Chapitre 2 : La Corporation
Decay
Decay, destination de tous les possibles, terre en friche où fourmillent les possibilités et l'argent facile, où chaque vice est accessible, chaque désir libre d'être comblé. L'île prospère, se vautre dans sa propre réussite, quand l'ouragan Isaac survint, balayant sur son passage les installations des gangs comme leurs prétentions. Et un nouveau groupe émerge des brisures laissées par la tempête, la Corporation. Forte de son budget, celle-ci s'invite en sauveuse, promet à tous une aide financière et humaine, des avancées conséquentes, pour une vie meilleure. Avides de pouvoir ou simples fantoches, qui sont vraiment les acteurs de cette entité inédite qui prétend étendre son influence à tout Decay.
11/10/2020 HRP
La Newsletter est sortie ! Beaucoup de changements au programme, par ici
11/10/2020 RP
Quelques semaines après la fin de l'ouragan, la Corporation dévoile son visage ! A lire par ici
12/09/2020 RP
L'ouragan Isaac s'abat sur l'île ! Pour en savoir plus, par ici
12/09/2020 HRP
L'event Hurricane est lancé ! Vous pouvez toujours le rejoindre par ici.
27/08/2020 HRP
Nouvelle newsletter ! La lire ici.
05/07/2020 HRP
Nouvelle newsletter et nombreux changements ! La lire ici.
30/05/2020 HRP
Nouvelle newsletter en cette fin de mai ! La lire ici.
30/05/2020 RP
Un nouveau système de réalité augmentée sort au Space Station Bar ! Participer ici
5/04/2020 RP
Le Carnaval de Napoli est lancé ! Extravaganza
8/04/2020 HRP
Nouvelle newsletter ! La lire ici.
18/03/2020 HRP
Ajout des missions et petite update de l'index !
28/02/2020 HRP
Deuxième newsletter ! La lire ici.
28/02/2020 RP
La Milice redouble de violence et est plus présente sur le territoire de Decay !
31/01/2020 HRP
Première Newsletter, bébé forum deviendra grand ! La lire ici.
31/01/2020 RP
L'intrigue "Paranoïa" a été lancée ! Par ici.
17/01/2020 HRP
Ouverture du forum ! N'hésitez pas à rejoindre le Discord !
Il parait qu'une jeune fille a été aperçue allant dans les égouts. Depuis, elle n'a plus donné aucune nouvelle d'elle. Une nouvelle victime des monstres vivant dans les égouts ?Une vingtaine de serpents en liberté auraient été aperçus sur les Docks. La Triade en sueur.On déplorerait trois morts suite au dernier barathon de la rue de la soif.À Kabukicho, des rumeurs sur l'affaiblissement des effectifs du clan Oni commencent à poindre. L'absence de Yokai se fait-elle enfin ressentir ou cela n'est-il que le fruit de l'imagination de quelques résidents ?Une certaine Shrimpette serait en train d'écrire une fan-fiction sur certains membres de Decay.On dit que l'ensemble du corps d'un certain mercenaire travaillant pour la Triade serait entièrement recouverts de ses nombreux crimes. Une dizaine de cadavres auraient été découverts, au cours du mois de Janvier, sur les Docks. Certains évoquent un règlement de comptes. Un tout nouveau malware parcourrait la toile, déguisé sous la forme d'un logiciel à première vue inoffensif. Il installerait une backdoor sur les machines infectées. Pour quelle raison ? Cela reste un mystère. Une femme vagabonde à la chevelure d'un noir profond et aux yeux écarlates prendrait en charge des malades et blessés au travers de Decay pour une misère, offrant une alternative médicale à celle dispensée par l'Église. Fin Janvier/Début Février, une course de rue, en pleine nuit, aurait conduit certains hommes hors des pistes. Plusieurs voitures seraient sorties de la route suite à un « conducteur fantôme ».
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Usui Kakei
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Qu'il était dur, le retour à la réalité. Qu'il était violent, ce train-train quotidien après qu'on l'y eut remis de force.
Ne regardes pas en haut. Il passa sous l'affleurement d'une poutre ordinaire à laquelle il avait rattaché la solide code de chanvre. Oublie la sensation autour de ton cou. Le balais dansa sur les lattes blondes du plancher du débit de boisson. Virevolta le coeur d'Usui tandis que le silence bourdonnait tout bas des voitures qui passaient au loin sur le boulevard. Dans cette obscure allée de traverse, au fond d'une impasse étroite et miteuse, coincé entre deux immeubles d'un modernisme douteux, aux façades défraîchies, se trouvait coincé la minuscule échoppe dont le bois un peu vermoulu qui décorait la façade indiquait un très sobre et fonctionnel "Vente de saké", en anglais ainsi qu'en kanjis tracés d'une main sûre par le papi qui avait aimé et choyé cet endroit tout comme le faisait désormais Usui.
Un vieux poste radio aussi daté que le reste d'une décoration minimaliste crachotait le bruit de cigales mécaniques entre deux musiques plus traditionnelles d'un Kyoto natal qu'Usui n'avait même jamais vu. Il faisait déjà chaud et le propriétaire s'essuya un peu de sueur du bord de sa manche de chemise immaculée.

Ne lève pas les yeux, ne baisse pas les bras. Usui acheva de débarrasser le plancher de sa poussière imaginaire, rangeant le balais dans un minuscule placard coincé entre deux étagères où s'alignaient des bouteilles de sakés, certains renommés, d'autres plus ordinaires, tous fermentés dans l'arrière boutique qui diffusait sous la porte une vague odeur sucrée et d'alcool. Il y aurait à faire plus tard pour vérifier que tout se passait bien dans le processus. Pour l'heure, l'écriteaux penché indiquant que le débit était ouvert pendouillait mollement à la poignée. Le jeune homme inspira profondément l'odeur de cire, de bois, qu'il aimait tant. Il promena son chiffon sur un tout petit comptoir à peine assez large pour trois hommes de front, se fichant finalement que le bois roux patiné ne soit que trop propre. Il semblait n'y avoir jamais personne peu importe l'heure à laquelle l'on débarquait dans ce petit établissement. Pourtant l'endroit tournait, un peu au ralenti, comme échappé au monde, enclave nippone traditionnelle au milieu de l'acier et du béton.

