Chapitre 2 : La Corporation
Decay
Decay, destination de tous les possibles, terre en friche où fourmillent les possibilités et l'argent facile, où chaque vice est accessible, chaque désir libre d'être comblé. L'île prospère, se vautre dans sa propre réussite, quand l'ouragan Isaac survint, balayant sur son passage les installations des gangs comme leurs prétentions. Et un nouveau groupe émerge des brisures laissées par la tempête, la Corporation. Forte de son budget, celle-ci s'invite en sauveuse, promet à tous une aide financière et humaine, des avancées conséquentes, pour une vie meilleure. Avides de pouvoir ou simples fantoches, qui sont vraiment les acteurs de cette entité inédite qui prétend étendre son influence à tout Decay.
11/10/2020 HRP
La Newsletter est sortie ! Beaucoup de changements au programme, par ici
11/10/2020 RP
Quelques semaines après la fin de l'ouragan, la Corporation dévoile son visage ! A lire par ici
12/09/2020 RP
L'ouragan Isaac s'abat sur l'île ! Pour en savoir plus, par ici
12/09/2020 HRP
L'event Hurricane est lancé ! Vous pouvez toujours le rejoindre par ici.
27/08/2020 HRP
Nouvelle newsletter ! La lire ici.
05/07/2020 HRP
Nouvelle newsletter et nombreux changements ! La lire ici.
30/05/2020 HRP
Nouvelle newsletter en cette fin de mai ! La lire ici.
30/05/2020 RP
Un nouveau système de réalité augmentée sort au Space Station Bar ! Participer ici
5/04/2020 RP
Le Carnaval de Napoli est lancé ! Extravaganza
8/04/2020 HRP
Nouvelle newsletter ! La lire ici.
18/03/2020 HRP
Ajout des missions et petite update de l'index !
28/02/2020 HRP
Deuxième newsletter ! La lire ici.
28/02/2020 RP
La Milice redouble de violence et est plus présente sur le territoire de Decay !
31/01/2020 HRP
Première Newsletter, bébé forum deviendra grand ! La lire ici.
31/01/2020 RP
L'intrigue "Paranoïa" a été lancée ! Par ici.
17/01/2020 HRP
Ouverture du forum ! N'hésitez pas à rejoindre le Discord !
Il parait qu'une jeune fille a été aperçue allant dans les égouts. Depuis, elle n'a plus donné aucune nouvelle d'elle. Une nouvelle victime des monstres vivant dans les égouts ?Une vingtaine de serpents en liberté auraient été aperçus sur les Docks. La Triade en sueur.On déplorerait trois morts suite au dernier barathon de la rue de la soif.À Kabukicho, des rumeurs sur l'affaiblissement des effectifs du clan Oni commencent à poindre. L'absence de Yokai se fait-elle enfin ressentir ou cela n'est-il que le fruit de l'imagination de quelques résidents ?Une certaine Shrimpette serait en train d'écrire une fan-fiction sur certains membres de Decay.On dit que l'ensemble du corps d'un certain mercenaire travaillant pour la Triade serait entièrement recouverts de ses nombreux crimes. Une dizaine de cadavres auraient été découverts, au cours du mois de Janvier, sur les Docks. Certains évoquent un règlement de comptes. Un tout nouveau malware parcourrait la toile, déguisé sous la forme d'un logiciel à première vue inoffensif. Il installerait une backdoor sur les machines infectées. Pour quelle raison ? Cela reste un mystère. Une femme vagabonde à la chevelure d'un noir profond et aux yeux écarlates prendrait en charge des malades et blessés au travers de Decay pour une misère, offrant une alternative médicale à celle dispensée par l'Église. Fin Janvier/Début Février, une course de rue, en pleine nuit, aurait conduit certains hommes hors des pistes. Plusieurs voitures seraient sorties de la route suite à un « conducteur fantôme ».
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Takeshi Matsunaga
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Un nouveau jour était passé, les cieux masqués de cumulonimbus noircis de suie. Avares de leur contenu, ils s’étaient bien gardés jusque là de laisser passer la moindre goutte. Les badauds avaient fini par être persuadés que rien ne viendrait des nuages gorgés et osaient finalement sortir, aller et venir comme à leurs habitudes et faire ce qu’ils avaient à faire. Au sein de la foule, le petit homme se distinguait par le soin apporté à sa tenue. Un long trench coat filé Couguérant ouvert au col, laissant entrevoir une chemise simple Kamakura qu’une cravate de soie noir rehaussait. Le manteau permettait largement de deviner à partir du genou le toile assorti qui tombait sur des derby de Finsbury particulièrement soignée et reflétant la lueur de l’éclairage public qui s’éveillait déjà. Arrêté au passage pour piétons, le vrombissement des véhicules roulants vers leurs nombreuses destinations inconnues, la tête couverte d’un Fédora noir du vieux promeneur se leva, portant son regard au-delà de la cime des building masquant sa vue à l’horizon.

Tchh… Laissa-t-il s’échapper, sortant de son pardessus un petit cylindre de tissu replié qu’il porta à hauteur d’épaule avant de presser le bouton qui se trouvait sur son manche boisé. Le mécanisme opéra, dépliant une toile d’un bleu aussi sombre que la nuit au dessus de lui. L’instant suivant, une ondée déferla sur la rue, égayant les flâneurs comme une volée de moineaux. Le feu des marcheurs passa au vert, mais tous s’étaient déjà enfuis en direction des premiers abris venus, ou se débattaient avec leur propre pébroque. Un pas après l’autre, aussi simplement qu’il était parvenu jusqu’au bord du trottoir, le menu bonhomme traversa, grommelant néanmoins sa désapprobation aux cieux farceurs. La lumière du jour, déjà bien atténuée par la ceinture la barrant à la vu de la cité, finirait bientôt d’offrir sa terne lueur. Mais dans cette conclusion, le petit baroudeur s’arrêta de nouveau, jetant un dernier regard vers le coton duveteux qui cessait déjà de délester ses trombes et ses traits usés laissèrent poindre un semblant de sourire, puis un soupir et reprit son chemin tranquillement.

