Aiguilles et poulet frit | ft. Lucyle

L'après-midi est déjà bien entamé et Xiao l'a passé en grande partie à errer dans Chicago, perchée au dessus d'un de ses stands de poulet frit préférés, à regarder le cuisinier travailler en faisant des commentaires. Le tout dans le but évident de le pousser à craquer pour, au choix, lui donner sa recette secrète ou lui offrir un sachet d'ailerons frits gratuits. Au final, c'est la deuxième solution qu'il choisit, s'offrant une tranquillité bien méritée lorsque la chinoise repart avec sa dizaines de pilons frits.

Le petit oiseau de la Triade n'était pas supposée passer sa journée ainsi, mais son esprit s'est si vite retrouvé piraté par les bonnes odeurs de poulet. Elle remonte sur le toit des bâtiments qui lui servent de perchoir et prend la direction du Jacked-in-k en dévorant de temps à autres une pièce de poulet, le sourire aux lèvres.

Voilà longtemps qu'elle était supposée arborer son premier tatouage de gang. Le corps de la chinoise est encore vierge de toute encre, ce qui n'est pas une fierté. Le but de Xiao, assumé et sans doute imminent, est d'être l'une des Six Mers de la Triade. Obtenir ce graal, pouvoir venir réclamer le tatouage le plus symbolique de toute l'organisation. En attendant, c'est un autre qu'elle veut arborer, tout aussi réservé au groupe chinois, et qui a bien trop traîné.

Une chance qu'elle connaisse quelqu'un au Jacked-in-k. Quelqu'un qui a bien besoin de défis. Budget de la Triade en poche et ailerons de poulet dans les mains, Xiao finit par descendre devant l'entrée du salon. Lequel est plutôt bien plein, rien de très surprenant. Elle entre sans vraiment s'annoncer, observant les visiteurs en jetant quelques regards au dessus de son sac en papier, ignore la nana de l'accueil qui l'interpelle, et file directement dans la zone des tatoueurs pour retrouver celle dont elle vient requérir les services.

Pas mal de gros bras dans le coin, principalement ça, en réalité. Ils font les bonhommes et mine de ne pas sentir la douleur. Ça fait toujours rire la chinoise qui ne se gêne pas pour ricaner en voyant un grand type baraqué se mordre la lèvre à sang pour ne pas gémir sous l'aiguille qui vient lui torturer le bas du dos. Tout ça pour ça. Lorsqu'il finit par lâcher un couinement, Xiao s'amuse à lui donner un coup de coude dans les côtes, après quoi il se met à lui grogner dessus. "Articule." Qu'elle lui lance en ricanant, avant de partir dans le fond où elle reconnaît une tignasse claire.

Sans la moindre gêne, elle s'installe, debout, juste derrière elle, et attaque l'un de ses derniers morceaux de poulet croustillant. La bouche pleine, elle s'exclame alors. "Eh ben, s'pas mal ton truc, t'en as eu combien aujourd'hui ?"

Le petit oiseau de la Triade termine de dévorer son dernier morceau de poulet lorsque Lucyle l'interpelle. "Que deux ? Sérieux ? S'pas comme ça que tu vas battre ton record." L'idée que son travail ne soit pas exactement une compétition ne lui traverse jamais la tête. Pour Xiao, il y a le scoring, la productivité, et le défi. D'un dernier coup de dents, elle termine son aileron de poulet, remet ensuite les os dans le sac en papier qu'elle laisse tomber dans une poubelle à proximité en se suçant les doigts. "Ch'tu veux ils ont mis un échafaudage sur le bâtiment derrière, y'a une bonne vue je parie." Le petit détail important dans cette histoire étant que l'échafaudage - comme la plupart de ceux de Decay - n'est ni vraiment fini ni sécurisé. Avec son poids plume, Xiao n'a jamais eu à se soucier de ça, mais en a déjà détruits deux ou trois en jouant les singes sur les montants métalliques.