Usui délaissa le bois pour se concentrer au nettoyage méticuleux des coupelles à saké, les vérifiant une à une. Il soupira, espérant un client pour échapper à l'obsession épuisante, la tentation de fixer ce plafond où il avait été pendu. Paradoxalement, car ainsi est l'humain, le jeune homme craignait de voir arriver un voisin curieux afin de voir si ce qui se disait était bien vrai, si le gentil petit jeune de l'échoppe de saké était bien revenu pour tenir son boui-boui malgré la rumeur un peu folle qui courrait. On racontait qu'il se serait pendu et que c'étaient des Yakuzas qui avaient emmené le bon voisin à l'hôpital. La boutique fermée pendant des jours qui étaient devenu presque deux semaines avait finalement rouvert avec à sa porte un Usui plus maigrichon que jamais, les joues mangées de cernes, des bandages sur les deux avant-bras et autour de son cou. même sa voix semblait méconnaissable : rauque, douloureuse. Il avait souvent l'impression d'avaler du verre pillé, la trachée torturée par la pendaison, ainsi que la nuque plus sensible que jamais. Néanmoins, Usui était très fort aux jeux de dupes, pour les faux sourires et les politesses creuses.

Un tintement délicat du carillon de bois le fit se retourner de son bout d'évier, les yeux bridés plissés jusqu'à n'être plus que deux fentes dans un sourire commercial obséquieux. Il s'inclina par réflexe d'un parfait trente degré en pivotant pour annoncer d'un timbre mal maîtrisé : Irasshaimase ! que couvraient les cigales magnétiques...


Moses.



Dernière édition par Usui Kakei le Mer 22 Juil - 20:54, édité 1 fois
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Lorsqu’enfin elle s’était décidée à aller à l’hôpital, le dénommé Usui Kakei était rentré chez lui. Les mains pleines, Ryuuko avait hésité un instant à abandonner puis, trouvant l’idée même de retourner au QG éhontée, la Yakuza s’était autorisé une pause un peu plus longue en attrapant un taxi. Deux lourds sacs plastiques dans les mains, la femme inspira un grand coup, sa timidité rendant tout plus nerveux. Malgré sa courtoisie, elle se devait de rester fière sévère. Elle regrettait d’avoir les mains prises et de ne pouvoir remettre le col de sa chemise hors-de-prix bien droit. Elle espérait que son costume noir n’était pas sali, et que ses cheveux n’étaient pas en pagaille.

Tant d’inquiétudes sur le paraître qui s’évanouirent aussitôt qu’elle pénétra dans la boutique. Une vague de nostalgie s’empara d’elle. Impossible de maintenir une image stricte au son des clochettes, ni même à la salutation polie du propriétaire à laquelle Ryuuko se courba par réflexe, sans même encore savoir où il se trouvait. Le bois branlant avait ce charme des vieilles boutiques de son pays et même les odeurs lui semblaient familières. La Shatei ne put faire autrement qu’arborer un sourire doux et un regard lointain, ce qui lui donnait un air efféminé ; ironiquement.
Elle se tourna vers la source sonore l’ayant saluée et se courba de nouveau.

« Bonjour », commença-t-elle avec une voix un peu trop douce pour être virile ; elle se racla la gorge en se redressant pour prendre un ton plus grave, « Kakei-san, c’est cela ? »

Elle demandait confirmation davantage pour approcher simplement le jeune homme que par ignorance : elle connaissait déjà la réponse. Par politesse elle s’inclina une dernière fois.

« Je m'appelle Ryuuji. Isshiki Ryuuji. Vous ne me connaissez pas encore. J’étais là quand je vous ai… secouru, avec mon chef. »

Elle avait failli dire décroché. Elle n’était cependant pas certaine que la notion de secours soit juste pour quelqu’un ayant attenté à sa vie… Ryuuko craignait le courroux de cet homme pour s’être interposée dans ses choix de vie. Elle avait soudain l’air un peu plus embarrassée, presque craintive. Elle tendit ses deux sacs.

« C’est en retard, mais… Odaijini, Kakei-san. »

Le premier sac contenait un melon musk ; c’était un met difficile à trouver ici. Déjà cher au Japon, sa valeur était bien plus importante à Decay. Le second sac abritait quelques pommes ; Ryuuko s’agita tout d’un coup en s’excusant en japonais. Elle retira un couteau rengainé d’entre les pommes.

« Excusez-moi, c’est que j’avais songé à vous en éplucher une à l’hôpital mais… Enfin... »

Elle s’interrompit d’un rire étouffé par la gêne ; il étira un sourire maladroit sur ses traits décontractés. La Yakuza se gratta l’arrière du crâne. On l’aurait presque dit en congé tant elle avait l’air d’un touriste plus que d’un Shatei. Il fallait dire que son attitude avec les civils n’avait rien à voir ; alors, sans un collègue dans les parages, bien plus encore.

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A la courbette d'entrée répondit une seconde inclinaison d'Usui, surprit de découvrir un homme d'environ son âge en costume noir, tiré à quatre épingles et tout chargé de sacs plastiques. N'osant froncer les sourcils même pour réfléchir, le commerçant essaya de ne pas dévisager l'inconnu qui n'était définitivement ni un voisin ni une connaissance. Le beau visage régulier se para un instant de douceurs et d'une idée d'androgénie qui laissa un instant Usui en proie au doute quant au genre de la personne qui s'approchait de son comptoir.

C'est cela. confirma Usui, dans une nouvelle courbette nerveuse, ses mains tremblant imperceptiblement, les cachant sur l'avant de ses cuisses tandis qu'il se rapprochait à son tour du comptoir, attentif. Et enfin quand vint le temps des présentations, Usui retint péniblement un long frisson d'angoisse. Alors c'était cet homme..? L'idée d'avoir été décroché de sa poutre - ne regarde pas en haut ! - par des inconnus était déjà bien assez humiliant, sans compter l'appartenance de ces derniers au clan qu'il payait depuis tellement d'années. Le regard fuyant, Usui prit une douloureuse inspiration, les joues rougies d'une angoisse exponentielle : que lui demanderaient les Yakuzas pour ce "service" ? A quel prix fixeraient-ils sa vie ? Il paraissait évident d'avoir une dette non seulement pécuniaire mais également d'honneur envers ces gens. L'ombre rapace du désespoir pesa sur ses épaules comme une chape de plomb, ployant Usui vers l'avant, creusant les cernes de son regard épuisé.
Pardon de vous avoir causé des ennuis, Isshiki-san ! déclara-t-il d'une seule inspiration, se penchant brusquement vers l'avant en une courbette si profonde que son front heurta violemment le bois du comptoir. Un instant sonné, des petites larmes de douleur autant que d'humiliation au coin des yeux, Usui n'osa même pas tout de suite relever la nifle, demeurant le front contre le bois tiède. Cela avait réveillé la vive douleur de sa nuque et il se redressa lentement, toussotant dans son poing serré, les joues en feu. Sa maladresse légendaire le forçait à se donner en spectacle en plus de subir l'angoisse de se retrouver face à face avec son sauveur.

