Chapitre 2 : La Corporation
Decay
Decay, destination de tous les possibles, terre en friche où fourmillent les possibilités et l'argent facile, où chaque vice est accessible, chaque désir libre d'être comblé. L'île prospère, se vautre dans sa propre réussite, quand l'ouragan Isaac survint, balayant sur son passage les installations des gangs comme leurs prétentions. Et un nouveau groupe émerge des brisures laissées par la tempête, la Corporation. Forte de son budget, celle-ci s'invite en sauveuse, promet à tous une aide financière et humaine, des avancées conséquentes, pour une vie meilleure. Avides de pouvoir ou simples fantoches, qui sont vraiment les acteurs de cette entité inédite qui prétend étendre son influence à tout Decay.
11/10/2020 HRP
La Newsletter est sortie ! Beaucoup de changements au programme, par ici
11/10/2020 RP
Quelques semaines après la fin de l'ouragan, la Corporation dévoile son visage ! A lire par ici
12/09/2020 RP
L'ouragan Isaac s'abat sur l'île ! Pour en savoir plus, par ici
12/09/2020 HRP
L'event Hurricane est lancé ! Vous pouvez toujours le rejoindre par ici.
27/08/2020 HRP
Nouvelle newsletter ! La lire ici.
05/07/2020 HRP
Nouvelle newsletter et nombreux changements ! La lire ici.
30/05/2020 HRP
Nouvelle newsletter en cette fin de mai ! La lire ici.
30/05/2020 RP
Un nouveau système de réalité augmentée sort au Space Station Bar ! Participer ici
5/04/2020 RP
Le Carnaval de Napoli est lancé ! Extravaganza
8/04/2020 HRP
Nouvelle newsletter ! La lire ici.
18/03/2020 HRP
Ajout des missions et petite update de l'index !
28/02/2020 HRP
Deuxième newsletter ! La lire ici.
28/02/2020 RP
La Milice redouble de violence et est plus présente sur le territoire de Decay !
31/01/2020 HRP
Première Newsletter, bébé forum deviendra grand ! La lire ici.
31/01/2020 RP
L'intrigue "Paranoïa" a été lancée ! Par ici.
17/01/2020 HRP
Ouverture du forum ! N'hésitez pas à rejoindre le Discord !
Il parait qu'une jeune fille a été aperçue allant dans les égouts. Depuis, elle n'a plus donné aucune nouvelle d'elle. Une nouvelle victime des monstres vivant dans les égouts ?Une vingtaine de serpents en liberté auraient été aperçus sur les Docks. La Triade en sueur.On déplorerait trois morts suite au dernier barathon de la rue de la soif.À Kabukicho, des rumeurs sur l'affaiblissement des effectifs du clan Oni commencent à poindre. L'absence de Yokai se fait-elle enfin ressentir ou cela n'est-il que le fruit de l'imagination de quelques résidents ?Une certaine Shrimpette serait en train d'écrire une fan-fiction sur certains membres de Decay.On dit que l'ensemble du corps d'un certain mercenaire travaillant pour la Triade serait entièrement recouverts de ses nombreux crimes. Une dizaine de cadavres auraient été découverts, au cours du mois de Janvier, sur les Docks. Certains évoquent un règlement de comptes. Un tout nouveau malware parcourrait la toile, déguisé sous la forme d'un logiciel à première vue inoffensif. Il installerait une backdoor sur les machines infectées. Pour quelle raison ? Cela reste un mystère. Une femme vagabonde à la chevelure d'un noir profond et aux yeux écarlates prendrait en charge des malades et blessés au travers de Decay pour une misère, offrant une alternative médicale à celle dispensée par l'Église. Fin Janvier/Début Février, une course de rue, en pleine nuit, aurait conduit certains hommes hors des pistes. Plusieurs voitures seraient sorties de la route suite à un « conducteur fantôme ».
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Bang bang - my baby shot me down
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Les Docks
Il pleut des cordes, et la nuit d’un noir d’encre semble avaler la ville et ses lueurs qui dans l’obscurité vacillent comme autant de flammèches que le vent tord et dérange. Il se tient debout sur un ponton léché par les vagues, l’air marin lui emplissant les poumons, la silhouette de son bateau tanguant tranquillement sur sa droite, ombre opaque contre le ciel qui ne cesse de déverser son eau glaçante. Les températures ont chuté brutalement, sans prévenir, et le yakuza se gorge du mauvais temps comme les plantes se nourrissent de soleil.

Sous la pluie battante, trempé jusqu’aux os, il frissonne sans discontinuer, n’en a cure pourtant, occupé qu’il est à pianoter sur son  téléphone qu’il abrite tant bien que mal d’une main tremblante, sans pouvoir empêcher les gouttes lourdes de s’écraser sur l’écran, de lui brouiller le regard en dégoulinant des pointes de sa chevelure détrempée. Le revoir, est-ce une bonne idée ? Peu importe au fond. Il n’a pas d’autre but ce soir qu’une échappée dans la tempête, réelle, cette fois, en compagnie de celui qu’il s’est promis d’inviter. Sans doute que le temps ne se prête pas à l’escapade, mais il aime la mer lorsqu’elle est grosse, toute gonflée de mauvaises intentions, et que l’homme qui la chevauche sur sa coque de noix n’a pas d’assurance de pouvoir regagner la maison.

Le message part, et Ace range son téléphone avant de gagner l’embarcation d’un bond prudent. Il dérape à l’atterrissage, étouffe un juron en se rattrapant à l’un des bords contre lequel ses doigts glissent, lève les yeux vers le ciel qu’il contemple un moment alors que la pluie lui rince le visage, roule sur ses joues comme autant de larmes qu’il ne laissera jamais sortir. Peut-être qu’Usui aurait aimé une promenade par grand soleil, admirer l’eau tranquille, se bercer de ses roulis soyeux, et faire d’une découverte une souvenir impérissable.

La question ne se pose pas. La question ne se pose plus, puisque l’invitation est partie, porteuse de ce même ton désinvolte qui caractérise ses échanges lorsqu’il ne sait comment aborder les gens. Ses pensées décollent, le ramènent à ce soir étouffant durant lequel certaines portes ne se sont fermées que pour en ouvrir de nouvelles. Et leur laisser ainsi l’occasion d’une rencontre plus naturelle, pas seulement portée par un contexte bancal aux obscures retombées.

Viendra-t-il, ce petit brasseur aux allures d’oiseau en cage, si simple, si complexe pourtant, qui chaque fois qu’il laisse ses pensées errer un peu trop sans les brider s’avance, s’impose, comme une phrase trop longtemps laissée en suspens. Ace secoue la tête, s’ébroue, se demande s’il ne va pas finir noyé avant même de prendre la mer, au rythme auquel s’abat l’onde, les flaques qu’elle dessine lui cernant les jambes et clapotant agréablement contre le fond du bateau. Il sourit dans l’obscurité à peine relevée de la pointe de lumière que dispense la cabine exiguë cernée par la brume. Il est impatient, maintenant, de savoir la sortie si proche, et l’immensité de l’océan à portée de moteur. Une heure. Il lui donne une heure pour le rejoindre. Sinon, il partira quand même, seul, comme il en a l’habitude.

Le vent levé hurle contre les entrepôts trapus, fait chuinter les tôles dans un froissement continu et lugubre. Et la pluie indifférente continue de tomber. Une excellente soirée pour un petit tour, le brouillard tenace s’élevant de l’étendue liquide formant un camouflage non négligeable pour soustraire le bateau aux rondes ou aux pirates. De toute façon, il doit être l’un des seuls à braver la mer lorsqu’elle se fait mauvaise, les abords de l’île hérissés d’écueils rendant toute manœuvre dangereuse. Son sourire s’élargit. Le gout du risque, toujours, qui lui fait paraître les petites guerres des gangs risibles et vaines, comparée à la puissance insensible des éléments.