Il déambula ainsi longtemps, semblant errer plus qu’il ne savait où aller, choisissant ses bifurcations dans une logique que seul lui connaissait, ou peut être tout simplement par hasard. Pourtant et au bout d’un temps, il parvint face à la devanture d’un débit de boisson. Véritable anachronisme dans la ville artificielle, les pancartes de bois marquées des kanjis que les yeux ocre du vieil homme caressèrent gentiment en refermant son parapluie, il n’était pas exagéré de dire que l’échoppe détonnait dans le paysage citadin. Le crachotement d’une radio en provenait, elle aussi en désaccord total avec l’époque, laissait entendre les mélodie d’un shamisen Kyotoite plus daté encore qu’elle ne pouvait l’être au vu de la qualité de son flux. Le musard frappa doucement la toile du riflard contre la semelle de ses mocassins et passa sous les toiles de la devanture. Très naturellement, il déposa son parapluie dans le bac prévu à cet effet, retirant son chapeau d’une main pour le presser contre son torse avant de lancer d’une voix éraillée, mais claire, les yeux plissés et un grand sourire aux lèvres :

Ojama shimasu !


Dernière édition par Takeshi Matsunaga le Lun 31 Aoû - 18:03, édité 1 fois
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"Takeshi et Usui sont sur un bateau..."
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La pluie crépita bientôt le long des tuiles sombres de l'auvent de bois, devenant un rideau qui coupait l'échoppe du monde extérieur et avalait l'impasse et ne laissait de la ville que les éclaboussure des lumières sur l'asphalte et les vitres. Occupé à terminer de nettoyer les coupelles de précédents clients - un couple de retraités qui vivaient à quelques pas et que la pluie avait fait fuir après une longue heure à papoter du temps et de la chaleur exceptionnelle - Usui lâcha un soupir en terminant d'essuyer la céramique impeccable dont l'intérieur blanc veiné de beige s'ornait d'un délicat trait calligraphié en une courbe parfaite qui soulignait admirablement la forme évasée de la coupelle. Le regard de ses habitués avait changé depuis son retour et il présumait même que certains venaient ici dans un but moins innocent que la simple dégustation mais pour alimenter peut-être la rumeur de son état. Qu'il était pesant d'être ainsi la cible d'attentions qui n'avaient rien de malicieuses mais qui pesaient sur son humeur aussi fluctuante que le temps et les orages qui rythmaient des journées caniculaires. Il aurait aimé simplement disparaître et ne plus être la cible de la commisération des autres mais puisque le sort en avait voulu autrement, Usui cherchait dans l'ordinaire une réponse à cette douleur qui ne trouvait aucune échappatoire. Et cette unique et seule question en point de repère dans ce dédale : aurait-il pu seulement changer les choses et éviter le départ de Silvia ?

Le jeune brasseur soupira encore une fois, terminant d'aligner soigneusement la coupelle avec ses semblables pour mieux achever de briquer un comptoir déjà impeccable. Ce soir il irait voir comment allait la cuvée bis-annuelle et si la fermentation se passait convenablement. Il lui semblait étrangement que le saké s'accordait à son humeur et les braves levures habituellement capables de tant de prouesses - l'année précédente avait été exceptionnelle, comme un paroxysme de sa vie entière. Etait-il voué à quelque lent déclin le long du crépuscule de ses vingt-neuf ans ? Le brasseur fit glisser lentement ses doigts sur la ligne de gaze qui affleurait de sa chemise, dévoilant un peu du bandage qui masquait la cicatrice brûlure de corde autant que la cicatrice d'intubation. Son col serré lui faisait un peu mal et l'humidité tiraillait affreusement son rachis. Si seulement on l'avait laissé là, accroché à cette poutre apparente, juste avant la porte qui conduisait à l'arrière salle et donc à la salle où il préparait le breuvage artisanal dont il ravissait ses clients... Une angoisse indicible monta sous la forme d'une chair de poule tenace et d'un long frisson de l'échine quand les deux clochettes de verre tintèrent doucement dans l'air rafraîchi par l'ondée, la porte ouvrant sur un vieil homme.
Irasshaimase ! fit Usui en s'inclinant dans un mouvement pour se retourner.

Le sourire qu'il colla à ses lèvres faisait mentir ses pensées épouvantables qui avaient germé presque sans y prendre garde dans le terreau fertile de sa dépression. L'homme qui venait d'entrer ne payait certes pas de mine mais sa tenue lui donnait une stature familière et le jeune brasseur fouilla dans sa mémoire jusqu'à se souvenir de ce visage parfois aperçu alors qu'il n'était qu'un commis de son propre grand-père. L'allure et le standing de l'ojiisan qui venait à lui ne pouvait que frapper les esprits impressionnables comme celui de l'humble propriétaire. Il y avait longtemps qu'il n'avait vu cet homme en son établissement et il en fut presque soulagé : il restait tout de même des visages immuables, comme indéboulonnables, arrachés aux jours plus lumineux de son existence. Un peu comme l'était Mishima-sama, l'homme dans sa modeste échoppe était de ces existences parallèles à la sienne qui s'attardait parfois comme pour qu'il puisse en contempler le sillage et admirer une aura et une stature à laquelle il serait toujours étranger, quand il n'était simplement pas percuté par la trajectoire de ces comètes incroyables qui gravitaient autour de sa propre orbite.

Je vous en prie. Dit-il de sa voix que la pendaison avait brisée, après une légère toux, qu'il étouffa doucement dans son poing. Que puis-je faire pour votre service aujourd'hui, monsieur. L'inclinaison délicate de son buste à la respiration courte se redressa légèrement et il offrit à son client le masque aimable de son sourire commercial qui plissait le brun de son regard sous la frange désordonnée de ses cheveux.

Moses.

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Depuis les plis de son trench coat, le visiteur dévoila une canne épaisse qu’il avait dû glisser à sa ceinture jusqu’à présent. Il en fit tomber la pointe délicatement sur le plancher, si bien que le son sourd qui s’en suivit n’était que juste audible. Enfin, il reposa le poids de la moitié de son corps dessus, réunissant ses mains sur un pommeau laqué et découpé à la forme d’une tsuka. Derrière ses paupières plissés par une tendre expression, il se laissa accueillir, son sourire rehaussé par la formule du tenancier, puis il balaya lentement la boutique de ses prunelles.