Mais le Yakuza n'en avait pas finit de surprendre le pauvre brasseur qui regarda bientôt un melon aux parfums sucrés rouler sur le bois tandis que tintaient doucement la clochette de verre près de l'entrée, amorcée par un souffle de vent tiède et poisseux. Les pommes suivirent bientôt et Usui en demeura comme un idiot, les bras ballants face à cette attention... C'était... gentil ? Bêtement et simplement. Son coeur anesthésié par la dépression se serra doucement et il s'efforça de ne pas pleurer, se collant plutôt un sourire hésitant sur le visage. C'était un cadeau aussi inattendu que celui qui le dispensait et cette gentillesse la toucha sincèrement tandis qu'il s'inclinait de nouveau, moins brusquement cette fois, le front encore rouge de son coup de boule. Merci pour votre considération. Sa voix grave dérailla un peu, le forçant à tousser encore une fois, se raclant la gorge pour essayer de retrouver un timbre plus clair bien que cela fut peine perdue.

Un instant de flottement, puis Usui se remua brusquement, invitant le Yakuza à s'asseoir sur l'un des tabourets du comptoir. Je vous en prie. Puis, tournant un instant le dos, il observa ses étagères pour en retirer une bouteille d'un saké junmai, un cru de l'année précédente dont il avait été particulièrement fier. La fermentation avait été exceptionnelle cette années là et la boisson était digne d'un tokuteimeishoshu, un saké de grande qualité. Veuillez accepter ce cadeau. Puis-je vous en proposer un verre ? Il accompagne à merveille les fruits. Mangeons-les ensemble, si vous le voulez bien, Isshiki-san ! Dit-il d'une voix où perçait un très léger accent d'émotion. Oserais-je vous en confier tout à l'heure une seconde bouteille, à l'attention de votre chef, pour me faire pardonner de vous avoir causé des ennuis ? De nouveau, Usui s'inclina légèrement, essayant d'oublier qu'il parlait à un gangster. Cependant l'attention d'Isshiki-san était touchante et l'odeur fruitée emplissait déjà l'échoppe, comme au temps plus doux où c'était son grand-père qui en tenait le comptoir...

Moses.

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Ryuuko Isshiki
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Ryuuko ne réagit pas tant aux excuses du jeune homme. D’une part car tout cela était très culturel, au final : elle avait tant l’habitude de s’excuser pour tout qu’elle considérait cela davantage comme une politesse qu’une vérité. Ensuite, elle ne savait trop comment réagir face à quelqu’un qui avait essayé de se tuer. Peut-être lui avait-elle causé plus d’ennuis en lui sauvant la vie. Elle craignait aussi que son interlocuteur se sente irrédevable à la hauteur du geste ; ce n’était pourtant pas le but. Dans une tentative de l’exprimer la Shatei était venue avec des fruits prompts aux cadeaux de rétablissement, et souriait gentiment. Il n’y avait aucune espièglerie sur son visage détendu par la nostalgie du lieu.

Les raclements de gorge mirent la Yakuza mal à l’aise ; un frisson parcourut son échine. Elle manqua de sursauter lorsqu’Usui s’agita tout d’un coup. Elle sourit et inclina légèrement la tête en avant en toute réponse à son invitation, puis s’assit à l’endroit désigné. Ses yeux se baladaient sur le plancher, les bouteilles, les poutres. Impossible de faire partir ces traits un peu niais de son visage.

« Quelle nostalgie… Même à Kabukichô, on trouve bien peu d’endroits si traditionnels… » avoua-t-elle en observant la boutique d’un air distrait.

Alors que le propriétaire du magasin lui proposait un verre, Ryuuko ne put cacher les étoiles scintillantes dans ses yeux enthousiastes.

« Avec plaisir ! » s’exclama-t-elle en attrapant une pomme du sac et en sortant le couteau précédemment rangé dans sa veste. « Je nous coupe quelques morceaux de pommes, alors. Elles sont sucrées, j’espère qu’elles se marieront bien... Oh, vous avez une assiette ou une coupelle ? » Ce genre d’inquiétudes bénignes laissaient une expression douce sur les traits de la Shatei. Elle réfléchit un instant à comment se mettre à la tâche, puis s’exécuta tout en répondant d’un timbre guilleret : « Mon boss en serait ravi, il aime le sake. »

Elle évitait volontairement de dire « il » ou « elle » pour ne pas se mouiller. C’était une gymnastique à laquelle elle était habituée envers sa propre personne alors cela n’était pas très difficile. Après avoir coupé la pomme en quartiers, Ryuuko glissa la lame sous la peau pour la décoller. Elle avait préalablement dessiné une sorte de triangle sur le dessus, parti dorénavant. Minutieusement, elle déplaça les épluchures en un coin pour ne pas salir le comptoir et présenta avec fierté ses morceaux de pommes découpés.

« Regardez, Kakei-san ! Des lapins ! »

Son visage avait l’innocence d’un enfant et son comportement la quiétude d’un frère chaleureux. Ryuuko n’avait pas du tout l’air d’un gangster en tendant ainsi son réceptacle à lapins, ses traits emplis d’autant de fierté que de tendresse.
Puis, la sonnette de magasin sonna. La Shatei lança un regard par-dessus son épaule, sourire sur ses lèvres. Elle se figea aussitôt qu’elle reconnu un visage très familier auquel elle ne s’était pas attendu ; son corps était devenu raide et au fond de son regard on pouvait pressentir une certaine panique malgré le sourire immobile qu’elle continuait d’arborer. Il se transformait peu à peu en gêne, jusqu’à durcir et ne plus rien montrer de tendre, si ce n’était un embarras rougissant ses joues.

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Akemi Mishima
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Le ciel se parait des premières nuages d'or rose et d'ambre annonçant le début d'une chaude soirée d'été. A Kabukichô, où il ne faisait jamais nuit, on discernait difficilement les étoiles et bien que ce fut partout le cas en Decay, les néons criards du quartier japonais offraient une ambiance tout à fait particulière. Était-ce un peu à cela que ressemblait la cosmopolite Tokyo ? Pris d'une étrange nostalgie pour un pays qu'il n'avait jamais vu, Akemi eut un sourire aux anges tandis qu'il marchait vers une destination connu, faisant claquer ses geta sur le sol des petites rues passantes. Il y avait toujours du monde dans les rues de Kabukichô et ce peut importe l'heure ou le temps. Lui flânait un peu, anonyme parmi les badauds qui appréciait l'atmosphère presque calme de ces lieux que ses hommes surveillaient de jour comme de nuit pour s’assurer de leur propreté : le Yakuza étai persuadé qu'il n'y avait pas endroit plus sûr en Decay que la colorée Kabikichô. Il salua quelques personnes qui le reconnurent, s’inclinant courtoisement avec un sourire avant de reprendre son chemin. Car il allait quelque part malgré la flânerie presque nocturne. Les cheveux détachés, portant un kimono masculin ocre avec un haori en nuance de gris par dessus, son éventail coincé dans l'obi, le jeune homme s'arrêta dans un kombini où il prit quelques bricoles - dont un thé glacé, car la nuit était affreusement chaude.

