When the sparks fly

Un point apparaissait sur la carte numérisée des quartiers japonais. Il déglutissait. Il n’avait plus mis les pieds dans la zone depuis plusieurs années, dorénavant. Ou de façon très peu ponctuelle, pour quelques contrats qui ne demandaient pas d’entrer profondément. Aujourd’hui, il était néanmoins engagé pour un contrat plus juteux. Un autre de ceux qui payait trop bien mais qui relevait de la folie. Il avait été demandé pour ce coup. Une longue inspiration. Sur les toits, il ne voyait pas encore le convoi du frère Ishii. Premier point d’entrée. Un restaurant japonais qui devait payer des taxes.

Il se souvenait encore de ce job. Il l’avait longtemps exécuté, notamment parce que son masque faisait rapidement peur. Trop lisse, les gens s’en souvenaient toujours. Pour un bien comme un mal. Le Mongol avait accepté ce travail sans trop rechigner à l’époque. Mais aujourd’hui, avec les effectifs tous extrêmement vigilants, en raison de la Semaine Rouge, l’autre se déplaçait aussi. Une information qui n’était pas tombée dans l’oreille d’un sourd puisqu’on avait alors demandé au Mongol d’intervenir. Un gros coup porté au Clan Yakuza, espéraient-ils. Et il n’en serait qu’une arme qui renverserait la balance des Gangs.

Il avait eu le temps de planter un mouchard sous la voiture banalisée. Dorénavant, il devait seulement attendre qu’ils approchent. Silencieusement, perché sur son toit, il scrutait constamment la garde. Plus vite ils venaient vers lui, plus vite il pourrait s’en débarrasser. Jetant un coup d’œil en contrebas, il observait sa nouvelle acquisition. Une moto qui lui permettait d’agir plus rapidement là où il désirait se rendre. Mais aussi d’avoir un meilleur rendu lors des contrats demandant du pistage. Ou aujourd’hui, de rattraper à toute vitesse un autre véhicule.

Se faisant craquer brièvement la nuque vers la gauche, il relevait son masque pour manger les nouilles qu’il avait prises quelques minutes auparavant, collant au passage un autre mouchard. Il avait tellement fait ce tour qu’il le connaissait par cœur. Encore deux étapes avant son embuscade. Il n’avait quand même que huit balles, il n’avait pas intérêt à se rater.

Beaucoup jugeaient que les Yakuzas ne se sentaient que guère affecté par ces dernières semaines. Comme s’ils ne s’inquiétaient pas de ces crimes. Aussi certains en avaient conclu que s’ils ne s’inquiétaient pas suffisamment, c’est qu’ils en savaient plus que le reste de la population. Et s’ils n’en disaient rien, c’est qu’ils devaient être coupables. Aujourd’hui, ils méritaient des représailles. Pour autant, le Mongol n’était pas aussi certain de cette déduction un peu trop légère.

Pourtant, cela payait. Et tant que cela payait, il se fichait bien de ce qu’il devait faire. Tant qu’il pouvait encore survivre un autre jour.

Les mains dans les poches, il se laissait finalement tomber pour approcher de l’endroit. L’embuscade. Le moment exact où il viendrait à intercepter certains membres du clan Ishii. Craquant sa nuque, descendant deux à deux les marches de l’escalier métallique qui servait essentiellement d’issue de secours, il s’approchait de la nouvelle machine récemment obtenue. Une bécane qui faisait un bruit terrible. Mettant le casque sur sa tête, il lança sa bête dans les différentes rues jusqu’à bloquer la route.

Sortant de sous sa veste, il dégainait déjà une arme à feu d’un autre calibre. Une mitraillette fournie par ses commanditeurs, évidemment intraçable. Le tout était prévu que même s’il manquait son coup, personne ne remonterait jusqu’aux demandeurs. Autant dire qu’ils se protégeaient correctement. Engageant un étranger qui avait une loyauté tournée essentiellement vers lui, ayant un passé houleux avec les Yakuzas. Une cible parfaite pour leur coup.

Puis. Trois. Deux. Un. Les premières balles étaient tirées. Sur la roue avant gauche. Et alors que la voiture continuait, il en faisait de même de son côté. Des coups en rafale qui incendiaient la portière avant puis arrière jusqu’à faire exploser la roue arrière gauche. Un coup entièrement réussi. Descendant de la moto, laissant tomber la première mitraillette pour dégainer la deuxième qui se trouve à son autre hanche, il la pointait déjà en direction de ceux qui pouvaient encore sortir du vivant de son attentat.

