C'est l'histoire d'un mec qui rentre dans un bar... (Ouvert)

Oppressante addiction, comme la belle savait y faire, caresser la peau et les narines, aveugler les yeux et prendre aux entrailles. Jamais je ne me lasserais de la douce emprise de la nicotine, combien même elle me consumait. La garce qui mettait le sourire sur mes lèvres en entrant dans ce domaine à l’image de ma belle. Dangereux, mais trop tentant pour renoncer. Une vraie connerie, mais une dont on ne se lasse jamais. Même quand vient l’heure de payer la note. Parlant de ça… faudrait un jour que je règle l’ardoise ici.

“ Salut fillette. “  La jeune serveuse me toisait l’air ronchon un instant, pourtant, j’avais usé d’un ton joyeux non ?

Quelques secondes de plus et j’aurais pu ébouriffer sa tignasse avant de me rendre auprès de ma cible: son patron. Dommage et tant mieux à la fois, sans surprise, il était là, derrière son bar.  Et c’était en faisant tout mon cinéma habituel, bien évidemment, qu’en ondulant à travers les tables, je m’étais installée sur le tabouret en face de lui.

“ Ouf… T’as la tête des citrouilles des mauvais jours, tu prépares déjà Halloween ? “  Sourire de toutes mes dents visibles. Simple taquinerie ou façon atypique de se saluer, libre à chacun d’interpréter cela. “ ...ça faisait longtemps. “

Sur ce fait embêtant, j’avais entrepris de polluer un peu plus son atmosphère en allumant une énième source de fumée dans son antre. Si quelques traces de mon passage à tabac chez la Milice avaient gravé la peau de mon minois, j’étais totalement remise de ce mauvais moment. Voilà plusieurs semaines que ce pauvre Sam’ m’avait entre les pattes et plus permissif que ce milicien-là, ça ne pouvait pas exister. Tant que je restais “tranquille” et “honnête”, j’avais quartier libre. Entre la folie et la naïveté, j’avais longtemps hésité le concernant. Et finalement, force était de constater qu’il me tenait royalement bien en laisse. Voilà qui ne pouvait pas durer, mais étant actuellement la seule pièce de mon échiquier, n’importe quel mouvement me mettrait en échec. J’aimais autant éviter le “mat” qui me balayerait du jeu.

“ J’arrive trop tôt… ou ce n’est pas le bon jour pour les retrouvailles ? “

C’était effectivement, définitivement trop calme par ici, ou alors mes souvenirs me trahissaient, après tout, j’avais arrêté de boire il y avait quoi… un an ou deux ? Depuis c’était mes sous-fifres qui venaient traiter ici pour moi. Histoire d’éviter les tentations. À quoi bon.

“ Parce que j’ai besoin d’un “ami” dans ton genre pour me rendre un service dont nos autres “amis” ne devraient pas avoir vent. “

À bon entendeur. C’était direct ? Certes, mais pas notre premier échange commercial et je n’aimais pas tourner autour du pot. Un naturel impatient ?

“ Tu peux me servir la même chose que d’habitude, tant qu’à y être. “

Autant faire un bond en arrière pour de bon, la situation ne pouvait pas être pire que celle actuelle.

" Tu rajoutes ça sur ma note. "

Sourire des plus charmants en déposant la demande avec un culot caractéristique. Il y avait des choses qui n'étaient pas faites pour changer, comme nous et la musique ringarde qui animait le bar.

L'accueil n’était pas vraiment une surprise. C’était peut-être ce qui m’amusait le plus dans cette situation, quelque chose qui n’avait pas changé, enfin ! Ou presque.

“ Ah ? C’est ainsi. Ballot. “ Et tandis que je recrachais ma fumée sur sa face alors qu’il venait de rincer grossièrement son gosier sous mon nez, je lui souriais. Évidemment. Encore une fois, on rejouait les scènes du passé, ou presque. À quelques détails près, comme celui que je n’étais plus vraiment le genre de cliente qu’on avait besoin de chouchouter.

“ Si c’est comme ça. “ Je me penchais sans gêne sur son comptoir pour capturer moi-même une boisson quelconque qui rafraîchirait ma gorge. “ Je vais me servir moi-même. “ Une sacrée paire, sans nul doute. Ce n’était pas comme ci je ne m’attendais pas à son accueil, ou croiser des miliciens ici. Rien à foutre. “ Je suis plus assez bien roulée pour qu’on m’offre à boire c’est ça ? “ Faux soupir. “ Ô détresse et désespoir. “ Puis le rire enjôleur/moqueur. Râle et menace autant que tu voudras mon garçon, l’intimidation avait quelque chose de charmant et motivant...  il paraît.

