Intrusione | ft. Sloan

Dans un tel climat, les excursions hors de Napoli se font rares. Ce n'est pas le danger de Neo-Atlantis que Livia craint, elle ne s'en prive pas lorsque la possibilité se présente. Mais elle doit rester à Decay, surveiller et protéger les siens. Ne pas perdre une miette de ce qui se passe pour pouvoir réagir au plus vite, efficacement. Punir, s'il le faut. Ses cousins n'en font parfois qu'à leur tête et il est terrifiant de constater qu'avec le temps et face à la panique, ils laissent libre cours à leurs travers.

Alors, comme quelques fois lorsque Livia ne souhaite pas ouvrir sa porte à un milicien trop peu connu de sa Famille, la rencontre se fait dans un bureau du checkpoint. La plupart des miliciens du coin sont des membres honoraires des Lombardi, de toute façon. Alors, dans le feutré, une ou deux pièces sont un peu "à elle". Pas les plus confortables ni les plus accueillantes : c'est un checkpointe, il n'a pas à être engageant. Et puis, il faut rester discret. En cas d'inspection. Le zèle de la nouvelle génération de miliciens est surprenant, parfois. Une raison de plus de les corrompre.

Ce type, Sloan, elle ne le connaît que de nom. Elle sait que la Famille l'a arrosé de façon à ce qu'il lève le pied et détourne le regard lorsque Napoli apparaît sur ses écrans ou dans ses dossiers. Mais puisqu'elle a, pour cette fois, besoin de services pour lesquels sa division pourrait lui donner satisfaction, à quoi bon se priver ? Il est corruptible. C'est déjà un bon point.

L'arrivée au checkpoint, au crépuscule, se fait sans anicroche. Deux têtes connues l'escortent, elle et un garde du corps, jusqu'à l'un des bureaux de négociation, autrefois salle d'interrogation et de contrôle. Les miliciens lui servent un café et attendent avec elle dans la pièce. "Eh bien. Vous ne vous êtes pas améliorés sur le café. Moins de flotte, plus serré, par pitié." La Donna sirote le breuvage dilué en s'asseyant, ignorant le bruit de la porte qui s'ouvre à nouveau. "Dites, vous êtes pas supposés avoir des donuts avec ça ? Il paraît que vous en raffolez." Rit-elle sans détourner le regard de son gobelet de carton. "Par contre pour le manque de ponctualité, vous êtes fidèles à votre réputation. C'est pourtant nous qui sommes connus pour n'en faire qu'à notre tête, hein ?"

Une autre lampée. Une de plus sur la journée. Le fluide glissait doucement dans sa gorge, rappelant à son corps l’alcoolique qu’il était en réalité. Une gorgée de plus, qui s’ajoutait sûrement aux dizaines d’autres de la journée alors que le crépuscule se couchait. Puis il avait pris une autre clope, la dernière du paquet qu’il jetait déjà dans une poubelle au hasard, il l’allumait sans plus attendre, sentant la nicotine et sa douce drogue envahir ses poumons mais aussi son esprit. Qu’il aimait cette double sensation. Alcool dans le sang. Nicotine dans la poitrine. Combo gagnant alors qu’il laissait sa tête basculer en arrière pour souffler brièvement.

Puis il avait tourné son poignet pour lire l’heure à sa montre. Il est déjà en retard à son dernier rendez-vous de la journée. Il n’était même pas exactement pressé d’y être. Rencontrer la Donna. Enfin, elle avait plutôt exigé la rencontre et il n’avait qu’obtempérer. Avait-il réellement un autre choix ? Situation compliquée pour le Milicien aux manches retroussées et à la cravate depuis longtemps défaite, il se rendait vers le Checkpoint. Dernier endroit où elle possédait une once de pouvoir.

Palpitation au cœur, front légèrement en sueur et mains moites, tous les aspects d’une rencontre qu’il redoutait déjà. Mais il devait bien le faire. Prenant une longue inspiration, il prit surtout une autre gorgée avant de se plonger dans l’arène. Ancienne salle d’interrogatoire pour les nouveaux venus qui tentaient d’aller à Neo-Atlantis, la pièce avait été légèrement aménagée pour les venues des Italiens. Loin d’être véritable une base, il y avait un peu de thé, du café et de l’eau. Pour le reste, il fallait repartir ailleurs.

