Ses yeux rivés sur le liquide ambré détaillaient le visage de l'angoisse caché sous les traits de l'indifférence qui s'y reflétait. Akemi avait passé la soirée au bar, silencieux et le regard vide dans son costume un peu trop grand pour lui dont il avait dénoué la cravate qu'il n'avait jamais su faire. "Finalement, tu n'es qu'une pute", lui avait dit un de ses collègues tandis qu'ils repartaient de chez l'Oyabun. Le regard froid de l'autre Yakuza l'avait comme déshabillé et il s'était soudain senti affreusement sale, détournant la tête sans rien dire. Le chef du clan avait eu la bonté de décider qu'il était plus victime que complice des exactions de son père mais Akemi ne l'entendait pas ainsi, bien qu'il savait qu'il ne fallait pas renier la bonté d'un Oyabun. Être une victime était tout aussi déshonorant qu'être un complice pour lui et il avait subi d'autres regards et brimades dans la soirée, alors qu'il s'était rendu au 99 Nights, tant et si bien qu'il s'était tout simplement claquemuré dans le plus parfait mutisme. Il n'avait pris qu'un verre de whisky de toute la soirée mais seule sa pâleur attestait de son trouble ; pour le reste, il n'était qu'un jeune homme silencieux, aux traits trop féminins pour ce monde d'hommes, le visage encadré de cheveux trop longs.
Les mots du vieux Saiki-komon de l'autre clan martelaient parfois ses tempes comme pour faire de lui le coupable principal de cette prostitution pourtant forcée qui jetait à présent l’opprobre sur toute sa famille. Peut-être devrait-il choisir de se faire seppuku pour mourir au moins dignement. Le jeune Yakuza releva le nez du son verre pour croiser le regard d'un de ses collèges. C'était une mauvaise idée d'être ici, et il le savait. Mais où aller d'autre ? Il n'avait pas vraiment réfléchi. Qu'allait-il dire à Lex si ce dernier le croisait ? La tête d'Akemi était vide et il ne désirait que boire pour ne plus penser. Sa chemise l'étouffait et il ouvrit un bouton, tout en craignant qu'on le regarde faire. Seule une mort honorable pourrait racheter sa faiblesse de n'avoir su se défendre. "C'est ta faute, tu es plus beau que les filles", lui avait dit un des hommes auquel son paternel l'avait offert en échange de faveurs. "C'est ta faute", se disait-il aussi. Il pensa soudainement à cet ami qu'il s'était fait et qui a présent était comme un frère. Maintenant que tout le monde savait la vérité, il allait souiller l'image de Lex. Et c'était la pire chose qui pouvait se passer ; il se conforta dans l'idée que le seppuku était la seule solution, pour lui mais aussi pour la réputation de son meilleur ami qu'il ne voulait pas salir.
Il avala le fond de son verre sans ciller, son idée funeste se formant dans son esprit. Un homme doit savoir mourir honorablement s'il ne peut vivre que dans le déshonneur. Il saisit son nom dans une conversation non loin du bar : deux Yakuza le fixaient avec un air méprisant auquel il n'offrit qu'un sourire un peu creux, sa joie vide comme égide au jugement des autres. Un des hommes grogna sous cape, dégoûtée par son air faussement goguenard. En réalité Akemi se battait pour ne pas devenir fou. Passé minuit, et trois verres de Nikka plus tard, son esprit était suffisamment engourdi pour qu'il décide de se lever et quitter le bar, pris de fatigue morale plus que physique. Akemi enfila sa veste et ramena ses longs cheveux en une queue de cheval. Il marcha vers la sortie, esquivant un homme qui allait lui rentrer dedans en essayant d'éviter son regard.
"C'est vrai que tu ressembles vraiment à une femme", lui dit l'inconnu, "t'aimais bien faire la pute, Mishima-san ?"
Akemi ne répondit qu'un sourire fatigué et essaya de partir sans faire de vagues, se faisant retenir par le bras.
"T'es la honte des Yakuza. T'es même pas un homme, t'es juste une salope."