Il fronce les sourcils, subitement, compte mentalement les gilets de sauvetage présents à bord. Il ne faudrait pas que la tempête ait raison d’eux, même s’il se sait capable de naviguer par tout temps. Ou de lui. Là encore, le doute le reprend, le fait rire plutôt que de l’angoisser. Il ne sera pas assez fou pour venir, le petit brasseur. Et, quelque part, cette invitation est un test, la concentration d’une curiosité à laquelle l’autre ne pourrait sans doute pas répondre. Il a envie d’une cigarette. Ses doigts gelés se portent à sa poche, qui ne contient que le téléphone. Il a mis ses clopes à l’abri dans la cabine, et préfère rester là, le nez sous l’averse, guettant le moindre son provenant des docks. Osera-t-il, cet inconnu auquel il offre déjà une importance qu’il n’a rien fait pour mériter ? Le sourire reste sur ses lèvres. Joueur, alors que le vent lui fouette le visage, lui emmêle les cheveux.
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"Acei et Usui sont sur un bateau (et cette fois c'est littéral !)..."
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Il avait simplement cru que cela se finirait ainsi. Sur un adieu poli, un signe de la main, une gêne qui partirait à force de ne plus y songer. Les jours se changent en semaines, l'été languide ouvre sur un septembre maussade. Il aurait pu oublier, avec du temps, ce qu'il n'arrive à se pardonner. L'aiguillon de la culpabilité, l'impression d'avoir perdu ce qui rendait sa vie cohérente en perdant Silvia et cette évidence d'avoir bien trop déconné. Il devrait se tenir tranquille, à présent. Étouffer les épisodes honteux sous le tapis des apparences policées. Sourire. Prétendre.

Ce soir, la tempête heurte les vitres de l'échoppe, avale bientôt même l'impasse où il se trouve, laissant tomber un rideau aqueux si dense que tout se gomme pour réduire l'espace à une peau de chagrin. Il écoute la pluie doucher l'asphalte, rebondir sur l'auvent, gargouiller dans les gouttières jusqu'à n'entendre plus que cela. Comme si le monde était soudain minuscule et fragile. Face à la tempête, beaucoup s'abritent, se cachent ou simplement s'attardent dans le cocon douillet de leurs lits pour mieux écouter les cataractes qui dévalent du ciel noir comme de l'encre et donnent au paysage des allures de vieux film noir. Et lui, au milieu du tumulte, referme soigneusement l'échoppe derrière lui. Eteint les lumières qui éclairaient encore le bitume. Même le vieux lampadaire peine à éclairer les poubelles amoncelées. La miaoufia n'est pas là, sûrement cachée dans quelque recoin pour s'épargner de l'averse et l'impression d'être si seul n'aura jamais été plus vrai qu'à l'instant d'amorcer sa promenade incongrue sous un ciel noyé.

Point de parapluie : il n'en a pas besoin. Son blouson de cuir prend déjà l'eau de toute part après seulement quelques mètres. Ce soir, il n'est plus question de faire semblant, de tricher ou même de sourire. Ce soir, comme tous les soirs de pluie diluvienne, son coeur est las. Ses ombres ne sont jamais plus vraies qu'à l'instant de s'offrir aux caprices des éléments, laissant l'ondée détremper tout son être. Il ne court pourtant pas comme les rares passants aux parapluies déployés en bouclier dérisoire. Bientôt ses pas le guident loin des belles avenues, des vitrines brillantes. Les dingues et les paumés comme seule compagnie, il arpente en silence, somnambule, des chemins et des routes qui mènent presque malgré lui aux abords de Moskva. Devrait-il réitérer sa tentative de la dernière fois ? Risquer de se prendre la balle que lui destine le mafieux ? Ou bien simplement se résigner à la confortable ignorance ? Et si Silvia n'était pas partie comme elle le lui avait assuré ? Si tout ceci n'est qu'une mise en scène pour lui cacher le pire..? Il tangue comme un bateau ivre, entre Kabukichô et cette rue anonyme qui le sépare du territoire russe, prêt à cette bêtise, peut-être la dernière, résolue d'une simple balle en pleine tête quand son téléphone vibre dans sa poche arrière pour mieux le rappeler au présent.
Il cille pour chasser de son visage l'eau qui le détrempe, ouvre le vieux téléphone en l'abritant d'une main après de trop longues minutes de réflexion. Et l'invitation qu'il lit...

La surprise s'impose d'abord. Puis la culpabilité. Et enfin une autre idée fixe s'imprime à son cerveau. Aller faire du bateau ? Ce n'est pas tellement le sujet de la tempête qui le préoccupe mais plutôt l'étrange écho qu'à cette désastreuse idée dans sa psyché bouffée par les scories de la dépression. Une part de lui-même, rationnelle, voudrait que le message soit simplement ignoré. Qu'il abandonne aussi ses idées de rendre visite une fois de trop à l'ancien club de Silvia. Pourquoi n'appellerait-il pas quelqu'un ? N'importe qui de censé ? Mais il n'a dans son entourage que des gens très étranges et son coeur l'accorde bien trop à cette envie imprécise qui naît d'un simple message...
Ses talons se tournent machinalement, le soustraient à ce destin forcément funeste pour le diriger vers la prochaine avenue. A pied il mettrait bien trop de temps et il n'en a plus tellement. Les docks ne sont pas tout à côté, à présent. Il hèle un taxi anonyme qui l'ignore, puis un second qui l'accepte malgré la pluie pour le conduire près du point de rendez-vous. Il détrempe sur la banquette arrière, regardant par les vitres éclaboussées des néons roses et bleus les ombres diffuses de la ville qui l'a vu grandir. Il ne dira pas un mot en dehors d'un remerciement et de l'argent échangé et se retrouve presque aussi vite à nouveau sous l'eau, avec la nouveauté de l'odeur saline, froide, angoissante. Au bout de la rue se dessine les premiers pontons détrempés et cet horizon mouvant, noir et opaque qui lui flanque une peur diffuse et imprécise. Une trouille toute bête de cette eau sauvage et implacable avide de vies. Une trouille qu'il domine grâce - ou à cause - de cette humeur étrange qu'il n'a que les jours de pluie.

La silhouette d'Ace est facile à reconnaître : personne d'autre n'attend sur un ponton en pleine tempête sans rien avoir à faire. Comment l'aborder ? Comment se considérer : pas des amis, même pas des amants, ni même des inconnus ? Il préfère ne pas y penser à l'instant d'approcher doucement, tellement trempé qu'il semble avoir fait un plongeon directement dans ces crêtes ourlées d’écume qui s'écrasent lourdement sur les coques alentour dans des remugles d'algues, de kérosène et de sel. Hey... salut. souffle la voix basse d'Usui qui débarque finalement, avec son éternel air de chaton paumé dans un monde trop grand pour lui, ses baskets claires tranchant sur le noir du reste de sa tenue. A son côté, sa besace en cuir et toujours ce porte-clé offert qui dansent au bout de la bride. Il voudrait dire quelque chose d'autre, de mieux. Mais les banalités lui semblent plates, inutiles et vaines. Alors il attend simplement, abaisse le menton sur les planches glissantes, considère un instant le bateau d'un regard mi-admiratif, mi-méfiant. Il n'a jamais navigué, pas plus qu'il ne sait nager. Et le voilà pourtant en pleine tempête auprès de celui qui par deux fois l'a appelé. Et qui par deux fois l'a vu débarquer.


Moses.

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Ace Maeda
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Les Docks
Leur ancienne rencontre, il n’y pense pas, n’y pense plus, balayée par celle qui s’amorce, neuve. Le yakuza se fige lorsqu’Usui paraît, et son sourire s’efface, sans pourtant quitter ses yeux. « Salut toi. » lance-t-il simplement en lui tendant une main secourable, pour l’arracher à ce ponton sur lequel il semble trop seul, et presque fade, et l’amener à ses côtés. Le sol tangue sous leurs pieds, et il offre à son invité quelques minutes pour s’habituer à ce plancher instable, avant de lui désigner l’entrée de la cabine.

« Si tu veux te mettre à l’abri, t’as l’air un peu misérable, là. » souligne-t-il en nimbant sa voix d’une chaleur tranchant avec le vent glacial. « J’dois pas avoir meilleure mine, remarque. » ajoute-t-il entre deux mèches trempées et plaquées contre son front. Ça le fait rire, la pluie, ou alors, c’est de voir que le petit brasseur a accepté l’invitation, qu’ils sont de nouveau ensemble, sans, cette fois, subir la pression de leur second rendez-vous. Naturel, enjoué, Ace se glisse dans la cabine à la suite d’Usui, referme derrière eux, les enferme, dans cette bulle qui paraît si amicale. Le chauffage tourne à fond, et les vitres pleines de buée contre lesquelles le vent mugit, presse la pluie du dehors, dérobent à leur regard la montée des brumes.

