Hot Girl Bummer. (Cover) | ft. Violeta Ruiz

Il levait la tête sur l’enseigne qui ne payait pas exactement de mine, en vérité. Cela faisait plusieurs semaines maintenant qu’il avait trouvé, sur quelques sites peu scrupuleux, un partenaire pour quelques discussions. Lorsqu’il avait alors du temps libre, et que l’autre se trouvait être en ligne, ce dernier parlait des augmentations technologiques dont il était vraiment capable, évoquant ses projets les plus fous. Parfois, il dérivait sur d’autres sujets, qui ne concernaient que peu le Mercenaire, comme par hasard comment il aimait énormément une fille du groupe dans lequel il travaillait. Sujet dont se fichait entièrement le Mongol. Il n’était pas intéressé par les choses de l’amour, comme il disait si bien. Pourtant, depuis plusieurs jours, l’autre ne donnait plus aucun signe de vie.

Or, ils avaient un rendez-vous prévu de visu, justement, pour parler des augmentations possibles qu’il pourrait exécuter sur ses masques. Khan n’avait évidemment pas caché son métier en tant que mercenaire et assassin et du besoin d’ergonomie dans son outil de travail. Il ne pouvait pas avoir de multiples notifications qui apparaissaient à gauche et à droite. S’il avait viré le précédent, ce n’était pas pour rien, après tout. Jetant un coup d’œil à nouveau au pied de papier sur lequel il avait écrit la bonne adresse, il poussait un soupir. Evidemment, cela devait être un truc miteux. Et vraiment, ce mec travaillait dans un coin pareil ? Avec d’autres personnes ? Il commençait à croire à l’arnaque et au coup monté, en vérité. Méfiant, mais aussi agacé par l’absence totale de réponses depuis plusieurs jours, il poussait finalement un soupir. De toute façon, même si cela était un piège, il était assez remis pour pouvoir se débattre et se défendre tout seul.

Frappant à la porte, une petite cellule s’ouvrit rapidement pour faire apparaître une paire de yeux. Evidemment, ils étaient old school. Quel étrange groupe. Dans quoi s’était-il donc embarqué en acceptant cette nouvelle installation ? Poussant un soupir que le modulateur ne traduisait jamais, il haussait les épaules alors qu’il se présentait. « Je suis Khan, aka Ghost. J’ai rendez-vous avec un certain … xXxDiabloxXx69 ? » Définitivement, il passait pour un idiot à cet instant. Prenant une longue inspiration, callant sa bonne épaule contre la porte, il continuait en modulant sa voix. « Il est actuellement présent ? Ou peut-être pourriez-vous me dire où je pourrais le trouver, en fait ? Il ne répond plus depuis une bonne semaine sur MeetYourGuy … », une plateforme en ligne qui, sous ses airs de sites de rencontres, mettait en relation deux entrepreneurs indépendants, comme ils disaient si bien. Trouvez ce dont vous avez besoin !. Long silence.

La cellule se fermait sans une seule réponse. Définitivement, il n’était pas au bon endroit. Autant repartir avant de passer plus longtemps pour un imbécile.

Aïe ! Merde, je me suis encore cognée. Pardon monsieur. "Ah, non, à voix haute, pardon monsieur !" Quelle idiote, j'ai perdu ma concentration et mon personnage s'est encore vautré contre un rocher. Ca fait des jours que je reprends cette partie pour battre mon record. C'est tout le paradoxe d'être étrangement plus alerte en plein milieu de la rue, avec le bruit, les gens, et la musique dans les oreilles. Comme voler trop près du soleil et le voilà, le record qui me passe encore sous le nez.

Une bonne chose que j'arrive au Pawn Shop. Je ne sais même pas qui le tient aujourd'hui. J'ai pas vraiment retenu les noms de toute façon, ça tourne trop. Et leur matos est trop vieillot. Je ne sais même pas comment ils arrivent à rentrer dans leurs frais, on paie quand même pas si cher pour la couverture ? J'en sais rien. Faudrait que je pose la question.