"Ch'uis venue pour …" Elle s'interrompt lorsqu'on lui tend un papier qu'elle prend directement pour essuyer ses doigts couverts de graisse, d'épices et de salive. Il rejoint le sac en papier dans la poubelle lorsqu'elle termine, consciencieuse, de se nettoyer les mains. "Je t'inspire ? Eh, tu me tatoues pas le visage hein ! J'veux pas finir comme l'autre jacky derrière, là." Du pouce, elle désigne un grand gars debout dans un coin de la pièce, qui surveille les autres tatoueurs d'un air mauvais. Il est grand, maigre, le teint grisâtre - à moins que ce ne soit l'encre passée - mal habillé, et intégralement recouvert de tatouages, pour ce qu'elle peut voir. La curiosité de la chinoise s'éveille à nouveau et elle se penche vers Lucyle. "Au fait, tu sais s'il est tatoué partout … partout ? Je l'ai jamais vu sans ses fringues pourries."

En l'évoquant, elle jette un regard furtif dans sa direction. "On pourrait p'tet vérifier, hinhin. J'te parie qu'il a rien sous son pantalon." L'homme est tatoué sur tous ses membres visibles, y compris dans des zones difficiles d'accès ou, à priori, très douloureuses à première vue. Ce qui lui vaut de regarder d'un air hautain la clientèle encore novice du salon à chaque fois que la chinoise vient rendre visite à Lucyle. "Si tu baisses son fute pour qu'on voie, tu gagnes et je fais ce que tu veux. Partante ? Tu choisis le prix."

Ah, les défis. Xiao a déjà oublié la raison de sa venue, obnubilée par la curiosité et l'envie de lancer cette escalade de gages qui occupe son esprit compétitif et sans repos. Lucyle a l'air contente, de toute façon, alors autant profiter. "J'le ferais bien moi même…" Commence-t-elle en haussant les épaules. "Mais c'est chez toi, et j'suis sûre que t'es encore plus curieuse que moi." Un air exagérément détaché sur le visage, elle continue d'observer les clients et les tatoueurs, concentrés sur leur travail. Xiao n'aurait jamais la patience de faire ça. Si elle a appris à se canaliser dans son travail et être efficace dans l'attente et la discrétion, tout le reste de son existence n'est qu'un gigantesque exutoire pour ses pulsions.

Amusée, elle fait quelques pas en direction des autres zones occupées par les tatoueurs du salon, puis se retourne vers Lucyle, un sourire espiègle aux lèvres. "Après, si tu te sens pas capable, j'peux le faire, héhé."

Devant le manque d'intérêt de Lucyle pour l'escalade, les défis, ou la mise en danger, Xiao ne fait que hausser les épaules. Ca commence toujours comme ça, de toute façon. Il suffit d'insister, encore et encore, c'est la méthode qu'elle emploie avec tout le monde. Ca lui vaut du poulet frit gratuit, des expériences fantastiques, et pas mal de surprises au réveil. Surprenant, d'ailleurs, qu'elle ne se soit jamais retrouvée avec un tatouage planqué quelque part sans le moindre souvenir de l'avoir reçu.

"Tu sais, si tu me tournes autour comme ça, il va falloir que tu tentes un truc ou que tu me bouffes, tu me donnes le tournis." Rit-elle en la regardant faire. "Tu crois que j'ai besoin d'un air rebelle ?" Questionne-t-elle alors, en haussant les sourcils. Rebelle ? Pas vraiment quelque chose qu'on lui a appris à apprécier. Mais là encore, désobéir à la Triade consisterait plutôt en … refuser de faire le tatouage pour lequel elle est venue. "Tu verrais quoi comme tatouage ?" Demande-t-elle, curieuse, en observant les allées et venues de sa cible.

Le refus de Lucyle de se laisser aller à mettre le bordel dans le salon ne lui donne que plus envie encore de s'y mettre elle-même. "Je sais pas, il a l'air de vraiment tenir à sa crédibilité de tatoué, p'tet qu'il a fait les choses jusqu'au bout …" La chinoise continue de le détailler de haut en bas, discrètement. "Ca doit faire moche quand ça s'étire, hinhinhin." Mais Lucyle la recadre avec des arguments qu'elle ne comprend qu'à moitié. Certes, dans son propre métier, elle ne perd pas de temps à mettre à poil ses cibles. Mais à quoi bon s'embarrasser de ça dans un salon de tatouage, si la partie n'est pas lancée ?