Modulateur de voix actif, les différents détecteurs indiquaient des êtres qui respiraient encore bel et bien. Première voiture out. Les autres devraient rapidement arriver. Il ferait de même avec chaque Yakuza qui se présenterait. Sans aucune pitié il abatterait tous ceux qui se présenteraient à lui.

Déjà dans son casque, ceux qui avaient demandé un live de ses exploits appréciaient sa réalisation et plusieurs messages exprimaient leur joie face aux crimes. Certains en voulaient même plus et n’hésitaient pas à faire monter le prix. Ils voulaient voir la mort. Ils voulaient du sang. Ils étaient prêts à tout pour se divertir quelques minutes de plus.

Il soufflait. Evidemment. Derrière leurs écrans, ils observaient. Pervers qu’ils étaient. Ils n’avaient pas ce sang sur leurs mains. Ils étaient seulement les spectateurs de crime. Mais ils ne faisaient rien. Ce soir, ils iraient dormir en paix. Lui aurait augmenté le nombre de ses victimes. Plus de barres à son compte. Comme chaque jour qu’il exécutait un nouvel homme de son sang-froid.

Dans son casque, sur un autre canal, une voix résonnait. « C’est tout bon pour nous. Dégage de là. » Il n’était jamais exactement seul. Bien qu’il le soit la plupart du temps. Un coup monté. Il était la viande, le morceau qui était à vue, l’appât. La prime était à l’échelle des risques. Plus les chances étaient infimes, mieux il était payé. Personne ne le pensait réellement capable de survivre à un tel attentat. Un homme contre plusieurs voitures blindées. Un soldat contre des hommes entraînés. Il avait misé gros, même lui se rendait compte qu’il avait peut-être eu les yeux plus gros que le ventre. Un risque qu’il était prêt à prendre que ses anciens dictateurs. Contre ceux qui avaient, un jour, bouleversé et brisé sa vie. « Ghost, tu m’entends ? »

Sortant de ses pensées, il remontait déjà sur sa bécane achetée pour l’occasion. Elle disparaitrait après les méfaits. Ou elle serait retrouvée dans une ruelle, ils remonteraient sur un vulgaire commerçant du quartier qui avait reçu une commande spécifique pour ce véhicule il y a une semaine, payé depuis un compte off-shore appartenant à un ponte russe. L’argent avait suffisamment transité pour que personne ne le retrace lui, ou ceux qui avaient demandé qu’il agisse. « Je t’entends, oui. » L’autre, une voix aussi robotique que la sienne, hurlait déjà. « Dégage putain ! Ils se cassent tous ! Ils arrivent déjà sur ta gueule ! » Ce n’était que la deuxième partie du plan qui se mettait en route. Dorénavant, il devait en attirer autant que possible dans les rues et ruelles du quartier japonais. Les conduire ailleurs, sur les Docks, et enchaîner sur une course-poursuite dangereuse sur le Track. Des demandes spécifiques. Précises. Dangereuses aussi.

Déglutinant, avant brièvement sa salive, il fit chauffer le moteur. Le pneu fuma brièvement sur le béton de la rue, puis il démarrait déjà. En direction des voitures. Comme un jeu. Une balle perdue et cela viendrait définitivement à puer pour lui. Une portière s’ouvrit, comme pour tenter de l’arrêter comme ils pouvaient. Doigts sur les freins, la bécane s’arrêtait net devant, pneu arrière dans les arrières. Il basculait son bassin. Reprendre dans les pots d’échappement, une autre accélération qui le faisait dévier de l’itinéraire prévu.

La carte intégrée dans son masque calculait déjà un nouveau chemin pour passer à l’intersection prévue pour attirer tous les fourgons. Il tournait dorénavant à gauche, au milieu d’étals qui le firent ralentir. Encore un peu, il se trouvait même bloqué. Cela se jouerait définitivement au chronomètre. Une inspiration, de la buée qui se formait légèrement dans son masque. Son corps palpitait. Quelle idée à la con que d’accepter un tel contrat juteux. Prévisible qu’ils lui en demanderaient bien trop pour ce que cela finirait par lui coûter : sa vie.