Je passe la musique qui vient. Pourquoi je l'ai encore dans ma playlist ? Aucune espèce d'idée. J'appuie sur le bouton de mon earPod SSX et le son monte brutalement. Dans le magasin, je lance un vague geste de salutation à qui se trouve derrière le comptoir, le nez plongé dans mon application de notes. Tellement de projets et si peu de temps. Comment m'en sortir ? J'ai une dizaine de commandes de boosters à honorer, soit. C'est chiant, ces derniers temps, les clients veulent rien tester. Ils veulent la recette originale. Ça rapporte, mais j'avance pas. Ils manquent vraiment d'ambition, ces toxicos. Mon bras tremble un peu, les reste des tests d'hier. Ca devrait passer.

Je descends l'escalier qui mène au sous-sol, un chemin que je connais par coeur, dans une dizaine de pas, je serai à la porte. J'ai déjà la main dans la poche pour sortir le pass.

Boum.

Ah.

Ca fait moins de dix pas. C'est quoi ce truc contre mon front ? Je lève les yeux pour voir un type, pas très grand, mais toujours plus haut que moi. Je ne peux pas m'empêcher de sursauter. "Bonito, le masque !" Je tends les doigts avant de me raviser. La dernière fois que j'ai envoyé la main vers le visage de quelqu'un, j'ai failli perdre une phalange. Il y a trop d'affamés à Moskva. Et puis je réalise que je ne risque pas de l'entendre s'il s'adresse à moi. Peut-être qu'il est muet, de toute façon. Mais même pour parler en signes, j'ai besoin de silence. Allez savoir. Je coupe le son de mes Pods sans les retirer. "Disculpe, j'ai rien entendu. Z'avez besoin d'un truc ? Ils vous ont pas répondu ?" J'attends pas et me mets à tambouriner à la porte. "Eh ! On répond plus ? Ça a encore pété ?!" Je frotte mon pass au bloc d'ouverture et ça se déverrouille. De toute évidence, ça n'est pas un problème technique. J'invite alors le type à me suivre à l'intérieur. Pas besoin de jouer les mystérieux, franchement. "Ouais, on a eu une explosion il y a quelques jours, je sais plus. Ca fait quoi, une semaine ?" En temps normal, je ferais attention à mon accent avec un inconnu dont j'ignore l'origine, mais après tout, il porte un masque. C'est un peu de sa faute si on a du mal à communiquer.

" Ouais, une semaine. On a perdu un ou deux gars dans la déflagration, c'était vraiment pas beau. Mais ils ont pas mis leurs tenues, eh !" Je regarde autour de moi, ils ne sont que deux à l'intérieur. Pas les plus sociables, c'est un peu le cas de tous les Dead Eyes qui viennent traîner dans le coin. Je pose mon sac sur mon plan de travail et en sors une cannette de Monster +. "Ah, j'oublie, tu veux boire un truc ? Ou t'es genre, un truc qui boit pas et qui mange pas ? C'est quoi qui t'amène ?"

Dans quoi était-il exactement tombé comme c’était là ? Alors qu’il était presque bousculé par une jeune femme qui tentait de l’approcher un peu de trop près de son masque, il comprit qu’elle n’avait absolument rien entendu de ce qu’elle avait pu lui dire. Et, alors qu’il s’apprêtait à lui répondre, la bouche ouverte sous son masque, elle avait continué son cinéma. Définitivement, un étrange personnage. Et tandis qu’elle le faisait entrer sans autre vérification d’identité, il aurait aussi bien pu être un guerrier masqué vengeur qu’elle s’en serait fiché, il observait les laboratoires expérimentaux du petit groupe. Ils étaient tous aussi étranges qu’elle, nul doute sur ce sujet.