Alors elle hausse les épaules et rejoint la tatoueuse. "Bah, justement, s'il la ramène avec ses tatouages, faut bien qu'il les montre !" Xiao s'assied sur le premier coin de bureau disponible, faisant battre ses jambes dans le vide, et pousse un long soupir avant de se redresser brusquement. "Tu sais quoi ? Tu me tatoues un truc et tu me laisses lui baisser le fute. Ou tu me donnes une preuve qu'il est pas tatoué en bas. Donnant donnant." Elle sort alors son téléphone sur lequel se trouve le modèle de tatouage donné par la Triade. Ca n'est pas encore celui qu'elle vise d'avoir - le tatouage d'une des Six mers - mais il est déjà représentatif de son grade au sein de l'organisation. S'il n'est pas obligatoire, Xiao se fait une fierté de se trouer la peau pour la première fois pour l'organisation qui l'a élevée.

Elle le regarde un instant, sérieuse, avant de le tendre à Lucyle, un large sourire fendant son visage tout fier. "Tu disais ? Épaules ou cuisse c'est ça ? J'te fais confiance, c'est toi qui sais." Sa fierté gonflant son ego, Xiao attend avec impatience la réaction de la tatoueuse. Peut-être qu'elle en fait souvent, des comme ça. Peut-être même qu'elle y est indifférente. Mais pour la chinoise, c'est un premier pas vers l'excellence et elle est fière comme un pou. "Faudra juste garder l'avant bras droit libre, pour plus tard." Le jour où elle arborera le Serpent à Tête de Dragon, Xiao n'a pas l'intention de le cacher.

La première proposition de Lucyle attire l'attention de Xiao, pour sûr. Si la symbolique ne la touche pas plus que ça - encore une chose qui ne fait pas vraiment partie de ses considérations ou de ce qu'elle peut comprendre - le serpent est très beau, les couleurs iraient à merveille avec son teint et ses goûts. Et puis, c'est un serpent. Xiao aime les serpents, presque autant que les oiseaux, et c'est une référence de plus à sa famille, ceux à qui elle offre sa vie tous les jours. Croisant les bras, elle garde les yeux rivés vers le modèle, un petit sourire en coin. "J'avoue que …" Mais ne termine pas sa phrase. Elle n'est pas là pour ça, et s'il lui venait un jour l'envie de se tatouer autre chose que ce que la Triade lui demande, elle prendrait sans doute le temps de réfléchir bien plus longtemps.

Mais ce genre d'entreprise émancipatrice est loin de faire partie de ses projets. Alors, elle hausse les épaules. "Je retiens juste que tu me trouves belle." Xiao prend tous les compliments qui viennent, un large sourire aux lèvres, le ton amusé. De quoi nourrir son ego à qui la Triade ne donne que rarement de quoi se sustenter. Un tel monstre a besoin de carburant pour faire tenir le petit corps de la chinoise à travers tout ce qu'elle lui impose jour après jour.

Et puis Lucyle craque. Enfin ! "Ah quand même ! J'ai cru que tu tenais vraiment à te complaire dans ton ennui, et l'ennui, bah c'est chiant." Sur cette pensée très profonde, Xiao jette quelques regards au tatouage qu'elle tend. L'emplacement. L'épaule lui plaît, autant que la cuisse ou la clavicule. De toute façon, pour ce qui est de l'afficher quand elle travaille, eh bien … Elle est de toute façon recouverte intégralement de sa tenue de travail, jusqu'au visage caché sous son casque. Toute coquetterie ne vaut rien face à la nécessité de rester anonyme et de se protéger des coups et blessures. Le reste du temps cependant, Xiao est loin d'être pudique. Et pour un premier tatouage, elle pense se faire une idée.

"Les épaules ! C'est toi qui gères, mais je veux sur les épaules." Son esprit vagabonde, tente de se projeter, d'imaginer. Elle n'a jamais trop vu les tatouages des autres assassins de la Triade. De toute façon, ceux qu'elle connaît sont tous des hommes et se tatouent à des endroits cons et invisibles, pour le principe. Xiao, elle, veut l'afficher, car elle est fière de son appartenance au groupe à qui elle appartient corps et âme. "T'façon, si j'aime, je te demanderai pour le prochain. Je serai toujours à temps de me tatouer la cuisse plus tard." A force de traîner dans le coin, regarder les gens se faire trouer la peau et recouvrir d'encre, de plus en plus, Xiao commence à s'y intéresser."Oh, j'ai vraiment pas peur de la douleur, crois moi." Un petit sourire entendu étire ses lèvres. Sans doute que la signification même de ce tatouage témoigne déjà de ce dont elle est capable pour abattre une cible, et ce qu'elle a déjà traversé pour être là, devant Lucyle, à s'offrir un tatouage au nom de la Triade.

