Hot Girl Bummer. (Cover) | ft. Violeta Ruiz

Il avait presqu’envie de lui poser une seule et unique question. Savait-elle seulement ce qu’était réellement un Runner ? A l’entendre jusque-là, il avait eu la sensation qu’elle désirait les garder contre un mur plutôt que de les laisser s’envoler plus loin, plus haut et plus longtemps. Les yeux plissés sous son masque, il détaillait néanmoins toute la joie de découvrir le passé qu’il portait. Oui, il était un ancien Runner. Alors qu’elle l’enchaînait avec une nouvelle attaque, où il n’avait pas le temps d’en placer une, il regrettait presque toujours de seulement l’ouvrir tant une seule phrase conduisait la jeune femme sur de nouvelles questions. Et au vu de son petit saut sur le plan de travail, elle était bien heureuse d’en apprendre sur lui.

Une erreur qu’il ne commettrait sûrement pas deux fois.

Alors qu’il s’approchait finalement des plans, dévoilant sa main droite au petit doigt manquant, il prenait les deux papiers qu’il étudiait déjà. D’abord le masque. Puis les nouvelles chaussures. Il aimait les idées. Aussi, en récompense, il allait quand même tenter de répondre à toutes les questions qu’elle avait. Il lui devait bien cela puisqu’il ne payait pas la livraison du premier masque. Quant aux chaussures, elles restaient à voir. Possiblement qu’après un premier test, il pourrait toujours réaliser un premier versement. Alors, souriant néanmoins à ses propres souvenirs, il prit la parole. « J’avais essentiellement besoin d’argent pour continuer de survivre. » Inutile de dire pourquoi mais il n’était plus membre des Yakuzas.

_ J’avais déjà quelques aptitudes dans le domaine de la Course. J’en ai poursuivi certains des leurs jusqu’à être repéré. Pour faire partie de l’équipe pour de vrai, j’étais engagé dans une course avec trois nouveaux, tout comme moi, et un ancien. Le tout était de réussir à le suivre jusqu’à la ligne d’arrivée. » Haussant les épaules, il reprit encore tandis qu’il se tournait pour détailler sous une autre lumière. « L’un des nouveaux est mort, il a mal pris son élan sur un toit, son pied aurait glissé juste avant, sa tête s’est écrasée contre le mur d’en face et son cri s’est arrêté quand il a atterri mort au sol. » Sans qu’elle ne le sache, il aimait les deux plans. Une moue approbatrice. « Et nous avions une deuxième épreuve où nous devions créer notre propre chemin jusqu’à la ligne d’arrivée. Ceux qui ont trop hésité ont été recalé. »

Il parlait trop. Il le sentait bien. Mais il était difficile, même pour lui, d’être concis, tant il se devait d’être le plus complet envers la jeune femme. « On s’entraîne constamment. Et dès qu’une course est possible, quelqu’un se lance. Mais on n’avait pas vraiment de signe particulier, ni même un uniforme. Je pense que tu peux les repérer parce qu’ils ont souvent une sacoche ou un sac à dos pour pouvoir transporter le nécessaire. Il n’y avait pas encore de tatouages à mon époque, juste un lieu de rassemblement des Free Runners. »

_ J’aime beaucoup les plans. Tu saurais t’y mettre à partir de quand ? », lâchait-il finalement en s’accoudant sur le plan de travail.

Lorsqu'il se met à raconter son passé de Runner, je peux pas m'empêcher de sourire. J 'en ai mal aux joues ! J'oublie même jusqu'à la présence des autres derrière qui doivent bien se marrer. Ils savent à quel point ça m'intrigue, ces gens qui sautent d'un endroit à l'autre, et traversent la ville en un rien de temps. J'ai pas la prétention d'en arriver jusque là, mais j'aimerais tellement apprendre d'eux.