Le kaiki iwai, ou célébration du bon rétablissement, c'était ce qui le conduisait ce soir dans la ruelle étroite où se massait une vieille échoppe, coincée entre deux grands bâtiments. Au fond de la ruelle, l'établissement le payait pas de mine. Il se demandait même comment cela se faisait que ça tournai car il ne voyait jamais aucun client quand il venait percevoir l'argent du pour protection du petit vendeur de saké qui le tenait. Celui-là même qu'il venait voir ce soir, soucieux de son état : il y avait quelques temps, le jeune homme avait tenté de se pendre à la poutre de la salle principale et c'était Ryuuji et Akemi, venu pour l’impôt, qui l'avaient décroché et emmené aux urgences à l’hôpital de Chicago. Une bien drôle d'histoire... tirant sur le col de son kimono et glissant une mèche de cheveux derrière une de ses oreilles, le Yakuza croisa un trio de chats errants devant la boutique : un grand matou borgne à l'air agressif et deux plus petits greffiers qui formaient sa suite. L'homme sourit : voici donc l'Oyabun de la miafoufia du quartier, accompagné de deux jeunes chat-tei. Il sourit gaiement, fier de sa petite blague idiote avant de s'accroupir avec lenteur un peu plus loin. Ces chats-là, il les avait déjà vu. Les yakuza et les félins des rues étaient semblables : toujours affamés, toujours à défendre leur territoire. Lex était un grand matou balafré. Ryuuji un chat noir à l'air snob. Kakei-san, le gérant de la brassière de saké, ressemblait plutôt à un petit tigré gris. Il tendit la main avec patience, demeurant de longues minutes accroupi dans la ruelle silencieuse, laissant les félins lui tourner autour en feulant. Le chef de meute, montrant son courage, osa s'approcher du Yakuza

"Konbanwa, Bosu"
, lui dit gentiment le jeune homme, "je viens payer l’impôt pour passer dans votre rue."

Et, joignant le geste à la parole, Akemi sortit de son sac plastique une assiette en carton où il disposa un peu de nourriture humide pour chat qu'il venait d'acheter au konbini avant de se relever lentement et de continuer sa route. Par jeu, par espièglerie aussi, il se pencha vers le gros matou pour le saluer tel l'oyabun qu'il était et passer son chemin ; les chats tournèrent un instant autour du tribu et le chef mangea en premier. Le Yakuza termina sa bouteille de thé glacé et la jeta dans une des poubelle du bar à saké ; il était précautionneux à outrance, au point que cela en devait souvent ridicule. Mais c'était lui et ses bonnes manières. Se tenant un instant sur le seuil, il espérait que le jeune brasseur avait un peu récupéré, et que les douceurs qu'il lui ramenait lui ferait plaisir. Puis, après une longue inspiration, l'androgyne ouvrit la porte avec énergie et entra dans l'établissement avec un air formidable : grand sourire aux lèvres comme à son habitude, la joie se dessinait sur son visage pâle mais bien moins livide puisqu'il n'était pas maquillé de poudre de riz ce soir. Ainsi au naturel, Akemi avait l'air un peu plus masculin.

"Ta-dai-ma~", claironna familièrement Akemi en entrant.

Il remarqua immédiatement la jolie petite scène qui se jouait devant lui et ne montra aucun signe de surprise en voyant son garde du corps sur les lieu, en train de désigner d'adorables petits lapins sculptés dans des quartiers de pommes ; l'attention était adorable, et il se doutait que son shatei préféré viendrait voir comment se portait Kakei-san. Ce qui était cocasse c'était plutôt d'être là tous les deux le même jour, la même heure. Se fendant d'un éclat de rire, il s'approcha du zinc et tendit son sac et à deux mains à l'adresse du jeune homme, avec une grande politesse. Il contenait sept petites choses ; Akemi étant ambassadeur le plus parfait de la tradition japonaise, il avait évité les chiffres difficiles : pas de quatre pour la mort, ni de neuf pour la souffrance. Pareillement pour les couleurs : pas de rouge, pour les pierres tombales, pas de noir. Tout était emballé dans des petits papiers vert, symbole de longévité.

"Tsumaranai mono desu ga *, Kakei-san", lui dit-il avec une courtoisie qui confinait à la perfection.

Qui avait-il dans les petits paquets ? Il serait bien assez tôt pour le découvrir. Le Shatei-Gashira se tourna vers son homme et le salua d'une légère inclinaison, peu formelle pour une fois.

"Je m'attendais un peu à ce que tu passes ici, mais pas que nous nous croisions, Ryuucchin !", il commença à plaisanter, comme à son habitude, "je passais par ici, je suis venu nourrir la miaoufia du coin", Akemi se tourna vers Usui, "le gros chat borgne et ses petits subalternes. Je payais l’impôt pour passer dans leur rue."

Remettant une mèche de cheveux derrière son oreille d'un geste délicat, le jeune homme prit alors place aux côtés de son garde du corps en fixant le beau melon tout rond dont l'odeur embaumait la petite pièce, s'accordant doucement avec l'air chaud du soir. Il sortit son éventail et commença à se faire un peu de vent, tout sourire.

"Et bien dites moi, un melon ! Quel luxe mes amis !"

(HRP : "Tsumaranai mono desu ga" : il est très commun de présenter un cadeau avec ces mots qui se traduisent littéralement "C’est quelque chose d’ennuyeux, mais s’il vous plaît, acceptez-le". Cela montre simplement que la relation est plus importante que le présent lui-même.)
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Usui Kakei
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Le moment des politesses d'usage était dépassé, ils prenaient tous les deux leurs marques, leurs repères. Il serait facile d'essayer d'imaginer que ce n'était qu'un client ordinaire et non un membre d'une mafia qui lui avait paradoxalement sauvé la vie là où il aurait préféré ne simplement pas être retrouvé avant longtemps. Les pensées noires sur fond de nuits blanches tiraient son esprit vers le bas, comme pour mieux le noyer. Il résista sur un faux sourire un peu hésitant, sortant avec précaution un peu de vaisselle : une assiette pour y disposer le melon, un large couteau qui n'aurait rien à envier avec le tranchant d'un katana, une planche à découper ainsi que la coupelle et une seconde assiette demandée par le yakuza. Ainsi, patiemment, il y eut cette latence étrange entre eux, chacun occupés à prendre soin des fruits. Un melon... si beau, si rond... Cela lui rappelait quand son grand père lui ramenait une pastèque pour les jours d'étés. Silvia n'avait jamais trop comprit l'engouement d'Usui pour la pastèque, séparée de lui par un abîme culturel. La douceur des traditions ritualisait jusqu'à la découpe du melon. Et c'était peut-être le plus bel endroit pour y opérer une découpe minutieuse et odorante. Ce serait un honneur que de vous remercier comme il se doit.
Un coup d’œil d'un instant en direction de son sauveur : il avait un charme gracieux et de longs cils. Il ressemblait un peu à une femme, par quelques détails de son visage. C'était amusant : il se souvenait de l'androgénie de cet autre Yakuza qu'il avait croisé à plusieurs reprises du temps de son grand-père... et qui avait fini par lui sauver la vie aussi. Le clan Minobe avait décidément de jolis garçons dans ses rangs.

