[T1 : Speed-Dating] Première rencontre.

[T1 : SPEED-DATING] PREMIÈRE RENCONTRE
♫ K.K. Cruisin ♪


Depuis combien de temps n’était-elle pas revenue à Chicago ? Bien des années. Et de ses nombreux jours à grandir ici, elle n’avait que très peu mis les pieds à Red Light, réputé pour sa dangerosité. Ce n’était finalement pas si mal d’être en compagnie d’Akemi et Usui, ce soir : cela rendait leur venue plus sûre. Pour autant Ryuuko sentait une pression sur ses épaules : son boss ravirait tous les cœurs, c’était certain. Et quand bien même leurs goûts étaient opposés, la shatei voulait faire honneur à son patron : elle avait révisé une bonne partie de la journée. Sites, livres, magazines : tout article expliquant comment draguer et flirter avait gagné son attention. La yakuza savait très bien que ce n’était pas son point fort.

Le geste paternel d’Akemi sur sa coiffure pourtant impeccable l’embarrassa mais elle ne dit rien ; l’instant d’après Ryuuko cherchait sa table. Elle ressemblait, comme d’habitude et volontairement, à un homme : sa coupe courte et ses traits asiatiques favorisaient un air androgyne. La femme portait aussi un costume masculin bleu nuit strié de discrètes rayures. Le tissu avait l’air suffisamment chic pour paraître cher. Sa veste était boutonnée au milieu, laissant apparaître un gilet élégant par-dessus une chemise du même ton que le reste. La seule couleur apparente venait de sa cravate au motif léopard et de ses lunettes teintées rouges ; oui, en intérieur. Le style avant la cohérence, davantage avec les intestins noués d’angoisse.

Un, deux… Six, huit… Puis Dix. La dixième table. Ryuuko resta un instant béate, clignant des yeux en observant une femme au joli minois, mais bizarrement costumée. Elle avait l’air d’une sorte de kyûbi. La yakuza trouva cela étrange mais garda cet avis pour elle, ne souhaitant pas juger à l’apparence ; où plutôt, se satisfaisant des belles épaules nues de l’étrangères. Elle semblait occupée à arranger ses neufs queues, aussi Ryuuko avertit de sa présence poliment en éclaircissant sa gorge. Puis, une fois leurs regards captés, elle s’inclina très légèrement avec un sourire de façade :

« Bonsoir. »

Elle s’assit sans détourner son regard. Le fessier bien ancré dans sa chaise peu confortable, elle retira enfin ses lunettes pour offrir un regard aimable, quoique stressé, à l’inconnue.

« Vous pouvez m’appelez Ryuuji. » Attendant quelques instants que la dame soit à l’aise pour poser des questions, elle enchaîna en plaisantant : « J’ai l’impression que vous sortez tout droit du folklore de mon pays. Seriez-vous un kyûbi kitsune venu vous jouer de moi ? »

Curieuse approche pour une femme piégeant d’autres femmes en se déguisant en homme...

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Ryuuko haussa involontairement un sourcil. La femme face à elle ne semblait pas d’humeur à lui adresser la parole. Où était-elle muette, peut-être ? En tous les cas la yakuza ne pouvait oublier le doux rire qu’elle lui avait offert. La shatei avait rougit et baissé les yeux, par réflexe. Lorsqu’elle redressa la tête elle constata que l’autre japonaise écrivait dans un calepin qu’elle lui tendit ensuite. Lisant avec minutie chaque mot la shatei sourit tout d’abord, avant se raidir d’un seul coup en survolant la dernière phrase.

Porter un déguisement ? Comment ça ? Oh, non, Ryuuko pouvait déjà sentir la goutte de sueur perler le long de son échine. Ses tripes se tordirent un peu plus et ses mains se serrèrent l’une contre l’autre sur ses genoux. Ne flanche pas, Ryuuko ! pensa-t-elle en se rasseyant dans son siège avec un sourire poli teinté d’angoisse.

« Quel déguisement ? » Elle laissa s’échapper un rire jaune d’entre ses lèvres tremblantes. « Mes vêtements vous paraissent si étranges ? Ou mes lunettes ? » Elle commençait à parler vite pour contrer son malaise. « On m’a déjà dit que j’avais des goûts datés alors peut-être hahaha... »

Elle s’arrêta net de parler et pinça ses lèvres. Ses yeux ronds étaient rivés sur la table pour noyer son embarras. Mais ce n’était pas bon ! Plusieurs sites parlaient de l’importance du contact visuel… Ryuuko se risqua donc à lever son regard contrit sur la belle femme.