L’attitude qui se dessinait sur ses traits anciens, ou le panel de celles-ci, irradiait d’une douce chaleur, comme lorsque l’on retourne chez soi après une dure journée de labeur ou bien que l’on retrouve une personne aimée longtemps oubliée. Il ferma un instant les yeux, prenant une très longue inspiration qui lui permit un moment de se redresser et d’apparaître à sa véritable hauteur… Quand bien même cette dernière resta modeste. Il exhala enfin l’air emmagasiné à l’image d’un yogi concluant une phase méditative, dévoila de nouveau ses prunelles, une mine de plénitude déridant son visage et un sourire radieux l’illuminant.

Pourtant, on pouvait aussi largement deviner une nouvelle humidité naissant au coin du nacré de ses yeux, les rendants alors plus brillants et reflétant les modestes sources de lumière créant l’ambiance du débit de boisson. Il répondit à l’inclinaison du propriétaire par la sienne, moins profonde, mais non moins reconnaissante et leva une main à mi-hauteur avant de se redresser.

Dōzo, dōzo… Répondit-il d’abord simplement. Il retira alors sa veste qu’il laissa pendre à son bras droit, révélant par la même occasion le complément du costume que le pantalon avait déjà annoncé. Paraissant ignorer la question du tenancier dans un premier temps, il poursuivit dans un souffle redevable :

Subarashii… Ce que vous avez fait là… Tout est… Un nouveau coup d’œil et on le vit d’autant plus rasséréné… à la place qui est la sienne. Il avança alors et s’installa de lui-même et en silence, prenant place sur une chaise qui semblait trop haute pour lui et étalant sa veste sur ses genoux pour finalement poser sa canne par dessus.

J’aimerai… Un umeshu, s’il te plaît… Pour commencer.

Il aurait pu s’arrêter là, laisser le gérant à son service, mais ce ne fut pas le cas. De toute évidence, il n’avait pas cœur de laisser passer la quinte impossible à manquer dans la voix du serveur. La paupière droite close, son œil gauche dirigé en directe lignée sur le jeune homme avait l’air de pouvoir passer à travers lui.

Comment-vas tu, Usui-kun ? Dit-il alors simplement, les traits soudainement sévère, malgré la douceur de son ton.
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L'endroit n'avait guère changé en dehors de détails en définitive. Rien que des petites choses, des petits riens, qui ne trahissaient pas l'absence d'un grand-père aimé, figure paternelle et mentor exigeant qui avait fait de ce garçon métis de deux cultures un parfait japonais quand bien même il n'eut jamais l'espoir de fouler le sol de la terre de ses ancêtres. Le regard de cet homme comme surgit de ses songes, d'un passé magnifié par le temps passé et la dépression actuelle. A le voir fouler le sol de bois de sa modeste échoppe comme s'il eu s'agit de quelque lieu de pèlerinage, le regard du jeune tenancier s'adoucit. Tout était effectivement à sa place, sans ostentation. Simplement, les jours s'égrainaient peu à peu mais l'endroit où il travaillait, cet exact endroit où il s'était pendu était parfois si lourd... S'il avait eu la force de tout abandonner et de fuir au loin, droit devant lui... mais il n'avait nulle part où aller que ce lieu qu'il avait toujours connu, que cet endroit où il avait grandi. On ne sortait pas si aisément de Decay et cet endroit était sûrement un peu sa prison personnelle.

Vous avez l’œil, je n'ai pas vraiment touché à grand chose en dehors de l'entretient depuis mon grand-père. dit gentiment Usui de sa voix fatiguée, s'inclinant légèrement à la commande de son client pour lui tourner le dos quelques instants, le temps d'attraper une bouteille du vin de prune demandé, considérant un instant l'étiquette pour évaluer la cuvée, la trouvant tout à fait digne de l'ojiisan. Il se retourna calmement, un verre en faïence dans l'autre main. Son regard cerné d'épuisement accrocha malgré lui celui du vieil homme, tressaillant malgré lui d'un frisson d'angoisse à l'instant d'affronter les clairs iris perçants comme ceux d'un aigle. Et à la question, le jeune homme affaissa un instant les épaules, dans un geste d'effroi. Comment il allait ? Il ne le savait pas vraiment lui-même. L'état second du stress post traumatique annihilait ses sensations, les rendaient étrangement diffuses. Il était terrorisé, perclus d'angoisses mais incapable de les écouter ou même de s'en défaire.
Puis, comme la cigale s'arrache à sa mue, Usui se redressa, comme pour tromper la chrysalide de douleur raccrochée à son pauvre corps dont les séquelles se rappelaient parfois si violemment...

Ca va. Je vous remercie de votre inquiétude, Matsunaga-sama. mentit-il d'une voix rauque, prouvant sa bonne mémoire des noms et des visages - peut-être son seul talent d'ailleurs en dehors de sa capacité à produire un bon saké. Il se fendit d'un sourire commercial, le temps de déposer délicatement le verre en terre cuite bleue nuit, peinte d'une branche de fleurs de poirier où l'ombre d'un oiseau était posée. Se penchant sous le comptoir, il en retira avec une pince un gros glaçon entièrement rond. Débouchant la bouteille avec soin, il commenta doucement comme pour laisser à oublier son état et les visibles bandages qui affleuraient de ses manches au rythme de ses mouvements pour servir avec art l'Umeshu sur la glace Il fait particulièrement chaud. Par conséquent, je pense que vous apprécierez l'Umeshu Rokku, la liqueur brute uniquement avec la glace. Je réserve habituellement l'Umushu oyu wari, servi dans de l'eau chaude pour les fins de repas lourds ou pour l'hiver. J'espère que ce choix arbitraire vous contentera. Le liquide clair dansa bientôt autour du glaçon, pareil à quelque île flottante, affleurant de l'alcool. Rebouchant la bouteille avec soin sans pour autant l'enlever du comptoir, laissant l'étiquette en japonais bien visible à l'appréciation de son client, Usui prit le temps de se racler légèrement sa pauvre gorge irritée pour poursuivre : Cet Umeshu a été mis en bouteille il y a trois ans, l'amertume du noyau devrait à peine commencer à se former. Il est très exactement à 11°. Malheureusement, je n'en ai plus de récent à vous proposer, il a été compliqué de faire importer des prunes vertes durant deux années de suite à cause des intempéries au Japon. Je n'ai réussi à en ravoir que cette année et la cuvée est bien trop jeune pour être appréciée. Le tenancier expira doucement, les mains derrière le dos, un vague sourire aux lèvres. Il était plus aisé de parler d'alcool que du moindre de ses problèmes. Personne ne voudrait savoir qu'il s'était pendu à la poutre près de la porte arrière quand bien même tout le quartier en parlait déjà.

