond de son sac, avant de rejoindre Choupette aux lavabos pour se laver les mains. "Tu sais, t'as rien à prouver. C'est peut-être ce que t'essaies de hurler au monde mais ton comportement fait plutôt croire l'inverse. Si t'as vraiment rien à prouver, assume toi. Et puis arrêtes de provoquer pour que dalle. Ca pue le manque de confiance en soi." Belladone n'a jamais été une fine psychologue. Et pour cause : ce conseil, elle l'a reçu dix ans plus tôt, d'une autre bouche.

A déblatérer ses banalités psychologiques, Belladone s'étonne pourtant de voir Choupette s'ouvrir d'un coup. Elle aussi semble en avoir gros sur la patate et la voir changer soudainement de discours surprend l'escort qui affiche un petit sourire en coin, regrettant de ne pouvoir plonger son nez dans un énième cocktail. Au fond, l'entendre l'analyser de la sorte et peindre une telle image d'elle gonfle son ego. Finalement, c'est exactement ce qu'elle espère renvoyer. Malgré sa clairvoyance, il reste cette pointe de naïveté entretenue par un egocentrisme que Belladone revendique également sans la moindre retenue. "Personne ici n'a le droit à l'erreur." Peut-elle à peine murmurer en la regardant galérer dans le lavabo. C'est bien la seule chose qu'elle a envie d'ajouter. L'escort a embrassé sa situation et décidé, partiellement volontairement, d'en faire une vocation. Elle a travaillé d'arrache pied pour faire de ses tendances une réussite matérielle. Peut-être qu'elles sont malsaines, peut-être qu'elles cachent un mal-être plus profond, elle n'en sait rien. L'étoile du Dvorets n'a certainement pas le loisir de faire analyser ses états d'âme les plus profonds et, quelque part, elle se doute qu'ouvrir cette porte serait destructeur. Mais elle aussi, au même titre que Choupette et de nombreuses autres nanas du Red Light District fuient une situation bien peu enviable. Mandy en est la preuve - vivante ou non, c'est dans ce doute que réside le problème.

Au bout du compte, Belladone n'a même pas le temps de se poser plus de questions ou de soulever les inconsistances du discours d'une Choupette bien amochée. Un type de sa bande se manifeste et leur rappelle du même coup que, l'une comme l'autre, elles ont bien des obligations hors de ces écoeurants toilettes. Mais, pour un instant de plus, la gamine évoque une idée qui fait froid dans le dos. Quelque chose qui n'est jamais venu à l'esprit de Belladone, trop occupée qu'elle est à dévorer la vie au luxe factice qu'elle est parvenue à se créer. "Hors de question." Lance-t-elle à la gosse qui se gifle. Son ton est péremptoire. La russe n'est pas femme à s'encombrer de responsabilités, encore moins auprès d'une gamine à peine formée vomissant haine, tripes et boyaux. Mais si tant est qu'au milieu de la rancoeur qu'elle peut éprouver à son égard se trouve un peu d'admiration, peut-être que le message passerait. Belladone manque de toute façon de psychologie et ne saurait pas en faire plus.

A l'instant même où elle avance l'idée de retourner dans la grande salle, le téléphone de l'escort se met à vibrer - pour une fois. Un bref regard pour constater que c'est à nouveau son client qui s'impatiente. Les dames n'ont décidément jamais le droit à l'erreur, ou aux plus simples besoins naturels.

Sans un mot, elle accueille la galante proposition du chevalier de la porte des toilettes d'un refus silencieux, secouant la tête en minaudant. Ignorant les supplications téléphoniques d'Enrique pour quelques minutes, Belladone suit du regard et de ses gestes le départ de la petite avant de saluer le petit groupe sur le départ d'un signe de main. "Bois de l'eau, Choupette." Les perles de sagesses ont dû s'enfuir, songe-t-elle. Mais l'hydratation est la clé d'une belle peau, après tout. Un long soupir, un instant d'absence, avant de retrouver ses esprits, et son client. Impatiente de passer à quelque chose de moins agaçant que cette fameuse Girlfriend Experience vulgaire et déplaisante, Belladone se décide enfin à passer la vitesse supérieure pour amener le jeu sur un terrain qui lui sied mieux : sa suite. Probablement pas son lit, Enrique a l'air d'être un rapide. Lorsqu'elle s'approche de lui et frôle son entrejambe du bout des doigts en lui murmurant son envie de quitter les lieux, il ne fait d'ailleurs pas de manières et se précipite à l'extérieur pour héler son chauffeur. Nul doute que l'escort n'aura pas besoin de grands efforts pour en finir avec ce client là.