Karate Kid - Mon jour <3

Bave sur le coin de la lèvre, corps dénudée, j’émergeais lentement, gênée par le seul rayon qui perçait au travers des rideaux. La cuisse en feu, je me redressais et découvrait une magnifique trace de bronzage – ou de cramage au choix – sur ma peau. L’esprit encore embrumée, je parcours la pièce du regard, cherchant à rassembler mes souvenirs dans les tréfonds de ma mémoire. Une seringue vide gît au sol, aux cotés d’un homme dont je ne reconnais pas le visage. Encore. Ça m’est encore arrivé. Je sens déjà la redescente de l’héroïne me plomber le morale. Je m’étais pourtant promis d’espacer les doses. Les traits tirés par la fatigue (et la consommation de drogue), je rassemble mes vêtements et entreprend de me rhabiller avant que le type en question ne reprenne conscience.

« Où est-ce que j’suis putain. »

Je tend la main vers mon cellulaire, le déverrouille et fais le tour de toutes mes notifications. Ici, ça sent la clope froide, le café, la sueur et… le cul. J’aperçois entre deux notifs, du coin de l’oeil, un préservatif usagé au pied du lit. Au moins, je me suis protégée, je me félicite.

« EH MERDE ! BORDEL ELLE VA M’TUER ! » la notification de mon agenda pour mon cours de karaté me rappelle à l’ordre.

Je gueule dans la chambre et évidemment, le mec… Ah non, il reste immobile, dormant à point fermé. Et justement trop immobile. J’lui donne un coup de pied dans la cheville. Rien. Dans la jambe. Rien. Dans le bide. Toujours rien. Les couilles. Bordel. Je m’approche lentement, tâte ses joues, ouvre ses yeux…

« Oh merde. Il est mort. » dis-je pour moi même.

N’importe qui de sensé aurait probablement appeler une ambulance, mais le fait est que ce gars était déjà mort. Qu’importe si j’appelais une ambulance ou non, il n’était plus à sauver. D’autant plus que, et c’était le plus important, j’étais en retard. Encore. De toute façon, personne ici n’allait le regretter.

***

Arrivant finalement à notre lieu de rendez-vous, je débarque en trombe, la porte allant se fracasser contre le mur alors qu’elle me reçoit de la façon dont je le mérite. Malgré les entraînements, j’ai toujours ces faux ongles en résine aux effets holographiques. Sachant que j’étais déjà en retard, j’étais repassé par chez moi pour prendre une douche et me changer. Histoire de ne pas arriver en puant le foutre à des kilomètres à la ronde. Je lui lance un regard noir tandis que je pose mes affaires.

« Ouais, y’en a qui on des trucs à faire. » je fais au hasard. Jugeant le fait de faire allusion à mes activités nocturnes en sous entendant, qu’elle, n’en avait pas, un peu trop violent en guise de salutation.

« J’sais pas, à toi de me dire sensei. Même si j’avoue que je penche plus pour les crocs que le bouclier. J’ai plein de salopes à saigner dehors. »

D’ordinaire bien plus dynamique, le contre coup de Madame Héroïne se fait ressentir, et je n’ai simplement pas l’énergie de m’épancher en provocation. Du moins, pour l’instant. Mon regard suivi la direction qu’elle m’indiquait, pour découvrir des planches. Des films chintoques j’en avais regarder à la pelle et je savais exactement quoi faire avec ses planches. Ok, pour ça, même l’héroïne ne m’enlèvera pas mon entrain.

« OH PUTAIN TROP COOL ! »

Comme une gosse, je trottinais jusqu’au butin et tournait autour comme une mouche autour du miel. En prenant une immédiatement, je me basais sur les films que j’avais vu pour mettre en place le matériel, jugeant qu’il ne fallait de toute façon pas être un génie. Sans me rendre que mes cernes et mes yeux injectés de sang me donnait vraiment l’apparence… d’une junkie.

« Vas-y euh… on commence ? » la pressai-je en revenant vers elle, peut-être même un peu trop près.

Je revins ensuite aux planches, invoquant intérieurement toutes mes ressources pour faire face à l’entraînement qui m’attendait. Tellement habitué à cotoyer des drogués que j’en avais oublié de cacher mes marques de piqûres.