La découpe d'Usui, incroyablement précise, fut délicatement disposée sur l'assiette en un cercle maniaque, les tranches pré-coupées prêtes à être piochées tandis qu'il exhumait de sous son comptoir un petit tupperware contenant des kaki séchés. Soudain, l'assiette tendue sous son nez le fit poser les yeux sur les plus adorables lapins de pomme qui soient. Plus encore que la délicatesse de l'attention, le ton de son vis à vis lui glissa sur le coeur comme un baume sur une plaie. Et ce sourire soudain rayonnant donnait à ce visage une beauté touchante qui contrastait tant avec son statut. Les gens n'étaient jamais noirs ou blancs, après tout. Le propriétaire s'émerveilla par mimétisme, les yeux cernés étirés par son doux sourire un peu creux. Subarashii ! Ils sont parfaits ! s'exclama-t-il avec une sincère admiration dans le brun de ses prunelles. De doux lapins si soigneusement préparés et qui le renvoyaient à cette enfance bénie et insouciante malgré son statut d'orphelin. Toutes ces petites choses insignifiantes possédaient une musique, rythmée par le délicat tintement de sa clochette de verre dans la brise nocturne. Il était si étrange de frôler la mort et de redécouvrir l'innocent plaisir d'un fruit artistiquement disposé pour le simple plaisir d'être admiré et mangé.

Surprit de la soudain tension du yakuza en face de lui, Usui se tendit aussi par réflexe, comme si le moment se brisait en mille éclats de verre pour mieux le ramener à une réalité prosaïque : celle de ne plus être un enfant mais un adulte brisé, recraché par la mort. Et tandis que retentissait le joyeux "Tadaima", Usui y bredouilla par réflexe : Okae...ri, sa voix mourant douloureusement sur la dernière syllabe. Car il n'avait plus personne à accueillir ainsi à la maison et que la douleur qui venait de le saisir étouffait sa gorge meurtrie. L'homme en face de lui n'était pas un inconnu pourtant. Il avait rythmé son paysage adolescent en grandissant un peu avec lui, se croisant de loin, comme si leurs deux chemins étaient voués à parfois se rencontrer, se frôler, puis s'abandonner. Deux routes parallèles de deux garçons de deux mondes différents. S'inclinant profondément en face du second Yakuza, il évita cette fois de justesse de se frapper au comptoir. Osewa ni narimashita, Mishima-sama ajouta-t-il aux bons vœux d'Akemi en se courbant une nouvelle fois, tandis qu'il l'observait s'installer auprès de son subalterne. Les attentions des deux yakuzas auraient fait craquer nerveusement n'importe qui mais Usui conserva par miracle sa pauvre dignité survivante à la honte d'avoir été décroché de cette satanée poutre par ceux-là même qui venaient le visiter. Après la rupture, se retrouvant seul au monde, Usui avait cru qu'il mourrait simplement là, en ce lieu qu'il avait toujours connu et aimé. Se voir dorloté par ceux-là même qui ne venaient que pour empocher l'argent d'une protection appréciable dans une cité corrompue possédait une ironie terrifiante.

les cadeaux alignés sur son comptoir le plongeaient dans une confusion épuisée et il aurait peut-être simplement préféré que l'on ne lui reparle plus jamais de l'incident autrement qu'en lui demandant de l'argent. Le dos un instant tourné le temps de prendre une seconde coupelle de faïence afin de la rajouter en vue du service du saké, Usui en profita pour calmer le désordre dans ses pensées et son pauvre coeur serré. Il devait agir avec la maigre dignité qu'il lui restait. Il ne devait pas ajouter à leur charge en craquant encore. Pleurer ne résoudrait rien mais les dieux seuls savaient combien il en avait envie. Je disais justement à Isshiki-sama que j'allais servir le saké. Me ferez-vous l'honneur de le partager ? Usui disposa une seconde coupelle à la place d'Akemi, prenant délicatement la bouteille qu'il avait sélectionné précédemment pour Ryujii. Les yeux fatigués, les mains un peu tremblantes - plus à cause des plaies de ses avant-bras que de la terreur - il versa soigneusement une partie dans la bouteille dans un petit pichet de faïence, la laissant non loin. Il servit finalement les deux coupes. lui-même ne buvait guère et uniquement pour goûter le saké lors du processus de fabrication. A vrai dire, il ne tenait guère l'alcool - un comble assurément vu son emploi. Puis, une fois que tout fut parfaitement disposé pour être mangé et bu, il s'autorisa à frôler d'une main prudente l'un des paquets, profondément gêné de l'ouvrir. Vous parlez des chats qui font du bazar dans l'impasse ? demanda-t-il comme pour détourner l'attention de lui-même.

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Le fanfaronnement de son patron provoqua un changement de couleur radical sur le visage de Ryuuko. Elle se sentit soudain idiote avec ses pommes découpées en lapins. Ce n’était pas très viril ou en tout cas, très éloigné de l’image de Yakuza qu’elle renvoyait habituellement au boulot. Une séparation entre vie privée et vie professionnelle qui soudain s’étiola un peu, le craquement de ses traits soufflés presque audible. La Shatei posa l’assiette sur le comptoir puis baissa les yeux avec embarras. Elle fixa ses doigts entremêlés sur ses genoux en écoutant Akemi parler à Usui, sans oser le regarder. Quand le chef s’adressa alors à elle, Ryuuko redressa son dos tout à coup, presque interloquée ; comme sortie d’un rêve ou d’une pensée trop profonde.

« O-Oui, moi non plus, chef…  » Son sourire se tordit de gêne. « Eiyuu aishiru…  » *

Elle ponctua son proverbe, littéralement « les héros se connaissent », d’un rire embarrassé. Oui les grands esprits se rencontraient et le hasard était bien joueur. Puis, d’un clignement d’yeux étonnés, la Yakuza répéta un peu bêtement « La miaoufia ?  » sans trop comprendre ce dont il s’agissait. Elle se doutait bien du rapport aux chats mais s’interloquait en imaginant son chef se promener et payer quoi que ce soit à des félins des rues. C’était une image aussi touchante que perturbante et, finalement, pas si surprenante. Ryuuko ne put retenir un sourire à la fois tendre et amusé avant de se reprendre rapidement pour se donner un air plus impassible. Elle réagit à la dernière réplique d’Akemi au sujet du melon :

« C-Ce n’est rien, enfin, c’est la moindre des choses. »

Puis elle inclina rapidement la tête en direction d’Usui, présentant ses respects une nouvelle fois, une expression jobarde sur le visage. Reposant son attention sur le Shatei-Gashira Ryuuko le détailla d’un œil discret, bien qu’il ne fut certainement pas assez subtil pour échapper à son perspicace chef. Elle se demandait pourquoi un kimono masculin aujourd’hui. Des questions sans réponses chassées aussitôt qu’Usui reprit la parole.