Quand il décrit les courses, les épreuves, je peux pas m'empêcher d'imaginer. Ca doit être tellement classe. Dangereux, aussi, comme tout. Ce type qui est mort en tombant, c'est triste pour lui, mais il est mort en faisant ce qu'il aimait. Un peu comme Diablo qui s'est fait péter en bidouillant des trucs. C'est triste pour lui, mais la vie continue. Si je comprends bien, c'est comme ça que tout le monde réfléchit, de toute façon. "Ooooh" Je peux pas m'empêcher de commenter. Maintenant je le sais, je vais surveiller tous les gens qui courent avec un sac à dos. En même temps c'est logique, ils doivent bien transporter des trucs. Si j'avais assez d'argent, j'aimerais bien en payer un pour voir ce que ça donne. Mais c'est bien parce que je dois me débrouiller pour livrer mes boosters et mes projets que j'aimerais apprendre à faire comme eux.

Mais j'ai trop de choses à faire. Pas assez de temps. On a vraiment pas assez de 24h dans une journée pour tout faire et découvrir.

Je me rends compte à quel point je suis concentrée, j'ai perdu mon sourire, en songeant à tout ça. Lorsqu'il annonce aimer mes plans, il revient tout de suite. J'ai encore mal aux joues, mais on s'y fait. Je lui prends les plans pour jeter un dernier coup d'oeil. Sans doute quelques ajustements à faire, ajouter de la précision au concept qui n'en est là qu'aux croquis, au premier jet. ca prendra déjà quelques heures, mais c'est ce que je vais faire aujourd'hui. Et puis, la fabrication. Je me débrouillerai, quitte à pas dormir.

" Je vais commencer aujourd'hui, je pense. Sur le casque. Quelques précisions à rajouter sur les plans, mais ce sera rapide, je pourrai passer à la fabrication dès demain hum … soir." Mon regard se perd vers les caisses qui longent les murs de l'atelier. "Pour les pièces, hm. Ouais, je devrais avoir des bases, au moins pour le premier jet, je fouillerai …" Ma respiration se calme, mon esprit se pose, mais pas vraiment là où il faut.

" Ouais ! Ca ira. Je m'y mets beh … Tout de suite, en fait. Pour pas perdre le fil ! Ca m'inspire, tout ça. Et puis de toute façon." Je sors un booster, identique à celui que j'ai donné au client. "J'ai de quoi tenir la nuit, si besoin !" Je le dépose sur la paillasse en riant. Généralement, je ne goûte aux boosters que pour les tester quand je n'ai pas de sujet pour les essais. Ca arrive assez souvent, malheureusement. Ou alors, je fais quelques exceptions. Je mets tellement de temps à redescendre après que c'est pas toujours très viable. "Tu me diras ce que t'en penses aussi ! Si t'as besoin de tenir longtemps sans somnoler, ou que t'as besoin d'un petit coup de speed !" Que je lui lance. Ouais, si je peux aussi me faire un nouveau client pour les boosters, et qu'il a de bons contacts, c'est toujours ça de pris.

Elle se calmait doucement. Il le sentait bien. Une fois qu’elle avait eu réponses à toutes ses questions, la jeune femme était descendue. Comme si toute l’adrénaline sur laquelle elle fonctionnait à chaque instant venait de s’épuiser pour le moment. Elle parlait moins et allait, finalement, à l’essentiel, ce qui n’était pas pour déplaire au Mongol. Léger sourire sous son masque, invisible, il hochait de la tête alors qu’il la laissait s’exécuter. Les deux garçons dans le divan abandonnaient finalement leur garde pour reprendre ce qu’ils faisaient. Il n’y avait plus rien à se mettre sous la dent. Le Masqué n’était pas encore une recrue et il n’était pas non plus le nouveau petit copain de l’ingénieuse. Autant dire qu’il devenait soudainement peu intéressant, voire même banal. Passant dorénavant complètement inaperçu dans le décor, il se détournait vaguement de la table de la jeune femme.

Elle tenait quand même à ce qu’il essaie le produit qu’elle lui avait refourgué, ce qui n’était pas exactement pour lui plaire. Peut-être devrait-il s’occuper de ce problème par la suite ? Pour le moment, il pouvait au moins se concentrer sur les deux plans en construction. D’abord son nouveau masque, même s’il restait à voir ce qu’elle allait préparer exactement, ainsi que les nouvelles bottes qu’il pourrait peut-être tester en premier. Sortant la capsule de sa poche, il la détaillait à nouveau. Prenant une longue inspiration, alors qu’il l’entendait en train de travailler à nouveau toute seule, se parlant à elle-même comme si cela pouvait sûrement l’aider à mieux travailler.