Elle était là. Evidemment. Elle n’allait pas le rater. Livia Lombardi. Donna de la Mafia Italienne. Le Milicien l’observait. Elle pouvait encore bien attendre quelques minutes, de toute façon il ne comptait quand même pas s’excuser pour son retard. Au final, c’était elle qui était trop en avance. Ne connaissait-elle pas le quart d’heure académique du même quart d’heure ? C’était pourtant bien connu.

« Dites-moi, Donna Lombardi. J’aim’rais savoir c’que m’vaut vot’ charmante visite ? Quelque chose a-t-il changé dans not’ arrangement ? » Il n’aimait pas vraiment les Italiens. Il n’aimait personne en vérité mais ceux-là étaient des Maîtres dans l’art des renégociations. Il s’en méfiait d’autant plus. « Vous n’allez quand même pas m’demander un sauf-conduit exceptionnel à la suite de ce que vous appelez … Une semaine rouge, c’est ça ? » Il scrutait un peu la jeune femme. Tentant encore de décrypter cette dernière, les yeux légèrement plissés, le Milicien était encore debout, dominant de sa taille.

Un petit rire faussement non-maîtrisé secoue le haut du corps de Livia. Elle bouge à peine et s'essuie le coin de la bouche alors qu'elle termine l'affreux café du checkpoint. "Notre arrangement ? Franchement. Si j'avais quelque chose à négocier, je viendrais pas me râper les miches sur les chaises de ces bureaux miteux." Étrange considération mais Livia connaît sa réputation. Surtout au sein de la Milice. "Vous me coûtez déjà assez cher comme ça."

Il n'est pas totalement à côté de la plaque, ceci dit, et le fait qu'il évoque la Red Week la dérange. Elle ne cache pas un froncement de sourcils crispant son visage habituellement prétendument détendu. "Au moins vous avez fait vos devoirs. J'aurai rien à expliquer, je suppose. " Un petit sourire, presque moqueur, et un regard pétillant. "Si vous avez eu vent de cette histoire, j'imagine que vous devez commencer à vous activer concernant cette affaire. Je viens vous demander, disons … De bien choisir où vous concentrez vos efforts."

Une situation chaotique, cette Red Week. Bancale. Dangereuse. Explosive, même. Mais tant de choses à retirer de tout ça, pour peu qu'on n'y laisse pas de plumes. "Voyez, je sais que vous offrez toute votre bonne volonté à Neo-Atlantis. Et le mal qui grandit à Decay a un nom pourtant évident. Il s'agirait de savoir vers qui braquer les armes." Parfois, Livia se prend à rêver de ne plus être cette funambuliste coincée sur la corde raide qui sépare Neo-Atlantis de Decay. Ce passeur fluctuant aux aspirations floues.

" L'Église de l'Union. C'est eux, le problème. Et je vous conseille d'y jeter un oeil ou quelques hommes très rapidement." Pour la Donna, ce n'est qu'une intuition pesante. Elle n'a pas assez de preuves tangibles pour savoir s'il faut craindre cette organisation encore trop récente. Mais ils contrôlent des gens et sont bien trop vindicatifs à l'égard de sa famille pour qu'elle envisage une seule seconde de leur laisser le bénéfice du doute. "Voyez, en passant mes accords avec vos collègues, je suis restée sur l'impression qu'il me revenait de garder le contrôle du lien entre nos territoires et les vôtres. En contrepartie, j'ai besoin que vous fassiez votre boulot quand quelqu'un vient perturber cet équilibre salutaire." Plus le temps passe, plus ils se montrent capricieux. Le jour où Livia subira les assauts des autres gangs trop affamés pour se contenter de leurs terres, elle ne les retiendra pas. Sauf si, bien sûr la Milice se montrait un peu plus zélée vis à vis de leurs accords.

" Puisque vos collègues semblent trop débordés pour être efficaces dans cette histoire, j'ai besoin que vous meniez l'enquête sur les agissements de ces … illuminés. Et me transmettiez tout ce que vous trouverez. Au plus vite, bien sûr. Je ne peux pas garantir qu'ils se retiendront longtemps de venir vous trouver sur votre propre territoire."

