Aiguilles et poulet frit | ft. Lucyle

A peine revenue, Xiao se retrouve presque immédiatement assaillie de questions par la tatoueuse. Lesquelles la surprennent un peu. En quoi tout ça a un impact sur un tatouage ? C'est juste creuser sa peau pour mettre de l'encre dessus, non ? De toute façon, Xiao n'a pas une vie si compliquée, et elle est toujours en forme. Il faut bien, c'est exigé par les patrons. Et avec son rythme de vie décalé, elle n'a pas encore eu le temps de vraiment se fatiguer. Surtout un jour de repos, comme celui-ci.

"Beh, non à tout ça, sauf à la pleine forme." Peut-être que ça manque de précision. Dans le doute, et puisque les questions sont assez étranges et nombreuses, Xiao décide de jouer franc jeu. "Hier, j'ai mangé des nouilles sautées aux légumes quand je me suis levée, à midi, et je me suis entraînée. J'ai passé le reste de la soirée chez moi à regarder des films et à jouer à des jeux en ligne, genre, deux ou trois. Je me suis branlée deux fois et j'ai mangé un sandwich au thon avant de me coucher à quatre heures du matin. J'ai dormi jusqu'à midi, j'ai fait mes étirements, pris une douche et bu un smoothie vert et mangé une banane avant de sortir de chez moi. J'ai pas pris de médicament et j'ai juste mangé le poulet frit dont j'ai jeté l'emballage dans ta poubelle tout à l'heure. J'suis jamais fatiguée, et j'ai une super grosse tolérance à la douleur, t'as pas idée." Il ne vaut peut-être mieux pas qu'elle sache comment, d'ailleurs. "C'est tout bon ?"

Xiao n'a pas vraiment envie d'attendre sa confirmation. En réalité, elle est convaincue d'être prête, quoi qu'elle fasse ou dise, et se pose déjà dans le premier fauteuil venu qui semble servir à tatouer les gens. "T'façon, t'as dit que t'étais douée, donc je ferai un effort. Si je bouge trop, mets moi une claque." Elle sourit, mais ne rigole pas vraiment. C'est vraiment une bonne manière de la calmer, pourvu qu'elle consente à ce genre de geste.

Curieuse, elle regarde un peu partout, surveille les gestes de Luce, et pose son regard sur l'imprimante en action. "Alors ? Alors ? J'vais avoir mon tatouage ? J'ai bien répondu ?" Le large sourire sur le visage de Xiao témoigne autant de son impatience que ses mouvement incessants. La motivation de la tatoueuse a quelque chose de communicatif pour une pile électrique telle que la chinoise qui, du même coup, devient aussi instable que curieuse. "J'te parie que j'aurai moins mal que tu crois. Si je crie, j'ai perdu !"

"Bah, bien sûr que tu me prends au sérieux ! J'déconne pas ! Une bonne baffe !" C'est de toute façon ce que Xiao fait toujours. A elle-même, et aux autres. De quoi remettre les idées en place en cas de dérive imprévue.

La chinoise ne se fait pas prier pour s'installer sur le fauteuil. C'est à peine si elle laisse la tatoueuse terminer sa phrase avant de le faire. "Yes ! Enfin !" S'exclame-t-elle avant d'analyser le motif sur l'impression. Ouais, c'est un dessin, qu'elle a hâte de voir enfin sur sa peau. Son tout premier tatouage, pour la Triade, en plus.

L'idée de rester immobile sur un fauteuil ne la ravit pas. Mais peut-être aura-t-elle l'occasion d'analyser tous les détails des murs qui l'entourent et de chaque petit élément imparfait de la décoration du Jacked-in-k. Il faut bien s'occuper l'esprit.

Ravie de pouvoir enfin se dévêtir en public - une habitude qu'on a dû lui passer à grand coup d'engueulades - Xiao retire son sweater, lequel révèle qu'elle ne portait absolument rien en dessous. "T'embêtes pas hein, je m'en fous !" Il lui semble étrange de devoir préciser ça, elle qui ne comprend pas la pudeur. Mais elle a bien fini par comprendre que tout le monde n'est pas à l'aise avec son corps et que la pudeur est … quelque chose. Qui existe. Mais le paravent est vite installé, et Xiao hausse une dernière fois les épaules avant de se forcer à une certaine immobilité.