Moses.

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L’expression ne dura pas et ses lèvres retrouvent très tôt la douceur qu’elles avaient reflétées. Il joint les mains sur le comptoir, les plaçant devant sa bouche, ne perdant pas de vu le jeune garçon en l’avisant non sans gentillesse. Rien ne laissait dire qu’il ne prit pas la réponse de Usui pour sincère et si ça n’était pas le cas, il n’en montra rien, quand bien même le ton étranglé du serveur n’aurait pu être manqué par quiconque. Ses yeux, dorénavant plissés, suivaient la bouteille choisie avec grand intérêt.

Et celui-ci ne fut que ravivé de se voir exprimer le choix porté à la cuvée qui lui serait servie, ses prunelles glissant doucement du récipient au conteur tout en soulevant un sourcil broussailleux plein de curiosité. Le vieux visiteur se redressa même, manifestant sa sollicitude ravie tandis que lui était décrit l’histoire même du breuvage et des futurs boissons qu’il pourrait goûter lorsque le temps sera venu…

… J’espère pouvoir vivre assez longtemps pour en profiter dans ce cas ! Dit-il joyeusement une fois seulement les dernier propos de l’héritier des Kankei conclus.

Il laissa un léger silence s’installer ensuite, posant ses mains à plat de part et d’autre du verre servi et avisant avec grand plaisir le soin apporté aux kanjis de la bouteille laissée à escient. Il paraissait se rasséréner, prenant de longue inspirations et les exhalant tout aussi longtemps. Ou bien retenait-il quelque chose. Celle-là même qui brouille le nacré de ses yeux et rougissant leur pourtour. Une délicate mélancolie s'installe dans son sourire tandis qu’il prend enfin la coupe et trempe les badigoinces timidement, puis plus franchement. Une gorgée seulement, ferme, puis il maintient une certaine distance avec lui, le temps d’apprécier la liqueur.

Fort judicieusement choisi, si je puis dire. L’idée du glaçon m’a étonnée d’abord… Mais l’on voit là ce qui sépare le novice que je suis du maître que tu es devenu… Sans trop le diluer, cela lui fait atteindre le parfait équilibre du yukibie. Finement trouvé en ces périodes de chaleurs, je dois bien admettre.

Pour certains, l’affront de la glace ajoutée aurait été sacrilège. Mais ça ne semblait pas être ici le cas, bien au contraire. Il reprit une rasade, plus généreuse celle-là, puis exhala avec joie, tendant le réceptacle au bout de son bras droit tout en le soulevant.

Khhiiiéééééé !!! Exprima-t-il pour toute exclamation allègre, les joues déjà rosies par le peu d’alcool ingéré. Puis il ramena le verre près de lui, le serrant entre ses deux mains derechef, protecteur, affectueux, même.

Je n’aurai pas dû bouder cet établissement si longtemps… Tu t’en sors merveilleusement bien, Usui-kun. Pardonnes donc ce vieux grincheux trop ébranlé par la perte d’un ami que je suis.

Une nouvelle rasade, ses dix doigts autour de la coupe, la vidant cette fois, puis la posa devant lui en la libérant cette fois. Sa mine s’assombrit un instant pourtant.

Kankei-sama… Commença t-il avec difficulté. Je lui dois beaucoup. Cela fait bien longtemps que j’aurai dû m’acquitter de cette dette et il est sot que ce soit en ce jour du rappel de la mort que son souvenir a finalement guidé mes pas en ce lieu de nouveau.

Il fit claquer sa langue sur son palais, méprisant et ses iris tombant sur lui-même. Mais ses traits s’irradièrent très vite, balayant le morose de son ton aussi instantanément qu’il avait prononcé ces mots.

Allons bon, vieux sénile. Je ne suis pas là pour t’ennuyer avec mes réflexions gâteuses ! Si tu vas bien, c’est le mieux que je puisse souhaiter entendre !

Il ramena ses mains sous le menton tout en les liants, plissant les yeux et souriant en bon matois.

Alors, Usui-kun, assez de monologue comme ça… Parlons de toi. Comment vont les affaires ? Clôtura-t-il enfin.
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La pluie tambourinait sur l'estrade de bois qui précédait l'entrée, ruisselait des gouttières débordantes, s'écrasant sur le bois en une musique délicate rythmée par quelque shamisen démodé arraché à un passé lointain. Usui, calme et silencieux sous ce regard scrutateur mais bienveillant, avait noué ses doigts à l'arrière de son dos en se tenant droit malgré sa modeste stature de moineau efflanqué. Un sourire commercial aux lèvres qui ne parvenait à atteindre le brun de son regard, il se contentait d'être là, présent pour l'écoute des égarements du vieil homme porté par la nostalgie sereine de ce lieu qui demeurait une fragile enclave dans les tempêtes, les guerres de gang et les violences ordinaires. Ce petit bout de Japon porté là par les rêves d'un vieillard un peu fou était resté le même et le resterait sans doute encore et encore. Usui, dépositaire de l'âme du lieu, garçon dépossédé de rêves demeurait à la barre de ce vieux rafiot parce qu'il ne savait que faire d'autre puisque c'était là le lègue de son aïeul et ce à quoi on l'avait formé depuis toujours.