Une longue inspiration alors qu’il observait la petite pièce du Checkpoint. Il ne mettait que rarement les pieds en ces lieux mais il n’avait d’autres choix que de se présenter à l’appel. La Donna le demandait. Il se présentait. Mais l’humeur, et l’ambiance, n’étaient guère à la détente, comme il le sentait bel et bien. Jetant un coup d’œil à l’ensemble, sur les molosses qui les accompagnaient, il fit un mouvement de la tête pour que ses hommes sortent tandis qu’il se posait définitivement sur la chaise face à la Maîtresse des lieux. Et sans même attendre, elle pointait du doigt comme ils devaient agir, ce qu’ils devaient faire, remettant finalement une partie de leur travail en cause.

« Bah, tiens, ‘tain. Etonnant ! Les Lombardi qui s’pointent ! » Il s’était jeté en arrière de sa chaise, la faisant dangereusement basculer. Le risque était présent qu’il tombe même à la renverse. Jeu qu’il ne désirait pas prendre. « D’jà. Pas b’soin d’faire des d’voirs avec vos conneries. Tous les médias et les réseaux en parlent. J’ai mes Sup’s sur mes couilles dorénavant !! » Puis calant ses deux coudes sur la table, il prit dans la poche de sa chemise son paquet de clopes, s’en glissant une nouvelle entre les lèvres. Sans même demander son accord, il l’allumait déjà, prenant une longue inspiration de sa drogue quotidienne. La nicotine qui infestait sa poitrine. Libérant cette sécrétion qui mettait si bien ses esprits. Puis il poussait un soupir.

« Vous d’mandez ou vous exigez exactement ? », la pointait-il à l’aide de sa cigarette entre ses doigts. Une autre inspiration alors qu’il continuait de la détailler sans perdre le moindre de ses mouvements. Flic dans l’âme, corrompu par ses vices, Sloan n’en perdait pour autant pas le nord. Il comprenait définitivement ce que la Donna désirait. Elle lui donnait un ordre direct, détourner les yeux de la Mafia pour s’occuper de l’Eglise, un rival direct à l’emprise de la jeune femme. Nul doute qu’elle devait tremper dans quelques affaires peu glorieuses. Aussi avait-il décidé de mordre au moins pour montrer qu’il n’accepterait pas aussi facilement.

« Faire mon boulot, hein ? Parce que vous z’êtes pas cap’ de tenir quéques prêtres en laisse, c’est ça ? Les accords que vous avez directement avec moi vous concernent directement. Je ferme les yeux sur vos agissements en échange de vos billets. Par contre, vous êtes en train de me menacer, Donna … » Disait-il alors qu’il posait sa cigarette entre ses lèvres. Il restait un Policier. Au moins prétendre un instant que cela lui importait réellement. Mais il haussait déjà les épaules. Trouver un coupable serait peut-être encore plus facile si les Gangs se mettaient à les payer pour leur en servir un.

« J’vais voir pour enquêter sur vot’ fameuse Eglise. Mais pensez quand même pas que nous sommes vos chiens. Juste comme ça, si j’étais vous … » Après tout, un chien mal traité pouvait toujours se tourner contre son Maître et se mettre à le mordre lorsqu’il en avait assez de son traitement. Aujourd’hui, Sloan se rebellait. Demain, il pouvait fort bien orienter son investigation sur le comportement de la jeune femme. Même s’il était déjà bien trop tard pour se racheter une conscience.

L'air exaspéré sur le visage de Livia n'est ni feint ni retenu. C'est ce à quoi il faut s'attendre en venant négocier avec des subordonnés. En temps normal, elle se serait adressée aux têtes de départements mais, parfois, pour la discrétion, il faut flatter l'égo des petites mains. Un chef d'escouade, peut-être. Mais il ne paie pas de mine, ce Sloan. La bonne chose, c'est qu'il comprend vite comment elle fonctionne : ses demandes ne sont jamais conditionnelles, et sous entendent toujours une menace, dans le cas où il se montrerait trop résistant.

Sa question lui inspire même un petit rire. Lequel est bien vite interrompu par l'accusation par laquelle il sous entend son incompétence. Comme si la milice avait été capable de quoi que ce soit sur le territoire de Decay depuis plus de vingt ans. De son ton le plus mielleux et insupportablement charmant, elle reprend, le sourire aux lèvres. "Mes chiens ? Bien sûr que non. Les chiens sont toujours loyaux quand on les récompense. Vous n'êtes certainement pas des chiens." Reposant le gobelet de carton sur la table d'un geste dédaigneux, Livia se redresse sur sa chaise en observant la pièce. Vraiment pas de quoi se réjouir, l'humeur exécrable des miliciens travaillant au Checkpoint n'est absolument pas surprenante.