Le jeune homme sentit la colère trembler le long de son échine en une ondulation douloureuse, ordonnant à son corps une violence qui ne vint jamais. Les blessures faites à son honneur étaient déjà ancrée en lui si bien que les mots ne le touchaient plus.
"Ne t'abaisses pas à nous faire remarquer, s'il te plait", dit-il doucement, se dégageant sans violence de l'étreinte de l'autre yakuza, "ça n'en vaut pas la peine."
Le Yakuza regarda le jeune homme un moment, mit à quia par la neutralité de sa réaction. Ce n'était pas qu'Akemi se soumettait, mais simplement qu'il trouvait les querelles vulgaires. On ne l'avait jamais vu se battre ou même se mettre en colère et ce n'était pas aujourd'hui qu'il allait se donner en spectacle. Il voulait simplement rentrer chez lui, espérant ne pas croiser Lex sur la route. Dépassant son agresseur sans plus rien dire, il remarqua que la porte du bar s'était ouverte sur celui qu'il voulait éviter ce soir, mais dont la présence était la plus requise qui soit. Doux paradoxe. Depuis combien de temps était-il là ? Akemi ne sut quoi dire à son meilleur ami et préféra baiser les yeux pour esquiver son regard, honteux sans trop savoir pourquoi. Il savait pourquoi : il se sentait trop sale à présent pour rester en présence de son frère de cœur. Lex, comme les autres, savait à présent ce secret qui avait éclaté et le couvrait de honte. Akemi ne voulait pas sentir son regard ; pas ce soir.
"Bonsoir, aniki*...", dit-il en lui souriant gentiment. Il chercha ses mots et un seul lui vint tandis qu'il essaya de le dépasser pour partir : "... pardon."
C'est de ta faute. Tu ne mérites pas d'être son ami. Tu n'as pas su te défendre. Tu n'es pas un homme.
Voilà les pensées qui l'aliénaient tandis qu'il voulut partir ; mais il savait que Lex ne le lui permettrait pas.
(Aniki : grand-frère, utilisé par un Yakuza plus jeune envers un plus âgé pour témoigner le respect tout en gardant une notion de hiérarchie.)
No more secretsWhere there is anger there is always pain underneath.
Lex était exténué, une mission plus longue et fastidieuse que prévu. Une simple tête à abattre était devenue une chasse à l'homme dans tout Decay. 3 jours, il a fallut 3 jours à Lex pour pister et dénicher le type qu’on lui avait dit d’éliminer. Un proxénète qui avait cru bon de venir empiéter sur le territoire des Minobe. C’est tâché de sang et sale que l’exécuteur était retourné chez lui, dans le domaine familial, auprès de son père adoptif pour rendre compte du succès de sa mission. Des cernes sous les yeux, quelques pansements et bandages rudimentaires, il s’incline face à l’Oyabun dans tout le respect que la tradition japonaise le demande, faisant donc son rapport. La procédure terminée, le grand brun se redresse, posant son regard sur l’ancien. Sa mine préoccupée et son air soucieux ne lui échappe pas. Il hésite un instant, profitant d’être seul à seul pour se faire moins formelle, inquiet.
« Quelque chose ne va pas, Minobe-san ?
- Ton absence a été longue Lex, beaucoup de choses se sont produites ici…
- A votre visage, ce doit être grave… Est-ce que je peux aider ?
- Il s’agit de la famille Mishima. »
L’inquiétude jusqu’alors tapis dans son cœur vient déborder sur son visage, prenant possession de celui-ci. Ses pensées se tournent tout de suite vers celui qu’il considère aujourd’hui comme son propre frère, pour vue qu’il ne te soit rien arrivé… Quoi qu’il aurait probablement préféré que ce soit le cas. Oui, il aurait préféré que tu te sois battu corps et âme au point d’en engager ton pronostique vital plutôt que d’avoir vécu et de vivre un tel déshonneur. Il n’en est pas juge, loin de lui cette idée, tout ce qui l’inquiète ce sont les autres et toi-même. Ce que tu vas devoir subir à partir de maintenant. Les regards, le jugement, être pointé du doigt, moqué, rabaissé, déshonoré, abusé, humilié… Et le reste. Ton état d’esprit… Ce que tu penses, la solution toute trouvée que tu vas probablement choisir. Ça ne doit pas arriver, Lex ne l’accepterait pas, c’est hors de question.