Haussant l’un de ses sourcils, il se questionnait réellement sur le groupe qu’il venait de rencontrer. Ils n’avaient pas vraiment l’air bien méchants, que du contraire. Ils ne se montraient pas agressifs envers lui et même plutôt heureux de voir la jeune femme rentrer avec ce dernier. L’un d’eux lança même à sa destination. « Et quoi, nouvelle recrue ? J’vois que ça pécho plutôt bien ! » Mais où était-il tombé exactement ? Inspirant sous son masque, il tentait de suivre le débit de la jeune femme qui parlait vite. Un peu trop vite. Comme si, dans l’esprit de cette dernière, les idées fusaient en même temps que les mots se bousculaient dans sa bouche. Un rythme qui était compliqué à suivre pour le Mongol. Se tournant finalement vers elle, il prit le temps de sortir, de sous son imperméable, un autre de ses masques, le présentant au-dessus de la table de travail, sans pour autant l’y poser. Trop de risques de contamination.

_ J’étais venu à la rencontre d’un certain … DiabloxXx69 que j’avais rencontré sur MeetYourGuy. », lâchait la voix robotique qui traduisait ses mots. Soudainement, tous s’étaient comme tus, analysant finalement l’homme cryptique qui était entré dans la pièce. Il n’était pas exactement comme eux. « J’ai perdu contact avec mon ancien gars de la logistique et j’avais besoin d’un nouvel ingénieur. » Se tournant vers le reste de l’équipe qui n’osait finalement plus le regarder et tentait vaguement de reprendre le cours non-naturel des événements, il reprit son discours dans le même temps. « Il m’avait proposé d’améliorer ce casque gratuitement pour montrer ce qu’il valait. Si cela me plaisait, je continuais de venir et le payait. Si j’étais déçu, je pouvais récupérer le masque et le jeter. »

Il ne savait que dire exactement car il n’avait, en face de lui, pas ce fameux Diablo. Autrement, elle aurait su tout ce qu’il lui disait. Et l’homme qu’il devait joindre ne répondait définitivement pas. A croire qu’il faisait partie de ces imbéciles qui étaient morts lors de la déflagration. Après tout, il avait toujours eu un comportement destructeur en plus d’aimer un peu trop le feu. Poussant un soupir, et rangeant finalement le casque sous son imperméable, il faisait déjà le chemin inverse. « Il m’avait laissé entendre qu’il était le meilleur dans son domaine. Mais, merci beaucoup. » Il hochait de la tête en remerciement. Au moins avait-il une réponse et pouvait reprendre ses recherches.

En effet, après ses folies du côté de Neo-Atlantis, non seulement le masque était trop lourd, ne permettait pas une bonne évacuation de la transpiration, mais en plus, et plus simplement, il était cassé. Trop facilement d’ailleurs, ce qui l’agaçait. Il avait dû improviser sans la moitié de ses capteurs actifs, en plus du brouilleur utilisé pour empêcher qu’il capte les ondes radio. Il devait encore se prémunir contre toutes ces attaques et, surtout, améliorer l’ergonomie de ses masques. Auquel cas, il finirait par mourir.

Lorsqu'il s'exprime, je ne peux pas m'empêcher de tendre l'oreille, pas tant pour comprendre le sens de ses mots que pour analyser le son. Une voix robotique, pas trop mal foutue, mais pas parfaite. Au fond, ce qu'il raconte ne me surprend pas, j'aurais fait la même. Un sujet d'études, prêt à tester tout un tas de prototypes dans ce genre, ça ne court pas les rues. C'est un échange de bons procédés qui peut donner de sacrés résultats, et pas mal d'argent pour expérimenter ce qu'on aime vraiment. Certains vendent des boosters, d'autres se laissent crever la dalle un moment pour arriver à convaincre de futurs clients friqués de nous autoriser à bidouiller leurs accessoires.

Le regard rivé sur l'objet dans ses mains, je ne peux pas m'empêcher de lâcher la bride à mon esprit qui vagabonde. Je me demande comment il est fichu, ce truc. Comment on pourrait l'améliorer. J'ai un sourire niais aux lèvres et les yeux dans le vide. C'est sans doute mon absence de réaction qui réveille le type, ce fameux "Ghost", qui commence à s'en aller. Lorsque le casque disparaît sous son imperméable, je redescends sur terre immédiatement. T'en vas pas, petit casque !

