Daijōbu desu ka ? ft. Rika Doll

Akemi plissait désagréablement les yeux en fixant Ryuji du mieux qu'il le pouvait. Noyé sous les lumières multicolores des néons qui éclairait le lieu, il n'y était clairement pas à sa place. Grande figure longiligne représentant l'ancienne tradition japonaise, il paraissait déplacé dans ce décor si moderne, hanté par la jeunesse de Kabukichô et de celle d'autres quartiers, venue s’encanailler ici. Dans son kimono noir délicatement brodé de grues d'or, chaussé de zôri de bois sombre vernis, les cheveux bien mis et le visage blanchi de poudre de riz, le travesti faisait clairement déplacé. Pourquoi se trouvait-il ici ce soir ? La réponse se trouvait devant lui, le visage cramoisi et l'allure bien peu vaillante. Pourtant, les complexes de son shatei avait toujours attendri le Yakuza qui posa sur l'épaule du jeune homme une mains qui se voulait réconfortante. Rien de ce qui se passait ce soir n'avait à voir avec les affaires de leur noble clan ; il n'était là que pour encourager un homme qu'il appréciait.

"Tout se passera bien, Ryuji. Soie juste toi-même...", il eut un large sourire un peu taquin, "enfin pas trop, où elle va fuir."

Le jeune homme eut l'air interdit et Akemi eut un fou rire, signe qu'il plaisantait avant de lui serrer chaleureusement la main pour lui glisser quelque chose dedans. Ryuji demeura un instant silencieux avant d'ouvrir le poing, découvrant un préservatif. Akemi eut l'air content de lui, glissant ses mains dans son obi come les autres mettraient leurs mains dans leur poche, dans un mouvement peu féminin. Il était fier de sa connerie, qui n'en était pas vraiment une. Il était si concerné par les bien-être de ce jeune shatei auquel il enseignait les ficelles du métier qu'il avait ce soir accepté de l'accompagner jusqu'au Space Station Bar car ce dernier avait son tout premier rendez-vous avec une femme.

"M-Mishima-sama !"

"N'oublie pas de la respecter, sinon je te ferai couper les couilles."

Plaisantant encore, il tourna simplement les talons en le saluant de la main pour partir sans se retourner et laisser son petit oisillon voler de ses propres ailes. Akemi lui avait donné quelques conseils sur la route, mais Ryuji avait du mal à combattre sa timidité pour le sexe opposé ; une telle faiblesse se devait d'être corrigée sinon il ne ferait pas long feu dans le monde des Yakuza... Quittant le bar pour repasser par l'entrée, il releva la tête pour observer le ciel nocturne, avançant à petits pas comme l'exigeait son kimono. Le nez relevé sur les étoiles, il ne regarda pas vraiment devant lui et heurta une personne de petite taille qui attendait devant l'entrée du bar. Le choc ne fut pas réellement violent, mais le travesti en perdit la petite bourse brodée qu'il gardait dans une des manches de son kimono, roulant à terre aux pieds de l’inconnue qu'il venait de bousculer. Un peu secoué, il s'inclina de toute sa grande taille vers elle, avec politesse. Il ramasserait sa bourse plus tard, la politesse avant tout.

"Je suis navré", il demeura incliné vers elle sans relever la tête, dans une profonde déférence, "vous vous êtes fait mal ?

Le Yakuza se redressa finalement pour remettre en place une fleurs qui avait bougé de sa longue chevelure noire tout en considérant la jeune fille en silence, étudiant sa tenue qu'il trouva à la fois adorable et un peu chargé. Les jeunes avaient toute une esthétique qu'il ne connaissait pas, toutes sortes de dress-code, d'accessoires incroyables. Comment appelait-on ce style ? Kawaii, Yami-kawaii, Decora ? Lui, il était de la vieille école : celle d'un autre temps, celui de la Yamato Nadeshiko, l'image désuète de la femme japonaise idéalisée.