Ici, ils sont aveugles et isolés, mais préservés, aussi, de toute la dureté du monde. Au moins pour un temps. Les battements précipités de l’averse sur le toit du bateau forment une mélodie sourde et entraînante, et l’espace d’un instant, Ace se sent comme dans le ventre d’un gigantesque animal dont les pulsations cardiaques résonnent alentour. Il repousse les cheveux trempés de son visage ruisselant, évolue sans peine dans l’espace exigu mais connu par cœur, propose à son invité, outre un banc pour s’asseoir, une boisson chaude pour achever de contrer les morsures du vent, les gelures de la pluie, et l’humidité latente qui enrobe leurs vêtements pour en faire des carcans.

« Thé ? Café ? Chocolat ?... Eau chaude ? Tu veux quoi ? » Il s’arrête un instant, prend la mesure de ce que la présence d’Usui signifie, esquisse un sourire doux, loin de ses rictus provocants habituels. « Merci d’être venu, le temps paraît pas idéal, mais j’t’avais promis une sortie, et les occasions manquent en c’moment. » Il s’affaire, tranquillement, aucun geste superflu ne venant troubler sa routine, et la pluie sèche lentement sur sa peau.

Il ne le regarde pas, le petit japonais, se concentre sur la bouilloire sortie d’un autre temps qui siffle et ronronne, annonce que l’eau est prête, enfile deux tasses autour de ses doigts, les pose sur l’évier minuscule, verse dans l’une un sachet de thé industriel, dans l’autre du café soluble, se retourne enfin, une fois équipé, les tasses pleines à la main. « Tiens. » Il accompagne la tasse jusqu’aux paumes d’Usui dans lesquelles il la dépose, non sans le prévenir d’un « Fais gaffe, c’est brûlant. Y’a du sucre dans le tiroir sous le banc, sers-toi si tu veux, on va pas tarder à partir, faut que j’fasse les derniers réglages.»

Attrapant sa propre tasse, il se retourne, se penche vers le tableau de bord qui orne l’avant du bateau. « On risque de pas voir grand-chose du paysage, mais y’a moyen de se taper de belles vagues. Le bateau va danser, Usu, mais t’as rien à craindre. Si jamais ça te rassure, que tu tapes un coup de flippe, les gilets de sauvetage sont accrochés derrière toi. On va pas aller super loin, alors tu pourras toujours flotter jusqu’à Decay, si jamais on chavire. »

Il ne peut s’empêcher de le taquiner un peu, tout en se voulant rassurant, mais se tait après sa petite tirade, le temps de se concentrer sur le trajet. Il n’a pas envie de passer son temps aux commandes et de laisser son invité seul avec ses pensées, aussi paramètre-t-il rapidement l’itinéraire qu’ils devront emprunter, lequel lui demandera un minimum d’effort et de pilotage. Une fois que c’est chose faite, que le moteur fait doucement trembler le sol sous leurs pieds, et que les lucioles de la ville se noient dans l’ombre de l’océan dans lequel le bateau s’avance, Ace revient auprès d’Usui, se glisse sur le banc à ses côtés, avant de lâcher tranquillement en évitant pour l’heure soigneusement le sujet de leur dernière entrevue

« J’espère que t’es pas venu juste pour te noyer. C’est pas un linceul que j’ai envie de t’offrir, mais une aventure. Une petite aventure, pleine de vent, de pluie, et de vagues monstrueuses. C’est ce que j’aime le plus, je crois. Ce qui me donne envie de continuer. Arracher à chaque fois ces petites bribes d’inconnu, de sauvagerie. On a pas beaucoup parlé, toi et moi. J’espère que tu vas mieux. Au moins en surface. Mais si vraiment ça va pas, tu me le dis, un mot, et on rentre, ok ? » Il se réchauffe les doigts autour de sa tasse, observe Usui au-dessus de cette dernière, retrouvant avec un plaisir certain les traits familiers du japonais. Il n'y a plus trace dans son regard clair du désir sournois nourri pour le jeune homme, mais seulement un intérêt sincère pour la personne que trahissent parfois les prunelles secrètes. Il a des réminiscences de leur soirée, un fiasco total, qu'il s'est également promis de rattraper, si Usui lui en laissait l'occasion. Et, ce soir, visiblement, cette occasion lui est donnée, au moins en partie, de faire de leur association quelque chose une évocation à préserver, plutôt qu'une erreur à oublier.
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Une main l'arrache au plancher des vaches pour le propulser sur le pont mouvant. Le roulis est perturbant et il trébuche un peu avant de se stabiliser dans une position maladroite de jeune faon, douché par les éléments et circonspect tout à coup quant à sa propre présence ici, cette nuit particulière. Il comprend pourquoi l'on compare tant l'ivresse aux rouis d'un navire, s'en amuse sans un mot et enfin marcher semble faisable sans se casser la figure et il emboîte le pas d'Ace pour rejoindre la cabine, ouvrant sur un intérieur minimaliste mais étrangement douillet après la saucée des embruns et de la tempête. Parvenu en cette petite bulle de quiétude, Usui tourne un moment son regard en tous sens, intrigué par ce qu'il voit et observe avec curiosité. L'endroit est nouveau : il ne connait rien aux navires, gros comme petits et la curiosité le distrait agréablement, avive son intérêt, rallume dans son regard une braise qui semble habituellement éteinte. Les lèvres et les ongles du brasseur, bleuis par le froid mordant avivé par le vent qui mugit au dehors trahissent l'hypothermie mais il se contente d'apprécier la sensation douce amère de la gangue de ses vêtements trempés et du chauffage bienvenu. Il ne parle pas beaucoup, se contente d'un sourire maladroit, peu assuré mais plus sincère que d'habitude. Le mot misérable est un aiguillon, une épine, dont il essaye d'ignorer la futile douleur. Mais il ne relève rien et suit plutôt le mouvement plutôt que de s'abîmer en conjectures.

Café, merci. dit-il en réponse, se faufilant sur le banc, essayant de regarder par les hublots qui cachent la nuit et la mer. Ce n'est rien, merci de l'invitation. Il est pâle et poli, très calme, plus dense et intense qu'à son accoutumée, plus grave mais étrangement moins craintif. Il chasse de son front les lourdes mèches trempées et rejette sa tignasse en arrière, les mains croisées dans son giron, bien sage, tout dédié à la contemplation studieuse de l'environnement inconnu. Le tableau de bord avec tous ces boutons le fascine en silence et il profite un moment des sons de la bouilloire, de la pluie qui bat la carlingue et du vent. Le bruit plus ténu du ressac, la sensation de balancier particulière qui l'a d'abord laissé un peu nauséeux les premiers instants mais qui tend à se calmer. Ses doigts se tendent cependant pour accepter la tasse offerte, appréciant la chaleur bienfaitrice qui s'en diffuse. Il est glacé, après avoir tant déambulé sous la pluie. Tandis qu'Ace s'active à ses programmes, ses gestes suivis par le regard un peu curieux du brasseur, ce dernier trempe les lèvres avec précaution dans le breuvage noir, amer et définitivement brûlant. C'est un café soluble dégueulasse et pourtant à cet instant précis il lui semble être le meilleur jamais bu. L'ambiance particulière du navire, l'excitation diffuse mêlée à la peur de l'inconnu focalisent son esprit.

Je préférerais éviter de dériver comme un vieux déchet par un temps pareil mais je suis déjà aussi trempé que si j'avais nagé la brasse coulée alors je ne suis plus à ça près... Un rire. Très léger. A peine un frémissement de la ligne des épaules du jeune homme et pas un bruit marqué, juste un trémolo dans son souffle régulier et l'incurvé d'un sourire. La mer l'effraie parce qu'il n'en connait rien et que les éléments semblent hostiles et inadaptés et pourtant, il ne se sent pas spécialement en danger, malgré le bateau qui quitte doucement le port et accentue encore la sensation très particulière d'un tangage nouveau. Usui abandonne pour l'heure l'idée de voir l'océan capricieux malgré la nuit et la pluie. La chaleur revient un peu malgré l'inconfort d'être trempé et la tasse dans ses mains réchauffe presque jusqu'à l'âme. Etrange pouvoir qu'ont des choses si anodines lorsque tout se délite.