Je suis heureux que ce soit à votre goût. Je n'ai rien de l'envergure du maître qu'était mon grand-père mais je fais simplement de mon mieux. Vous m'honorez par vos compliments. glissa la voix éraillée, abîmée, avec une modestie toute nippone. Il était cependant surpris par cette visite après tant d'années, sur les propos étranges de son client concernant une dette envers son grand-père. Quel genre de dette amenait justement Matsunaga-sama à tester ses propres compétences ? Il n'aurait su le dire : son grand père avait été un homme secret, pudique quant à ses affaires et amitiés. Usui avait parfois souffert de l'intransigeance du vieux bonhomme, de ses exigences concernant l'excellence, de sa dureté dans l'affection sobre. Et pourtant, c'était ce vieillard qui l'avait élevé, formé, éduqué. Il l'avait nourri, soigné, vêtu alors qu'il n'était qu'un bâtard même pas tout à fait japonais, un hafu. Le vieux Kakei n'avait jamais dénigré la mère d'Usui en sa présence et pourtant, l'enfant avait parfois vu dans le regard du vieil homme de la désapprobation et il n'avait jamais pu savoir vraiment quelle genre de personne était sa génitrice. C'était ainsi. Les choses étaient ce qu'elles étaient. Et il ne pourrait revenir à ce temps doré d'insouciance et de labeur.

Emmuré dans ses pudiques silences, derrière le joli masque de son sourire, il demeura simplement, écoutant, silencieux quand bien même se sentait-il intrigué à mesure des paroles du vieil homme élégant dont la dignité et la retenue lui faisait dégager la même aura très particulière que son aïeul. Qu'il aille bien ou non, était-ce si important ? Il ne souhaitait attiser la pitié de personne, craignant en secret que le perspicace vieillard apprenne par quelque voisin commerçant le drame qui s'était joué dans la petite échoppe de saké... Mais qu'irait faire cet homme à se renseigner sur lui ? Il n'était que le petit fils d'un ami, après tout.

Je n'ai pas à me plaindre des affaires. Même si nous ne sommes guère connu, les gens aiment le saké d'ici et en commandent. C'est tout ce qui compte à mes yeux. Je me suffis à moi-même pour honorer nos commandes et nos estimés clients. Il s'inclina très légèrement, égal, aimable. Ses yeux cernés trahissaient une autre réalité : celle d'être seul à tenir l'endroit, passant de gestionnaire, brasseur, serveur, barman, livreur au plus humble des homme à tout faire. Ses insomnies tapissées d'angoisses se peuplaient de comptabilité et sa dépression sournoise et rampante avalait le reste de nuits toujours plus courtes. Tout cela ft passé sous silence, retenu par la pudeur, par la peur aussi, d'être déplacé ou simplement pleurnichard.
Matsunada-sama... Pourrais-je vous demander de quelle genre de dette vous parliez ? osa-t'il demander avec prudence, demeurant immobile, droit, affrontant l'angoisse des fantômes ravivés par cette visite.

Dehors, la pluie tambourinait sur les lattes de bois de la petite terrasse et gargouillait dans les gouttières tandis que s'égrainaient les notes du shamisen démodé.

Moses.

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Takeshi Matsunaga
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Il resta ainsi un bon moment, les yeux rivés sur le tenancier, son expression aimable persistant longtemps sur ses traits. Pourtant le sourire s’effaça-t-il à mesure que les secondes passaient, sans que les rides légères de son visage ne vienne véritablement se teinter de sévérité. Le vieil homme semblait simplement écouter, analyser, autant les mots que la posture, le ton, les hésitations, l’accent. Il avait beaucoup parlé et paraissait conscient de cela, sans regret, mais certainement en quête d’équité. Il n'exécutait pas non plus le moindre geste vers la bouteille, vide d’un unique verre cependant, trop concentré ou concerné, ou bien cela tenait à autre chose. Les mains toujours liées face à lui, il leva les sourcils, trahissant ou laissant paraître sa curiosité, à moins que cela ne fut de la surprise et ce à mesure que les quelques mots du jeune maître des lieux parvenaient tout juste à passer la frontière de ses lèvres. Il retrouva un instant une profonde douceur tandis qu’il s’inclina sans trahir sa position lorsque Usui afficha oralement son élégante modestie. Rien ne faisait doute quant au fait que Takeshi appréciait l’intervalle et comme si celui-ci devait rester court, il en revint à sa figure analytique et courtoise. Son silence avait tout d’une sonde, un projecteur tentant de lire entre les lignes ou de combler les vides laissés poliment là par l’héritier Kakei.

Tant mieux… Finit-il par dire une fois traité le propos de l’établissement. J’aimerai compter parmi tes futurs fidèles clients. Ajouta-t-il sincèrement.

Rien ne changeait. Il ne bougea pas plus que le fait de respirer, cligna tout juste des paupières. Comme une pierre dressée au milieu du bois du débit de boisson. Et c’est sur cette dernière que vint se heurter la question finale, une autorisation qui parut frapper le minéral antédiluvien, sans l’affecter ni le faire frémir. Fut-il chaleureux ou froid alors ? Rien dans ce qu’il laissait voir ne permettait de faire pencher la balance en un sens ou dans l’autre.

Tu pourrais… Souffla-t-il en fermant les yeux cette fois ci, comme pour orienter son regard vers quelques vieux souvenirs. Il inspira longtemps et soupira de la même manière, laissant penser qu’il ne reprendrait jamais la parole, refusant la demande sans mot dire.

Et j’y consens. Finit-il par ajouter en rouvrant ses iris dorés à la faveur du monde, puis les glissant derechef en direction de son hôte. Pourtant, rien ne vint immédiatement à la suite de l’autorisation, pareil à ce qu’il aurait pu faire s’il avait voulu que la question lui soit posée une deuxième fois. Ce ne fut pas le cas.

Nous étions déjà des vestiges, lorsque Néo Atlantis nous accueilli tous. Amorça-t-il, une mélodie délicate dans le ton, son timbre ancien sonnant limpide et clair.

Partisans d’une époque reculée, une nostalgie à laquelle nous n’avions pas même vraiment participé. Mais nous y tenions, tous, à notre façon singulière. Et tous, nous nous inspirions de cette foi dans les valeurs trop anciennes, vétustes, que chacun d’entre nous tâchait d’inculquer, de posséder pour héritage. Nous étions conscient du devoir d’offrir au futur la mémoire d’une époque où les choses étaient plus pure et trouvaient aisément leur place. Ton grand père a fait ce qu’il fallait pour cela, aveugle de ce qu’il imposerait à qui prendrait sa suite. C’était une source d’inspiration. Dans les choses les plus simples, exécutée à la perfection, sont tout ce qui nous reste aujourd’hui pour tendre à l’apaisement. Afin d’affronter ce monde qui s’effondre autour de nous.