« Vous jouez-vous finalement de moi, Minoru-san ? »

Ryuuko espérait fort à une plaisanterie dont le sens lui aurait échappé. Tentant d’échapper au puits de désespoir dans lequel elle manquait de sombrer, s’accrochant d’une seule main au rebord humide des pierres polies, la yakuza changea de sujet avec peu d’assurance dans sa voix feutrée :

« E-Et donc, Minoru-san, v-vous… Vous aimez les costumes ? Du cosplay peut-être ? » Un compliment, un compliment ! KissMag l’avait bien spécifié ! « V-Vous avez l’air aussi douée que belle, en tout cas, hahaha... »

Cela aurait probablement été mieux sans ce rire terrifié.

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Ses joues n’en finissaient plus de roussir sous le contact de la douce peau de Minoru, ses mains sur la sienne. Cela n’aidait pas Ryuuko à articuler correctement, le cœur emballé comme un jouvenceau à sa première caresse. Elle retint un soupir de satisfaction lorsque l’autre japonaise lui lâcha la main ; elle put reprendre son souffle malgré un air interdit sur son visage qui devint rapidement circonspect. La yakuza observa Minoru défaire sa cravate sans rien dire, bien trop occupée à garder une sorte de contenance. Elle se mordait la lèvre inférieure et tout son corps était raide. La kitsune était si proche ! Trop proche ! Quand la créature mystique enfin se rassit, Ryuuko expira un souffle étouffé, les yeux rivés sur la table. C’était bien trop intense pour une première rencontre ! Elle haussa un sourcil en constatant que Minoru avait attaché sa cravate sur l’une de ses queues. Pour quelle raison avait-elle fait ça ? Elle espérait pouvoir récupérer sa cravate plus tard.

Ryuuko passa d’un air dubitatif à indisposé. Il était fort malpoli d’être sur son téléphone en pleine conversation. Elle jeta un œil rapide à sa montre ; il restait si peu de temps, en plus ! Était-elle si ennuyeuse ? Les expressions de la shatei ne cessaient de changer et cette fois-ci, malgré une maîtrise d’elle-même, son regard ennuyé avait quelque chose d’abattu également. Pourtant, lorsque du téléphone sortit une petite voix féminine à l’accent japonais, Ryuuko se dit qu’elle avait peut-être mal jugé son interlocutrice. Les yeux ronds d’abord, ses lèvres s’étirèrent en un sourire aux erreurs de prononciation du lecteur. La yakuza sourit à Minoru avec douceur.

« Il n’y a pas de mal. Je m’embarasse d’un rien, je le sais bien. » Puis, une surprise sincère. « Prothésiste ? Wouah, ce n’est pas le métier de monsieur tout le monde ! »

La femme était clairement impressionnée. En plus d’être jolie, Minoru devait être intelligente. Elle aurait voulu lui dire, mais elle craignait que ce soit trop tôt : une cascade de compliments les rendaient superficiels. Howtoflirt.com le lui avait appris plus tôt dans la journée. De toute façon elle n’en aurait pas eu le temps : Minoru frappa la première. Frapper était le bon terme tant Ryuuko écarquilla les yeux. Elle entrouvrit la bouche de surprise sans qu’aucun mot intelligible n’en sorte. Elle balbutia un peu, sembla chercher quoi répondre avec un air paniqué bien qu’elle resta calme en restant immobile.

« M-Merci. » répondit-elle simplement avec un sourire aussi gêné qu’adorable, ses yeux se posant timidement sur le regard de la jeune femme. « V-Vous avez donc deux métiers, Minoru-san. Vous devez être bien occupée. Avez-vous quelques passe-temps en parallèle ? »

Ryuuko se félicitait de parvenir à suivre les lignes directrices de la soirée. Elles n’avaient que peu de temps pour se connaître après tout : cette cloche pouvait sonner à tout moment pour les séparer.

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Son pouls semblait reprendre un rythme normal et son coeur s’apaiser des montagnes russes émotionnelles qu’elle traversait depuis quelques minutes. Ryuuko fut une fois de plus amusée de la voix artificielle s’échappant du téléphone. Elle laissa s’échapper un léger rire par delà des lèvres souriantes.

« Vos métiers sont votre passion, donc ! C’est remarquable, selon mon humble opinion. »

Elle avait envie de demander pourquoi Minoru ne parlait pas, s’il s’agissait d’un handicap ou quoi que ce soit d’autre. La question serait probablement déplacée. Dans le fond de sa tête perverse, et parce qu’elle n’était venue à la soirée que pour ce but, la yakuza se demandait également si elle était capable de gémir, tout de même. Ce simple songe empourpra ses joues et la femme baissa la tête un instant, balbutiant quelques mots d’un air distrait :