Des trucs à faire hein. Tout en refermant ma bouteille, j’examinais la petite. Elle croyait qu’elle pouvait me la faire ? Morveuse, moi aussi j’avais eu vingt ans et mon lot de conneries… beaucoup de conneries et de n’importe quoi dans cette vie. Cela serait un vrai foutage de gueule que de la juger ou lui faire la morale pour ça. Un jour ou l’autre, elle allait devoir faire le point sur toutes ces choses-là d’elle-même et ça ne serait pas plaisant. Pauvre bichette… Pourquoi je sentais ce rictus mauvais naître aux coins de mes lèvres ? l’histoire était censée être triste à en pleurer. ‘fin, ça aussi ça m’était passé depuis longtemps. Oh putain ce que cette petite conne pouvait me faire me sentir vieille… saloperie.

“ Crocs tu dis ? “ Mon regard se plantait sur ses ongles. “ J’aurais parlé de griffes perso… puis je ne doute pas qu’elles puissent laisser des traces de sang derrière elle. “ Je secouais la tête. Cette morveuse n’en faisait qu’à sa tête. Je lui avais pourtant dit que ces fantaisies étaient moyennement pratique pour nos activités. “ Je me disais aussi que t’étais le genre à préférer encaisser bêtement tant que tu peux finir par taper… “

Son style, son choix, pas forcément le meilleur et c’était dommage de négliger la défense qui pouvait aller de pair avec les ripostes, mais je n’allais pas plus la forcer que lui indiquer ce détail. L’idée n’était pas d’en faire un clone, juste de lui transmettre ce qui lui semblait propice à sa personne. Dans tous les cas, j’aurais l’occasion de la retourner pendant un assaut et d’éveiller son intérêt sur la chose si cela devait se faire… Sans surprise, les planches avaient quant à elles toujours leur petit effet. Sans surprise toujours impatiente, elle bidouillait mes affaires pour faire avancer le cours plus vite vers sa source d’intérêt. La rejoignant, j’ajustais les planches et leur support tout en jetant un regard sur mon apprentie maintenant que j’étais là plus près. Il y avait des signes qui ne trompaient déjà pas les néophytes, alors une ancienne junkie ? Qu’importe, pas mon problème, elle faisait ce qu’elle voulait de sa vie et de son corps, par contre…

“ Humm… la prochaine fois vient sans toxine dans le sang, parce qu’elle change la sensation ou même la perception, c’est bien possible que tu arrives à les casser aujourd'hui, mais qu’une fois “clean” tu en soi incapable. “

Je parlais en connaissance de cause, pas une connerie qu’elle était en train d'expérimenter que je n’avais pas dû déjà faire moi-même très probablement. La petite parenthèse sur l’avertissement fait, d’un coup sec et net du flanc de ma main droite je brisais le duo de planches qui venaient d’être posé.

“ Vu comme ça, ça à l’air simple pas vrai ? “

Voilà qui serait naïf de le croire. Je reposais une planche plus fine, de débutant sur le support pour passer à son cours pratique. J’étais bien conscience que la théorie avec cette fille-là n’avait aucun sens.

“ Le tout, c’est de bander tous les muscles de ton bras et ta main. Ne pas hésiter, et apprendre à faire ce mouvement mécanique qui emporte ta force dans le flanc de cette main qui se fracassera sur la planche. “

Dans le vide, je lui remontrais le mouvement au ralenti. Si j’avais pris soin de mettre le moins de tissu possible sur mes bras, c’était pour qu’elle puisse voir la variation des enflements de la musculature, pourtant pas si proéminente chez moi. C’était important de se concentrer là dessus pour ne pas se faire mal. Et de mémoire, les premiers essais où l’on se blessait étaient soit parce qu’on avait eu peur de taper, soit parce qu’on s’était laissé déconcentrer sur la maîtrise de son bras.