" Nos accords, c'est donnant-donnant. Et peut-être que vous n'avez pas conscience de ce que j'offre à votre petit paradis artificiel, mais un mot de ma part suffirait pour que vous soyez envahis par tous les résidus d'erreurs reproductives de ce bas monde. Ça comprend, entre autres, ces tarés de l'Église. Si vous voulez vous épargner une émeute par chez vous, en plus des meurtres potentiels, il faut savoir miser sur le bon cheval." Un soupir. "J'ai pour réputation d'être bien plus généreuse que vos supérieurs." Plus généreuse, moins magnanime, un choix qui s'assume aisément. Agacée par l'inconfort de la chaise dans laquelle elle ne parvient pas à se faire une place agréable, elle finit par se lever, préférant l'ascendant que lui offre la position debout.

" Je pense vraiment que vous me surestimez, vraiment. Je ne suis pas quelqu'un de sanguinaire, je ne fais pas tant de choses répréhensibles que ça." S'amuse-t-elle. "Et je suis très loin d'avoir peur pour ma survie avec toute cette histoire de Semaine Rouge." Un mensonge éhonté. Un storytelling dont elle essaie de se convaincre. De quelques pas lents, elle s'approche du milicien pour poser brièvement sa main sur son épaule. "Vous savez pourquoi j'ai choisi de vous rencontrer, vous ?" Une question probablement soulevée par sa famille elle-même, pour peu qu'ils soient au courant de ses agissements. "Vous êtes flexible. " Corruptible. "Efficace." Désespéré, probablement. Son manque de finesse est pardonnable. Retirant sa main, elle fait quelques pas en arrière pour sortir de l'intérieur de sa veste une flasque dont elle extrait quelques longue gorgées. "Croyez moi, on est faits pour s'entendre, et on a tous les deux quelque chose à gagner si vous me faites confiance."

Un frisson le parcourait, le long de son échine. La Donna n’était pas n’importe qui, il le savait. Elle avait de l’expérience au pouvoir, mais aussi dans les négociations et, il le sentait, il avait déjà perdu la main. Comme s’il abattu trop rapidement ses meilleures cartes tandis qu’elle n’était qu’au début de la partie. Il n’était pas exactement le plus fort au jeu des échecs et cela se ressentait soudainement dans sa stratégie. Il avait lamentablement échoué. Alors avait-il laissé sa tête tomber légèrement en arrière alors qu’il poussait un soupir. Autant s’avouer vaincu plutôt que d’être une risée. Fermant brièvement le regard, posant sa main sur son visage, il soufflait encore.

Le bon cheval, hein ? Il n’y en avait qu’un seul dans la présentation qu’elle faisait. Et ce n’était ni l’Eglise, ni la Milice. Elle payait mieux, comme elle le disait si bien et c’est vrai que cela aidait à bien arrondir les fins de mois compliquées, particulièrement dans sa situation difficile. Il jouait trop, dépensait tout. Aucune économie de côté qui le forçait essentiellement à dormir dans le divan en cuir de son bureau d’escouade. Une vie pourrie pour un personnage qui, dans son for, ne méritait peut-être pas mieux non plus. Alors qu’elle enlevait sa main de son épaule, il les haussait tandis qu’il se cherchait à son tour une place correcte sur sa chaise.

« Vous v’nez de mentir, Donna. », lâchait-il alors qu’il continuait de jouer all-in. Il n’avait guère d’autres choses à faire que de révéler chacune de ses cartes à chaque fois qu’il en piochait une nouvelle. « Si vous n’aviez pas peur pour vos miches, vous s’riez pas v’nue. Ce qui laisse deux possibilités. » Il se levait, tel l’Enquêteur qu’il restait au fond de lui. « Soit vous craignez réellement pour vot’ vie, c’qu’est ma première idée. Soit vous tentez de nous emmener sur une mauvaise piste, c’qui est moins probable. Vous auriez seulement payer quéques pontes pour qu’on détourne les yeux. » Il parlait à voix haute alors qu’il investiguait en même temps. Finalement posant ses doigts sous son menton, il continuait de réfléchir.