Son regard abandonne le paysage de toute façon presque invisible lorsque Ace se glisse près de lui, attirant son attention volage. Il l'observe un instant, silencieux pour deux là où la voix qui devient doucement un peu plus familière comble les vides. L'atmosphère entre eux lui va bien plus que cette précédente nuit de canicule où tout était parti en vrille et hors d'un contrôle qu'il affiche habituellement. La honte est toujours là, insidieuse, sournoise, attendant son heure. Les traits du brasseur demeurent cependant dénués de ce sourire menteur qu'il a toujours, comme si la pluie avait sur lui cet empire que de le forcer à dévoiler son vrai visage. Les propos de son compagnon de nuit lui font pencher la tête comme un chat attentif, essayant de renier la pointe de culpabilité qu'il ressent d'entendre parler à la légère de ses tendances suicidaires. Un instant, les traits qui jusqu'alors n'avaient encore exprimé la moindre colère ou même l'agacement, prennent les ombrages d'une pointe de susceptibilité. Si je voulais me noyer, je me serais jeté à l'eau plutôt que de venir faire du bateau. La voix est presque un peu brusque, plus sèche, pas agressive mais étrangement ferme : il y a dans ces yeux sombres l'empire d'une résolution. Après tout, il n'a raté son suicide que par l'entremise d'autres et non parce qu'il n'avait ce courage propre aux désespérés d'aller jusqu'au bout. Et pourtant, je suis là. Ca va. affirme-t-il plus doucement, avant une gorgée de ce café qui répare quelque chose. Un goût particulier que l'on n'aurait pu aimer sans les circonstances qui l'accompagnent. Un café soluble d'anniversaire inavoué. Une présence dans une soirée solitaire, celle de ses trente ans tout ronds. Il n'en dira pas un mot, ne voulant pas des paroles creuses que l'on délivre à ces occasions, que l'on se sente obligé de lui souhaiter une fête qui n'a plus tout à fait de sens lorsque l'on est seul.

Les doigts pâles du brasseur déposent la tasse quelques instants, caressant le bois lisse de la table, remarquant la flaque formée à ses pieds et sous ses fesses. C'est un bateau, après tout, être mouillé ne doit pas être si gênant et Ace est tout autant trempé. J'aimerais bien voir comment ça se pilote... Je ne suis jamais venu faire du bateau et je ne sais même pas nager... avoue-t-il à mi-voix, curieux, prenant le temps de soutenir le regard d'Ace, retrouvant ces nuances particulières dont il ignore tout. Le miroir hermétique des pensées du Yakuza est un mystère et pour cause : ils se connaissent à peine. Ce n'est pas tant un problème, n'est-ce pas justement le meilleur dans toute relation ? Un moment passe, quelques simples secondes, et de nouveau le visage du brasseur s'incline sur l'indéchiffrable de sa propre expression. Je ne pensais pas que tu me recontacterais. Le timbre est étrangement factuel, pas tout à fait froid mais il manque à Usui cette fausseté coutumière qui arrondit les angles. Un cahot plus marqué du bateau au creux d'une vague lui donne la sensation particulière de pouvoir tomber alors qu'il est assit, ouvrant de grands yeux, plus surpris que vraiment effrayé. Il semblait sur le point d'ajouter quelque chose mais son esprit s'est distrait, oubliant aussitôt ce qu'il allait dire, reprenant la tasse entre ses doigts. Je suis quand même content de te revoir. Il sourit : d'un sourire rare car pour une fois sincère, qui éclaire un peu ses traits moroses sur l'incarnat retrouvé de ses lèvres. Il n'y a dans cette expression qu'une douceur distante, pudique mais profonde. Un doux coeur fatigué, qui manque sûrement d'enthousiasme ou de couleurs mais pas d'une chaleur qu'il sait avoir, d'une attention de l'autre certaine. Il se demande pourquoi lui et pourquoi maintenant ? Pourquoi l'appeler lui pour aller à l'aventure contre les vagues comme quelque héros pirate d'histoires pour enfants ? Tu navigues depuis longtemps ? Une question comme une autre : il faut bien commencer quelque part, après tout. Faire cette connaissance qu'il ont omis en s'emballant comme deux idiots. S'apprivoiser et puis quoi ? Il préfère ne pas y penser, vivre cet instant présent, neuf et plus lumineux qu'il n'y paraît dans la tempête.


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Sensation étrange que d’accueillir quelqu’un dans cet endroit sûr qu’il n’offre en général à personne, préservé du monde, des gens, qui recueille ses états d’âmes lors des seuls moments où il se permet vraiment d’en avoir. Comme la première fois, l’invitation est mal réfléchie. Mais contrairement à cette même première fois, l’envie n’est pas dictée par un élément extérieur venu lui fausser le jugement et l’emplir de mauvaises résolutions. Il se sent plus lui-même sur ce bateau qui se balance au gré des caprices des vagues qu’au milieu même de son propre quartier, entouré de murs solides et d’êtres qui devraient compter bien plus que les flots qui se déchaînent, qui ballottent  sans trêve le petit bâtiment, lui donnant des airs de danseur ivre.

La chaleur du breuvage monte à travers ses doigts alors qu’il observe son invité avec un léger sourire, visiblement peu inquiet d’avoir pu le blesser ou le bousculer. Tant pis. Ce n’est pas comme s’il pouvait se permettre de faire peser sur l’autre le poids d’une incompréhension ou d’un jugement quelconque. Il traite toujours les sujets graves de la même façon. Avec cette désinvolture crasse qui lui colle à la peau, et peu importe le qu’en dira-t-on. Ace ne se perd pas en vaines justifications, se contente de noter l’information transmise par le changement d’attitude d’Usui dans un coin de sa tête, pour mieux concentrer son attention sur ce qu’il lui dit ensuite.

« C’est pas sorcier, j’te montre si tu veux. » Il se relève après avoir posé sa tasse sur la table, calée entre deux encoches discrètes du bois afin de lui éviter de verser au moindre roulis, encaisse le choc de la vague avec un léger sourire à l’adresse du japonais dont les yeux s’écarquillent. « J’pensais pas non plus te rappeler. J’avais peur de t’avoir blessé, et j’suis pas du genre à courir après les gens une fois qu’on me repousse. J’veux dire, j’ai merdé sur toute la ligne, et quand t’as disparu le matin suivant, j’me suis juste dit que j’aurais du trouver un moyen de te retenir. Au moins pour m’excuser. C’que j’ai pas eu le temps de faire. Alors, mes excuses, Kakei Usui, j’espère que vous apprécierez le voyage autant que moi, parce que c’est tout ce que je peux vous offrir pour me faire pardonner mon comportement exécrable. »

Il soigne sa diction, accompagne sa sortie d’un sourire franchement canaille avant de se tourner vers le tableau de bord sur lequel de nombreux voyants clignotent. « Viens voir. » souffle-t-il, de nouveau concentré, les doigts de la main droite pianotant tranquillement sur un pavé numérique alors que ceux de la gauche forment une prise lâche sur le gouvernail. Il s’écarte pour laisser Usui s’installer à la barre, se glisse derrière lui après lui avoir indiqué où poser ses mains, prêt à l’aider si nécessaire. « J’ai remis en manuel, là, c’est toi qui dirige. » murmure-t-il avec un sourire encourageant. Ils sont encore suffisamment proches de l’île pour ne pas essuyer les plus grosses vagues et si le bateau gite de manière sensible, Ace peut encore se permettre d’offrir la barre. La pluie persistante rend la visibilité inexistante, et l’eau lèche les parois de la cabine avec une violence vindicative.

« Oh, j’ai des fringues de rechange, et des cirés aussi, si jamais t’as envie d’une nouvelle douche froide sur le pont. C’est pas le top de l’intimité pour se changer, mais j’imagine qu’on peut s’en accommoder. » Le ton est léger, là encore, même s’il craint presque la réaction du japonais. Manquerait plus qu’il s’imagine qu’il veut juste le voir à poil. Sans s’attarder sur cette pensée désagréable, le yakuza observe les gestes d’Usui, commente les erreurs, conseille, surtout, plus qu’il ne réprimande, reste non loin de lui, prêt à prendre la relève si nécessaire, son équilibre pourtant mis à mal par la manière vicieuse dont la mer les secoue ne lui faisant jamais défaut.

