Girlfriend experience | ft. Choupette

"Tu pourrais enlever tes écouteurs s'il te plaît ? On arrive dans une minute."

L'envie de lever les yeux au ciel est irrépressible mais ça ne fait partie du boulot. Tout sourire, Belladone se résigne à arrêter la lecture sur son téléphone et range lentement ses écouteurs sans fil. Ce client est exigeant dans les domaines qui l'ennuient le plus : la girlfriend experience. Jouer le rôle de la petite amie pour une nuit entière, faire semblant de le connaître et de l'aimer de tout son coeur, pour évacuer sa solitude et nourrir son ego. Une chance qu'il ne soit pas désagréable à regarder, et pas si agaçant. Belladone reste assez libre de ses mouvements. Enrique est un drôle de gars qui aime dire aux gens qu'il a à son bras une femme comme elle mais ne passe vraiment du temps avec le joyau qu'une fois au lit. Alors elle peut bien accuser le coup de dix minutes à ses côtés avant d'aller se charger de vodka cerise au bar.

Il ne faut pourtant pas plus d'un quart d'heure ce soir là pour qu'il s'éclipse au fond du bar avec Belladone, l'entraînant dans les toilettes des hommes pour faire son affaire. Un coup rapide, devenu un souvenir flou dès qu'elle retourne dans la grande salle du troquet. Tout fier, il s'en va rejoindre ses collègues arrivés depuis pour passer une soirée à jouer au billard en jetant quelques regards languissants vers sa conquête hors de prix. Laquelle se dirige vers le bar en roulant des hanches pour s'asseoir là où elle passera certainement la majorité de sa soirée avant le retour au Dvorets pour le second et sans doute dernier round. Ceux qui sont pressés de cette façon n'ont généralement pas plus d'endurance la deuxième fois.

Installée confortablement au comptoir, Belladone commande un cosmopolitain, puis un autre. "Tu sais quoi ? Quand tu vois que le verre est vide, prépares le suivant. Ok ? C'est sur sa carte." Sourire charmeur aux lèvres, voix ronronnante, elle jette une oeillade lourde de sens au barman qui s'exécute en rougissant. "Merci mon chou !" Croisant les jambes, elle se retourne vers la salle pour jouer à son jeu préféré : deviner le métier et le montant sur le compte en banque de chacun. Un bon moyen d'oublier l'inconfort de son sous vêtement trop vite remonté au retour des toilettes.  "Bien joué mon chéri !" Lance-t-elle de temps à autres à Enrique lorsqu'il semble fier de son coup.

"Alors, toi." Son regard se pose sur un homme tout juste entré dans le troquet. Enrique, tout richissime qu'il est a encore des goûts d'homme du peuple. Les nouveaux riches trop heureux de parader avec une montre en or dans leur ancien QG. Ou une prostituée de grand luxe. "Mh." Qu'il est difficile d'estimer chez les pauvres qui viennent s'imbiber dans ce trou perdu.  "Toujours trop peu." Un échange de regard avec l'homme qui lui lance un sourire maladroit.  "Erh, un puceau." Agacée, elle se retourne. Ces hommes gênés qui n'ont jamais payé une prostituée l'agacent. Ils sont tellement gauches. Le cocktail suivant arrive et, tout en le sirotant, Belladone jette un coup d'oeil à la population accoudée au comptoir tout comme elle. Ceux qui ne savent pas pour combien de temps ils sont là. Prêts à partir dès qu'ils tiendront debout. Et parmi les quelques poivrots, un visage étrangement familier. Comme un souvenir lointain, issu d'une autre vie.  "Mais merde, c'est pas vrai !" Sautant sur ses escarpins, elle se précipite, l'air toute hallucinée, vers une jeune fille dont elle ne saurait resituer l'âge.  "Eh, gamine ! On se connaît, non ?"  

Sirotant son énième cosmopolitain, l'escort se permet de jauger la petite de la tête aux pieds, ignorant sciemment son ton et sa piètre tentative de l'atteindre dans son ego. Peut-être que ça l'aurait touchée si elle n'assumait pas son métier. Voilà bien longtemps que Belladone embrasse son mode de vie avec une certaine satisfaction. A la voir faire, elle ne peut s'empêcher de rire, agitant ses poignets ornés de multiples bracelets en or pour attirer l'attention du barman. "Certaines, oui. T'es bien placée pour en parler." Sourit-elle. Le nouveau regard qu'elle lance à la gamine, la détaillant de bas en haut, n'est pas vraiment fait pour la prendre de haut, mais ses manières ont souvent cette connotation qui lui mettent à dos pas mal de filles dans le métier.