« Il y a beaucoup de chats par ici ? » demanda-t-elle un peu bêtement pour faire la conversation. La coupelle de sake dans la main, elle attendit que tout le monde lève la sienne pour annoncer « Kampai ! ».

Lorsque le breuvage parvint à ses lèvres, les yeux de la femme déguisée en homme s’écarquillèrent : quel goût brut ! Elle appréciait ces alcools authentiques et sans ajouts. A peine le liquide glissait-il dans sa trachée qu’elle pouvait deviner que le riz avait été poli minutieusement. Des étoiles éparpillées sur ses iris bleutés, la femme se tourna vers le propriétaire des lieux :

« Uma ! A en juger par sa pureté, c’est un junmai, non ? »

Elle s’enthousiasmait encore bien bêtement, mais sincèrement. Un bref regard en direction d’Akemi la refroidit vite et Ryuuko calma immédiatement son emballement. Elle se racla la gorge, passa un rideau de fer devant ses yeux et dit plus sérieusement :

« Il… Il est très bon. »



* Eiyuu aishiru ou littéralement « les héros se connaissent » est l’équivalent japonais de « les grands esprits se rencontrent ».
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Akemi avait beau être fier de sa petite plaisanterie innocente, il se montra surpris de recevoir une telle réponse de la part du propriétaire des lieux et lui offrit en conséquence un doux sourire. Il s'inclina respectueusement face à la révérence offerte et prit place au zinc à côté de Ryuuji, s'asseyant sur un tabouret. Les gestes lents du Shatei-Gashira avaient toujours cet aspect délicat et précautionneux, comme quand il balaya doucement l'air de la main pour signifier à Usui que ce n'était que la moindre des choses, ce qui avait été fait. Il tourna son regard vers son subalterne et le gratifia d'un sourire, la mine à la fois réjouie de ce hasard et détendu dans son approche. Le Yakuza sourit en fermant les yeux et eut un petit rire qu'il étouffa derrière une phalange pliée devant la bouche, dans un geste très féminin.

"Nul besoin d'être si formel, Ryuuji-kun", il replaça une mèche de ses longs cheveux derrière son oreille, "je viens en tant que client, pas que Shatei-Gashira."

Akemi avait toujours eu un souci de transparence envers ses hommes mais aussi les civils qui le connaissaient, assumant son statut de Yakuza mais également de troisième tête du clan : il ne cachait rien à personne car il n'y avait rien à cacher mais tout à assumer. Le jeune homme acquiesça du chef lorsqu'on évoqua à nouveau la miaoufia sans développer plus avant : Ryuuji avait très bien compris de quoi il s'agissait. Mais le sourire tendre de son Shatei en cet instant lui tira un petit rire et son visage livide se para de belles couleurs pivoine, piquant un léger fard à l'idée d'avoir attendri son subalterne. C'était mignon, quand on y pensait. Il était juste dommage que le jeune homme se bride immédiatement derrière, visiblement bloqué par la présence de son patron ; mais c'était naturel, et on ne pouvait rien y faire. Kakei-san revint avec une bouteille de sake qu'il tenait entre ses mains tremblantes et Akemi le considéra fugacement, pour demeurer poli : le jeune homme était cerné et avait l'air mal, mais quoi de plus normal après une tentative de pendaison et un séjour à l’hôpital ? Les séquelles de tout cela demeuraient visibles, sans parler des hypothétiques raisons de son geste. Mais le Yakuza ne demanda rien, ne releva rien. Il était bien éduqué et respectueux, savait ce qui se faisait et ce qui s'évitait.

"C'est très généreux de votre part, Kakei-san", dit-il à l'adresse du brasseur avant de reprendre, jouant avec la coupelle qui lui avait été donnée, "je n'en bois pas souvent, je vous avoue. Il est temps de réparer cette erreur."

Akemi voyait bien que son arrivée avait un peu mis tout le monde à quia et stressait Ryuuji, réfléchissant à une manière de dérider l'ambiance et d'apaiser les deux jeunes hommes. Son regard se posa sur le melon, magnifique cadeau qui avait du beaucoup coûter au Shatei. Il ne dit rien, pour ne pas gêner qui que ce soit mais se fendit d'un sourire particulièrement satisfait et validant pour son garde du corps, l'air de lui dire qu'il montait de plus en plus dans son estime avec des gestes comme celui-ci. Il vit alors Usui frôler prudemment un des paquets, comprenant son inconfort face à l'idée de les ouvrir. Le Yakuza lui dit alors gentiment :

"Ouvrez-les quand vous voudrez, si cela vous gêne trop. Faites quand vous serez seul si cela vous apaise, ou dans les minutes qui suivent si vous le désirez. Aucune des deux décisions ne me vexera, je vous l'assure."

Il était perspicace, Akemi. Il notait les variations d'attitudes, les intonations de voix car il avait toujours été d'une nature observatrice malgré sa propension aux bavardages et son air faussement léger et insouciant. Il devinait les gênes d'Usui - les plus évidentes, pour le reste il était simplement trop peu familier au personnage pour comprendre ses angoisses profondes - et les interrogations silencieuses et peu discrètes de Ryuuji. Tournant la tête vers le Shatei, il le considéra un instant avant de comprendre.

"Oh, ça", s'étonna le Yakuza en regardant ses vêtements masculins, "j'avais un rendez-vous organisé par mon grand-père", il ajouta, très simplement, très sincèrement mais sans s’appesantir, "Omiai."

L'idée d'un mariage arrangé ne l'arrangeait pas du tout mais c'était son grand-père qui faisait encore la pluie et le beau temps dans la famille Mishima. Il avait plus de trente ans à présent et même s'il avait argué au patriarche qu'il était stérile, le vieux n'avait pas trouvé que cela faisait une bonne excuse. Mais il ne parla pas plus, peu désireux de parler de lui en face d'un homme qui avait bien plus de problèmes, très certainement. De plus, il n'était pas du genre à se plaindre et prit au vol le changement de conversation.

"Ceux-là même", répondit-il au brasseur en hochant de la tête pendant que ce dernier remplissait leurs coupelles de saké, "font-ils tant de bazar que ça ?"