"Non, attends !" Que je lui lance en me précipitant devant lui pour m'interposer. Je ne peux m'empêcher de pouffer. "Diablo ? Le meilleur ? Peut-être pour se vanter et faire péter des trucs, mais c'est pas du tout le meilleur !" Je fais une pause. "Enfin, était." Je tends les mains devant moi, ferme et ouvre les poings plusieurs fois comme pour réclamer quelque chose. "Fais voir ! Je suis sûre que je peux y jeter un oeil. Déjà de loin, j'ai vu deux trois trucs qui pourraient être changés."

Personne ne va croire à ta bonne foi, idiote. Les gens sont pas si simples. Ils veulent toujours quelque chose en échange, lorsqu'ils t'accordent une faveur, ou te font plaisir. Je secoue la tête, avant de lever les yeux vers le masque qu'il porte. C'est difficile de lire dans les yeux des gens quand ils n'en ont pas. "Si je te fais perdre ton temps, au pire, je t'offre un booster. Cadeau de la maison !" Les types derrière lui relèvent les yeux vers nous, nous fixent un instant, et retournent à leur affaire en soupirant. Je ne sais pas pourquoi, à chaque fois que j'offre des boosters, ils ont la même réaction. L'un d'eux m'a déjà reproché de ne pas augmenter mes prix. Je ne suis pas une commerciale, moi ! Je crée, je fabrique, c'est déjà bien. Et au moins, moi, je me fais pas exploser dans le processus.

"Por favor ?" Que j'insiste. "Si vraiment mes améliorations t'intéressent pas, je peux au moins le réparer. Gratuitement ! Et je te fais un dessin des upgrades aujourd'hui, tout de suite."

Il jetait un coup d’œil à la jeune femme qui s’était interposée entre son départ et la porte. Elle n’était pas exactement imposante, ni même l’empêchait de s’en aller s’il le voulait vraiment. Qu’est-ce qu’il pouvait bien foutre à perdre son temps et sa journée avec cette bande de bras cassés ? Pourtant, gardant le silence, il l’observait, la détaillait. Elle n’était pas intéressée par lui, ni même sa profession. Elle désirait plus que tout étudier son casque, au moins le comprendre, et réussir à l’améliorer, peut-être. Il n’était pas exactement certain de connaître la façon la plus appropriée de lui répondre. Elle restait insistante, comme légèrement collante. Le risque était important que la relation dévie de trop. Une sangsue à la recherche d’adrénaline. Une inspiration.

Il n’avait rien à perdre en réalité.

Haussant les épaules, il lui avait tendu l’un de ses masques, celui qu’il avait abîmé lors de sa fuite de Neo-Atlantis. Lui-même restait triste devant le visage déformé, presque brisé, de son masque détruit. Définitivement, il détestait devoir les réparer. Mais peut-être était-ce aussi le moment d’une petite upgrade. Alors, il l’avait suivie jusqu’à son établi pour reprendre la discussion. « D’accord. Tu commences par réparer, gratuitement. Et je te prendrai ton booster pour le dédommagement. » Il parlait essentiellement de l’absence de son contact, le fameux Diablo, qui avait subitement disparu lors d’une expérience qui avait un peu trop mal tourné. Brutalement, d’ailleurs. Une longue inspiration alors que, toujours bien droit, les deux mains posées sur le bord, il continuait toujours sur le même ton robotique que lui donnait le casque.

_ Pour les améliorations, tu les dessines et tu m’en parles. Si elles m’intéressent, je pourrai te les payer à moitié prix. » Regardant autour de lui, il continuait de se renseigner sur le groupuscule. Peut-être qu’il pourrait y trouver tout le nécessaire pour s’armer à nouveau. Avec les temps difficiles, beaucoup fermaient leurs portes, surtout après les récentes descentes de la Milice. Se tournant vers chacun, mais lui adressant essentiellement la parole à elle tandis qu’il lui faisait confiance pour s’occuper de l’un de ses masques, il reprit.