« J’ai découvert la mer quand j’étais gosse, et depuis c’est ma seule maîtresse réelle. Ça m’a toujours fasciné, cette puissance, cette dangerosité, cette beauté, aussi. J’ai fait mon premier tour en bateau quand j’avais sept ans, et j’ai jamais cessé d’en vouloir un à moi ensuite. Quand j’ai eu seize ans, j’ai rencontré un type, sur les docks. Pêcheur. Au début, j’le détestais. Il puait le poisson et la sueur rance, et avait toujours l’air de mauvais poil. Puis, au final, j’l’ai accompagné une fois pour l’aider à porter ses prises. On a commencé à parler, et, au fil du temps, i à sympathiser. C’est un peu le père que j’avais pas à la maison. Quand j’en pouvais plus, j’allais le retrouver, et sans un mot, il m’embarquait. On partait ensemble, sur son bateau, un vieux rafiot tout pourri d’apparence, mais solide. Un peu comme le bonhomme. Il m’a montré ses trucs, mais surtout, m’a appris à aller avec la mer, et jamais contre elle.  Elle s’apprivoise, tu sais, quand on s’en donne le temps. Mais elle pardonne rarement les erreurs, les imprudences, ou les impatients. »

Il s’approche un peu plus d’Usui, recouvre ses mains des siennes pour affermir son toucher sur le gouvernail, observe, par-dessus son épaule, les indications fournis par les nombreux instruments. « Là , c’est le cap, il est enregistré et le pilote automatique fait son possible pour le tenir, mais par gros temps, c’est souvent indispensable de reprendre la main. Les avancées technologiques font des merveilles, mais j’ai quand même une préférence pour les vieilles méthodes. J’ai du mal à me fier entièrement à des appareils, parce que si l’humain est faillible, que dire de ce qu’il crée ? »

Il est passionné par ce qu’il explique, mais le contact humide des vêtements d’Usui lui rappelle ce qu’il lui a promis un peu plus tôt. « Tu te sens ok d’assurer un moment tout seul ? Tu te démerdes super bien ! J’vais chercher mes affaires. » Il se détourne de lui, rejoint la table au-dessus de laquelle se trouve un petit placard, en sort rapidement deux ensembles neutres, t-shirt noir, jean noir, imperméables d’un jaune toxique, bottes en plastique, et épaisses chaussettes. Il dépose le tout sur le banc, et revient vers le japonais en lui proposant de reprendre sa place. « Va t’habiller Usu, promis j’en profite pas pour mater. J’ai posé les vêtements derrière, j’gère le bateau en attendant. » Si l’offre est faite sur le ton de la plaisanterie, il ne s’interdit pas mentalement de détourner le regard, sans pour autant pousser plus loin ce qu’une telle envie pourrait provoquer.
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Les excuses le prennent un peu de court, surprit d'en recevoir alors qu'il s'est chargé tout du long du fardeau de la culpabilité, se sentant bien trop responsable de ce qui a pu se passer entre eux. Il relève sur Ace un regard nouveau, intrigué à présent que le brun lui avoue avoir voulu lui offrir cette promenade pour se faire pardonner du fiasco de leur nuit précédente. Les choses semblent différentes, ce soir, plus vraie, moins oppressantes. Il devrait avoir peur d'être ici, en pleine tempête, à voguer sur une mer démontée au large de Decay, avec cet autre homme qui ne cesse finalement de souffler le chaud autant que le froid, tout comme lui-même se défend et attaque tour à tour. Leurs caractères se repoussent et s'attirent parfois, comme dans cet instant où Usui glisse simplement un : Merci... Et pardon aussi. C'était de ma faute. Les joues ont rosies de repenser à cette drôle de nuit, à ce corps solide contre lequel il s'est abandonné. Aux baisers, aux gestes qui remplissent un temps le vide intérieur mais ne réparent rien. Il se tait cependant et, docile, abandonne sa tasse à moitié pleine pour rejoindre l'avant de la cabine.

La mention des vêtements secs ne lui aurait fait pensé à rien de précis mais l'évocation de l'intimité et d'une pudeur inutile entre eux le ramène à leur dernière nuit. Il ne sait qu'en penser, Usui, de cette situation bâtarde, ne sachant ce qui n'est qu'une simple plaisanterie ou si Ace le drague en réalité. Il choisit plutôt de prendre la taquinerie pour ce qu'elle est. Ce n'est pas comme si il y avait quelque chose à mater... Il hausse une épaule désinvolte sur une moue désabusée. Il peine à s'imaginer comme quelqu'un de désirable, de séduisant. Il n'a rien de ce qui fait dans son imaginaire la beauté des autres : la grâce et la finesse d'Akemi à la beauté marmoréenne et son corps pâle couvert d'encres. La solide charpente et les muscles d'Ace, taillé comme un marbre de maître, son sourire canaille qui éclaire son regard plein de vie. Et lui, terne et pâle, trop maigre malgré ses muscles secs nés du travail manuel et le sinistre de ses expressions.

Timide, il laisse Ace le guider, lui montrer les gestes nécessaires au maintient de la barre. Bon élève : il corrige chaque chose pointée, essaye de voir devant lui mais seul l'eau qui s'écrase sur les vitres et les vagues qui déferlent parfois sur le pont sont visibles par ce temps. Il se positionne après quelques pertes d'équilibre primordiales, heurtant par deux fois le torse derrière lui qui lui ne vacille pas et puis finalement trouve ses points d'appuis et de repère. Le temps n'aide pas à garder un cap parfait mais il fait de son mieux et obéit tout simplement. C'est excitant, amusant aussi, de piloter un navire. Il n'aurait jamais cru ce matin-là qu'il finirait ici, ne pleine nuit, à tenter d'apprendre les rudiments de la navigation. Et, pendant qu'il découvre, s'émerveille en silence, son esprit se distrait de ses propres maux pour écouter Ace lui narrer l'éclosion de sa passion pour la mer. Il aime l'entendre, imaginer le fil de cette autre vie comme quelque roman d'aventure. Un père qu'il a mentionné une fois, en parlant de cette fille qui vit chez Ace et qui est soi-disant là pour ennuyer ce père absent remplacé par une figure paternelle d'adoption. Il peut comprendre ce sentiment, d'une certaine façon : son grand-père a été cette figure d'autorité excessive mais fondamentalement bien attentionnée. Malgré les coups de canne et l'éducation rigide, il a été heureux, auprès du vieil homme. Il comprend d'autant plus cette idée de pouvoir choisir son père de coeur plus que de sang.  Son corps se détend à mesure du récit, malgré les vêtements trempés et la situation. Il hoche simplement la tête en signe de compréhension sans trouver quoi répondre qui ne soit creux ou vain. Il préfère essayer de se concentrer sur ses gestes, prenant bien garde à tout faire comme il lui a été montré.

Les mains larges et calleuses se déposent finalement sur le dos des siennes et ils sont tout proches à présent, troublant le brasseur, qui relève une seconde le nez pour fixer le profil d'Ace, dédié aux instruments. Un rosissement des pommettes seules trahit un peu l'impression de chaleur diffuse. Leurs vêtements ont beau être trempés, il apprécie néanmoins le contact sans rien oser en dire. C'est presque rassurant, à l'instant de découvrir le fonctionnement de toutes ces choses inconnues. Le fait de s'entendre dire qu'il se débrouille bien gonfle sa poitrine d'une petite fierté timide. Il hoche la tête : tenir la barre seul quelques instants ne devrait pas être insurmontable, après tout. Il espère qu'il n'y a pas d'obstacles sur leur route : un gros rocher comme dans les films ou bien une lame de fond apocalyptique... Ainsi, quelques instants délaissé, il frisonne de la perte de chaleur autant que de son imagination mais semble bien décidé à assurer cette confiance qu'on place en lui. Il a pour quelques secondes l'impression d'être un pirate, un forban des mers et il s'amuse tout seul, s'égaille sans un mot, son sourire revenu quelques instants pour lui donner l'expression d'un enfant qu'il n'a jamais pu vraiment être, forcé à grandir vite.