Il s’arrêta là un temps, ayant apporté à chaque mot un poids incommensurable, son discours ayant pu durer une vie entière tant il n’avait tronqué aucun des nombreux termes qu’il avait utilisé. Mais ce n’était qu’un acte qui se terminait et quand bien même n’avait-il pas bougé d’un cil ce faisant, le second débuta au son de la pluie cessant délicatement son flux, tout juste une bruine, clapotant sur les paravents de l’établissement.

Il a été une inspiration pour nous tous. Puis… Un à un, ils se sont éteint. Mais il a poursuivi son oeuvre. Peut-être durement. Mais il le faisait avec cette passion réservée et distinguée qui me confortait dans la vision que nous étions de moins en moins à partager, à pouvoir transmettre.

Un nouvel arrêt. Il était temps que vienne l’épilogue.

Voici la nature de ma dette. Je lui dois d’attester de la valeur de son héritage, dorénavant que son feu n’est plus là pour me guider.

Ses yeux avaient rougis quelque peu, mais nullement de rage.

Je sens ici l’accomplissement de son ouvrage…

Il détacha ses mains et les posa sur le comptoir avec une douceur muette.

Aussi je te connais bien, plus que tu ne peux l’imaginer, par l’estampe qu’il peignait à ton égard. Je regrette que ce ne soit pas réciproque malheureusement et la faute m’incombe, mais cela n’est pas si important, finalement.

Dans la chaleur de ses iris, une grande affection brillait.

Veiller sur son lègue, ce à quoi j’ai déjà échoué. Car il savait. Ce que je vois possède tout ce que j’aurai aimé voir à l’exception de ce qui importe vraiment… Je ne parviens pas à distinguer la passion, Usui-kun…

Et ce fut tout. Il glissa sa main dans la poche de sa veste pour en produire une boîte à lunette qu’il ouvrit dans une économie de mouvement pudique et dont il chaussa le contenu. Ses traits s’éclairèrent d’un nouveau sourire alors, irradiant une bonhomie qui balaya la tristesse de l’instant d’avant. Et il conclut.

Enfin, ce ne sont que les élucubrations d’un vieil homme, n’en prend pas ombrage. Et ne t’occupe pas de moi, je t’ai déjà bien assez tenu la jambe comme cela. Je saurai me débrouiller seul à partir d’ici ! Mais si d’aventure tu aurais le vœu d’échanger avec un anonyme à tes yeux, n’hésites pas.

Sur ce quoi il décida de se servir lui-même un nouveau verre.
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"Takeshi et Usui sont sur un bateau..."
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Le temps s'égraine, doucement, au rythme de la trotteuse d'une horloge murale aussi démodée que le reste. Le monde se met comme entre parenthèses, le temps de recevoir une confession, un récit. Celui de l'amitié entre ce vieillard et son grand-père, presqu'un inconnu et pourtant visage vaguement familier de ce paysage intérieur. La voix du vieil homme berce ces minutes éphémères, fragiles, rythme de son poétique monologue ces pleins et déliés du temps qui passe.
Usui demeure debout, droit, les doigts croisés dans son dos, à écouter un autre lui parler de l'homme qui l'a élevé, tantôt rudement, parfois sévèrement, souvent sans fioritures mais toujours dans l'affection. Aussi délicat que pudique fut cet amour filial pour ce petit orphelin. Il s'exprimait dans le désir d'excellence, dans le besoin de faire d'Usui quelqu'un de bien, comme a contrario de la racaille de Decay. Avait-il réussi ? Sans doute et ce garçon poli et réservé était finalement la véritable oeuvre d'un vieux japonais attaché à cette terre que ne verrait jamais Usui.

Attentif, le jeune homme demeurait silencieux, suspendu aux propos, comme pour y chercher la résolution, une raison à tout cela. Comme si se souvenir de l'homme qui l'avait élevé pouvait absoudre son affreux péché. N'avait-il pas trahi la mémoire de son grand-père paternel en renonçant à vivre ? En se donnant la mort en ces murs familiers, en souillant le précieux de la crasse de sa faiblesse ? Le jeune brasseur baissa doucement les yeux, masquant derrière l'inclinaison de ses cils sombres la douleur qui couvait. Car cet homme le jugeait, le jaugeait et dans son affirmation à ne déceler de passion en lui, heurta profondément le coeur à vif. Ce fut insidieux, comme une lame sous la peau, qui fouillerait la chair déjà blessée et purulente. Car si le timbre était paisible, l'affirmation était incisive et le jeune homme brisé, rompu sous le poids d'un suicide raté, juste là où il se tenait toute la journée, se mordit la lippe en silence.

La douleur vrillait sa poitrine mais il souriait, sans rien dire, relevant à peine les yeux, de ce sourire commerçant qui ne voulait rien dire. Ca faisait mal, assurément. Autant que de perdre Silvia ? Que de se retrouver brutalement seul au monde ? Que de supporter le poids de la tâche qui incombe et pèse ? Autant que l'épouvantable sensation d'étouffer, les membres tressautant de douleur tandis qu'il se balançait au bout de la corde qu'il avait lui-même nouée ?

Il souriait mais son regard s'était éteint tandis qu'il sombrait en lui-même. Wakatta... glissa-t'il tout bas. Je vous remercie de ce récit. Il avait relevé doucement le regard sur l'abysse de ses pensées. Il ne voulait pas ressentir tout ce qui se bousculait : cette noirceur vomitive qui le dégoûtait. Et cette colère, latente, cachée, réprimée. Et pour l'honneur que vous faites à la mémoire de mon grand-père par vos propos. Vous l'honorez assurément. Sa voix rauque et brisée trembla-t-elle ? Il ne savait pas. Il s'inclina simplement, malgré le bourdonnement à ses oreilles, son épuisement et sa nausée. Puis-je vous offrir autre chose à déguster ?