_ Vous êtes capable de quoi exactement ? A part vous faire sauter et créer quelques petits trucs, vous avez quelques compétences dans quels domaines ? Histoire de savoir si je saurai vous payer un peu pour quelques augmentations en tout genre. Notamment dans le domaine de la … Confrontation urbaine ? », suggérait-il finalement tandis qu’il jetait un coup d’œil vers la jeune femme, se tournant à moitié vers elle.

J'attends même pas d'écouter ses conditions. En vérité, juste son "d'accord" me suffit, je suis déjà partie. Mon esprit part de tous les côtés. Il parle du booster, très bien. J'en sors un de ma sacoche, le premier qui vient, dernière recette en date, c'est encore mieux. Je le pose d'un geste brutal sur ma paillasse et le laisse à sa portée alors que je me précipite derrière.

" Parfait ! " Que je lui lance avant même qu'il ne se mette énumérer tout un tas de faits sur notre groupe. Oui, on se fait sauter, on créer des trucs, c'est une description relativement factuelle de notre quotidien. La question me semble floue, alors, appuyée sur la paillasse, je le regarde fixement. Mon regard se perd un peu dans le flou, à vrai dire, et j'essaie d'analyser ses mots. Y a-t-il un double sens, quelque chose ? "Beeeeen, on fait de tout. Enfin, moi, je touche un peu à tout. Hacking, programmation, chimie - " Je désigne le booster d'un geste de la main. " Et ingéniérie. C'est surtout ça qui m'intéresse. Le reste, je suis calée hein ! Mais c'est plutôt du boulot alimentaire tu vois. Ton casque, par contre, c'est bien mon genre." Un sujet, volontaire, consentant. Une vraie mine d'or.

" La confrontation urbaine ? " Je répète ses mots. Je ne suis pas sûre de savoir ce qu'il veut dire par là. C'est un nouveau sport ? Je suis décidément pas versée là dedans. "C'est quoi, une discipline sportive ? Vous vous tapez, quoi ?" J'essaie de traduire dans ma tête mais, non, ça ne fait pas spécialement plus de sens. Ca ressemble un peu à ces noms perchés pour les plats dans les restaurants huppés ou, finalement, il ne servent qu'une purée de légumes et un poisson lambda.

" Je peux rajouter plein de trucs à ton casque. Mais faut que je le voie." Je sors mon grand carnet de croquis, format A3, de sous le bureau. J'ai pas souvent l'occasion de montrer ce que j'y fais. "Tiens regarde." Comme lors de mon entretien pour entrer à l'université, je commence à montrer mes dessins, mes projets. Ceux-ci sont plus récents et plus audacieux, quand même. " Là. C'est pas un casque, mais un ensemble de device pour les oreilles et de lunettes. Si tu tiens vraiment à ton histoire de masque, je peux faire un truc complet. C'est pas compliqué, j'aurai encore plus de place pour l'interface." Je mouille mes doigts pour passer les pages plus vite, je sais que j'ai d'autres trucs plus loin. Zappe les deux trois croquis de bottes à propulseurs, de gantelets tasers - ceux là coûtent trop cher à produire sans être payée en amont - et je tombe enfin sur mon second projet de tête. Un casque à visière noire qui permet de projeter des images en reflétant très peu la lumière. "Tiens, je pourrais ajouter ces trucs là dans ce modèle ! T'en dis quoi ?"

Elle ne l’avait pas vraiment laissé finir. Il avait à peine accepté qu’elle se déchaînait déjà. Comme si son esprit, tel un électron libre, ne connaissait jamais le repos. En quelques minutes seulement, il avait eu la sensation d’être entièrement vidé de son énergie. Comment avait-elle exactement fait ? Il n’aurait su le définir mais, clairement, il n’aurait pas supporté des semaines à proximité d’une telle énergie. Elle était fatigante et même épuisante. Comme si elle n’était pas capable de tenir en place plus de quelques minutes. Avait-elle trop consommé récemment pour tourner de la sorte ? Soufflant pour lui-même, il l’avait suivie du regard avant de prendre la petite flasque, détaillant lui-même le contenu de ce fameux booster.