Puis Ace revient et il lui laisse cette barre qui l'a fait un instant un peu rêver dans son quotidien morne, reprenant sa gravité silencieuse. Il n'a plus peur qu'Ace puisse regarder, maintenant que ce dernier sait pour ses bandages et considère qu'Ace doit bien s'en ficher de le voir nu. Alors il retire ses vêtements alourdis qui lui collent à la peau. La sensation familière est à la fois désagréable et plaisante et il exhale un doux soupir de plaisir à l'instant de se libérer du carcan des tissus. Sa peau pâle, piquetée de chair de poule, est vierge de cicatrices autres qu'anodines. Son corps dégingandé est rendu fin par la nourriture trop peu souvent consommée. Les cuisses sont creuses et l'on devine le dessin de ses côtes sur son torse étroit mais aux abdominaux paradoxalement finement dessinés, de même que les biceps et les triceps qui trahissent une musculature sèche, nerveuse. Il travaille beaucoup et ses tâches sont physiques, assez pour qu'il demeure coincé dans ce paradoxe. Il ne conserve un instant que son boxer blanc le temps de rentrer dans les vêtements laissés pour lui et dans lesquels il nage, trahissant la différence de morphologie presque amusante. Le tee-shirt gomme les formes du corps fin aux hanches étroites et très marquées, comme deux croissant de lune qui ouvrent sur les jambes maigrichonnes et les genoux cagneux écorchés et bleuis récemment... Les bandages habituels sont toujours là, bien que trempés mais suffisamment épais pour dissimuler l'apparence des cicatrices qu'il ne laisse jamais voir. Il plie ses fringues trempées comme il peut et les laisse sur un bout de banquette.

Enfin, une fois habillé et chaussé, il ressemble à ces figures stéréotypées de marins et l'idée l'amuse un peu. Il ne manque que le chapeau de pluie jaune stéréotypé... dit-il avant de tourner un peu sur lui-même. J'ai l'air d'un marin ? Sa voix s'égaye, de même que son visage et il perd un instant l'équilibre tandis que le bateau accuse un creux de vague marqué, manquant de tomber en avant, s'échouant contre le dos d'Ace. Ouais enfin... J'ai que l'air et pas le pied marin... désolé ! grogne le jeune homme en se remettant d'aplomb. Il fait meilleur à présent qu'il est sec et la douce chaleur de la cabine pénètre enfin son corps glacé. Devant, il n'y a toujours que l'immensité aquatique et les trombes d'eau qui gomment tout. Mais il est sensible à cette atmosphère nouvelle, naïvement excité par la découverte offerte.

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« Tu rigoles ? » lance-t-il en se retournant vivement d’un quart pour observer le japonais, dédaignant la vision de son corps visible pour ne chercher que ses yeux, un air sérieux et un peu interloqué planté sur le visage. « T’es beau Usu. » souffle-t-il simplement, accordant enfin un coup d’œil plus appuyé à la silhouette fine qui ne dévoile rien qu’il n’a pas déjà vu. Sans relâcher la barre, trop conscient des éléments qui jouent, là, dehors, des gerbes d’écume  qui frappent le bateau sans discontinuer, il garde les yeux rivés sur le japonais, sans pouvoir s’en détourner. Un léger sourire lui effleure les lèvres lorsqu’il constate qu’Usui est vêtu de sec, et il hoche rapidement la tête pour confirmer la vision.

« J’avais le chapeau qui allait avec, avant, mais le vent l’a emporté y’a quelques semaines, faudra faire sans. T’es vraiment pas mal en marin tu sais» apprécie-t-il avant que les roulis du bâtiment n’expédient Usui contre lui. Dans un éclat de rire, le yakuza se retourne, pianote un moment pour rétablir le cap et s’assurer qu’ils ont bien quitté les parages directs de Decay.

Il n’a pas l’intention de les amener trop loin ou de taquiner la haute mer, mais seulement de pouvoir laisser le pilote automatique gérer la promenade en le laissant libre d’occuper son invité. « On a quitté la zone qui craint, j’peux le laisser faire son truc tout seul. Sauf si tu veux encore piloter, faut que j’me change aussi. » lance-t-il en se retournant complètement cette fois, embrassant du regard la petite cabine et son occupant. Le contentement peint sur les traits du japonais lui donne un air un peu gamin qui tranche agréablement avec sa façade taciturne et trop sérieuse. Avec un nouveau sourire, Ace rejoint la banquette sur laquelle il se laisse tomber, attrapant son haut trempé qu’il bazarde par terre avec un empressement attisé par l’humidité qui le fait frissonner.

Il n’aurait pas été plus mouillé s’il avait carrément bu la tasse, et s’extirper de l’étoffe rigide alors que le chauffage lui bise la peau est un plaisir évident. Il étouffe un soupir d’aise en attrapant le t-shirt restant qu’il enfile n’importe comment, couvrant presque aussitôt tatouages et derme halé pour se pencher sur son fut qu’il peine à retirer. Il y parvient enfin, saute dans le jean sec, et enfile les chaussettes à la hâte avant de repousser d’un coup de poignet impatient les mèches sombres qui continuent de lui gouter dans les yeux. « Ok, c’est déjà plus sympa comme ça. » Il glisse les pieds dans les bottes amenées un peu plus tôt, dédaigne l’imperméable qui n’a pas vraiment d’intérêt en intérieur, et reporte un coup d’œil amusé sur Usui.

« On a vraiment une dégaine merdique, mais au moins on est au sec. J’crois que c’est la pire invitation que j’ai jamais faite, et toi t’es le pire type pour l’avoir acceptée. Franchement Usu, qui,  même dans cette putain de ville, aurait envie de venir se faire tremper la gueule pour profiter d’une promenade en aveugle sur un océan qui risque de nous laminer bien avant qu’on rejoigne ce qui sert de port à Decay ? » Le sourire éclatant qui accompagne ses mots en retire toute notion d’inquiétude. Il est visiblement ravi d’être là, et encore plus d’être accompagné dans ce que certains taxeraient volontiers de folie.

Il se rassoit, les bras croisés derrière la tête, une jambe tendue au-dessus de la table et l’autre repliée sur la banquette, le regard rivé à Usui qu’il dévore littéralement des yeux maintenant qu’il en a la possibilité. Ouais, c’est un mec. Et ouais, ce mec lui plait. S’il n’a plus la moindre envie de lui bondir dessus ou de le soumettre encore à ses maladroites tentatives, il jouit de sa présence comme on jouit d’une espérance ténue, agréable par sa simple existence.

« T’as fait quoi depuis la dernière fois ? A part le boulot j’entends. Au date, tu traînais avec des yakuzas. Tu les connais bien ? Ça t’fait pas flipper comme fréquentation ? Désolé si j’pose des questions auxquelles t’as déjà répondu, j’ai aucune mémoire. » s’excuse-t-il sans pour autant avoir l’air désolé. Dans un contexte plus ou moins normal, le japonais continue de l’intriguer. Il se retient de l’interroger sur ses blessures, dont il a aperçu les bandes un peu plus tôt, misant sur la présence même d’Usui pour s’assurer que les choses sont un peu moins terribles que lors de leur dernière rencontre.

« Ah, et j’suis naze pour faire la conversation, comme tu peux l’remarquer » ajoute-t-il avant de proposer une nouvelle tournée de boissons chaudes. « J’attends que dalle de toi tu sais, j’sais plus si j’te l’ai dit ou pas, mais j’suis vraiment pas du genre à tirer des plans sur la comète ou à m’faire des films sur les gens. J’ai un bon feeling avec toi, j’te trouve même assez bandant pour avoir envie d’faire des trucs avec toi, mais t’imagines pas que j’vais m’pendre à tes basques ou venir te casser les couilles non-stop. » Encore une fois, les propos lui échappent sans qu’il ne se donne la peine de trop les réfléchir avant de les servir. Deal with it, semblent dire les prunelles taquines braquées sur le jeune homme.
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L'atmosphère entre eux n'a rien à voir avec l'ancienne. Le regard d'Ace lui brûle un peu la peau et ce "t'es beau" lui monte aux joues un fard timide. Lui, beau ? Il est plutôt mal fichu, non ? Il n'a jamais eu vraiment conscience de ses possibles charmes, banal avec des particularités qui le rendent plus touchants. Il y a de la douceur dans l'ovale de son visage, un peu de grâce de jeune faon maladroit dans ses gestes. De la beauté peut-être dans ces prunelles marrons typiques de son ethnie, frangées de cils sombres. Mais il ne le sait pas, ne voit que les défauts, ne s'enorgueillit de rien. Ace lui semble bien plus beau, de ces beautés presque faciles car évidentes. Ace a ce charme viril dont il a l'impression de manquer et il se tait à son tour, mis à quia par ces pensées qui l'emmènent sur des terrains dangereux, comme de se souvenir de l'attirance physique primordiale et qui s'est soldée par un échec cuisant. Le souvenir de cet autre corps est donc tut à l'instant de faire dériver ses idées vers des eaux moins dangereuses.