Il avait toujours eu plus facile de penser par lui-même, construire l’ensemble de l’édifice. Il n’avait pas encore toutes les réponses mais une question lui taraudait l’esprit. Pourquoi demandait-elle à la Milice d’agir dans Decay même ? Pourquoi n’agissait-elle pas par elle-même et frappait directement l’Eglise de l’Union ? Prenant une inspiration, se tournant finalement vers elle, le bras gauche croisé sur la poitrine tandis que le droit accompagnait un mouvement qui la pointait directement. « C’que j’comprends pas trop dans vot’ équation, c’est q’vous pourriez vous-mêmes agir mais vous ne l’faites pas. » Silence. Reprenant sa cigarette dans sa bouche, les sourcils froncés, ses yeux regardaient le sol, analysant un schéma qu’il exécutait dans sa tête. Quelque chose lui manquait dans tout ce schéma.

Pourquoi était-elle là, à lui causer, plutôt que de réunir les Chefs des Gangs pour frapper l’Eglise en plein cœur ? Quelque chose se passait actuellement à Decay …

« J’gagne quoi à vous faire confiance alors ? … »

Livia ne devrait pas être surprise. S'il est chef d'escouade dans ce département là, en particulier, c'est bien que Sloan n'est pas con. Corruptible, plein de défauts, probablement. Comme elle, finalement. Toute portée sur la bouteille qu'elle soit, ses neurones ne sont pas totalement grillés pour autant.

Mais sa clairvoyance est agaçante. Livia n'a pas la moindre envie de livrer ses états d'âmes profonds pour justifier sa décision. Son poing se serre autour de la flasque alors que ses ongles s'enfoncent légèrement dans le cuir qui l'enserre. Elle prend une longue inspiration pour calmer la colère qui monte. Qu'il se contente d'accepter la mission et qu'il la boucle. Ces Miliciens sont décidément de moins en moins respectueux envers la main qui les nourrit. L'idée de lui taper la tête sur la table est séduisante, mais peu productive.

"J'ai pas l'intention de mettre les miens à l'oeuvre quand il s'agit de votre travail." Et puis, elle a juré qu'elle trouverait une solution à tout ça, sans mettre en danger les Lombardi. Sa famille. Une loyauté indéfectible contre la protection. "Et puisque je n'ai pas l'intention de vous mettre des bâtons dans les roues, c'est une victoire facile. Je vous dis qui est responsable de tout ça, selon moi, et vous n'avez qu'à choper les responsable. Des récompenses et remerciements de vos supérieurs, tout ça …" Merde, c'est leur boulot à la fin. Livia pourrait descendre chacun des tarés de cette Église si elle le voulait. Elle aimerait le faire. Ces faux croyants qui jouent les sangsues dans son gang. "Vous pourriez aussi faire votre boulot et gagner quelque chose à le faire, par exemple." Le manque de zèle de certains l'agace. Il devrait s'agenouiller devant elle pour la remercier de le payer le double pour faire ce que son contrat de travail lui impose pour un salaire de misère, tout en lui offrant une piste de valeur.

" Peut-être même que dénicher les responsables de tout ça vous offrirait. Une sorte de pardon, peut-être ? Un confort ?" Qu'il est agaçant de devoir s'abaisser à négocier avec un type de ce genre, incapable de gérer sa vie - pour ce que les informations transmises soient exactes. Et si elles ne l'étaient pas ? Et s'il n'était pas si corruptible ?

Échangeant presque les rôles, l'italienne vient s'asseoir à moitié sur la table pour faire face à la chaise du milicien." Ce que vous gagnez, c'est de perdre moins de temps pour gagner plus d'argent. Déjà. Ca me semble être plutôt raisonnable. Ensuite, vous gagnez que j'en aie pas après vous. Peut-être même que je vous apprécierai." Elle fait une pause pour capter son regard, un petit sourire presque amical aux lèvres. "Croyez moi, c'est inestimable."

Pour la première fois, il sentit que la Marraine ne maîtrisait pas. Comme si le fait même qu’il investigue devant elle l’embêtait finalement. Il posait des questions qui dérangeaient, il le sentait bien. Devait-il encore insister pour obtenir un peu plus encore ? Il le savait au fond de lui, que ceci restait une mauvaise idée. Mais le joueur qu’il était aimait prendre des risques. Inconsidérés. Irréfléchis d’ailleurs. Il n’était pas question de gagner quoi que ce soit mais d’avoir, quelques instants, l’ascendant sur une Cheffe de Gang. Sentiment presque jouissif de prendre les devants dans une situation mal partie.