“ J’ai de quoi te payer le service si c’est ta crainte. Tu sais les morts et les héritages, ça va de pair. “

Sur cette note, mon minois s’était rapproché du sien pour qu’il ne rate à la fois rien de l’expression, mais aussi de ce que j’allais lui dire.

“ La milice… je l’emmerde. Rien de nouveau. “ Rictus. “ Et c’est ton rôle de garder les choses sous contrôle ici non ? T’as perdu la main ou ?... “ L’air aussi malicieux que le ton, j’aurais bien choisi ce moment pour boire un coup, mais il aurait été impoli de ne pas répondre à sa question n’est-ce pas ? Avant ça autant le rassurait.

“ Mon baby-sitter n’est pas intéressé par mon fion pour le moment, ne t’en fais pas pour lui. Mais en matière de tonfa et fondation, t’as l’air de t’y connaitre… tu veux m’en parler ?... ça m'a l’air intéressant comme programme.  “ Le petit rire moqueur m’avait échappé à ce moment-là. “ Mais avant parlons affaires. Toi qui as si bon flair, tu devais sentir l’odeur des billets verts qui n’attendent que toi. La moitié maintenant. “ Je déposais une enveloppe kraft pleine sur son comptoir sans discrétion pour lui faire un peu plus grincer des dents- vengeance personnelle pour son refus. “ L’autre après même en cas d’échec, le double si tu te montres efficace. “ Le moment parfait pour lui déposer un bout de papier avec une adresse.

“ J’ai besoin d’un intermédiaire entre moi et Nik’. Tu saisis ?  “

Nik’ ou Nikola Bergman, le leader des Devil’s gun’s actuel, mon officiel “bras droit”. Eh oui, c'était bien connu, même le plus honnête des miliciens finissait par être rongé par la corruption de Decay, si Sam' savait pour mes faux comptes qui me réapprovisionnaient, il n'avait pas connaissance de tous. Un bon accord de moralité pour les deux parties non ?

“ Je suis encore trop fraîche pour être mise au placard. “

Nouvelle tirée de fumée sur ma clope.

" Je veux aussi que tu te renseignes pour moi sur un milicien. Tu fais toujours ça ? "

On dirait bien… que c’est mon jour de chance. Il ne m’avait pas arraché la tête pour avoir dépassé les bornes et en plus d’avoir obtenu ma  boisson, je le voyais encaisser l’argent sans broncher. Accord était donc pris.  La belle brune qui nous avait interrompue, quant à elle avait eu le droit à toute mon attention, de par son nom, l’attitude du barman, mais aussi sa douce invitation. C’était donc d’un sourire charmant que je l’avais salué avant de rétorquer :

“ Je vais me pencher sur l’offre. Merci pour l’invitation. “

Ne jamais répondre affirmatif tout de suite. C'était la règle la plus élémentaire du milieu. Et encore une fois, ça se montrait payant quand il déposait son offre.

“ Quelle girouette tu fais. “ Les coudes posés sur son comptoir, je sirotais ma pinte en le regardant d’un air triomphant qui était, j’en suis certaine, particulièrement agaçant. Et du coin de l’oeil, j’observais sa minette qui semblait avoir toute sa confiance… ou presque. À creuser.

“ Eh bien, un service en vaut un autre non ? C'est ce que font les amis entre eux, s'aider. Tu parlais d’emmerdes. Quel genre ? “

Mieux valait se serrer les coudes et surtout, protéger comme il faut mes meilleures cartes du moment. Jouer avec la mafia italienne hein ? Ils étaient en fusion avec celle de mon ex… d’un côté c’était fou, de l’autre… si je pouvais économiser mon pognon, ça m’arrangeait.  Et régler les affaires du passé ne serait pas mal non plus.