La navigation est une bonne échappatoire qui les amène tous les deux en des eaux moins troubles - mais ironiquement pas moins dangereuses. Il aime bien regarder la mer déchaînée frapper le peu qu'il devine du ponton, les vagues déferler sur eux comme pour les engloutir. Le spectacle à quelque chose de grandiose et d'effrayant à la fois. Fascinant en définitive. Son regard porté sur l'avant, il se rapproche un peu pour mieux voir, calme à l'instant d'entendre à quel point il est aussi bizarre qu'Ace lui-même d'avoir accepté. Il ne sourit pas mais son expression s'adoucit un peu à l'instant de tourner le regard vers Ace, osant enfin avouer : J'étais déjà trempé, de toute façon, puisque j'étais sorti un peu pour profiter de la pluie. Quel genre de type sort "profiter de la pluie" en pleine tempête ? Il ajoute, plus bas, un peu intimidé : C'est... mon anniversaire alors je suis un peu content quand même d'avoir eu une invitation. Il se tortille un peu les doigts, n'osant dire qu'il se sentait seul, qu'il craignait que de chercher Silvia finisse par le tuer. Qu'il espérait en secret que quelqu'un quelque part pense un tant soit peu à lui, comme pour se retenir de commettre encore une fois l'irréparable en provoquant une fois de trop le mafieux russe qui l'a séparé de l'amour de sa vie. Il tait pourtant les raisons, garde pour lui tout le reste. Que la pluie tombait à la mort de ses parents, en un typhon d'été. Qu'il pleuvait aussi lorsque Silvia lui a annoncé le quitter. Et qu'il pleuvait toujours lorsqu'il s'est pendu peu après. Il soupire tout bas, revient au présent, au bateau qui tangue sur les vagues et les mène dans l'obscurité, comme bercés dans cette petite cabine confortable et chauffée.

Son regard quitte un instant tous les voyants du poste de pilotage, observant Ace se changer, pensif, admirant la musculature, les angles et les courbes de ce corps qu'il a brièvement exploré. Il ne pense pourtant à rien de précis ni de salace, presque étonnement. Son corps le porte en avant, restant un peu débout le temps de récupérer la tasse de café presque terminée et désormais tiédasse. Les questions d'Ace cependant, portées sur Ryuuji et Akemi le font soudain rougir à nouveau, devenant cramoisi de manière inexplicable. S'il les connait bien..? Il ne sait pas vraiment mais l'image d'Akemi abandonné sur la terrasse s'imprime au fer rouge dans sa rétine et la soirée d'honteuse beuverie avec Ryuuji ajoute à l'embarras encore. Mais lui qui n'a jamais été très doué pour les relations sociales se demande en réalité s'il est vraiment proche d'eux ? S'il peut affirmer les connaître ? Son regard se détourne un peu, faisant mine de regarder la mer en buvant un peu de café. Mishima-sama ? Et Isshiki-sama ? Je... commence à les connaître un peu, oui. Il soupire tout bas : ce n'est pas exactement un mensonge. Je ne sais pas, je n'ai rien à voir avec les Yakuzas, avec les mafias en général... S'il savait la vérité sur sa filiation, les choses auraient une perspective toute différente. Mais je n'ai pas vraiment peur... et puis... Il hésite un instant, baisse encore un peu d'un ton. Ce sont eux qui m'ont trouvé et sauvé. Il s'assoit finalement à son tour, craignant un peu de valdinguer avec sa tasse à la prochaine lame de fond un peu trop haute, s'installe à côté d'Ace sur la banquette. Pas trop près ni trop loin. Un sourire, plus vrai, plus timide, s'imprime sur ses lèvres : A vrai dire, je ne sais pas faire la conversation non plus. Ace l'a bien remarqué, pense-t-il, se flagellant un peu. Il fait un instant tourner la tasse sur la table entre ses mains pâles. Il se tait de nouveau, écoute, apprécie la chaleur qui commence à vraiment le réchauffer maintenant qu'il est au sec.

Les propos d'Ace cependant ramènent sur son visage une expression circonspecte mâtinée de surprise. Il se demande où veut en venir l'autre, s'il a bien comprit l'idée générale : est-ce que quelqu'un est en train de lui proposer sans pression de devenir son plan cul ? Il demeure un peu perdu puisqu'il n'a jamais connu ces émois-là, ces égarements du corps plutôt que du coeur. Cœur qui d'ailleurs se serre et c'est l'image d'Akemi qui hante ses prunelles sombres. Mais il n'ose pas, ne veut pas encore oser croire qu'il puisse y avoir du côté de l'oyabun autre chose qu'un cuisant désir, un besoin du corps face aux tourments du coeur. Il achève de boire son café, le visage indéchiffrable mais le coeur un peu lourd en secret. Que devrait-il faire ? Que répondre ? Devenir l'amant d'Ace le temps que cela dure, avec dans le coeur l'épine d'un amour secret qui fait de lui un ami bien indigne ? Ne serait-ce pas se foutre de tout le monde ? Ne serait-ce pas malhonnête pour Ace aussi ? Même s'il n'est pas question d'attaches, d'après ce dernier…

Je ne sais pas… Tu parles qu'on couche ensemble parfois et qu'on se voit que pour ça ou bien qu'on essaye d'être des amis qui couchons ensemble des fois ? Je suis désolé… je n'ai pas vraiment l'habitude de tout ça. Avant ma rupture je n'ai connu que ma fiancée. Malgré les hésitations, il est étrangement franc, Usui. Je ne sais pas vraiment… Je te trouve attirant, c'est sûr mais... la dernière fois on a eu du mal à s'accorder, toi comme moi. Ce n'est la faute de personne mais je ne sais pas trop quoi ressentir. Ca ne me déplait pas non plus d'être en ta compagnie, de parler avec toi, de passer du temps avec toi. Je ne sais juste pas si on ne va pas juste chaque fois galérer à s'entendre sur tout. Il se tait, un peu effrayé au fond, un peu effarouché. Son coeur se serre : la vérité est l'évidence de ce sentiment de solitude omniprésent. C'est son amour nouveau, effrayant, terrifiant même après Silvia qui est partie avec un morceau de son coeur brisé et dont il ne sait encore s'il sera capable de le reconstituer. C'est toutes ces choses qui se débattent dans sa poitrine, les douleurs secrètes du corps : les séquelles épouvantables qu'il masque avec bravoure tous les jours.

Moses.

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Les Docks
L’envie, et l’interdit. Et les deux qui se mêlent, s’attirent et se fuient tour à tour, le laissant l’esprit dans le vague et l’intention dans le flou. Lorsque l’aveu tombe entre eux, il réfrène son premier élan, pour le regretter aussitôt. Il ne se plait que dans l’action, peine à saisir les nuances des comportements humains, et à y réagir en conséquence. Ne pas être trop lui, pour ne pas l’effarer encore, cet Usui si fuyant dont le regard l’attire pourtant.

Il n’a rien à lui offrir que sa présence sur cette mer houleuse, et un sourire de gosse qui lui rehausse les commissures. Comme la première fois, il sent plus qu’il ne comprend franchement ce que l’autre ne dit pas, et les lames contre lesquelles lutte Usui semblent bien plus conséquentes que celles qui agitent pour l’heure le petit navire livré aux caprices des flots. Il hausse un sourcil en le voyant rougir, se demande, là encore, s’il n’aurait pas mieux fait de garder ses questions pour lui, mais comment se vanter d’une connaissance qui s’amorce quand chaque échange peut potentiellement noircir l’ambiance ?

