[T1 : Speed-Dating] Un apéritif pour commencer ?

Chip avait un peu peur, il fallait l’avouer. C’était toujours impressionnant de se trouver dans un tel endroit, mais Monsieur commençait à se sentir incroyablement seul. Il observait la grande salle avec de grands yeux, puis les personnes, certaines lui faisaient plus peur que d’autres, mais il avait l’habitude d’avoir la boule au ventre presque en permanence. La peur d’être observé, jugé, ça le pesait un peu, mais ce n’est pas en restant planqué dans son appart miteux ou derrière la caisse du Walmart qu’il allait se faire des amis, ou mieux, trouver l’amour.

Ce n’était pas forcément son objectif, mais il n’était jamais à l’abri d’un coup de foutre – et comme l’homme avait tendance à vite s’attacher à quelqu’un… Il pouvait sûrement apprécier tout le monde en l’espace de quelques minutes à peine. Ou pas, en vérité. Il partait déjà défaitiste, avec l’idée qu’on ne l’appréciera pas, mais il a toujours été comme ça Chip, petit pessimiste sur pattes.

Assis à la table, il observait la femme arriver et se poser devant lui. Elle avait un joli visage… Et elle avait l’air aussi timide que lui. Oh, comment ça devait se passer, une conversation entre deux timides ? Chip souriait, mais…

« Salut ! », répondit-il. Ah, comment on tient une conversation ? « Et moi c’est Chip. Bon, c’est un diminutif mais c’est beaucoup plus simple et joli que Charles… »

Elle lui proposait quelque chose à boire, et il réfléchissait. Il y avait une conso gratuite, mais était-ce raisonnable de ne pas boire un soft en ce début de speed dating ? Il ne savait pas trop…

« Eh, euh… On peut se tutoyer ? » Quelle idée de vouloir tutoyer après dix secondes de conversation. « Je pense que je vais garder ma conso gratuite pour un truc un peu plus cher, pour le moment, je vais prendre un petit soft. Et toi ? Tu es du genre à boire tout de suite ? »

Nerveusement, il tirait sur le col de sa chemise aux airs ringardes.

Il souriait encore, un peu effrayé de lui avoir demandé d’être aussi familier au bout de dix secondes ; il avait beau être poli, il n’appréciait pas trop cette distance qu’il considérait comme professionnel en vouvoyant son homologue. Pour une telle occasion, ce serait vraiment dommage de se mettre une barrière comme ça, non ? Enfin, c’est ce que Chip pensait.

« Attends, non ! Non ne t’en fais pas, c’est moi qui offre ! »

Probablement parce qu’à ses yeux, c’est lui qui doit offrir, il a de quoi faire tant qu’il n’y avait pas énormément d’excès. Lui avait déjà choisi sa boisson, quelque chose de simple aux fruits rouges, aussi rouges que ses joues actuellement. C’était super embarrassant, il n’avait rien prévu, et pourtant il faisait son possible pour ne pas tout gâcher ou tourner de l’œil.

Ceci dit, il continuait de sourire en écoutant Rei. La trouver ringarde ? Il n’y avait pas plus ringard que lui actuellement à cette table, et il se mit à rire nerveusement pour finalement baisser les yeux.

« Ah non, non ! Je comprends parfaitement. Je n’aime pas vraiment boire, moi. Ça finit toujours mal, et j’ai surtout peur qu’on profite du fait que je ne sois pas sobre. »

Decay était une ville dangereuse et Chip le savait très bien. Il s’y est aventuré pour des raisons qui ne regardaient que lui, mais il le regrettait un peu. Il la laissa se rapprocher sans broncher, presque rassuré ; parce que Rei, elle avait tout sauf l’air d’être une tueuse sanguinaire. Alors c’était bon, n’est-ce pas ?

« Alors, c’est assez compliqué. Il se pourrait que j’ai fait une bêtise ailleurs, et j’ai pris peur, je me suis dit qu’ici, personne ne me retrouvera. Mais maintenant, je prends conscience que c’est tout aussi dangereux… », dit-il en marquant une courte pause, avant qu’un petit rire ne vienne s’échapper. « J’ai l’air de trafiquer des armes ?! Non, non ! Jamais de la vie. Je… Je vends des trucs, par contre. Au Walmart. »

Il se disait que ça devait être un des seuls métiers légaux par ici, et au moins, il avait un semblant de protection quand il travaillait là-bas. Enfin ça, c’est ce qu’il pensait…

« Et toi ? Tu danses ? Tu fabriques de la drogue ? Non, je sais, tu voles les plus riches pour aider les plus démunis. J’ai raison ? », répondit-il en laissant parler son imagination. La gêne, ça lui faisait dire n’importe quoi.