“ Je veux plus qu’une info Sucre d’orge. “  Le retour du sourire qui n'annonce rien de bon. “ Mon milicien,  Il s’appelle Samuel Rockwell. C’est ma nounou, voilà une info gratuite pour toi. Celles qui m'intéressent le plus sont celles de sa sécurité. “ Difficile de croire que j’allais dire ça pour de vrai à quelqu’un… “ C’est un chic type, ça serait ennuyeux qu’il lui arrive quelque chose, autant du côté de ses “collègues” que de mes homologues. “ Mon dos s’appuyait sur le dossier de son tabouret. “ On sait tous les deux le genre d’emmerdes que je vais lui amener pas vrai ? “ Et les choses sérieuses. “ J’ai besoin d’intermédiaires pour “régler” ses éventuels problèmes. Tes meilleurs ripoux. “ Nouvelle bouffée de fumée. “ Le tout, à son insu bien sûr. Tu peux faire ça ? “ Mieux valait le motiver. “ Si tu peux, je pense que je serais tout à fait capable de me faire une nouvelle amie. “ La malice me perdrait un jour. “ Les amies parlent beaucoup entre elles. “  C’était presque jouissif comme situation et c’était aussi sur cette note que je commandais… “ Un whisky irlandais pour moi et tu peux te mettre au taf tout de suite. Dis à Nik' de ne pas s'occuper de moi pour le moment. “

Dernier clin d’oeil avant de rejoindre la cave et l’invitation de cette étrange femme qui me faisait penser aux héroïnes de vieilles séries plutôt glauques… mais glamour.  L’atmosphère était presque la même qu’au rez-de-chaussée, si ce n’était plus tendu peut-être et c’était pourtant en toute décontraction que je demandais où je devais m’installer après avoir salué poliment l’assemblée.

“ Oh, mais où sont mes manières. Je réponds au nom d’Annabelle de la Croix. Enchantée. “

Oui, oui, mon nom de jeune fille. Lui à la sonorité plus que française.  Après tout, le poker était un jeu d’audace non ? Pour la mise, j’avais prévu un peu de rabes au cas où l’irlandais aurait voulu négocier, mais rien de faramineux. Est-ce que cela allait suffire…?

“ Quelles sont les mises de départ ? "

Lombardi, ah ouais. Tant qu’à me jeter dans la fosse aux lions, il avait fait ça bien. Et pourtant, j’étais là, souriante, jouant les charmantes en glissant mon “enchantement ” et toisant l’air merdeux le malotru refusant de se présenter. Visiblement, ma présence ne plaisait pas à tout le monde et rien qu’à l’allure, l’homme n’avait rien de catholique. Sa tronche ne me disait rien qui plus est.  Qu’importe, l’habit ne faisait pas le moine, qui aurait deviné en me voyant qu’elle était ma fonction dans ce monde ?

“ Fort bien. “ Avais-je simplement rétorqué pour la mise, constatant avec un soulagement dissimulé que j’aurais largement de quoi mener ma barque.

Je n’avais jamais été très douée pour les jeux, ni même très chanceuse, mais… j’étais la pire des perdantes et on aurait bien dit que j’allais devoir m’appliquer en fouillant dans ma mémoire comment on jouait au poker… Mon ex était friand de ce genre de table et dix ans plus tôt, j’étais la pouffe assise sur l’accoudoir de la chaise. Mon regard se posait sur la demoiselle inconnue et un sourire mutin se dessinait et s’effaçait subtilement alors que je découvrais mes cartes.: 4 de coeur et 5 de pique. Pas de quoi casser trois pattes à un canard, pourtant, il était évident que par principe et pour tester la méthode de jeu de la table, que je ne pourrais pas me dérober au premier tour. J’allais miser, au moins un temps. Peut-être une suite bâtarde avec un peu de chance.  Puis quand on était pas douée avec les règles de base... fallait savoir en arranger de nouvelles à l'insu des autres. L'essentiel étant de ne jamais se mettre en porte à faux avec la belle brune.

Face à moi se tenait l’hôte qui m’avait invité. Cette femme avait définitivement trop de flegme selon moi pour s’asseoir à ce genre de table de sous-sol de bar de quartier. Je comprenais alors pourquoi Cal trouvait cela suspect, mais je doutais sincèrement qu’ils s’échangent quoi que ce soit devant moi, à moins que je ne vienne titiller les projets du grincheux. C’était décidé, c’était lui en priorité que je devais plumer et pousser à bout. Mère patience était pour cela la meilleure arme. J’attendais de voir ce que donnerait cette première main.  Et quand est-ce que mon verre allait enfin arriver. C'était assez ballot tout de même d'être venue sans mon flingue, vu le tempérament, je me demandais comment réagirait le gars en cas de défaite et vu mon habilité de voleuse... triché si nécessaire, n'allait pas réellement être un problème.

ps : J'ai utilisé le même site du coup pour les cartes :3