Prenant une longue inspiration, il poussait un soupir, laissant sortir de son corps quelques fumées de sa cigarette. « J’me trompe pas trop, c’est ça ? Juste à vot’ ton … » Tandis qu’il écrasait sa cigarette sur la table métallique, il tentait encore de tenir l’ascendant tant qu’il le pouvait. Aussi, continuait-il sur le même ton accusateur. « Vous êtes plutôt mauvaise quand on vous pose trop d’questions. » Voilà la faiblesse de la Donna, finalement. Lorsqu’on jouait constamment de façon agressive, elle perdait parfois pied, essentiellement quand l’autre, sans le savoir, maîtrisait ce qu’elle redoutait. La vérité. Elle avait peur pour elle. Ce pourquoi elle demandait finalement à la Milice d’intervenir. De la sorte, elle ne perdait pas d’hommes pour protéger ses propres fesses pendant qu’ils se jetaient dans une gueule prête à les accueillir.

Le Milicien ne pouvait s’empêcher de se demander qui tendait exactement le piège. Était-elle du complot pour plonger la Milice sous le feu des projecteurs ? Ou se montrait-elle néanmoins sincère ? Il avait déjà écarté la possibilité qu’elle était l’initiatrice de cette mauvaise semaine. Restait à connaître si elle serait une possible victime. Inspirant finalement, il reprit un ton plus calme et, tendant sa main, il lui lançait. « Deal ? On va dire que j’vous crois pour l’moment. J’enquête sur vot’ Eglise. »

Puis se mettant à rire pour lui-même, il lui parlait de façon plus détendue. « Finalement, une fois qu’on a compris, vous z’êtes pas si terrib’. », lâchait-il avec humour alors qu’il s’asseyait, croisant sa jambe gauche sur son genou droit. Définitivement, il n’avait plus peur. Prenant sa flasque vide, il tenta d’y boire quelques gouttes restées dans le fond. Et finalement de reprendre une autre cigarette pour fumer à son aise.

C'est qu'il a le chic pour taper dans l'évidence ou, pire, trouver les mots qu'il faut pour éveiller les tensions. L'air profondément déçue, Livia observe le milicien avec un peu plus d'attention qu'elle ne lui accordait auparavant. Certes, il est moins con que la moyenne de ses collègues, sans doute la raison pour laquelle il a quelques responsabilités. Mais bon sang, si elle n'avait pas besoin de lui, lui remettre la mâchoire en place pour qu'il cesse de l'ouvrir serait une issue salutaire à cette rencontre.

Mais voilà, la Donna n'a pas pris la peine de se déplacer jusque là pour rien. Il lui est utile, ou le sera pourvu qu'il fasse son travail. Alors elle lève un sourcil, laisse échapper un long soupir sans ajouter un mot de plus à son commentaire sur son caractère. Saisir la main qu'il lui tend est sans doute plus salutaire et conclut leur affaire, c'est pourquoi elle le fait - retenant tout de même son empressement. Sa main est chaude, elle n'aime pas ça. Heureusement qu'elle porte ses gants sans doigts, laissant ses extrémités froides le toucher sans gêne.  "C'est donc là ma réputation ?" Commence-t-elle en retirant sa main.  "Il vous en faut peu, dans vos contrées, si on me considère comme terrible."

Livia s'apprête à ajouter une nouvelle saillie lorsqu'elle est interrompue par un grand bruit. Quelqu'un tambourine à la porte et une voix féminine mais rauque brise le silence à peine installé. "Il y a quelqu'un là dedans ? On a un code rouge ! Vite ! Ouvrez !" A peine cesse-t-elle de frapper qu'une alarme se met à retentir, bruyante, dans les locaux. A en croire l'écho, ce n'est pas un coup de bluff ou de pression, ni même un coup monté : tout le checkpoint est en alerte, jusque dans ses locaux les moins entretenus. Agacée, Livia porte ses paumes à ses oreilles.  "Putain vous faites pas dans la dentelle par ici. C'est quoi ce bordel ?" Lance-t-elle à Sloan qui n'en sait peut-être pas plus qu'elle.

Impatiente, elle ouvre brusquement la porte pour se retrouver nez à nez avec une bleue de la Milice. Elle est plutôt grande et bien bâtie, ses cheveux courts témoignant d'un goût pour le pratique plus que pour l'élégant. Son nom, inscrit sur un label de tissu cousu sur sa tenue, est russe et imprononçable. D'où le surnom qui arrive.  "Ok, Slava, c'est quoi le problème ? Crache, j'ai pas toute la journée."  