Professionnel jusqu'au bout, il n'avait manqué le verre vide mais n'avait voulu couper Matsunaga-sama. Il digérait en silence, avec une dignité douloureuse, l'accusation de manquer de passion. Cette flamme que possédait son grand-père, l'avait-il ? Il l'ignorait. Mais... Il avait connu des jours plein d'entrain, simplement heureux de savoir que le matin lui ramènerait la femme qu'il aimait pendant qu'il faisait de son mieux pour assurer un jour leur avenir à deux...
Je suis navré que vous me jugiez indigne de cet héritage, de cette flamme, Matsunaga-sama. Je regrette que vous ayez cette vision de moi, que vous auriez pu avoir meilleure si vous aviez pu trouver le temps de revenir savourer un saké dans notre humble établissement un peu plus tôt. Il s'avère que j'ai été... hospitalisé et ce très récemment. Je regrette par conséquent de vous servir avec plus de flegme que ce que vous espériez et j'espère votre indulgence quant à mon état de santé. La déclaration glissa dans l'air paisible, la fraîcheur amenée par la pluie coulant délicatement sur la peau piquetée de chair de poule d'Usui, cachée tant par les bandages que par la chemise impeccable. Derrière les formes, la formalité et le protocole, il y avait une pointe d'acidité maîtrisée quant à ce jugement admonesté et arbitraire. Les yeux sombres du jeune homme ne laissèrent transparaître que ce masque effrayant d'humilité, de protocole. Il aurait voulu crier, s'emporter, se mettre en colère mais n'avait-il finalement apprit de son aïeul à se montrer parfaitement maître de lui-même ? En parfait japonais, il refoula tout ce qui le faisait souffrir pour se fendre d'un sourire à peine plus large, comme une antithèse parfaite à ce qui pourfendait sa poitrine.

Je serais cependant très honoré de vous compter de nouveau parmi nos réguliers et estimés clients. Il s'inclina de nouveau. Il ne céderait pas. Il ne flancherait pas. Pas tant qu'il serait derrière ce comptoir. Pas tant qu'il ne serait pas seul, livré aux ténèbres et au désespoir, prisonnier de cette spirale autodestructrice où personne ne l'entendrait crier...

Moses.

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Si il avait percé la façade du jeune homme ou remarqué que son jugement ait pu affecter ce-dernier, Takeshi ne montra rien qui allait dans ce sens. En lieu et place de cela, il venait d’enrouler les deux mains autour de la coupe remplie par ses soins et trempa les lèvres en son bord pour prendre une bonne gorgée de son contenu. Les yeux mi-clos, une expression de contentement sur le visage, il reposa le verre là où il s’était trouvé plus tôt, le regard dans le vague, probablement voyageur d’un lieu ancien et d’un temps qui l’aurait été de la même façon. Il avait acquiescé, de toute évidence reconnaissant pour la gratitude exprimée par Usui vis à vis de l’honneur qui venait d’être fait à son grand père par le récit du vieil homme. Un humble salut, plus profond que ne laissait escompter le geste. Puis, tout comme il avait été libre de discourir derechef, il ouvrit un oeil totalement, attestant de l’attention qu’il portait dorénavant aux mots de son interlocuteur.

S’il avait regretté ses propos tandis que le tenancier exprimait avec une sincérité honnête et discrète à la fois sa tristesse de se voir décrire ainsi et les raisons qui justifiraient probablement son état, de nouveau, cela n’apparut pas sur les traits du vieillard. Il l’avisait juste silencieusement, ses lèvres closes en fines barrières, nulle désapprobation ni indulgence dans l’or de ses iris. Un moment passa alors, tandis que Usui conclut sa rétorque par son accord de voir le patriarche compter parmis ses clients. Un instant que seuls les clapotis, la radio, une horloge datée et un subtil sifflement du vent s'immisçant subrepticement dans l’échoppe venait accompagner. Un voile sévère creusait les lignes du visage du doyen, à moins que ce ne fut là la seule expression que celui-ci connaissait au repos.Quand il fut sûr qu’aucun des deux ne romprait le silence, après une éternité d’attente, ou une poignée de secondes seulement, le masque de l’aîné se fendit d’un sourire radieux, ses prunelles perçant au travers de ses paupières plissées.

Allons bon. Annonça-t-il dans un rire tout juste contenu, mais chaleureux. C’est moi qui suis honoré par ton consentement. Dômo. Il s’inclina encore subtilement, mais franchement. Pour ce qui est d’un accompagnement… Il se redressa légèrement, portant sa main droite au menton et affichant alors une moue d’authentique considération, ses prunelles balayant le plafond. Puis il leva l’index de bras gauche, s’éclairant à ce qui avait tout l’air d’une épiphanie avant de revenir directement à l’héritier des Kakei. Aurais-tu quelques piments grillés ou des racines de lotus farcie pour un vieux grincheux comme moi ? Ou bien ce que tu pourrais me conseiller, comme je le disais, il n’y a ici qu’un seul maître en la matière.

Il croisa les mains l’une sur l’autre, la mine ravie et sans briser la ligne directrice qui le liait au serveur. Néanmoins… Ses traits se tintèrent d’une sobre inflexibilité sans totalement évincer cette douceur dont il ne se départissait pas depuis son arrivée dans l’établissement. Ne va point t’égarer en supposant que je porte sur toi le moindre jugement. Puisque tu daignes finalement écouter les élucubrations du vieil homme que je suis, malgré mon invitation à ne pas le faire, alors fais le jusqu’au bout. Il soupira et reprit dans la foulée.

Personne ici ne parle d’indignité. Je me tiendrais à ma première impression : Tout ici est à la place qui est la sienne. Il haussa un sourcil. Tu as requis la nature de ma dette et je te l’ai dévoilée aussi complètement qu’il m’était possible de le faire. Il n’y a pas de quoi être navré de quoi que ce soit ou de ne guère entretenir un feu ancien, aussi inspirant soit-il.

Puis il s’avachit doucement, la fermeté de son masque s’estompant sous un regret visible. Mais son ton, lui, ne changea pas d’un soupçon :
Nous avons tous nos obligations. Les miennes m’ont tenues loin d’ici très longtemps. Mais cela ne m’excuse en rien. Tout comme tu n’as pas besoin de citer les raisons qui font que tu n’es plus pareil à ce temps d’avant dont tu parles. Il leva les yeux vers lui, clairement pénitent. Si tu viens à penser que je ne fut pas mis au courant, ôtes toi donc cela de l’esprit. Peut être comprendras-tu alors pourquoi, malgré le devoir qui est le mien, je me retrouve à ta table.