Curieuse et amusée, la russe s'accoude au comptoir, ignorant du même coup Enrique qui lui jette des regards avides d'attention. "J'avais pris l'habitude de t'appeler "La petite de Mandy" mais, tu vois, j'ai jamais su comment t'appeler. J'imagine que maintenant t'es ta propre personne, hein ? Ca fait si longtemps que j'ai pas foutu les pieds là bas." Une dernière gorgée du cocktail avant de se mettre à suçoter la tranche de citron sucrée en adressant un clin d'oeil à l'un des types semblant accompagner la gosse. Belladone aime bien jouer avec les inconnus, s'amuser de leurs regards si peu discrets. Une grande gamine.

"C'est probablement pour le mieux, tu me diras. Si t'es ici, toute habillée, j'imagine que c'est parce que t'as réussi à te barrer, hein ?" L'escort fait partie des chanceuses. Les russes et le Dvorets, c'est pas la panacée, mais c'est encore la meilleur situation qu'une pute de son genre puisse espérer. Rien ne dit que le futur sera glorieux mais elle a au moins pu échapper au sort de pas mal de nanas retrouvées mortes d'overdose dans un caniveau de Red Light. Peut-être est-ce le sort qu'a subi Mandy ? Elle n'en a pas la moindre idée. Aussitôt partie, Belladone a complètement coupé les ponts avec les amatrices de Chicago.

Le nouveau verre arrive, il n'a pas le temps de toucher le comptoir qu'elle le saisit d'un air désinvolte, directement des doigts du barman. Se tortillant d'un air amusé, Belladone questionne à nouveau. "Alors, c'est qui tes copains ? J'espère qu'ils savent bien t'occuper de toi !" Son ton enjoué module sa voix dans les aigus. Quelle bon plan que d'avoir trouvé un sujet d'occupation n'impliquant pas de baisser sa culotte encore une fois dans les toilettes du bar. Toute impliquée qu'elle est dans cet aspect de son travail, l'escort n'est pas convaincue par les performances ni l'après-spectacle avec Enrique. Lequel semble se languir de sa belle et noyer sa frustration dans la bière bon marché.

Les mots et les manières de la gamine font sourire Belladone. Ce n'est pas la première fois qu'on lui reproche de se prendre pour ce qu'elle n'est pas. Le plus souvent, ce sont leurs propres insécurités qu'ils tentent de lui renvoyer en plein visage. Mais elle a tôt fait de les évacuer du revers de la main, considérant le tout comme une simple preuve de jalousie. Pourquoi redescendre quand ses efforts lui font côtoyer les étoiles de si près ? Autant avoir conscience de sa valeur plutôt que se rabaisser inutilement.

Alors elle n'y répond même pas, hormis par un petit rire. Voilà longtemps que ça ne l'atteint plus. Alors qu'elle l'entraîne plus loin, sans doute embarrassée, l'escort ne peut s'empêcher de pouffer. "Choupette, hein ?" Elle aurait bien envie de faire un petit commentaire sur la façon dont ces types l'appellent d'un surnom bien plus dégradant que celui que la prostituée affiche sur sa carte de visite mais elle n'a pas le temps de piper mot. C'est probablement pour le mieux, mais elle ne se défait pourtant pas de son petit sourire en coin et son regard narquois surmonté d'un sourcil arqué. "C'est très bien, tu sais, de trouver une protection. Quelle qu'elle soit. Comment t'espères trouver ton chemin ici autrement ?" Choupette n'a pas l'air de comprendre fonctionnaient les prostituées de Red Light, mais ça n'est ni sa place ni sa motivation que de le lui faire comprendre. Belladone n'a jamais eu la fibre maternelle, ce n'est certainement pas pour s'occuper des gamins des autres.

" Je suis au Dvorets, maintenant. Depuis quelques années, d'ailleurs. Je crèche là bas et j'ai mon petit business. C'est confortable tu sais ? Vraiment très confortable." Du coin de l'oeil, elle s'amuse à la détailler de façon ostentatoire. Avant d'ajouter, amusée. "Tu t'y plairais peut-être, tu sais." Le sous-entendu évident n'est qu'à moitié sérieux. Belladone n'est pas du genre à recruter, plutôt chasse-gardée, à vrai dire. Quand bien même elle ne se sent pas menacée, l'escort est bien trop centrée sur sa petite vie et son petit nombril pour songer au bien être de son business au sens large ou celui des autres.