Il était un peu curieux de ces greffiers des rues et désireux de parler de choses plus légère, il devina que tout le monde faisait de même. Ce n'était pas nécessairement un mal à bien y regarder car parler des choses de la vie quotidienne avait ce petit quelque chose de rassurant qui donnait du charme à ce moment de paix qu'ils pouvaient partager tous les trois. Il leva sa coupelle au Kampaï de Ryuuji avant de tremper ses lèvres dans l'alcool pour le goûter et le découvrir précautionneusement. Il tenait sa coupelle à deux mains, une en dessous en coupe et l'autre délicatement autour, toujours avec un jeu de gestes très féminins, très maniérés mais surtout très délicats. Nombre de gens étaient fascinés par la précision et l'élégance des gestes d'Akemi, et il appréciait tout particulièrement cela : cela faisait de lui un homme qu'on remarquait, charmant et élégant ; c'était tout ce qu'il désirait.

"Le goût est très brut, c'est divin, Kakei-san", murmura tranquillement Akemi à l'dresse du brasseur avant de noter la connaissance de Ryuuji, "Tu es très calé, Ryuuji-kun !", s'émerveilla le travesti avec un enthousiasme qui trahissait une grande admiration, tournant le regard vers Usui, "je suis bien inculte du sujet, je m'en excuse. Mais peut-être pourriez-vous tous deux m'expliquer un peu les arcanes du saké ? Je suis très curieux de vos savoirs, messieurs !"

Le Yakuza eut un sourire, le regard admiratif offert à son shatei attestant son son enthousiasme un peu naïf. Ryuuji avait l'air de s'y connaitre, tout comme lui connaissait le Whisky ; il n'est jamais trop tard pour se cultiver et apprendre de nouveaux sujets, et il était partant pour que les deux hommes lui parlent de ce qu'il ne connaissait pas. Voyant une nouvelle fois la gêne de son garde du corps, le Shatei-Gashira se permit de lui mettre une grande tape dans le dos, en riant.

"Ne soies pas si gêné, Ryuuchin ! Je serais content de découvrir un nouvel aspect de ta personnalité !"; puis, tournant le regard vers Usui, "vous de même, Kakei-san. Je serais enchanté d'apprendre à vous connaitre... oh, une idée me viens, messieurs ! Pourquoi n'irions nous pas manger quelques sushi ensemble ce soir ? Il y a un petit sushi bar dans la rue, vous le connaissez certainement. J'aimerais vous inviter tous les deux. Il parait que leur maguro est divin. Qu'ne pensez-vous ? Ne soyez pas gênés !"

Le Shatei-Gashira marqua une nouvelle fois son enthousiasme à l'idée de manger avec les deux hommes en souriant aux anges, les joues parées d'un rose de plaisir. Comme cela serait bien ! Discuter de tout et de rien en regardant des petits sushi tourner devant le comptoir, à regarder le temps filer sans se soucier de rien d'autres qu'apprendre à connaitre de futurs amis. Il en mourrait d'envie. Contenant cependant ses émotions, le Yakuza termina très lentement sa coupelle de saké pour apprécier le goût avec politesse et détail, comme il le faisait toujours face à quelque chose de nouveau et de travailler. Il fixa la coupelle vide, un sourire aux lèvres, l'air simplement gentil et aimable.

"C'est du bon travail, Kakei-san. Votre grand-père serait fier de votre saké."
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Face à ces deux hommes, quasiment des inconnus, à l'exception d'Akemi, Usui opposait un masque commercial, quand bien même il ne fut finalement question que d'un service amical. Le dos droit, au delà de sa fatigue, un sourire vide aux lèvres, il se contentait d'être là, son regard passant en silence d'un homme à l'autre, leur laissant goûter à son saké. Il l'avait volontairement choisi très brut pour accompagner les douceurs et le sucré du melon. Et à l'exclamation de Ryujii, Usui n'étira qu'un délicat sourire aimable. Effectivement, c'est un junmai. Vous êtes un connaisseur, Isshiki-sama. salua le brasseur qui dévoila la bouteille pour laisser l'étiquette à l'appréciation du Yakuza. Se retrouver là, avec eux était si étrange... encore plus étrange que de voir enfin de près Akemi, l'entendre discuter, observer ses gestes parfaitement mesurés. Il l'avait toujours trouvé incroyable, depuis sa prime jeunesse où il ne l'avait vu que de loin en loin. Ils n'étaient pas du même monde, comment aurait-il seulement osé lui adressé la paroles ? Akemi était un Yakuza, devenu gradé, un riche héritier aux manières parfaites. Tout son contraire en somme. Il était injuste que le sort ai fait que ce soit précisément cet homme qu'il admirait depuis longtemps qui soit tombé sur lui. La honte le submergea un instant, son regard se noyant dans des abysses silencieuses tandis qu'il déplaçait délicatement les paquets pour les poser sur un guéridon non loin des escalier de l'étage. Il préférait les ouvrir plus tard car, si il devait pleurer, il préférait être seul. La curiosité de savoir ce que l'autre homme avait pu lui offrir ne valait pas le risque de s'humilier une nouvelle fois.

Je vous remercie. Je les ouvrirait tout à l'heure puisque cela vous convient. dit-il en revenant auprès des deux hommes, demeurant derrière son comptoir en protection dérisoire. Le sujet des chats, bien moins sensible, occuperait peut-être de précieuses minutes et Usui répondit simplement : Ce n'est pas tant qu'ils causent des problèmes mais ils se battent, renversent les poubelles et font du bruit des heures la nuit lors des chaleurs. Sans compter qu'ils essayent de se faire les griffes sur le bois de la terrasse. Ils ne sont pas si nombreux : six ou sept en général mais parfois plus lorsque les femelles ont leurs chatons. Le jeune homme demeura factuel, comme s'il craignait de trop en dire, de trop parler, de trop se faire remarquer. Ces deux hommes... ils étaient tellement différents de lui... Il aurait aimé avoir l'allure digne et élégante de Ryujii. Est-ce qu'un homme capable de faire de si merveilleuses découpes en forme de lapin pouvait être foncièrement mauvais ? Il ne pensait pas. Il était presque facile d'oublier qu'il parlait à des membres d'un gang, des malfrats, des durs. Tout était étrangement normal. Très doux, presque serein. L'atmosphère traditionnelle de l'échoppe aidait-elle à cette connivence ? Les voir se comprendre d'un regard trahissait leur proximité. Après tout, s'ils travaillaient ensemble... Usui n'avait aucune idée de comment s'organisaient les relations entre Yakuzas ou même les grades - il en déduisait qu'être Shatei-gashira était une bonne place. En dehors du titre d'Oyabun, il n'y connaissait pas grand chose.
Entendre Akemi parler d'Omiai lui serra le coeur : un mariage arrangé... c'était plutôt triste. Akemi et Ryujii avaient leurs propres problèmes et pourtant ils étaient venus pour lui apporter des cadeaux... Et lui se sentait comme le dernier des idiots d'ajouter à leur charge.