Interdite, elle n'ose ouvrir la bouche. "Mais allez ! Bouge !" Comme secouée par le cri de l'italienne, elle finit enfin par répondre. "Il y a eu une attaque, plusieurs morts à Neo, on doit boucler le checkpoint jusqu'à nouvel ordre et renvoyer à Decay tous les détenus provisoires. Mon-monsieur ?" Son regard indécis semble se perdre en direction de Sloan. Livia l'accompagne. "Eh bien. J'imagine que c'est une motivation de plus ?"

Mais. Putain. De. Merde. Qu’est-ce qu’il avait bien foutu au Bon Dieu pour mériter tout ce mal ? Comme s’il avait pioché une mauvaise carte au Poker juste après un all-in de champion. Un coup de maître qui se trouvait être un coup d’épée dans l’eau. A peine venait-il de conclure un deal avec la Donna qu’une alarme venait lui éclater les tympans ? Comme par hasard. « Un cod’ rouge, huh ? … Shit … » Cela puait sacrément la merde. Il fallait que cela tombe exactement au moment où il rencontrait la Marraine de la Mafia. Poussant un soupir, il bousculait légèrement la Donna pour se faire une place à l’extérieur, attrapant au passant la radio attachée à la veste de la Milicienne, encore choquée de ce qui se passait.

« Hi, somebody ? Fuck. » Personne pour lui répondre. Evidemment. Il jetait la radio au sol qui s’écrasait violemment en plusieurs morceaux, sous les yeux effarés de la jeune Slave qui n’y comprenait sûrement rien. Il détestait cette situation. Un code rouge signifiait qu’un meurtre avait eu lieu sur le territoire de Neo-Atlantis. Un crime. Du mauvais côté du pont. Qu’est-ce qui s’était passé pour en arriver là ? Était-ce lié à cette fameuse Semaine Rouge que les réseaux sociaux affichaient à tout instant, questionnant alors la Milice ? « Mais … Putain … Coupez-moi, c’te mert’ d’alarme ! », hurlait-il. Cela allait lui retomber en pleine gueule. Définitivement le genre de conneries qu’il n’avait pas besoin maintenant. D’un mouvement rapide, son esprit se mettait à œuvre dans le même temps, il prit une nouvelle sécurité qu’il accrochait à ses lèvres, l’allumant de façon systématique de la main gauche.

Il devait réfléchir. Vite. Bien. Tant pis pour les gens qui commençaient à demander ce qui se passait. « Fermez-moi les barrières. Now ! Qu’chacun rest’ du côté d’Decay. Pas de laisser-passer. » Pas le choix. Peu importe qu’ils viennent de Decay ou de Neo-Atlantis, plus personne ne rentrerait jusqu’à nouvel ordre. Personne n’entrerait ni ne sortirait, en vérité. Car les portes resteraient fermées jusqu’à nouvel ordre. Outrepassant son autorité de Chef d’Escouade, plutôt spécialisé dans les Enquêtes et les Cybercrimes, il continuait sur le même ton. « Et avertissez nos hommes. Ils tirent à vue si un seul con essaie de se croire intelligent. » Puis jetant la cigarette à moitié entamée, jetant un coup d’œil aux tours de guet qui s’affûtaient d’hommes d’élite prêts à faire feu, il s’approchait de la Donna.

« Donna. A word. Now. », lâchait-il alors qu’il ouvrait à nouveau la porte de la petite salle miteuse. « Vous allez m’parler d’coïncidence, c’est ça ? » Il tapait du poing sur la table. « My fucking ass ! » Il n’y croyait pas un seul instant. Elle lui demandait un rendez-vous et c’était à cet exact moment qu’un de ses hommes commettait un crime sur le territoire de Neo-Atlantis. Impossible. Cela n’était jamais encore arrivé.

« Chef. », osait dire la jeune Slave qui ouvrait à nouveau la porte. Elle tendait une nouvelle radio. « Ils parlent d’un crime dans le Quartier Huppé. Les Unités sont déployées. » Alors qu’il approchait son oreille pour écouter ce qui se disait, il jetait un coup d’œil à la foule amassée depuis les grandes portes fermées. Il y allait avoir des émeutes bientôt. Et la Marraine qui se trouvait en ces lieux n’était pas non plus pour le rassurer. Lui qui espérait se faire dûment graisser la patte, il fallait encore que cela lui tombe sur le dos. Idée à la con que d’être un Milicien ripou, quand même.