A nouveau, elle porte à ses lèvres le cocktail sucré dont elle se délecte en faisant quelques signes de main à Enrique. Il se sent chanceux lorsqu'elle lui envoie un baiser avant de reporter son attention et son regard joueur sur les fameux grands frères de Choupette. "Choupette, hein ?" Un nouveau sourire mesquin se dessine sur le visage de l'escort. "Alors, combien de tes grands protecteurs ont essayé de se faire payer en nature ? Me dis pas que c'est jamais passé à l'esprit de personne, toi et moi on connaît trop bien les hommes pour croire à leur générosité." Généreux, ils pouvaient l'être. Contre une pipe ou un coup de cravache bien placé. Si Belladone avait de vraies considérations pour eux, elle aurait probablement du dédain pour eux, mais elle n'en est plus là.

La russe s'installe plus confortablement dans son siège en tournant dans ses mains le cosmopolitan. "Vraiment, tant que tu ne sautes pas d'une dépendance à l'autre, c'est très bien. Tu sais quoi ? Je suis super contente que tu t'y retrouves et que tu te sois barrée. T'as bien eu raison." Au fond, le souvenir que Belladone garde de l'enfant haineuse du Red Light est teinté de nostalgie et de bons sentiments. Comment en vouloir à une gamine ? Ce n'est pas comme si elle lui avait mis des bâtons dans les roues, de toute façon. " Comment va ta mère ? Tu as des nouvelles d'elle ?"

Les multiples tentatives de Choupette pour mettre Belladone mal à l'aise ou la faire culpabiliser se soldent par un échec. Au mieux, elle lui arrache un sourire ou un rire.  Elle l'amuse, cette gamine tout juste femme, avec ses semblants de principe. "Ben tiens." La taquine-t-elle à voix basse. L'escort se fiche bien des choix de vie des gens, ou de l'avis qu'ils peuvent avoir et exprimer sans ménagement sur le sien. Elle se délecte simplement de son cocktail tout frais payé par Enrique - pour cette fois - et apprécie le confort dans lequel elle peut se vautrer chaque jour qui passe. Le tout financé par un rôle qui lui va comme un gant et dans lequel elle se glisse avec aisance. Dans sa bulle, le monde est rose et doré. Il est propre et beau, la plupart du temps. Il sent le lilas.

"Tu sembles bien loquace pour ce qui est de te justifier. T'as pas de comptes à me rendre, tu sais ?" Elle la voit déjà partir au quart de tour. Elle est amusante, cette gosse. Elle l'a toujours été. Prenant une longue inspiration, Belladone jette encore un coup d'oeil aux types qui accompagnent la petite et s'amuse à se cambrer pour mettre en valeur ses formes. Plus ils s'intéressent à elle, plus Choupette enrage, et plus elle se marre. "Miguel Salamanca ? Eh bien. C'est dommage, on dit qu'il est blindé. C'est pas étonnant, tu me diras." Un paquet de fric ambulant dont Belladone a entendu parler. Bruits de couloir, ou de plumard. A Decay comme ailleurs, les femmes parlent. Et avec le temps, Belladone s'est fait son petit réseau de potins : elle tient à tout savoir des travers des puissants et moins puissants. "Je serai pas contre choper son numéro …" Murmure-t-elle. Un client friqué de plus est toujours une bonne nouvelle, quand bien même ils sont aussi souvent les plus tordus. Ceux qui sont blindés et puissants sont les pires. Pourvu qu'ils soient à la tête d'une organisation respectée et ils sont irrécupérables. Hantant le Dvorets, l'escort a bien eu l'occasion de s'en rendre compte.

L'arrivée d'un des accompagnants de la petite de Mandy est accueillie par Belladone avec un large sourire et un air de minauder. "Je veux bien compter les points, mais j'ai quelque chose à faire avant. Je vous rejoins dans une petite seconde."

Se débarasser des regards insistants d'Enrique qui pourrait jouer la jalousie. C'est pourtant lui qui tient à la garder à distance, comme un trophée inaccessible ou la cible d'un stalking malsain. Un moyen pour lui de nourrir le désir - comme si elle avait envie de se lancer là dedans. Une façon d'oublier que, payée grassement, elle n'avait plus besoin d'être séduite. Avec le temps, Belladone a trouvé ses méthodes pour gagner en indépendance. Fouillant dans son petit sac recouvert de sequins, elle se précipite aux toilettes et en ressort une trentaine de secondes plus tard. Passant furtivement aux côtés de son client, elle glisse dans sa main un petit objet doré surmonté d'un bouton et d'une molette et lui murmure quelques mots à l'oreille. Il rougit, cachant difficilement son sourire et, sans lui accorder un regard de plus, la russe s'éloigne pour rejoindre Choupette et ses fameux grand-frères.