Il n’était nul besoin de savoir lire dans son expression qu’il était désolé, mais il n’y aurait certainement aucun mot qu’il prononcerait en ce sens, tout comme était absente toute trace de pitié sur ses traits. Quelques secondes suffirent à effacer cela, le voir se dresser de nouveau et recouvrer toute sa dure sérénité.

Je me trouve ici, maintenant. Lâcha t-il dans un grognement. Tu n’es pas fini, par la grâce des Kamis et je ne le suis pas non plus. Je t’ai invité à échanger si le cœur t’en disais et tu l’as fait. Dômo arigatô pour cela. Le reste ne tient qu’à toi et la seule chose qui peut trotter dans ta tête de garnement poli, c’est que la dette contractée auprès de ton grand père te reviens naturellement, que tu en veuilles ou non. Fais en ce que bon te semble.

Puis il se mis à faire trotter les doigts de ses mains les uns contre les autres, le teint soudainement candide et gourmand.

Bien bien… Et si l’on reparlait de cette dégustation que tu me parlais d’offrir… ?
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De ce lent fleuve tranquille et paresseux qu'est leur échange émerge un instant la contrariété timide d'un garçon trop poli pour seulement la marquer. Il aurait aimé que les choses soient différentes mais puisque tout était acté, autant essayer à sa manière de faire mieux que de survivre à une tragédie : de s'en relever, de revivre. La douleur anesthésiait beaucoup d'émotions, les survivantes surnageant dans une dépression opaque et sournoise qui le laissait parfois croire que le soleil reviendrait avant d'en gommer la lumière pour la remplacer par la pénombre. Il demeurait là, sur les lieux de son propre drame, sans pleurer ni jamais se plaindre. Eprouvé, fatigué d'une fatalité provoquée par la solitude autant que par la choc de perdre cette vie qu'il s'était construit petit à petit, saison après saison. Et ce qu'il avait pensé immuable s'était brisé. Comme le sable s'échappe entre ses doigts, celle qu'il aimait encore avait emporté un peu de cette rassurante normalité pour en faire un chaos étranger.

Aussi sûrement que l'on orne d'or les objets cassés pour magnifier leurs fêlures, trouverait-il un jour la paix, plus grand et plus fort ? Ou bien succomberait-il vraiment ? L'avenir seul pourrait le dire. Et tandis que le vieil homme avouait savoir, la peau s'érigea d'une violente chair de poule, invisibilisée par les vêtements mais ce qui se vit fut peut-être ce long frisson d'angoisse. Chaque jour amenait un visage, quelqu'un qui sache, qui le ramène à sa faiblesse, à son désespoir et à l'impression que tout était immuable. A l'instant de sentir son coeur sombrer là, tout au fond, de cette poitrine écartelée, il n'exhala qu'un soupir presque résigné. Bien sûr qu'il savait. L'histoire avait fait du bruit, dans ce modeste quartier de la belle Kabukichô. C'était tantôt un voisin, un commerçant proche, un habitué : tous étaient venus pour faire mine de déguster un saké mais pour constater la réalité de la mine défaite, l'éloquence de bandages, le discret d'une petite boîte d'antidouleurs quelque part sous le comptoir. C'était comme l'on observe ces accidents mortels, avec un mélange de fascination macabre et d'effroi. Ô pourvu que cela ne nous arrive aussi, quel chagrin que le malheur frappe un garçon toujours si gentil, si poli...

Un soupir, encore, délicate ponctuation d'une âme éprouvée qui ne rebondirait guère, qui n'avait plus assez de forces pour se confronter ou seulement argumenter. Sauf peut-être pour finalement conclure sans pour autant s'effacer : Tout ceci ne m'aide toujours pas à saisir de quel type de dette il s'agit vraiment, Matsunaga-sama. Ni qui vous êtes vraiment. Car les dettes de coeur étaient de bien jolies choses mais pourquoi venir réellement lui assurer son amitié : qui était réellement ce vieil homme tantôt sévère, tantôt débonnaire ? L'on ne vient guère entretenir d'une vieille dette l'héritier de cette dernière si l'on n'est pas au minimum quelqu'un d'important. La veste de marque trop bien coupée, l'allure sans ostentation mais fondamentalement élégante, l'attitude posée et empreinte de dignité : tout ceci ne pouvait échapper à l'observateur garnement qui, s'il était à bout de forces, n'en demeurait pas la moitié d'un imbécile la plupart du temps.
Sur ces mots prudents, il se pencha pur ouvrir le petit frigidaire qui se trouvait sous le comptoir, considérant les options de grignotage possible afin d'accompagner la dégustation. Les piments grillés furent exhumés comme quelque trésor, Usui prenant le temps nécessaire à leur disposition dans un joli bol clair. Il amena également un second bol de graines de soja edamame parfaites pour l'accompagnement du saké qu'il comptait proposer.

D'un geste délicat, il disposa les apéritifs ainsi qu'une serviette bleue nuit brodée d'étoiles blanches. Soigneusement, il retira le précédent alcool et le verre vide, le remisant derrière lui, près du petit évier, pour laver plus tard. Puis, sortant une nouvelle coupelle, cette fois couleur de tilleul vieilli ornementée d'un lapin lunaire, il la déposa finalement avant de s'excuser le temps de tourner le dos à son client, prenant une bouteille d'un saké d'exception qui datait de l'année du décès de son grand-père. Je vous en prie. Cette-fois ci il s'agit d'un Kameizumi Junmaï Daïginjo, un saké aux notes de pomme verte, de jeunes herbes et de raisin. Il est particulièrement frais et désaltérant lui aussi, avec plus de vivacité que la liqueur précédente afin de tonifier le goût des apéritifs. Il est à exactement 14°. J'espère que vous l'apprécierez à la mesure de sa valeur. S'inclinant délicatement, il servit le saké avec soin, faisant simplement de son mieux pour faire ce qu'il avait toujours fait. Des gestes précis, ritualisés. Des codes assimilés, respectés et jamais brisés. Et cette petite normalité dans le chaos était peut-être bien en réalité ce qui le tenait tout simplement vivant.

Moses.

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