Une table, un peu d'huile et une chevelure dorée..[Ft. Hana]

Le quotidien en journée était relativement banal. Vera tirait au flanc, c’était qu’aucun de ses beaux gosses de clients favoris n’était au programme et Lola avait le cerveau dans son entrejambe. La nouvelle petite stagiaire lui faisait de l’effet, quand j’avais parlé de tout lui montrer aux filles, je parlais du métier. Et depuis mon point d'accueil, le nez dans les feuilles de comptes, j’observais leur petit manège entre deux lignes de chiffres.  Est-ce qu’il n’y avait que moi qui bossais ici ?  Mon regard désapprobateur croisait celui de la rousse sulfureuse et aussitôt son petit sourire de chipie lâché, elle disparaissait vers sa salle afin de la préparer pour l’arrivée du prochain client. C’était un établissement respectable ici, res-pec-ta-ble ! Mais même en dix ans, ça avait du mal à rentrer.

“ Têtes à gifles. “

Toutefois, je ne pouvais pas garder ma moue bien longtemps, le signal de la porte de la boutique s’ouvrant. Je devais me résoudre à fermer mon cahier de charges, pour me redresser. Les mains posées l’une sur l’autre ainsi que sur le comptoir, j'accueillais notre nouvelle tête-du moins il me semblait; comme il se devait.

“ Bienvenue aux doigts de fée Monsieur ! “ C’était dit dans un français impeccable, pour cause, c’était ma langue natale. Et comme ici l'anglicisme était maître, je répétais la phrase en la traduisant.

Aussi patiente, que avenante, je me tenais à sa disposition, le laissant s'imprégner des lieux et leur ambiance, puis décider du moment où devrait commencer notre échange. Le client étant roi, l’adage n’aurait jamais été aussi vrai qu’à cet instant-là, lors de cette rencontre-ci. Il avait la carrure et le charisme allant avec l’attitude d’un autre monde. Un instant, il me rappelait mes jeunes années de bourgeoisie et je me surprenais à me demander ce qu’il pouvait bien faire à Decay, puis réaliser qu’on aurait autant à dire à mon sujet. Toutefois, son statut social n’avait pas eu l’air de souffrir de la même variante que le mien.

“ J'en prends note. Auriez-vous un nom éventuellement mon cher ? En tant que maîtresse des lieux, je ne peux que me sentir honorée d’avoir été recommandée. Il me plairait de faire part de ma gratitude à mon bienfaiteur. “ Sur cette note presque trop protocolaire, j’avais contourné mon bureau pour venir faire face à notre invité; “ Permettez-moi de vous débarrasser de tout ce qui pourrait vous encombrer, ainsi pourrons-nous parler de vos préférences en matière de relaxation.”

Bon chic, bon genre, le genre de client effrayant Vera et Lola. Bien qu'il était incroyablement appétissant à regarder. Un vrai paradoxe. Il était alors évident qu’il devenait le mien, plus encore de toute façon maintenant qu’il avait précisé être là sous recommandation. La réputation était quelque chose d’important pour moi, surtout dans un ville si corrompue. C’était notre standing faisant tache dans le décor qui faisait de mes doigts de fée, des doigts en or.

“ Suivez-moi je vous prie. “ Lui proposais-je alors que j’avais vu du coin de l’oeil Vera venir prendre mon relai à l'accueil.

Elle saluait l’individu d’un revers de tête et d’un sourire, rien de surprenant dans ce genre d’endroit où tout était fait pour faire le moins de bruits possible, pour se vouloir paisible. Mes bras chargés de ses biens éventuellement, je l’avais guidé vers la chambre la plus isolée, la première séance devait toujours laisser une grande impression n’est-ce pas ?

“ Est-ce que cet environnement vous sied ? “ La salle était simple et sophistiquée à la fois. Dans des tons naturels, aux nuances de bruns, de gris, où quelques éléments blancs tranchés pour souligner la propreté. Partout régnait la même musique d’ambiance aussi lasse qu’envahissante. Ainsi, m’attardant sur sa réponse, je savais dans tous les cas rebondir sur la marche à suivre et quand ce détail-là fut réglé, il ne me restait qu’un dernier point à vérifier avec lui. “ J’ai du matériel à préparer, si vous me prévenez de votre visite la prochaine fois, il n’y aura pas ce temps d’attente que j’espère, vous m’excuserez.” La base avec un client, il n’était jamais le fautif de rien, l’air de rien, je lui affirmais presque que j’étais certaine qu’il reviendrait... “ Voulez-vous que je sorte pendant que vous changez ? “ Il y en avait que ma présence dérangeait, d’autres que non. Dans tous les cas il finirait probablement presque nu ou même totalement sous ce drap et ce n’était pas un problème quand on savait faire preuve de professionnalisme. “ Voici la brochure des types de prestations, je vous laisse jeter un coup d’oeil le temps de récupérer mes accessoires. "

J’avais noté dans un coin de ma tête les informations qu’il venait de me donner sur mon bienfaiteur et malheureusement; ça ne m’indiquait pas grand-chose. En effet, bien nombre de clients pouvaient correspondre à cette description. Qu’importe, j’étais certaine que ledit  recommandateur allait nous faire part  de sa bonté d’âme. Détail inutile pour mon nouveau client à qui j’avais seulement répondu d’un hochement de tête pour acquiescer et confirmer la réception de ce qu’il venait de me dire.