"Bon, al-" Une vibration, intense. Maximale. Putain qu'il est beauf, ce Enrique. Belladone sursaute, elle ne s'attendait pas à ce qu'il s'y mette tout de suite. Elle se retourne, agacée, et jette un regard surpris au client qui lui adresse un grand sourire. Pathétique. Elle lui répond par une mine faussement rougissante avant de reporter son attention sur le groupe. "Bien ! Alors, qui s'y met ?" Un coup d'oeil à Choupette. "Tu tiens l'alcool, toi ?" Et un sourire. "Je veux bien vous suivre un peu, mais avec mon cocktail perso."

Belladone ne peut pas s'empêcher d'éclater de rire à gorge déployée devant à la fois l'air scandalisé de Choupette et sa nouvelle tentative de l'insulter. Si elle n'est pas femme à verser dans les clichés, force est de constater que son vécu autant que ses racines russes l'ont dotée d'une bonne descente en matière d'alcool, et il ne tient qu'à ses obligations professionnelles de l'empêcher de rejoindre ce petit concours au demeurant charmant. "Faut vraiment que t'arrêtes de forcer comme ça, c'est ce qui te rajeunit le plus, gamine." Lance-t-elle de bon coeur, encouragée par les rires des accompagnants de la petite. De toute évidence, ils ne sont pas là pour encourager ses mensonges éhontés et inutiles.

Bien vite, Choupette semble perdre le peu de filtres qu'elle avait et se met à commenter ouvertement son choix de jouet, alors même qu'elle jouait les pseudo-vertueuses un peu plus tôt. Comme pour ponctuer ses mots, l'oeuf se met à vibrer une nouvelle fois, plus doucement cette fois, n'arrachant à Belladone qu'un air exaspéré. Mais parce que ça fait partie du spectacle, elle se lève du tabouret et serre les cuisses, se tortillant d'un air faussement gênée. C'est alors qu'elle sent quelque chose sur son épaule.  "C'est pas gratuit !" S'exclame-t-elle, interrompue par une voix bien connue, quoique lointaine.

Voilà quelques temps qu'elle n'a pas croisé Treize par hasard. Ce n'est pourtant pas les occasions qui manquent, pour lui qui semble passer le plus clair de son temps dans un état second. La remarque qui suit éveille d'ailleurs chez la russe un instinct protecteur qu'elle ne se connaît pas et incombe à sa semi-ébriété. Raison pour laquelle elle fait mine de s'interposer entre sa vieille connaissance et la petite de Mandy. Belladone jette un bref coup d'oeil à Enrique qui s'acharne sur la télécommande de l'oeuf qui ne cesse de se rappeler au bon souvenir de l'escort agacée. Laquelle est interrompue par la question empestant la vodka de Treize.

"Putain mais t'es déjà chargé, toi ! Pas touche ! C'est chasse gardée, la p'tite a déjà des plans de toute façon." A la fois pour se garantir une fin de soirée sans dispute ou perte de pourboire et un parfum moins aviné, elle repousse Dimka avec un sourire diplomate. "Je compte juste les points, ce soir. J'suis en service, alors fais pas le con, hein ?" D'un coup d'oeil, elle tente de jauger la gravité de la situation du côté d'Enrique, lequel semble avoir disparu. L'oeuf, pourtant, ne cesse de vibrer, tantôt à la puissance maximum, tantôt moins fort, comme s'il jouait avec le bouton sans discontinuer.  "Merde mais qu'est-ce que …" Et puis le visage bouffi du client, de l'autre côté de la pièce, son sourire mauvais, son regard enragé.  "Chou, sans déconner, faut que tu me laisses, j'ai pas envie de perdre un client, là." Un client, la vie, bonnet blanc et blanc bonnet.  "Je serais-toi, je m'éloignerais pas de tes grand-frères, et s'ils pouvaient le foutre dehors, tu t'en porteras mieux." Glisse-t-elle à Choupette avant de se précipiter vers Enrique, tout roulement de hanches dehors. Sans la moindre subtilité, elle l'attrape par la nuque et colle sa langue dans sa bouche dans un baiser tout sauf élégant. Elle le connaît, son Enrique. Il a de drôles de goûts et ne fait jamais dans la finesse. Il a besoin d'attention, de temps en temps, mais quelques beauferies le calment rapidement.  "T'inquiètes pas, mon chou, c'est juste un ivrogne, on va s'en débarasser. Tu veux bien aller gagner une autre partie pour moi ?" Et sur un clin d'oeil, la voilà qui titube jusqu'au petit groupe.  "Alors, on se ramollit ?"