_ Cela contient quoi exactement ? » Il s’en méfiait légèrement. Le faisant tourner entre ses doigts restants, il tentait encore de s’habituer à ceux qui lui manquaient. Son masque ne savait même pas lui-même analyser le contenu. Une étrange substance dont il préférait se méfier. Garder quelques distances pour le moment. Pour le même prix, après tout, ils avaient récemment joué avec un tel gadget et certains étaient partis en fumée. Méfiance était mère de sécurité. Néanmoins, comme elle ne semblait pas exactement comprendre l’étendue de son travail, sans pour autant donner trop d’informations à ce sujet, il détaillait un peu une partie de ses activités. « Disons qu’il m’arrive de devoir me battre afin de protéger certaines personnalités. Ou quelques intérêts. » Il haussait les épaules. Elle ne comprendrait sûrement pas. Autant la laisser dans l’ignorance d’un monde qu’elle ne comprendrait pas.

Alors qu’elle sortait son propre carnet aux multiples croquis, elle commençait à lui présenter une première fiche, détaillée, sur des devices notamment pour la vue et l’ouïe. Elle suggérait même qu’elle pouvait créer un exemplaire unique pour son masque, ce qui l’intéressait évidemment. Sourcils froncés sous son masque, il tentait de la suivre et, alors qu’elle lui posait une dernière question, il baissait un peu plus la tête sur le schéma afin d’entièrement le comprendre. « Hum … Si je comprends bien, ce serait un casque entièrement noir, c’est bien cela ? Tu saurais uploader combien de visages, environ ? » Et continuant sur le même ton, il la questionnait encore. « Tu saurais me faire un prototype de ton premier croquis et de ce dernier ? Tu aurais besoin de combien de temps ? »

Puis se redressant légèrement, il continuait. « J’ai souvent besoin de courir et je ne peux pas me permettre de souffrir d’une surchauffe sous le masque. Tu sais travailler aussi là-dessus ? » Tournant vaguement les pages du carnet de croquis, il retournait aussi, un peu plus tôt, sur un autre dessin sur lequel elle ne s’était pas attardée mais qui l’intéressait grandement. Des bottes propulsées ou quelque chose du genre, au vu des dessins. Plissant les yeux, se penchant un peu plus, il relevait finalement un peu la tête pour lui demander des explications. « Cela fonctionnerait comment dans la théorie ? », lâchait-il en pointant un doigt, de sa main la moins décharnée, sur le papier, en direction du croquis des bottes.

"Hein ? Ah ça ! C'est des mélanges de trucs. J'en vends à pas mal de monde, personne s'est jamais plaint. Ca donne un coup de fouet pendant quelques heures. Tu devrais essayer !" J'aime pas expliquer mes recettes. Je préfère garder le secret pour moi, les gens ont tendance à paniquer quand ils connaissent pas les ingrédients ou qu'ils ont un nom trop long. Si je leur disais que j'ai créé certaines molécules … Je crois qu'ils y toucheraient pas. Mais j'ai confiance en mes produits.

Tout comme j'ai confiance en mes projets et mes croquis. "Des visages, je peux en uploader à l'infini, c'est juste que ça prend de la place inutilement. Tu voudras p'tet garder un peu d'espace et de capacité de travail pour autre chose, non ?" Elle hausse les épaules. "Après c'est toi qui vois. Si tu veux que je mix les deux, j'en aurai pour deux semaines, mais tu peux venir faire des tests dans une, je pense. Pour voir si ça te va, point de vue taille, poids, tout ça. Et je finirai d'ajouter les visages et les applications après."

Il me pose tellement de questions, et les idées fusent dans ma tête. C'est compliqué de révolutionner l'ingéniérie quand on se fait bombarder d'exigences. Ca me rappelle mon entretien pour le visa étudiant. C'est bon ! Je sais ce que je fais !