Je vous en prie, servez-vous du melon. Je ne pourrais jamais le manger seul, ce serait du gaspillage. Joignant le geste à la parole, Usui décala l'assiette en direction des deux hommes, y ajoutant des petits pics de métal pour piocher les bouts juteux, n'osant y toucher en premier. Il se servait enfin un petit morceau quand vint la suggestion d'Akemi concernant les sushis et il avala tout rond, pris d'une quinte de toux avant de parvenir à se calmer. Est-ce que Akemi avait vraiment dit... qu'il avait envie de le connaître ? Lui ? Prenant aussitôt une teinte pivoine, le propriétaire, qui s'était caché derrière ses paumes pour tousser, écarta prudemment les doigts sur une expression de chien battu, les joues cramoisies. Il avait envie de disparaître, d'être avalé par son plancher impeccable.
Aller manger... avec vous ? Vous êtes sûr, Mishima-sama ? Se tordant les doigts, Usui baissant la tête pour fixer ses chaussures. Ne vous sentez pas obligé parce que je suis ici ! Vous serez certainement plus tranquille d'y aller avec Isshiki-sama... Il avait bredouillé ceci, marmonnant un peu. Etre invité par Akemi... cela ne pouvait être que par soucis d'être poli, lui qui était si délicat et maniéré. Il valait sans doute mieux qu'il ne se fasse de faux espoirs. Le compliment sur son saké le fit rougir et il affecta de sortir des serviettes en tissu brodées de vagues bleu marines pour qu'ils puissent s'essuyer les doigts, s'inclinant légèrement. Son grand-père serait-il fier ? Non... Il avait voulu se tuer... Il n'apporterait que des soucis et du déshonneur. Il avait été trop lâche...

Pour s'occuper les mains autant que l'esprit, il resservit les coupelles des deux hommes, demeurant silencieux de longues minutes, comme emmuré en lui-même. Son regard n'avait pas quitté les lapins de pomme, comme s'il s'abîmait dans cette contemplation plutôt que de penser aux événements. Haaaa, il sont trop mignons, je ne peux pas les manger... s'exclama brusquement le brasseur, les épaules basses avec cet air de chaton triste qui lui donnait l'air plus jeune que son âge. Il fit la moue, reportant son attention sur le melon, dont il n'avait pu apprécier la bouchée précédente et il se résigna à en piquer un nouveau morceau, mettant sa main en dessous pour éviter de tâcher la table de jus, découvrant enfin la saveur sucrée et prenante qui lui fit pousser un doux soupir de plaisir, les yeux mi-clos sur les saveurs qui le comblaient à cet instant. Il est parfait... Je vous remercie encore, Isshiki-sama.

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Il avait beau lui dire de ne pas être formel, comment pouvait-il en être autrement ? Akemi était autant un client que le Shatei-gashira des Minobe, quoi qu’il en dise. Ryuuko ne pouvait se détendre totalement : son image était très importante. La moindre erreur pouvait avoir un impact sur sa carrière au sein du clan. La Shatei préférait rester la plus professionnelle possible en toutes circonstances. Elle se demandait si elle avait manqué de politesse en fixant encore son chef sans s’en rendre compte alors que son dernier justifia sa tenue. Elle se rassurait néanmoins de leurs échanges tacites, communiqués d’un simple regard.

« O-Oh, je vois... » plus timide, les lèvres pincées, elle ajouta : « J’espère que ça n’a pas été trop éprouvant. »

Elle se raidit un peu : était-elle trop familière ? Sa phrase ne sous-entendait-elle pas qu’Akemi pouvait être fragile ? Ce n’était pourtant pas son intention et la yakuza fronça les sourcils. Elle articula difficilement une justification paniquée, son regard déterminé planté dans les yeux de son patron :

« M-Mais vous connaissant, ça a été !  »

Le sujet des chats était plus que bienvenu pour changer la conversation et avec un sourire aussi forcé que son ton enthousiaste, Ryuuko participa pour détourner l’attention de ses erreurs :

« A-Aaah, je vois ! » Sa voix était un peu forte, pour recouvrir les battement de son coeur affolé. « Ces matous ne sont pas de bons yakuzas s’ils perturbent l’ordre public et détériorent votre boutique au lieu de la protéger ! Haha... »

Elle ponctua sa plaisanterie d’un rire gêné, un peu jaune. La femme décida qu’il était temps de se taire pour ne pas s’enfoncer davantage et s’emmura dans son rôle de garde du corps : silencieux, observateur. Sa timidité était une force pour se rendre plus furtive, aussi n’eut-elle aucun mal à se fondre lentement dans le décor pendant que les garçons interagissaient ensemble. Puisqu’elle y était invitée, elle attrapa un bout de melon en marmonnant un « Itadakimaaas’... » discret. Akemi l’incitait à en dire plus sur le saké mais la Shatei déclina, son melon aux lèvres, et invita d’un geste de main Usui à en dire plus sur le sujet s’il le souhaitait. En simple amatrice, son savoir n’était probablement pas à la hauteur du sien. Le Shatei-gashira insista néanmoins ; ne pas être gênée ? Comment ne pas l’être, pensa-t-elle en déposant la peau de sa deuxième part sur l’assiette.

Lorsque l’invitation tomba, Ryuuko n’eut pas besoin de réfléchir : son rang était tant inférieur à celui d’Akemi qu’il aurait été fort impoli de refuser. Elle hocha sa tête aux airs atones et répondit :

« Si vous le souhaitez, bosu. »

Elle préférait quelque part ces interactions simples qui ne demandaient ni à réfléchir ni à s’embarrasser. C’était l’ordre naturel des choses, la logique de l’étiquette. Il lui était plus facile de se détendre ainsi et elle relâcha enfin la pression de ses épaules, son corps moins raide de panique, enfin. Elle opina du chef alors qu’Akemi complimentait le breuvage. Il était vraiment bon. La gêne d’Usui fit sourire la femme : ils étaient un peu pareil face aux flatteries. Ces joues rouges et cette humilité étaient réconfortantes. Ryuuko sourit gentiment, appréciant le moment partagé entre eux trois. Elle s’embarrassa cependant tout d’un coup lorsque le propriétaire déclara trouver les lapins trop mignons pour les manger.

« J-Je n’aurais pas dû les couper ainsi ? » Elle eut soudain l’air navrée et s’agita sur place, voulant exécuter des gestes aussitôt avortés pour ne pas prendre les devants de manière impolie. « Je les mangerai, si c’est le cas. Pardonnez-moi si je vous ai incommodé avec mes jeux puérils, ce n’était pas mon intention. »

Elle attrapa un lapin, se sentit honteuse d’avoir exécuté ce geste avant de s’incliner pour s’excuser et le fit donc aussitôt. Elle se perdait entre sa sincérité et son désir de rester polie. Sa position était cocasse, le bras tordu tenant un bout de pomme d’un côté, le haut du corps penché, le bas du dos droit et l’autre main se tenant au tabouret avec regret.

« Je suis comblée si le melon vous satisfait, néanmoins. »

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