“ Tu veux essayer, ou je te remontre encore une fois.” Puis toujours la carotte pour avancer. “ Ça marche aussi pour les briques et quoi tu sais… mais faut déjà savoir péter des planches. "

“ Humm… la prochaine fois vient sans toxine dans le sang, parce qu’elle change la sensation ou même la perception, c’est bien possible que tu arrives à les casser aujourd'hui, mais qu’une fois “clean” tu en soi incapable. “

Je me figeais un long moment à l’entente de ses mots. A vrai dire, ça ressemblait plus à un avertissement qu’à un jugement. Elle avait vraiment l’air de savoir de quoi elle parlait. Un regard en biais, le pouls qui s’accélère, un coup de chaud. Pourquoi est-ce que je stress autant ? Peut-être parce que je la considère et que je n’ai pas envie de la décevoir ? Je réalise qu’en fait, j’ai réellement honte de cette partie là de ma vie. Et je vains même à me surprendre vouloir porter un manche longue pour pouvoir cacher mes traces de piqûres. Je me promets de ne plus faire mes injections à des endroits trop visibles.

« J’ai compris... » je lâche d’un ton résigné.

Je sais qu’elle a raison et je n’ai pas la force pour lui tenir tête sur ce sujet. Je préfère préserver mon égo et éviter cette pente glissante. Mon entraînement me semble plus intéressant de toute façon. Je l’observe placer correctement les planches. Puis lorsqu’elle les brises du coup sec, je lâche un sifflement admiratif. J’ouvre de grand yeux et je sens déjà l’adrénaline monter en moi. J’ai envie de m’y essayer tout de suite.

« C’est clair, déjà que dans les films ça avait déjà l’air super simple, en vrai on dirait vraiment que c’est ultra simple. » je fais en parlant vite et peut-être un peu trop fort. Je ne suis pas du genre à cacher mon entrain et à quoi bon de toute façon. J’étais bien là pour ça, apprendre de nouvelles choses et j’osais croire que me voir aussi motivé faisait parti des raisons pour lesquelles elle ne m’avait pas encore lâché malgré mes nombreux retards. Au moins, je n’avais loupé aucun de nos rendez-vous, c’était déjà beaucoup pour quelqu’un comme moi. S’il n’y a pas d’argent à la clé, j’ai toujours eu cette tendance à constamment arriver en retard. Elle pouvait en témoigner.

« De bander... » je répète hilare, par dessus le reste de ses explications. Je m’attrape les cotes en renversant la tête en arrière, je suis morte de rire. Il me faut quelques secondes avant de me calmer. Je ne sais pas si ce fou rire est du aux restes de drogues dans mon organisme, ou simplement la cause d’un stress nouveau que je sens sourdre en moi. S’insinuant lentement, il prend racine et j’ai la boule au ventre. Soudain, mon entrain s’envole et je me rétracte.

« Je veux bien que tu me remontres... » je fais précipitamment, comme si c’était une réponse à un quizz chronométré. Je l’observe faire une seconde fois, cette fois tout mon sérieux revenu. Je me concentre totalement sur la troisième planche qu’elle place. Je m’avance, tend et détend le bras, j’essaie de suivre les conseils qu’elle m’a donné. Bander les muscles. Ça à l’air simple.

Bander.
Alors que ma main s’abat sur la planche, je retiens un fou rire qui meurt dans un cri de douleur. Qu’avait-elle dit à propos de l’hésitation déjà ?

« PUTAAIIN ! C’est sûr que j’ai la main pété. » j’hurle en me tenant la main, je fou un coup de pied rageur dans son matériel, avant de me couvrir la bouche en mode ‘oups, désolé’ et de lui offrir mon regard de chien battu le plus convainquant dans l’espoir qu’elle ne m’étripe pas sur place.

« Nan mais aussi… c’est parce que… » ma phrase reste en suspens, moi-même je ne me trouve pas d’explication. « Attends tu me dis que je pourrais briser des poutres ? » ce n’est pas exactement le terme qu’elle a employé, j’extrapole exprès « tu y arrives toi ? »

Je marque une pause, mon regard papillonne par dessus son épaule avant de revenir à elle. « Et sur les os humains ça fonctionne ? Si je veux briser une nuque, ça peut tuer sur le coup ? » je lâche d’un ton sérieux. Ça m’est venu soudainement, et je me pose réellement la question. Pas que je veuille tuer quelqu’un dans l’immédiat… quoique.

Ma tête se remuait doucement. Les bras croisés sous la poitrine je la fixais hésitant entre rire et jetait ma main sur mon visage pour lui montrer sa connerie dans un facepalm. Finalement, juste, je soupirais lourdement par le nez en baissant la tête pour observer le sol et reprendre mon sérieux. Cette cruche putain ! Elle allait me faire mourir de rire ! Et avec mon fou rire, tout ma crédibilité allait s’envoler.