" Bon ! J'suis prête ! Alors, tu penses faire quel temps ? T'as un record à battre, j'imagine ? Si tu veux que je chronomètre ?" Un petit gémissement retentit de l'autre côté du paravent. A l'oreille, le client qui luttait si fort pour maintenir sa virilité dans la souffrance a cédé et laisser échapper la preuve de sa faiblesse. Xiao, hilare, ne peut s'empêcher de commenter. "Ah ben parfait ! Allez ! On s'y met ? J'veux voir si je fais mieux que monsieur muscles !"

Impatiente, Xiao n'en revient pas de voir passer tant d'étapes pour se faire enfin trouer la peau. Elle qui supposait qu'un tatouage se faisait aussi simplement qu'un dessin au feutre sur le corps s'en retrouve bien désorientée. Au moins, elle n'est pas pressée par un rendez-vous, mais par sa seule impatience. Bien installée, ignorant toutes les précautions prises par Luce qui peut se permettre de la tripoter et balader son bras comme avec une poupée de chiffon, elle acquiesce avec enthousiasme, acceptant tout et n'importe quoi puisqu'elle n'écoute qu'à moitié.

" Parfait, j'te chronomètre alors !" Voilà quelque chose qui la rend déjà plus enthousiaste. L'idée de forcer Luce à baisser le pantalon du type, par exemple, ou escalader les bâtiments jusqu'aux toits pour traverser le quartier la séduit plus que de faire attention à ses mouvements, ou préparer son corps, son esprit, et celui du voisin à la douleur qui l'attend. "Va pour cinquante minutes !"

Et voilà que la tatoueuse retire un papier collé sur son bras - papier qu'elle n'a même pas senti être posé - et annonce le début des hostilités. "Luuuuuuce ! Arrêtes de t'inquiéter. Regarde le motif. Tu crois vraiment que je le mériterais si un tatouage me faisait sauter au plafond ?" Il lui arrive de sauter au plafond. Mais pas à cause de la douleur. Nul doute qu'elle a subi bien pire avec le Mentor, mais hors de question d'en parler. Pour ça, il faudra qu'elle la croie sur parole. Mais il est vrai que la chinoise semble prendre l'entreprise à la légère. "J'dirai quelque chose si j'ai trop mal. Mais je te promets aussi que ce sera pas le cas. Vraiment. Tu sais quoi ? Si j'ai à ce point mal que je dois hurler ou tomber dans les pommes, tu pourras me donner un gage. Aussi simple que ça."

Toujours impatiente, elle se tortille une dernière fois dans le fauteuil en lançant le chronomètre, avant de passer sur une autre application sur son téléphone. Un genre de tetris. Jouer avec une seule main, pendant un tatouage ? Voilà un défi qui lui plaît bien. "Allez, j'ai lancé le timer ! J'suis prête et je bouge plus, promis !" Le regard décidé, elle adresse un large sourire de défi à la tatoueuse, et s'immobilise totalement. Comme avec le Mentor. Moins on semble réagir à la douleur, plus elle a de chances de s'effacer. Et puis, avec le temps, Xiao a appris à l'accueillir comme une bonne amie.

Enfin ! Enfin on peut s'y mettre. L'impatiente Xiao pouvait enfin la voir à l'oeuvre, et envisager la suite de sa journée avec un peu plus de clarté. Elle qui ne sait rien faire sans se dépêcher - malgré son approche très structurée de sont travail - ne peut qu'observer Luce avec un air contrit. "Allez allez, j'veux voir ce que ça fait !" Qu'elle s'exclame encore alors que la tatoueuse commence déjà son oeuvre.

Le premier coup surprend. On a beau se préparer, être prévenu, toute douleur surprend toujours. C'était le cas avec le Mentor, lors des punitions, et avec les cibles un peu récalcitrantes. Si Xiao a appris à tout encaisser, elle a aussi appris à esquiver, être assez agile pour être intouchable, presque invincible. Alors, contrairement à d'autres types de combattants, elle ne sait gérer la douleur qu'en dernier recours. C'est sans doute la fascination née de ses durs entraînement qui ont causé la recherche de cette sensation, encore et encore, pour se sentir souffrir.

Peut-être a-t-elle quelques espoirs démesurés vis à vis du tatouage. La douleur est là, évidemment, et elle la fait grimacer un court instant. Elle force la chinoise à l'immobilité, et à la concentration. Les sourcils froncés, elle regarde dans le vide, son regard est froid. Froid, comme les bacs de glaçons dans laquelle elle a manqué se noyer plus d'une fois. Elle ne prononce pas un mot, et laisse son amie faire, confiante. Parce qu'elle sait qu'elle sait ce qu'elle fait, que gigoter serait de la triche pour la faire perdre, et qu'elle a son propre défi à gérer.