" Je peux utiliser un matériau plus léger ? Et quelques ouvertures superposée, comme un mille feuille ? C'est un genre de dessert français." Même moi, j'ai conscience que c'est confus. Alors je prends mon carnet, un crayon, et je commence à dessiner des lignes, espacées, alternées. Ainsi, l'air pourra passer entre les interstices superposés mais rien d'autre. "Je sais pas si tu le fais déjà …" J'essaie de me tortiller par dessus la paillasse pour observer les contours du masque que le type porte déjà. Pas très évident, noir sur noir sur noir … Dans un atelier pas très bien éclairé, on y voit pas grand chose. Mais j'ose pas lui demander de se démasquer. "Mais si tu portes un tissu léger, genre du jersey ou quoi, ça respire bien et ça évite de transpirer." Foi de nana qui aime sa discrétion et qui court partout avec une haine viscérale de ce qui peut la déconcentrer. "Je peux l'intégrer dans le casque pour que tu l'enfiles plus facilement ! Et ça tiendra mieux à la nuque aussi." Le côté confort et pratique, c'est pas vraiment ce qui m'intéresse, alors je bidouille mes idées comme je peux. C'est pas évident.

"Dans tous les cas, je te ferai tester et si t'as besoin de mieux bah, je ferai des essais. Quoi qu'il en soit, ce sera déjà plus léger que ton enclume, là." Je me laisse tomber sur le tabouret surélevé alors que mon regard se reporte sur les bottes. Un projet personnel que je n'ai jamais eu le temps de mener à bien totalement. Mais si l'occasion se présente de faire tester un prototype à quelqu'un d'agile, ça m'arrangerait bien. J'ai pas l'entraînement d'un Free Runner, mais peut-être qu'avec un machin comme ça, ils accepteront de me former, qui sait. En attendant, je cours sur les murs de ma piaule.

" Un mélange de points d'aspiration miniatures et de petit réacteurs. J'ai les outils mais personne pour tester. Disons que mes potes ici sont pas exactement les plus physiques du pays, tu vois ? Et j'ai pas encore réussi à mettre la main sur un Runner pour me faire des retours concrets." Je m'approche d'une caisse en plastique pleine de fourbi pour en sortir une plaque en forme de semelle d'où s'échappent des tas de fils, dont un avec un interrupteur au bout. J'appuie dessus, et plaque la semelle contre le mur de l'atelier, avant de retirer la main pour voir la plaque coller au mur toute seule. "Tu vois ? Suffit que je mette plus d'aspiration et que je trouve un moyen de rendre ça confortable. Et p'tet un peu plus léger. Alors ça fait pas tenir n'importe qui à l'envers sur un plafond, hein, faut de l'entraînement, mais ça devrait aider à escalader les murs. Un peu."

Elle n’était pas très loquace sur son produit, ce qui le dérangeait. Tiquant sous son masque, il se gardait pourtant d’exprimer davantage d’inquiétude concernant ce qu’il possédait entre les doigts. Il ne risquerait pas vraiment de tenter l’expérience sans en connaître les effets, ni même les ingrédients. Trop de risques à prendre sans connaître le résultat. Alors, rangeant le Booster dans l’une de ses poches, il comptait essentiellement l’oublier là. Inutile de revenir sur le sujet de toute façon.

Mais qu’est-ce qu’elle pouvait parler ?! Il n’avait absolument pas tout suivi. Elle lui évoquait ceux qui, dans le trafic web, se permettaient de lâcher cinquante-six messages plutôt qu’un seul bien composé. Elle parlait comme elle pensait, lâchait ce qui venait à l’esprit et il n’avait définitivement pas le temps de tout capter. Elle avait d’abord évoqué une période de deux semaines, mais il pourrait revenir d’ici une semaine pour commencer à faire les premiers tests. Puis, sautant du coq à l’âne, ou plutôt de Medellin à Chicago pour être plus clair, elle l’avait enchaîné sur les matériaux composites. Peut-être qu’elle pourrait créer quelque chose de plus souple, plus léger aussi. Elle parlait d’une forme de confort qu’il ne connaissait pas exactement. Après tout, il n’avait jamais été réellement intéressant de penser à tout cela. L’intérêt était purement pratique dans un premier temps. Même les visages uploadés n’étaient qu’une fantaisie qu’elle comptait ajouter.