“ Je t’ai dit de te concentrer. T'écoutes ou bien ? Plus tu seras têtue, plus tu te feras mal. “  

Là-dessus, je m’accroupissais sans faire de remarque sur son coup de sang et je remettais tout en place. C’était couru d’avance vue comme elle avait ri comme une ahurie quand je lui avais expliqué. Elle était excitée comme une puce, la merde dans son sang ne devait pas aider et je m’en foutais pas mal, ça lui servirait de leçon quand elle redescendrait et aurait mal à en crever. C’était un revers de médaille que je ne connaissais que trop bien et en attendant, sa toxicomanie allait m’aider à gagner du temps sur son entraînement en atténuant la douleur. Tout n’était pas mauvais, même dans le pire. Encore que son agitation allait me fatiguer plus que de raison dans l’histoire.

“ J’ai dit des briques. Parfois des murs, des mortes et sans aucun doute, les os effectivement. “ Mes yeux s'étaient levés au ciel tellement ça paraissait une évidence pour moi. “ T’as cru que je t’apprenais à devenir charpentière ? “

Bon à la base, mon maitre de discipline m’avait appris l’art pour me “défendre” tout en me donnant toutes les clés pour tuer ou massacrer un adversaire. Ce n’était pas tout aussi ridicule comme discours ça ? Clairement, ce n’était pas celui que je lui tiendrais dans nos entrainements, je voulais que ses poings et ses pieds soient capables de fracturer en mille morceaux et tuer même le plus gros de molosse en face d’elle. La survis, il n’y avait que ça de vrai à Decay.

“ Avec toute ta merde, même si c’était cassé tu ne le sentiras pas. Arrête ton cinéma, allez recommencer et cette fois, si tu hésites, juste stoppe-toi et recommence. Mieux vaut si prendre cent fois que placer un mauvais coup qui peut te ruiner, plus que te servir. “

‘fin, j’allais pas trop forcer sur la philo dans son état non plus. Mais c’était le genre de phrase qui donnait de l’entrain et ça, elle en avait bien à revendre la petite, mais pas du bon. Fallait la sortir du délire jovial et la ramener vers des sentiments plus rageants et pour ça, elle m’avait donné les clés de sa psyché sans le vouloir avec ces conneries.

“ Avant de frapper la prochaine planche. Fixe-la. Écoute bien le son de ma voix et rien d’autre. Tu saisis ? Ne fais pas qu’entendre, écouter et absorbe mes mots. Tu verras, ça va venir tout seul. “

Là-dessus, je reposais la planche et m’éloigner pour la laisser se mettre en position. On avait plus en commun qu’elle ne pourrait le croire, probablement des forces et des faiblesses communes… comme celle-là.

“ Fixe la planche et rien d’autre j’ai dit. “ Mieux valait lui répéter vu comme elle était dissipée. “ Et pense, non ressent encore une fois, va chercher au fond de toi ce sentiment… tu sais cette rancœur… “ Mon ton se faisait plus bas et las pour l’obliger à se concentrer sur la prochaine phrase. “ … revis de comme tu te sens sale après chaque extase. Cette chaleur qui envahit ton corps et cette envie irrésistible de tout détruire. Et ce tout est au bout de la trajectoire du mouvement de cette main que tu abats. Toute cette pourriture concentrée dans cette simple planche que tu viens détruire. “

La rage était parfois le meilleur de moteur pour les enfants perdus tel que nous. À voir si j’avais vu juste dans son cas.

Face a cette femme expérimenté, je me sentais comme mise à nu. Elle avait déjà frappé en plein dans une plaie ouverte en évoquant mon problème d’addiction. Si la drogue circulait encore dans mon corps, mon attitude nonchalante relevait surtout de mon irrépressible envie de cacher mes failles en en faisant toujours trop. Comme pour attirer son attention ailleurs que sur mes problèmes.

Je l’observais en silence replacer son matériel, heureuse d’avoir échappé à un sermon ennuyeux sur le respect de la matière et tout les clichés que je pouvais avoir à propos de ceux pratiquant des arts martiaux. Parlez moi de chakra, et vous perdrais mon intérêt à tout jamais.