Mais pour en revenir à nos moutons, une fois sa veste rangée sur le portant et les bases posées; il me restait un dernier travail d’inquisition à faire, tout en veillant à son bien-être et répondant à ses interrogations. N’était-il pas un habitué de ce genre de salon ? Étrange. Et puis pas tellement en fait. J’avais remarqué la qualité de la manufacture de son veston, quelque chose de ridiculement cher, du sur-mesure aux matières premières. Aucun doute. Il devait se faire servir à domicile d’ordinaire. Dans ce cas, que faisait-il ici ? Les mérites avaient été si bien vantés ? autant d’interrogation personnelle qui n’auraient probablement jamais de réponse.

“ Ainsi je me ferais un point d’honneur à honorer vos attentes mon cher. “ Réplique soulevée à la suite de sa déclinaison de mes excuses. Étrange personnage que voilà. “ Me confierez-vous peut-être votre sobriquet ?  Après tout, pour aujourd’hui et chacune de vos visites, je serais votre hôtesse attitrée. Mon nom est Hana d’ailleurs. Enchantée. “ Je lui avais tendu ma main par politesse, sans me formaliser de s’il la rendait ou pas.

On aurait pu dire que c’était dans des moments comme celui-ci que mon passé me servait le plus et ce qui aurait été une corvée pour mes consoeurs était tout à fait naturel pour une enfant de bonne famille telle que moi. Cela avait même un côté nostalgique qui me rendait joviale pour tout dire.

“ Soit”.

Mot simple et efficace pour dire que j’avais compris et que j’allais finir mes préparations sans quitter la pièce. Heureusement pour moi et mon métier, la nudité totale ou partielle ne m’avait jamais gênée, je savais rester professionnelle, même si, ne nous mentons pas, parfait la vue valait plus le coup que d’autre fois…

Du coin de l’oeil, je le surveillais en travaillant, pas tant par méfiance, mais plus pour mettre un profil sur son joli minois de blondinet si parfait. Soigneux ou maniaque. C’était difficile à dire. La suite du rendez-vous m’aiderait sûrement à définir mon choix. Et finalement, les premiers préparatifs s'étaient finis bien avant son déshabillage. D’un geste sûr je reprenais ma brochure pour la ranger, non pas sans commenter…

“ Excellent choix. “ Une oreille attentive pour sa question, j’étais revenue vers lui avec un sourire bienveillant. “ Si vous êtes à l’aise avec cela, la tenue d’Adam est la plus pratique. Je vous couvrirez d’une serviette ce qu’il est nécessaire  ou vous le ferez vous-même, à votre guise. “  Mes mains se joignaient dans mon dos pour poursuivre, me donnant un air aussi solennel que de “sainte” pour l’aider à formaliser tout ça. “ Vous êtes ici pour vous mettre le plus à l’aise possible après tout. Je m’adapterais à vos besoins, n’ayez ni doutes ni craintes là-dessus. “

Sur cette note, j’ouvrais le drap du banc de massage tout en replaçant méticuleusement le coussin et effaçant tout possible pli de la surface.

“ Vous pouvez vous glisser sous les draps, je les ai réchauffés spécialement pour votre confort. Je vais faire chauffer l’huile, ça ne prendra que quelques minutes. “

Et si tôt dit, c’était fait.

Tiens donc, mes cheveux perturbants ? Un simple sourire charmé s’était inscrit sur mon minois. Quelle femme n’aimait pas les compliments de ce genre. Même si dans ce cas-là ils servaient d’excuse pour une négligence dû à une précipitation certaine. Sûrement que l’homme était pressé de passer entre mes mains. Tendu probablement, comme la majorité de ceux se rendant ici.

“ Bien, dans ce cas, je vous nommerais par votre prénom. “ Cela me semblait évident, vu qu’il n’avait donné que cette partie de son identité. Ce qui en soit me convenait parfaitement, c’était quand même plus plaisant en réalité. “ Quant à votre prestation mon cher, pour le moment, je dirais que le répondant est à la hauteur. “

Presque j’aurais pu en rire si je n’étais pas en uniforme. En tant que manager, je devais être exemplaire et me conduire comme j’exigeais que les autres le fasse… soit sombrement. Pourtant, la tentation était rude avec cet étrange bonhomme débarqué de nulle part.

“ Effectivement, je suis européenne, française d’origine exactement. Si vous devinez la subtilité, c’est sûrement parce que vous avez côtoyé les européens ? “

Une réponse/interrogation pour satisfaire ma curiosité alors que je venais me mettre au travail après avoir déposé mon matériel. D’abord je frottais mes mains pour les réchauffer, avant de venir masser ses muscles dorsaux doucement pour les préparer au dépôt d’huile et la friction plus oppressante qui l'accompagnait. S’habituer au touché était la phase la plus longue pour la détente.  Mais n’avait il pas dit qu’il était habitué aux massages avant de se préparer de lui-même ? Voilà qui allait nous faire gagner du temps. J’avais alors simplement hoché la tête avant de revenir vers lui pour travailler face à sa réplique qui se voulait rassurante pour la suite certainement.