Toujours curieuse, elle vient se tenir à côté de la tatoueuse déjà penchée sur son carnet, sérieuse. "Hm, un peu de temps, c'est à dire ? J'sais pas du tout comment ça marche. Je croyais que les gens venaient comme des touristes pour repartir tatoués, moi." Xiao vient régulièrement, pourtant. Mais prêter attention à ce que font les gens autour d'elle n'est pas son fort, si elle n'y est pas tenue par son travail. La concentration sélective. Capable de tout, mais seulement quand elle le veut bien. Lasse, elle s'assied sur un coin de table inoccupé et pousse un soupir. "J'peux faire un truc ? N'importe quoi. Tu fais quoi toi, quand tu t'ennuies ?" Son regard repart vers les clients et employés qui peuplent la salle. "Y sont bien vos coiffeurs ?" Pas que Xiao soit du genre à dépenser son argent. Mais sait-on jamais, si un jour il lui venait à l'idée de se soucier de sa crinière autrement que pour se dépêtrer d'un coin de porte ou d'une autre machine mangeuse de tignasse.

Impatiente, Xiao pince les lèvres en écoutant les propositions de la tatoueuse. Boire ? A cette heure ? Toute seule au milieu d'un salon de tatouage ? Pas terrible. Quant à faire de la musique … "J'ai jamais fait de musique … Tu me diras, je pense que c'est pour le mieux." Si Xiao aime accompagner chaque instant de sa vie et, surtout, de son travail avec de la musique, sa compétence en la matière s'arrête là. Il ne vaut mieux pas la faire chanter non plus. Son chant a moins du petit moineau que de la mouette enragée.

La chinoise se met alors à faire quelques aller-retours derrière sa tatoueuse. Puis faire le tour de son coin de travail pour regarder ce qui orne les murs. Forme de petits tas bien alignés avec les papiers qui traînent, pour déblayer les plans de travail. Puis, elle aligne les objets, crayons, accessoires, tout dont elle reconnaît l'usage. Une fois ceci fait, elle s'attèle à faire de même avec les bureaux des autres tatoueurs. Elle passe bien quelques minutes comme ça, à faire le tour, tout aligner, tout arranger, tout ranger.

Son petit parcours la mène jusqu'au standard où elle commence à arranger les petites cartes du Jacked-in-k et les cartons de prise de rendez-vous. Ces trucs poussiéreux n'ont pas l'air d'avoir servi depuis, probablement, la fondation du salon, à en croire la couche de crasse autour. Et puis, qui utilise du papier aujourd'hui pour noter un rendez-vous ? Lorsqu'elle prend le petit tas dans ses mains pour l'arranger, une trace de poussière un peu collante démarque l'emplacement des cartons sur le comptoir. Elle lève un regard jugeant vers la nénette qui gère l'accueil. "Sérieusement ?" Commente-t-elle en essuyant la poussière à l'aide de sa manche, faute de mieux.

Son travail terminé, elle fait le tour du salon par l'autre côté et passe à côté du grand type maigrichon et ses tatouages partout. Il doit bien faire trois ou quatre têtes de plus qu'elle mais son gabarit n'est pas si impressionnant. Xiao se pose devant lui pour l'observer. Depuis sa petite taille, elle peut même constater qu'il est tatoué sous la mâchoire. "C'est marrant, la forme de votre tatouage là, autour du grain de beauté, on dirait un manchon de poulet." Ça, ou autre chose. "Ou une bite." Un petit sourire vient orner son visage mutin. "Z'avez commencé y'a combien de temps ?" Le type baisse son regard vers la chinoise et marmonne quelque chose à propos de leur différence d'âge, et qu'il a probablement commencé à se trouer la peau avant sa naissance. Peu convaincue par la réponse, elle hausse les épaules, et s'éloigne sous le regard mauvais de l'importuné.

Xiao rejoint finalement sa tatoueuse après un bon quart d'heure de balade et d'agacement pour les moins maniaques des employés. "Promis, j'ai fait chier personne. J'ai juste rangé et posé des questions." Le pire, c'est qu'elle est persuadée de dire toute la vérité. "Alors, qu'est-ce que ça donne ? Si j'dois encore m'occuper faudra fournir la boisson, sinon je risque vraiment de trop m'amuser à ton goût, madame Luce."