« Des briques oui.. » je répétais en léchant mes lèvres gercées et en reniflant. Ça ne faisait aucun doute que j’avais un mal fou à rester concentré sur ce qu’elle me disait. La sueur perlait sur mon corps alors que je n’avais même pas encore commencé le réel effort. D’un revers de la main, je m’essuyais le front et fit rouler l’élastique de mon poignet jusque dans mes cheveux que je vins relever en une queue de cheval.

« J’ai vraiment eu mal. » je geins alors que je rassemble mon énergie pour rassembler les bris éparse de mon mental afin de me concentrer sur la tâche.

Mes pupilles vissés dans les siennes, j’écoutais attentivement sa voix, comme elle venait de me le conseiller, puis reportais mon attention sur la planche qu’elle venait tout juste de placer. Malgré ce qu’elle me disait et le ton qu’elle employait, je n’arrivais toujours pas à me concentrer. Je restais immobile un long moment comme ça, avant de craquer et d’exploser à nouveau de rire.

« Nan mais arrête, quand tu me parles de profondeur et tout ça… Comment tu veux que je me concentre alors que je suis allé en profondeur la veille. » je lâche en lui lançant un regard lubrique. Puis tout de suite après, j’ajoutais « j’ai compris où tu veux en venir, laisse moi me concentrer… en silence, désolé je veux pas te vexer, mais je vais voir des allusions sexuelles dans tout ce que tu dis. » C’était vrai et faux ce que je disais. Je voulais surtout éviter d’utiliser sa voix comme un catalyseur. J’allais réussir et puis quoi ? Être incapable de me concentrer sans son aide ? Ou alors, elle se sentirait plus proche de moi, parce qu’elle aurait pu connaître la galère de Decay comme moi ? Et puis quoi après ? Le cours allait se terminer et chacun repartirait dans sa petite vie, jusqu’au prochain rendez-vous. Je voulais éviter de trop m’attacher à elle. Ou de repenser à sa voix lorsque je me repasserai cet entraînement dans la tête.

Une nouvelle fois, je me mis en position devant la planche et silencieuse, je me concentrais sur mes muscles. La rage. C’est ce qu’elle cherchait à faire monter en moi. Seule, j’y arriverais. Des images de mon passé douloureux me revinrent en mémoire, je laissais ses sentiments m’envahir, cette chaleur monter en moi. Et lorsque je le sentis, je pensais mentalement à mettre toute ma puissance dans ma main avant de l’abattre sur la planche. Qui ne fit que… se fissurer. Mais cette fois, aucune douleur ne remonta dans mon bras. Déçu, mes épaules s’affaissèrent et je me tournais vers Hana, l’ai contris.

« ça marche pas ton truc ? Tu me mets des planches truqués ou quoi ? » je fais sur un ton mis plaisantin, mi accusateur.

Vachement mal. Ouais, ouais c’est ça. Elle pourrait avoir vachement plus mal que ça sans sa dope, mais je ne relevais pas, je me rappelais comme la défonce avait le don de me faire extrapoler toutes mes sensations. La voir, c'était comme me  dire qu’hier encore, j’avais besoin de ça pour avancer dans la vie.  Peut-être que cette facilité-là me manquait quelquefois.  Puis alors que je tentais de l’aider, elle pouffait, s’agiter, relever et me demander de me taire. Mon sourire s’étirait, comme le seuil de ma patience très large heureusement pour elle  et puisque cela devait tourner au dérisoire…

“ Je peux te promettre aussi de te lécher le minou de façon plus ouverte si ça t’aide à faire mieux qu’une fente dans la planche… “

J’avais dit ça à la suite de son échec, un ton aussi chantant que joyeux devant son accusation après avoir gentiment suivi ses consignes et fermé mon clapet tout ce temps. Ricanant dans ma barbe tout en lui prêtant une oreille attentive, j’étais venu changer la planche pour une brique.

“ Regarde. “ Lui indiquais-je alors en tendant mon bras au-dessus de la brique.