C'est aussi son petit jeu à elle. Encaisser en montrant le moins de signes de douleur possibles. Après tout, ça lui est supportable, bien que soutenu. Sans doute n'est-ce pas la douleur en elle même qui est gênante, mais le fait qu'elle dure. Comme un gros moustique qui piquerait en continu ? C'est sans doute l'immobilité qui l'agace le plus, mais elle s'y tient.

Lorsque Luce la questionne, elle sort d'un état second dans lequel elle s'est plongée par réflexe, par habitude. Celui qui l'anesthésie de tout. "Hein ? Heu, oui oui, t'inquiètes." Sa voix est tout de même plus monocorde, ne se réveille qu'à la fin. "Vraiment, je t'ai dit, j'peux tout encaisser, hihi !" Son regard part vers le téléphone qui affiche le temps restant, puis sur l'oeuvre en cours de réalisation. Mh. A première vue, elle ne méritera pas de gage. "Vingt-cinq minutes. Tout pile au milieu. T'as bouffé un chronomètre ?" Un petit sourire naît sur le visage de la chinoise. "Eh ! C'est déjà joli ! Tu déconnes pas, toi ! Waah !"

L'expérience d'un tatouage a quelque chose de particulier. Un mélange de douleur - consentie, quoique crispante parce que plus agaçante que vraiment insupportable - et de plaisir, de fierté. Xiao est contente d'avoir enfin sauté le pas. De pouvoir afficher ce symbole sur son épaule, et de subir la douleur obligatoire pour arborer cette marque orgueilleuse sur sa peau. Elle ne partira pas, personne en pourra jamais lui retirer son appartenance à la Triade.

Le regard perdu, dans cet état second, le sourire aux lèvres, la chinoise regarde vaguement en direction de son téléphone alors que la tatoueuse sort de sa concentration silencieuse. "Mh ? Bah, non, j'ai pas besoin d'anesthésie, j'ai juste une bonne tolérance !" S'exclame-t-elle, avant d'ajouter, moins fort, chuchotant presque. "J'serais pas un membre de la Triade si je hurlais à chaque piqure, héhé." Elle ne sait pas trop pourquoi elle prend tant de précautions, alors qu'elle est si fière. Le petit oiseau n'a pas vraiment de mal à parler de son appartenance à ce qu'elle considère être l'organisation la plus impressionnante de l'île. Mais il est de bon ton de rester relativement discret sur la question. Foutu pour foutu, de toute façon - puisqu'elle se fait tout de même tatouer un motif réservé au gang - autant la ramener un peu. "Et puis, ton défi est déjà pas mal. J'vais pas tricher."

Le regard perdu vers son téléphone, elle voit arriver une notification, révélant trois autres qu'elle n'avait pas vues auparavant. Des numéros associés à des noms plutôt cryptiques, "Eux", "Le Grand", "Le Vieux". Des supérieurs ou commanditaires de la Triade dont elle n'a jamais pris la peine d'apprendre ou retenir le nom, le respect qu'elle leur porte passant principalement par son efficacité et sa réactivité vis à vis de leurs demandes. Elle fronce brièvement les sourcils. Finalement, ce défi de tatouage rapide risque d'être plus arrangeant qu'elle ne l'escomptait.

Sortie de sa réflexion, elle répond d'un air partiellement distrait. "Oh ? Bah j'espère bien, enfin, j'te fais confiance pour que ce sera beau ! J'pense pas que tu me laisserais me balader avec un truc moche, de toute façon." Luce est au moins aussi fière qu'elle, quand il est question de son travail.

Les yeux mi-clos, Xiao laisse à nouveau tomber sa tête sur le fauteuil, et perd son regard sur le chronomètre, sans vraiment voir passer le temps ni les nombres. Encore une notification. Et puis une autre. Bon sang, ses journées de repos n'en sont jamais vraiment. La douleur la maintient éveillée et lui rappelle pourquoi elle est là, et pourquoi elle ne se précipite pas sur les Docks, tout de suite, telle un oiseau de proie, bien dressée par son fauconnier.

Pour être à nouveau sortie de sa légère crispation par la voix de la tatoueuse qui réclame d'en savoir plus sur son timing. "Hm ?" C'est comme si elle se réveillait à nouveau. "Oh, heu … Huit minutes … Sept minutes cinquante-huit, maintenant. Ben dis donc, t'es allée encore plus vite sur cette partie, comment tu fais ?"