Lorsqu'Akemi releva le regard sur la jeune fille qu'il venait de bousculer, il n'y vit que du désespoir. Un peu interdit, il regarda le flacon de médicaments rouler au sol et vider son contenu sur les trottoirs éclaboussés de lumières électriques. Des cachets ? Sa première réaction fut celle d'une personne bien élevée - il aurait voulu se confondre en excuse mais il y avait plus important : le Yakuza s'accroupit et ramassa à la hâte le flacon qui contenait encore quelques cachets, ramassant ce qu'il pouvait malgré sa crainte de se salir ; c'était un délicat, et il n'aimait pas faire ce genre de choses. Mais au diable la préciosité face à ce grand regard plein de larmes. Il lui tendit doucement le récipient de plastique et le peu qu'il contenait, avec un air d'excuse.

"Je suis sincèrement désolé, je ne regardai pas où j'allais", lui dit-il sans se relever, tendant le flacon, "je vous dédommagerais."

Certaines questions ne lui échappèrent pas, mais il ne les posa pas par politesse. Le travesti savait que les apparences pouvaient être trompeuses à Decay - il en savait quelque chose - mais considérant que c'était sa faute, il se devait de s’acquitter de sa dette. Ramassant sa bourse et la rangeant dans la manche de son kimono, il fouilla dans la couche de vêtements entre son kimono et son sous-kimono, au niveau du cœur, pour en tirer un portefeuille.

"Tenez", lui dit-il en lui tendant un certain nombre de billets - il n'avait pas compté mais il y avait bien plus que pour acheter une boîte de médicaments, "pour vos cachets, et pour le dérangement."

Akemi n'avait pas perdu de temps et s'était accroupi pour ramasser ce qui pouvait être récupérer avant de le tendre à la jeune fille qui le fixait sans rien dire. Qu'avait-elle... était-ce la surprise ? Il demeura silencieux après ses excuses pour lui laisser le temps de revenir à elle, la regardant prendre une pilule qu'elle avala difficilement. Et sitôt que l'inconnue repousse son offre, il comprend ce qui doit être fait et fait disparaître les quelques billets dans son obi. En un sens, il comprenait et accepta la faute qu'il venait de commettre.

"Je suis désolé de vous avoir mise mal à l'aise", dit-il d'une voix douce après un instant.

Le travesti resta accroupi devant la jeune fille sans bouger, se refusant à la laisser dans un tel état d'angoisse sans prendre le temps de réparer sa faute. Lui qui était toujours si calme ne fit pas exception à la règle, à la fois doux face à la détresse et fort face aux pleurs. Il fallait comprendre, soutenir, et calmer. Si c'était possible. Il garda une une voix posée, rassurante et ferme, accompagnée d’un langage corporel exempt de tout mouvement brusque. Il lui fallait conserver son calme, aussi bien pour lui que pour pouvoir le transmettre.

"Prenez du temps pour vous", lui dit-il paisiblement, "Inspirez profondément et lentement, comptez vos inspirations. Vous avez le temps."

Il était question de l'aider à  baisser son rythme cardiaque pour qu'elle puisse y voir plus clair maintenant qu'elle avait pris sa pilule. Akemi évita de la regarder trop intensément et sortit de la manche de son kimono un petit mouchoir brodé qu'il lui tendit lentement. Il y avait un petit lapin brodé dessus. Détourner la peur de la jeune fille vers autre chose était peut-être envisageable et il tenta le coup.

"Tenez, pour sécher vos larmes. Vous aimez les lapins ? Je les trouve très mignons."

Toujours accroupi, Akemi se sentit un peu soulagé en voyant que la jeune fille ne lui était pas hostile et tentait de suivre ses conseils afin de tenter de se détendre. Ce n'était pas gagné, mais il y avait du mieux. Il prendrait le temps qu'il fallait car incapable de laisser une femme dans la tourmente, il y avait une question d'honneur : c'était lui qui n'avait pas regardé où il allait. Le Yakuza la regarda trembler malgré ses efforts, réfléchissant posément au problème. Qui avait-il déjà écrit sur le flacon de médicaments ? Il se rappela dès qu'il y pensa car le nom ne lui tait pas étranger : Xanax, du nom d'un vieux démon personnel qui l'avait aidé après la mort de son père mais qui avait manqué de le faire plonger. Pauvre fille, vraiment. Pauvre sourire souffrant malgré la bonne volonté. Et une étincelle de joie dans ces yeux cernés, douloureux à regarder.