_ Si t’as besoin de matériaux, je veux bien payer le nécessaire. Surtout si tu épuises vos stocks. » Il restait un honnête homme. Chacun devait travailler sa part. Et, pour lui, il était alors important qu’elle puisse vivre du travail qu’elle allait accomplir. Non pas ses boosters, car ceux-ci ne le concernaient guère. Mais au moins une part du masque, ainsi que les chaussures prototypes qui l’intéressaient beaucoup. Surtout que cela pourrait possiblement rapporter une belle petite somme à la jeune femme si le projet fonctionnait. Il ne demandait rien, sinon que cela fonctionne. Il n’avait même pas besoin d’être mentionné.

_ T’aurais un moyen d’être contactée ? Je communiquais qu’avec Diablo et je n’ai pas envie de me présenter à l’improviste plusieurs fois parce que tu n’es pas là. » Il n’aimait guère marcher tel un Errant. S’il devait se présenter plus d’une fois à la porte du magasin, cela finirait rapidement par l’agacer. Il détestait les mauvais partenaires économiques. Si elle n’était pas sérieuse, il ne serait pas intéressé. Si elle manquait ses rendez-vous professionnels, ce ne serait pas son problème. Il serait bon payeur, elle devait se montrer à la hauteur de l’investissement.

J'ai tant la tête dans mon projet que j'ai du mal à percevoir tout ce qui se passe autour. Je jette un oeil aux plans, à mes réserves de matériaux, et je sors mon device pour voir mon emploi du temps. J'ai l'air plutôt désorganisée, j'en ai conscience, et désordonnée. Mais c'est surtout parce que j'ai tout un tas de choses à faire, je me donne beaucoup de travail et beaucoup de responsabilités parce que tout m'intéresse. Mes listes de tâches sont interminables, mais elles sont toujours à jour, grâce à un système très simple et bien automatisé que j'ai développé lors de mon arrivée dans le Gang. Bon, effectivement, si je dois me fournir plus de matériaux, il va me falloir ajouter des ventes de boosters, et trouver des clients. Ou trouver quelque chose à faire, à vendre, qui ne me prenne pas trop de temps. Un boulot de hacking pas trop mal payé serait une aubaine, mais à l'heure actuelle, il y a tant de petit geeks qui se prennent pour des hackers que les tarifs chutent. Les gens sont déçus et reviennent après voir les vrais pirates talentueux mais en attendant … Ils vont voir les low-cost. Pas une entrée d'argent très fiable.

Ma réflexion est interrompue par une proposition à laquelle je n'avais même pas pensé. Il faut dire que ce type a pas l'air très généreux. Le résultat de la connerie de Diablo, au final. "Ah, ce serait parfait ! Ca va me donner plus de temps si j'ai pas besoin de bosser sur autre chose pour compenser." Il n'a sans doute pas besoin de savoir ce que je fais de mon temps, mais c'est sorti tout seul. "C'est gentil !" Je le remercie avant de me pencher sur mon plan, crayon mal taillé à la main. Je jette quelques regards au casque à réparer et à la tête de mon client. Au moins, je n'ai pas besoin de le mesurer directement. Je ne sais pas trop pourquoi, mais l'idée de l'approcher ne me met pas très à l'aise.

" Pour me contacter ? Oh, j'suis sur MeetYourGuy, moi aussi. C'est Visage, enfin, écrit comme ça." Je prends mon carnet et griffonne l'orthographe correcte, V15463. "Tu peux m'envoyer un message par là, je te filerai mon contact privé !" Une règle d'or, ne jamais communiquer par les mêmes biais entre les prospects et les vrais clients. "Je t'enverrai des photos de la progression si tu veux !" J'essaie même plus de cacher mon enthousiasme. Je sais déjà que j'aurai envie de montrer ce truc à tout le monde, mais que les autres Dead Eyes s'en foutront. Si je peux avoir un interlocuteur concerné, c'est pas plus mal. "T'as besoin d'autre chose ?"