« Y’a bien un truc avec ces yakuzas, alors. » conclut-t-il posément, sans faire mine de vouloir fouiller davantage de ce côté. Il est un peu comme la mer, Usui, et chacune des vagues agitant ses yeux semble abriter un secret. « Je vois. » ajoute-t-il après l’avoir laissé finir, un pli pensif lui barrant le front. La peur des mafias est une crainte qui lui est étrangère, pour être né au cœur de l’une d’elles, et certainement que l’existence d’un civil perdu dans tout ce bordel doit faire naître bien des inquiétudes en son cœur.

Comme son voisin, il observe la tasse, note la manière dont les doigts fins la retiennent, esquisse un nouveau sourire, alors qu’une image toute autre se superpose dans son esprit à la réalité de ce que peuvent faire ces mains-là. « Ouais, c’est ça, plus ou moins. » répond-t-il en fixant le japonais dans les yeux, comme pour lui interdire de se défiler.

« J’ai pas eu l’impression que ce soit physiquement qu’on ait eu du mal à s’accorder. Ces choses-là comme tu dis, se font naturellement, en général. Parce qu’elles sont voulues, attendues, des deux côtés. C’est juste une façon de passer du bon temps. Ça apaise, aussi. En tout cas, moi, ça m’apaise. » Il hausse les épaules, se demande quelques secondes s’il est vraiment censé expliquer les tenants et aboutissants du fonctionnement d’un plan cul à un presque inconnu qui n’a de toute façon pas vraiment l’air intéressé.

« C’est une expérience, aussi. Comme prendre la mer une première fois. Pour découvrir ce qui se trouve après. J’ai pas un rapport très sentimental avec le sexe. Pour moi, c’est un moyen, pas une fin. Alors ouais, ça m’dérange pas vraiment d’en parler comme ça. Ou de le proposer. » Aucune tension ne vient le faire bafouiller, et aucune gêne ne vient déranger son débit. Il a la voix calme, assurée, de ceux qui savent ce qu’ils font et où ils vont, ce qui détonne sûrement avec leur premier essai, et le désastre qui s’en est ensuivi. Inconscient de ce qui se joue dans la tête d’Usui, de ce à quoi sa proposition peut le confronter.

« Y’a un truc qui te ferait plaisir pour cet anniversaire ? Si tu pouvais, là, avoir tout ce que tu veux, qu’est-ce que tu choisirais ? Attention hein, j’parle pas forcément d’un truc que quelqu’un pourrait t’offrir, mais juste, comme ça, si tu pouvais choisir n’importe quoi, ce serait quoi ? » La question lui est venue toute seule, et il la pose avec intérêt, trouvant également là un bon moment de poursuivre leur conversation sans les enfermer dans une impasse. « On est pas obligé de se comprendre sur tout. On est pas obligé de s’entendre à la perfection. Ça se construit ces choses-là. Et puis ça s’entretient, ensuite. J’connais peu de gens avec lesquels ça a tout de suite collé. Sans parler de cul d’ailleurs. Sûrement que sans ce date à la con, on se serait jamais calculé. Mais c’est ça aussi l’intérêt. Pouvoir apprendre de l’autre ces choses qu’on ignore. Tu trouves pas ? » Et sûrement que ses paroles sonnent naïves et simplettes, larguées comme ça à la faveur des lampes qui clignotent dans le roulis constant.
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Should I run away, and change my name ?
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YOU'RE NEVER GONNA OWN ME
"Acei et Usui sont sur un bateau (et cette fois c'est littéral !)..."
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Il écoute avec un calme étrange, déconnecté. Il a presque l'impression qu'il n'est pas question de lui-même mais d'un autre, d'un qui aurait ce succès qu'il ne pense pas avoir avec les autres en général. Avec les hommes encore plus. Il est difficile de s'imaginer plaire et plus complexe encore de le constater. Les heurts de la dernière fois foireuse qui les a réuni ont laissé des traces : celles de la crainte de l'autre autant que de ses propres réactions. La honte, le malaise évident se dissolvent un peu. Il essaye de se concentrer, de s'ancrer dans le présent plus sûrement que la tempête dehors l'amène à cet état d'esprit plus imprévisible. Il ne sait comment l'expliquer mais il est souvent plus authentique à cet instant qu'à son habitude. Plus franc, plus limpide et surtout plus lui-même, laissant voir les profondeurs sombres, graves et bien moins lisses que la surface.

Je sais ce qu'est un plan cul, Ace. Je voulais juste être sûr que ce soit sans attaches. Parce que moi... Il y a quelqu'un qui me plait. Quelqu'un avec qui je ne suis pas sûr de pouvoir être un jour donc ce n'est pas tellement le problème mais... je voulais juste te le dire. Pour être à égalité. Il inspire : penser à Akemi fait mal, parce qu'il l'aime tout bêtement et qu'il n'est pas prêt paradoxalement à passer à autre chose. Ca m'apaise aussi de coucher, tu sais. Je ne suis pas une nonne. Et coucher avec toi… reste toujours tentant malgré tout. Un peu comme essayer de voir si la nuit primordiale peut être encore contrée et transformée en un meilleur souvenir, il soupire délicatement à l'instant de risquer ses doigts contre l'avant-bras d'Ace pour une caresse fugace, faussement fortuite tandis qu'il regarde l'avant du bateau et le poste de commande qui fait son travail tout seul.

Malgré tout la question sur son anniversaire à le mérite de le faire réfléchir. Quelque chose qu'il voudrait ? Seulement une ? Il sourit, pensif un instant. Savoir Silvia en sécurité est la première pensée. La seconde sont pour les bras fins d'Akemi et ses lèvres qui lui retournent le coeur à l'envers. La troisième est bien plus innocente et sans risque à énoncer. Si je pouvais ? J'irais visiter le Japon. Je suis né à Decay alors je n'ai que les échos de mon Ojiisan. Il paraît que mon père a vécu longtemps là bas avant d'arriver à Decay. Et j'aimerais aussi voir la Thaïlande parce qu'il paraît que ma mère y est née, même si je ne sais même pas dans quelle ville... Je ne sais presque rien d'elle ou de mon père mais j'aurais l'impression de me rapprocher peut-être un peu d'eux si j'allais voir les endroits où ils ont vécu. C'est un doux fantasme en réalité : celui d'un jeune homme prisonnier d'une ville bien malgré lui. Pour être né, il est condamné à Decay à perpétuité. A moins de trouver un moyen de passer à Néo-Atlantis, le rêve caressé avec Silvia autrefois et qui lui semble désormais bien vain. Elle voulait retourner en Russie, voir sa famille encore en vie, à Saint Petersbourg. Et lui voulait voir ce monde dont il ne savait rien. Il espéra en silence que son ex-fiancée ait pu réaliser ce rêve malgré le peu d'espoirs qu'il avait pour cette issue heureuse. Il esquissa un sourire pensif, un peu chagrin. Il aurait voulu pouvoir se sentir un jour libre de découvrir ces pays qui le faisaient tant rêver. Ballotté par le bateau sur cette mer apocalyptique, ce n'était pas si désagréable : c'était nouveau. Cela donnait une illusion de liberté qui mettait en relief la réalité de cette chaîne à son cou.

Le brasseur ploya délicatement la nuque à l'instant de poser sa tête sur l'épaule de son compagnon, prudemment, comme s'il craignait d'être repoussé. ... Une promenade en bateau, c'est déjà plus que ce que je pensais vivre, tu sais. Alors : merci. Il sourit maladroitement, d'un sourire sincère qui étirait ses yeux noisette sur l'expression d'une gêne timide mais peu farouche. Le jeune homme inspira doucement, retrouvant le parfum d'Ace, auquel il était encore si peu familier, essayant de s'habituer à lui sans trop oser prendre autant de devants qu'il l'aurait fallu ou qu'il l'aurait voulu. Il était encore un peu effrayé d'être repoussé, d'autant plus après son aveu. Il n'y avait pas de raisons pourtant : Ace et lui ne s'étaient rien promis. Et Ace lui-même avait dit que ce n'était que pour le sexe et rien d'autre. L'idée, loin de le faire fuir, lui convenait au contraire et Usui abdiqua d'une voix douce malgré son timbre blessé : Tu as raison. Sans cette soirée-là, on ne se seraient jamais croisé. Ce n'est pas si mal : je suis quand même content de te voir, tu sais. Et moi aussi je suis curieux de te découvrir. Il avait redressé la tête sur ces paroles, fixant un instant Ace avec dans le regard comme une acceptation muette d'une situation définitivement bien glissante.

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