“ Je vais commencer. “ Annonce faite plus pour la forme qu’autre chose, car je n’attendais jamais vraiment un signal pour me lancer. “ D’ailleurs, ma curiosité est attisée. Parlez-vous plusieurs langues ? “

La discussion m’avait plus filé entres les dents qu’autre chose. D’ordinaire, je me contentais d’écouter mes clients et répondre quand il le fallait. C’était sûrement sa singularité à Decay qui m'intriguait. Que pouvait-il faire dans un endroit pareil...

“ Vous préférez que je vous fasse la conversation Ethan ? Ou bien juste vous laissez porter par la musique. “

Sur cette note, j’avais commencé des mouvements délicats sur ses épaules, avant de remonter vers sa nuque et oeuvrer quelques minutes à détendre ce dos noué.  C’était toujours la partie qui prenait le plus de temps et une fois le tour complet fait, je pouvais commencer à déposer un peu d’huile pour tester sa température.

“ Pas trop chaud, cela vous convient ? “

La suède ? Quand j’étais étudiante, j’avais été tenté d’aller y vivre. Peut-être que j’aurais dû succomber à mon envie et ainsi, notre rencontre n’aurait pas été faite dans un endroit aussi sordide. Qui sait.

“ C’est vrai que vous avez des airs nordiques mon cher. Mais de nos jours, aucun physique ne peut traduire une origine. D’autant plus qu’une nationalité ne veut plus vraiment dire grand chose.  “ Voilà qui devenait trop sérieux… “ Selon moi du moins. “

Et puisqu’il préférait que l’on converse, j’allais m’en donner à coeur joie pour retrouver un peu de la sophistication qui manquait tant à Decay.  

“ À vrai dire, le français me revient naturellement, souvent il se mélange à mon anglais. Mais d’une façon plus ordinaire, nous le parlons tous les soirs à la maison avec mon fils. C’est la langue que je préfère après tout. Et laquelle est votre préférée Ethan ?  “

Je n’aurais pu nier, qu’un instant, j’avais espéré qu’il cite le français dans sa liste. Niveau nostalgie, on aurait pas pu faire mieux. Et c’était pour cela que quelque part, c’était mieux ainsi.

“ Je peux vous apprendre quelques bribes de français si cela vous sied, en échange me partagerez-vous quelques unes de vos connaissances linguistiques ? “

Voilà qui serait à la longue, plus intéressant que de parler de la pluie et du beau temps. Il n’avait pas le profil d’un client lambda qui allait me raconter ses dures journées de travail, ou la vie compliquée à la maison… quand ce n’était pas le goujat qui se croyait dans une maison de passe de luxe. Les clientes n’étaient pas mieux ceci dit… mais ce n’était pas le sujet. Et pour en revenir à celui de la conversation…

“ Je vois, je vous rejoins sur cette préférence. Nous avons un sauna au sous-sol si jamais. Et son accès est très restreint, car il est privé.  “

Déjà parce que j’étais celle qui l'utilise majoritairement et d’une nature maniaque, je n’aimais pas le partager avec n’importe quoi, enfin, qui. Rien ne valait mieux que cet endroit après la dureté des entraînements pour mon vrai métier… Ceci expliquait pourquoi le sauna n’apparaissait pas sur les prestations disponibles. Un vieux caprice… Et ce détail n’allait pas suffire à noyer le poisson pour la question dérangeante qui venait d’être posée. Comment j’avais atterrit là ?... hum comment dire.

“ De mauvais choix, dû aux mauvaises rencontres m’ont emmenés dans une partie du monde juste assez civilisée pour vivre convenablement, mais pas assez pour être retrouvée. “

Un tel aveux était il imprudent ? Très certainement, mais j’avais comme l’instinct qu’il valait mieux lui donner les réponses par moi-même que lui donnait l’envie de les chercher lui-même.

“ Je pourrais en dire autant à votre compte Ethan. “ Sur cette note j’avais ris comme pour théâtraliser l’ironie de la situation et ne pas poursuivre dans cette lancée de la conversation surtout. “ Pour en revenir aux évasions géographique. L’islande est magnifique. Et vous prononcez divinement bien mon sobriquet, ça me fait étrange de retrouver cette tonalité. “ Tout du long, je n’arrêtais pas mon oeuvre pour autant, c’était sur la durée que les muscles finissaient par se détendre. “ Pour tout vous dire, mon prénom originel est Anabelle. Je suis curieuse à l’idée de vous l’entendre prononcer… “ C’était souvent un exercice compliqué pour les étrangers. Enfant, la galère qu’éprouvaient les invités étrangers de mon père à le faire correctement m’avait toujours beaucoup amusée.