Prenant le papier de contact de sa main la moins infirme – la dextre qui portait quatre, et non cinq, doigts -, le Mongol jetait un bref regard au nom affiché. Visage, hein. Pas mal. Il appréciait le trait ingénieux sur l’écriture même si, dans le même temps, elle lui semblait d’autant plus jeune. Un usage excessif des chiffres. Au moins, elle avait encore de la jugeote. Intéressante. Brièvement intrigante. Elle restait pour le moins dangereuse. Elle était trop ambitieuse. Aussi, méfiant, Nergüi plongeait le papier dans sa poche. Il gardait l’information qu’il pouvait dorénavant la contacter et ceci était le plus important. Il ne désirait pas se présenter à plusieurs reprises et trouver porte close. Ou seulement sur les quelques membres de seconde zone qui viendraient fouiller sur l’atelier de la jeune femme sans savoir. Au risque de détruire le désordre désorganisé de la jeune femme.

Hochant négativement de la tête, il observait qu’elle ne l’avait pas vue. Déjà trop plongée dans ses croquis et ses travaux. Au moins, elle ne perdrait pas de temps. Il lui enverrait les Crédits nécessaires pour ne pas trop y perdre. Il n’était pas riche mais il pourrait au moins couvrir les quelques frais sur les ressources employées. Il ne comptait pas payer le temps et la main d’œuvre par contre. « Non. Je connais mon chemin. » Une façon de lui dire qu’elle aurait au moins pu le raccompagner mais qu’il n’en prendrait pas ombrage. Saluant de la tête les deux hommes dans le divan qui jetaient un dernier regard au duo, en espérant sûrement secrètement voir le visage du Mongol ou que les deux tournent finalement une sextape étrange, il fit demi-tour, se dirigeant de lui-même vers la porte de sortie, qui était celle de l’entrée.

_ Merci pour le travail. Tes croquis sont impressionnants, Visage. », aussi comptait-il directement l’appeler par son pseudonyme puisqu’elle ne s’était jamais présentée. Puis, l’ouvrant, il partait finalement sur cette dernière note.

Je ne suis pas vraiment versée dans le badinage ou le small-talk. Aussi, lorsque je comprends que le type accepte que je travaille sur le projet, et que tout est bon, je ne peux m'empêcher de me concentrer exclusivement sur ce qui m'attend. Le reste, les au-revoir, les présentations tardives, tout ça, ça me passe au dessus, et même par réflexe, j'ai du mal à donner suite.

Lorsqu'il s'adresse à moi, je lève la tête très brièvement, pas assez longtemps pour vraiment voir ce qu'il fait, et lui fait un simple signe de la main pour le saluer. "Ah, parfait !" Je suis déjà à moitié assise mais prête à bondir. J'imagine déjà les autres prévoir de partir de l'atelier parce qu'ils savent ce que ça donne quand je travaille sur un nouveau projet. Des bousculades, des vols d'outils et de matériel, quelques bleus et pas mal de bosses pour l'entourage. Je crois qu'ils s'en contentent bien, alors je ne me fais pas plus de soucis que ça.

Le type finit par me remercier et complimenter mon travail, et je réalise que je ne sais plus s'il s'est présenté ou non, j'ai peut-être simplement oublié son nom. Je relève la tête une dernière fois, lui adresse un grand sourire. "Merci, le masque !" Mais le voilà qui part déjà, et je ne sais même pas s'il m'a vraiment entendue. Pas grave, c'est plutôt cool de tomber sur quelqu'un qui ne se vexe pas pour des histoires de politesse. Ca me met bien plus à l'aise dans mon travail de ne pas avoir à réfléchir à la façon de présenter les informations. Il est suivi, quelques secondes plus tard, de tous mes collègues qui se faufilent discrètement. Ou peut-être pas tant que ça. Je ne réalise leur départ qu'une bonne dizaine de minutes après. Le travail d'abord.