La crise d'angoisse revint, prostrant la jeune inconnue si bien qu'Akemi du se faire violence pour ne pas s'approcher d'elle. Il demeura silencieux, tendant toujours le mouchoir avec une patience infinie. Rien ne le détournerait de sa mission ; il aiderait cette fille.

"Ne vous excusez pas, je comprend", dit-il avec douceur, "j'ai pris du Xanax aussi, quand j'étais plus jeune. Le corps absorbe rapidement le médicament, vous vous sentirez bientôt mieux. En attendant, je suis avec vous. Il ne vous arrivera rien."

Sûrement savait-elle comment marchait cette petite drogue tristement ordinaire, mais il cherchait quoi dire de rassurant. Les gens perdaient des fois la raison durant les crises, oubliant les choses qu'ils savaient très bien la seconde d'avant, du fait de la peur. La voyant hyperventiler à nouveau, le travesti demeura calme et ne s'approcha pas, le bras toujours tendu commençant à devenir douloureux. Son grand corps malade ne supportait pas la position accroupi, et il le paierait plus tard. Mais pour le moment il y avait plus important. Il resta absolument imperturbable, pour essayer d'aider l'inconnue.

"Voulez-vous de l'aide pour retrouver votre souffle ? Nous pouvons compter ensemble, laissez-moi vous aider.", ordonner n'était pas conseiller face à une personne en crise, alors il formula posément ce qu'il allait faire, de la respiration tactique.

Akemi constata la détresse de la jeune inconnue et sa volonté d'essayer de suivre le moment afin de réduire son stress, en vain. Il demeura accroupi à ses côtés bien que son grand corps commença à le faire souffrir, lui dont la maladie rendait ses articulations douloureuses quand il restait trop longtemps dans la même position. Le Yakuza ne se plaint pourtant pas, ni ne se redressa, encaissant le début de fatigue musculaire sans ciller car il y avait plus important. Cette petite voix qui lui demandait de l'aide attisa sa résilience et il hocha de la tête quand elle exprima son angoisse.

"Je vais vous aider", lui assura le jeune homme en souriant, fermant doucement les yeux avec un air chaleureux.

Il ne chercha pas à ce qu'elle le regarde ou autre, préférant qu'elle fixe le sol ou tout ce qui pourrait lui empêcher d'avoir un pic d'angoisse. Le travesti fixa la robe qu'elle portait, et qui lui donnait l'air d'une poupée. C'était une jolie robe mais... il demeura silencieux, considérant qu'une fille qui avait l'air si vulnérable avait sûrement déjà du souffrir du regard des hommes. L'idée le renvoya brutalement à sa propre expérience de la domination des hommes sur tout ce qui semblait fragile et féminin mais il se reprit d'un coup, volontaire, inflexible.

"Vous n'avez qu'à écouter ma voix", commença le Yakuza, parlant lentement avant de prendre une longue inspiration pour lui montrer, "nous allons prendre une grande inspiration par le nez, comme ça, lentement. Puis, il faut compter jusque quatre."

Il mima un mouvement avec ses mains, paumes vers le haut avant de reprendre :

"Les poumons plein, on bloque la respiration. Quatre secondes aussi."

Il croisa les mains, essayant de mimer en même temps qu'il inspirait et bloquait sa propre respiration.

"Et, tout doucement, nous expirons par la bouche jusqu'à ce que nos poumons soient vides. Cela fait, on recommence."

Pendant ses explications, Akemi demeura attentif à l'état de stress de la jeune fille sans perdre sa patience légendaire. Elle avait besoin d'aide, et il savait gérer ce genre de choses en général.