Chip appréciait rendre service, rendre cette ville vérolée un peu plus belle de ses bonnes actions ou de sa politesse en général. Et il appréciait offrir un verre à une si jolie fille, même si elle l’impressionnait un peu mine de rien. Enfin, beaucoup de choses l’impressionnaient de toute façon, alors peut-être que ce n’était qu’une normalité. Il riait doucement, flatté qu’on le complimente ainsi. Parce qu’il ne connaissait pas beaucoup de personnes qui acceptaient d’être aussi gentilles avec lui comme ça.

« C’est vrai que j’aurais pu finir dans les quartiers les plus pauvres à gratter chaque pièce qu’on voudrait bien m’offrir, ou pire… »

La ville est pleine de dangers, et il le savait ; il le savait notamment parce qu’il y avait les territoires, tous plus différents les uns des autres, et il avait un peu peur d’aller ici et là, un type comme lui, il ne tient pas longtemps dans un environnement comme ça. Mais c’est vrai que la vie d’ailleurs, c’était vraiment plaisant…

« Il y a encore des personnes qui pensent que les femmes ne savent que faire la cuisine ? »

Il avait beaucoup de choses à apprendre, et il s’en voulait presque de paraître aussi inculte devant Rei. Mais Chip tenait bon, il l’écoutait avec une grande attention en hochant la tête. Et bien sûr, le demi-mensonge, il l’a gobé sans même chercher à rétorquer. Elle était gentille, alors tout ce qu’elle disait était probablement vrai. Il hochait la tête, intéressé.

« Je me demande bien comment c’est, l’ambiance dans une entreprise familiale. C’est ton père qui la tient ? », dit-il avec un large sourire. Il était vraiment comme un enfant coincé dans un corps d’adulte, avec ses questions grossières. « J’aimerais me faire un peu plus d’argent, mais je ne veux pas trop m’aventurer dans les manières sombres d’en faire. J’ai… Il se pourrait que j’ai des choses à rendre à quelqu’un et je n’aime pas devoir quelque chose à quelqu’un. Et si ça ne tenait qu’à moi, j’aimerais bien vivre ma vie dans l’excès, ou faire une expédition dans les casinos de Decay. »

Chip n’avait décidément pas appris la leçon, son addiction aux jeux d’argent était toujours là, mais il fallait qu’il se retienne pour ne pas s’endetter de partout.

« Et toi ? Un petit tour sur le Track, tu trouverais pas ça trop bien ? »

Chip ne pouvait pas sourire plus, mais en tout cas, il restait flatté encore et encore. Et qu’est-ce qu’il appréciait ça, c’était rare de nos jours qu’on vienne le complimenter comme ça. Et c’était sûrement plus rare de rencontrer quelqu’un aux airs beaucoup moins sauvages que les autres… Du moins en apparence. Mais il préférait rester sur sa première impression pour le moment, sirotant sa boisson peut-être trop sucrée à son goût. Avec ça, il risque de retarder son train du sommeil.

« J’en ai aussi vu des choses, c’est vraiment pas rassurant. Mais… Ce ne serait pas Decay si tout allait bien. »

L’homme était persuadé que la ville ne pouvait pas recouvrir des années de crimes et d’implantations de mafias, yakuzas et autres joyeusetés qui dirigeaient leur territoire comme ils l’entendaient. Tant qu’il n’avait pas à se ranger dans un camp, Chip n’était pas prêt à changer.

« Au Japon ? J’aurais tellement aimé y aller ! C’est bien, là-bas ? Il paraît que la culture est vraiment différente, je pense qu’on m’aurait pris pour un sauvage si je m’y étais rendu. »

Sa culture se limitait aux rares mangas et animés qu’il consommait de temps en temps. Ce n’était pas son aspect préféré de la culture japonaise, il s’intéressait plutôt à autre chose, aux paysages, leurs spécialités et un peu à la langue, même si ses nombreuses tentatives d’apprendre deux-trois mots ont toujours été un échec.

« En vérité, je connais pas trop Decay… », dit-il en venant se gratter nerveusement l’arrière de la tête. « Je me suis jamais aventuré très loin du Walmart, mais il y a la fin du track au Sud du quartier. Ça a l’air vraiment cool, j’aimerais essayer un jour où l’autre. »

L’homme réfléchissait à des lieux marquants qui pourraient plaire à une Japonaise, qui devait sûrement venir de Kabukicho.

« Si tu aimes les plantes, tu peux faire pousser tes propres fruits et légumes à la serre communautaire. À Medellin, on apprend vite à vivre avec pas grand-chose, mais franchement, ça apprend à ne pas être matérialiste. Pour un côté plus chic, je pense qu’il vaut mieux se tourner vers le quartier Napoli. Mais on y trouve des choses qui ne sont personnellement pas dans mon budget… », dit-il en levant les yeux vers le plafond, songeur. « Et toi, si tu vis à Kabukicho, tu pourras me montrer tes recoins favoris ? »

À défaut de pouvoir visiter le Japon, peut-être que Rei pouvait lui indiquer des bons coins à visiter.