S’approchant des bottes qui collaient au mur, le Mongol était curieux. Plissant les yeux, il n’y voyait pas exactement l’intérêt en cet instant. La tête tombant légèrement sur la gauche, néanmoins intrigué, il tentait de comprendre ce qu’elle cherchait à faire à cet instant. « Hmm … En tant qu’ancien Runner, je ne crois pas que tes chaussures les intéressent un jour. » Foncièrement, il ne cachait jamais toute son honnêteté, au risque de perdre l’ingénieuse en herbe qu’elle était. Aussi, reprenant déjà, il continuait. « Je veux dire … Leur but est de voler, de rester le moins longtemps accroché à une surface. Ton idée pourrait être utile s’ils … S’ils doivent parcourir un grand mur sans quoi ils tombent dans le vide, mais cela arrive rarement. » Il se tournait finalement vers elle.

_ Ils n’escaladent pas avec toute la plante du pied, seulement la pointe. C’est là que nous avons toute notre attache et notre poids au moment du décalage. » Sa voix mécanique continuait de donner une leçon sur les Runners et le Parkour, dont il faisait régulièrement usage. « Ton meilleur moyen de leur vendre un truc dans un premier temps, ce serait de créer des chaussures qui protègent lors des chutes. Ils atterrissent beaucoup et les chevilles, tibias et genoux subissent énormément de blessures. On perd beaucoup d’hommes qui se réceptionnent mal. »

Mon sang n'a fait qu'un tour. "AAAAAAH !" Ok, j'ai crié un peu fort, les gars ont sursauté derrière, je l'ai entendu. "T'es un ancien runner !" Toutes les infos se mélangent dans ma tête mais c'est la première qui me réveille autant. Toute excitée, je peux pas m'empêcher de monter à genoux sur la table, un drôle de réflexe dont je réalise l'absurdité lorsque je me retrouve face à lui, le dominant de quelques centimètres en vertu de la hauteur de la paillasse.

"Donc, si je comprends bien, il vaut mieux que je force sur les réacteurs plutôt que l'aspiration ? Pour permettre de rebondir plus haut ? Et si je mets un système d'impulsion ?!" Me voilà repartie, je décoince le carnet de sous mes genoux, attrape mon stylo dictaphone accroché à ma veste, et me mets à griffonner une botte autour de laquelle je rajoute des flèches. Je déchire des morceaux de la planche explicative du modèle précédent, que je pose sur la nouvelle page. "Donc ! Si je me débrouille pour rajouter de la souplesse et concentrer les aspirations sur la pointe, ça donnerait plus d'équilibre pour grimper mais ce serait disons … Une fonctionnalité secondaire, quoi. Juste un truc pour accompagner. Mais avec les mini-propulseurs, au lieu de juste protéger, ça amortira l'atterrissage ! Ils pourront sauter d'encore plus haut et, pour peu qu'ils atterrissent bien sur les pieds - bon, c'est des Runners, c'est un peu comme des chats - ils arriveront un peu moins vite au sol - juste un peu, de quoi encaisser le contact, quoi - et ils se feront moins mal ! Perfecto ! Qu'est-ce que t'en dis ?!"

Tant de questions sur les Runners. J'entends parler d'eux sans jamais réussir à mettre la main dessus, c'est qu'il n'y a pas que leur témoignage qui m'intéresse, je crève d'envie de les rejoindre, d'être pareille ! Cette rapidité, cette dextérité … Sans compter qu'ils ont vraiment la classe ! Peut-être qu'un ancien Runner aurait des petits conseils. "Dis, t'as fait partie des Runners … Tu les as rejoints comment ? Vous faites des entraînements ? Vous prenez des bleus ou il faut s'entraîner ailleurs d'abord ? Et vous avez un genre d'uniforme ou un signe ? Un … tatouage ?" Je me rends compte, quand même, que je pose trop de questions. "Pardon, je crois que je vais trop vite, des fois. Du coup. Qu'est-ce que tu penses de tout ça, déjà ?" Je désigne un peu le plan de travail en descendant finalement de la paillasse pour décrocher les deux croquis des projets que je compte joindre en un seul pour lui faire essayer.