« O-oh et bien, je, mon travail est parfois difficile, voire dangereux, mais il est gratifiant. » Elle se gratta l’arrière du crâne en offrant un air navrée à son interlocutrice. « J’ai honte de l’avouer, mais je me dis parfois que n’importe quel boulot aurait pu faire l’affaire, tant que je peux m’y dévouer à 100% et être reconnue pour mon dur labeur. » Elle ponctua sa phrase d’un rictus gêné et joignit ses deux mains sur la table. Ses épaules semblaient enfin détendues. « En terme de passe-temps, j’en ai deux… Le premier est moins adorable que le second. » Elle pouvait sentir ses mains devenir moites tant elle angoissait. « J’aime boire des alcools forts, et je suis passionnée par mon poisson rouge. Et les carpes koi. »

Ryuuko devint un peu plus pâle. N’avait-elle pas fait un faux-pas ? Le stress la faisait parler vite sans réfléchir et elle avait oublier d’appliquer les conseils qu’on lui avait donné : mentir sur ses passe-temps. Pour un coup d’un soir il était inutile d’être franc car la fin justifiait les moyens ; c’est en tout cas ce que myfirstnight.com suggérait. N’allait-elle pas passer pour un exécrable looser ? Le corps de Ryuuko était de nouveau tout raide et elle hésita sur quoi dire, comment se rattraper. Une silence passa, puis une autre, avant que paniquée la shatei ne sorte à toute vitesse la première chose qui lui passe par la tête :

« Vous êtes venue chercher l’amour ou une aventure éphémère ? »

Une franchise aussitôt regrettée. Ryuuko demeura rigide, ses mains moites serrées l’une contre l’autre sur la table. Quelle idiote pensait-elle en baissant lentement ses yeux trémulants sur la petite bougie éteinte au milieu d’elles deux.

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Minoru se mit à rire suffisamment fort pour quelques regards se tournent vers le duo. Ryuuko pinça davantage ses lèvres asséchées de silence, ses yeux arrondis de désarroi rivés sur ses mains. Elle avait la sensation d’être transpercée d’un millier de lances sur tous les angles de son corps. Inspirant profondément, elle invoqua son courage pour croiser quelques regards amusés. Elle remarqua du même temps son patron faire l’accolade à un autre homme.

Ha…
Elle avait envie de l’accolade d’une jolie fille, elle !

L’interlocutrice de la yakuza ne semblait manquer ni de patience ni de compassion, complimentant une fois de plus l’énergumène face à elle.

« A-Adorable, moi ? » Ryuuko eut un air ennuyé. « Vous vous moquez encore de moi ! »

Ce n’était pas un reproche pour autant. Qu’il soit faux ou non, le compliment la touchait droit au coeur : rare étaient les japonais satisfaisaient d’être qualifiés d’adorable. Mais elle, derrière son déguisement, était une femme. Elle trouvait ça adorable qu’on la trouve adorable. Ce qui la paniquait davantage, par ailleurs : son souffle était erratique, son corps tendu, ses mots débités à toute vitesse. Elle ne réfléchit pas vraiment en commandant la même chose que Minoru, trop distraite par ses propres pensées avant de poser la question la moins délicate de la soirée. Cela pouvait s’avérer un piège : que faire si elle cherchait le grand amour ?

Ryuuko lâcha un soupir de soulagement à la réponse de Minoru. Rien de particulier, alors. Le répit fut néanmoins de courte pause : la yakuza dû retenir son souffle une nouvelle fois. Elle était pris en otage.

« E-Euh, je… »

Elle était envoûtée. Incapable d’échapper au regard exquis de Minoru, ses pupilles trémulantes plongés dans la couleur profonde de ses iris. Cela l’affola plus encore. Ses mains tremblotaient autant que sa voix chevrotait d’hésitation. Elle aurait pu mentir quant à ses attentes de la soirée. Mais sur ce point, les articles de blog, magazines, les vidéos youtubes n’étaient pas d’accord. Minoru avait été sincère, elle.

Ryuuko ferma les yeux et inspira lentement pour se calmer. Plus composée elle put enfin répondre :

« Pour être tout à fait honnête avec vous, je n’ai jamais connu le vrai amour, alors je n’y crois pas vraiment. Ce n’est pas tant que je crains de ne plus être libre…  »

Il fallait faire confiance pour aimer, et être aimé en retour. Comment une femme en piégeant d’autres en se déguisant en homme pouvait trouver l’âme soeur ? Ryuuko eut un sourire un peu triste, les yeux pleurards malgré une douceur sincère sur ses traits.

« Je préfère m’amuser. Mais qui sait : certaines aventures deviennent de belles histoires. D’amitié ou d’amour. »

D’amitié uniquement sur son cas, et ces personnes là se comptaient sur les doigts d’une main. Elle attrapa son verre de whisky fraîchement apporté et plongea son regard dedans. La soirée allait être longue.