Puis avec lenteur et maîtrise, je reproduisais le geste qui le remontait pour le mettre en position, puis celui qui le faisait descendre pour briser la brique à bonne vitesse. Tout le long, le volume de mon bras avait changé, montrant qu’il ne suffisait pas de maîtrise, mais aussi d’une bonne condition physique pour s’attaquer au niveau supérieur. Musculature que ne lui demanderait pas une simple planche, son intérêt était d’éviter la douleur justement, mais pour le moment, je m’abstenais de lui préciser. Puis ignorant ce qu’elle pouvait en dire, je lui offrais à trois reprises l’occasion de voir le geste au ralenti, avant d’abattre un coup franc et net sur la brique qui éclatait bien plus qu’elle ne se fendait  lorsque mon poing se fracturait sur elle. Oui, c’était bien une autre méthode que je lui présentais.

“ En vrai excuse moi, je ne sais pas pourquoi je me suis senti obligé de t’apprendre la technique de base, alors que celle-là que tu utiliseras sans aucun doute. “  

Néanmoins, je me devais de lui montrer la contrepartie de cette façon de faire, mes phalanges étaient écorchées et à mains nues, jamais rien ne pourrait lui éviter ça. En soi, pas un problème pour moi, j’avais eu des années pour m’habituer à la douleur.

“ C’est trop facile si je te laisse tester sur une seule planche cette méthode. Donc, tu devras quand même concentrer ta force dans ton poing pour venir à bout des trois… pour commencer. “

Impossible qu’elle échouait, même si l’épaisseur était impressionnante, j’avais mis tellement de surface dans le vide, qu’il ne pouvait en être autrement. Au-delà de la fourber, je voulais que la réussite lui fasse pousser des ailes et donner la confiance dont elle manquait pour exécuter l'exercice conformément cette fois.

“ Allez, je me tais, je m’en voudrais de perturber ta petite tête. “ Clin d’œil.

J'avais pris un peu de recul lorsqu'elle s'était mise en mouvement, troquant les trois planches pour une brique assez épaisse, il fallait le dire. Un sifflement d'admiration m'échappa, alors qu'elle n'avait encore rien brisé jusqu'ici, mais je me doutais qu'elle allait réussir. D'une manière inexplicable, cette interlude me permit de retrouver une forme de paix intérieure. Hana avait toujours eu cet effet sur moi. C'était en fait une histoire sans parole. J'arrivais complètement à l'arrache et rien que par sa présence, son attitude et ses mots, l'ordre s'imposait en moi.

Désormais attentive et envelopper dans son aura encourageante, je me plaçais de manière à voir ses mouvements sous un meilleur angle et n'hésitais pas à pivoter un peu pour le voir dans son ensemble. Autant profiter pleinement de la slow motion qu'elle m'offrait. Puis la brique se brisa. Le mouvement avait été si rapide, que si j'avais cligné des yeux, je n'aurais certainement pas eu l'occasion de le voir dans son entièreté. Un deuxième sifflement admiratif s'éleva dans la pièce. Je hochais silencieusement la tête, pleine d’approbation et subjuguer par sa puissance. Une soudaine envie de devenir comme elle naquit en moi.

« Ok, je valide la méthode. » galvanisée par la petite démonstration, si tantôt ma concentration laissait à désirer, à présent, elle l'avait tout entière. Mais pour combien de temps ? Je profitais de cette clarté d'esprit pour me remettre en position.

« Je vais le faire. » dis-je confiante.

Mes pupilles vissés sur les planches qu'elle venait de remettre en place, je me repassais mentalement les mouvements qu'elle avait effectué avant de les reproduire à mon tour au dessus des planches dans le vide. Comme elle me l'avait suggéré, je repensais à mon passé et tout ce qui m'avait blessé. La rage montait à mesure que je me plongeais dans mes souvenirs. La disparition d'une amie chère, mes défaites sur le Track, les clients abusifs du Red Light... la mort. Tout ça, remontait en moi. La cage Decay.

Au bout du cinquième mouvement dans le vide, lorsque je sentis que ma rage était à son paroxysme, j'abattais la cote de ma main fermement tendue, bandant tous les muscles de mes bras du même coup. Puis lorsque je remontais le bras vers moi, mon mouvement resta en suspens, je fixais toujours les planches. Seulement deux planches s'étaient brisées, la troisième était touché, fissurée, certes, mais elle n'était pas complètement séparé en deux morceaux distincts. Surprise par ma propre force, je me tournais alors vers elle, le regard interrogateur, cherchant une approbation.

« J'ai réussi ou quoi ? » fais-je en ouvrant les bras, interrogative.