Il s’excuse, s’incline à nouveau puis tourne les talons pour sortir précipitamment de la maison. Dehors il pleut à verse, mais ça ne l’arrête pas, ça ne fait que glisser sur lui, effaçant au passage les gouttes de sang restantes sur son visage, étendant les tâches rougeâtres sur ses vêtements sales et abîmés. Les trois jours passés à poursuivre un fantôme ont comme disparu, il court comme si la vie lui en coûtait, bien que celle en jeu ne soit pas la sienne. Il ne tarde pas à rejoindre le 99 Nights, il sait qu’il te trouvera là-bas, il sait que c’est ici que tu es probablement venu te réfugier pour boire avant de commettre ton dernier acte. Il enfoncerait presque la porte si la fatigue et la bienséance ne l’en avait pas dissuadé. Sait-on jamais que quelques clients soient là. Paradoxale lorsqu’on est à moitié tâché de sang et qu’on est trempé de pluie et de sueur. Mah, ce n’est pas comme si voir un homme ensanglanté n’était pas courant dans cette ville pourrie jusqu’à la moelle.
Il reprend son souffle alors qu’il se dirige vers la porte de l’arrière salle, pénétrant à l’intérieur alors qu’il entendait déjà la voix d’un de ses hommes, ainsi que des mots que celui-ci n’aurait probablement jamais dû prononcer. Il reste devant la porte, patient alors qu’il bouillonne littéralement de l’intérieur. Cet homme peut-il seulement imaginer ce que l’on ressent lorsqu’on se retrouve forcé à la prostitution ? Sait-il seulement ce que ça fait d’être pris de force ? Peut-il seulement concevoir le nombre incalculable d’accessoires et de méthodes possibles pour restreindre un être humain à de tels actes ? Il serre les poings à s’en faire saigner les paumes. Non, bien évidemment que non, il ne peut rien imaginer de tout ça. Le regard que tu poses sur son visage déchire quelque chose en lui. Et en plus tu demandes pardon… Akemi, si seulement tu savais. Pourtant il ne te regarde pas, ses yeux assassinent l’autre homme tandis que tu le dépasses. Il ne dit rien, ne te regarde pas mais saisit ton bras fermement, arrêtant ta tentative de fuite.
« Tu restes ici. »
Il est ferme, presque trop. Tu sens à sa poigne qu’il va pas tarder à exploser. C’est la dernière fois que tu le fuis du regard, que tu le fuis tout court. Mais avant ça… Il relâche doucement ton bras puis avance lourdement vers l’homme qu’il n’a pas quitter des yeux. Celui-ci recule en blêmissant avant que Lex ne le saisisse au col, resserrant peu à peu sa prise sur le vêtement.
« Et toi ? T’aimerais faire la pute ? T’en ferais une sacrée belle, de salope… Oh tu n’arrives plus à respirer peut-être ? Est-ce que tu aimes ? Sentir ma main sur ton cou, qui serre et se resserre… Et là, tu sens ? La vue trouble, tes forces qui t’échappent, la peur dans tes entrailles... »
Il se précipite vers le mur pour venir y plaquer l’homme avec violence, si brutalement qu’il en vient à se presser contre lui. Il ne serre plus son cou, mais c’est tout son corps qui comprime le sien, tant et si bien qu’il parvient à peine à reprendre son souffle.
« Et ça tu aimes ? La pression corporelle d’un homme qui t’opprime sans que tu ne puisses y faire quoi que ce soit ? »
Il le saisit à nouveau avant de le jeter par terre, sur le ventre. Il frappe dedans du pied, sans ménagement, avant de poser son genou entre ses épaules, agrippant ses cheveux pour tirer brusquement sa tête en arrière. Puis il se penche, lentement, approchant sa bouche de son oreille pour murmurer.
« Pourquoi tu ne te défends pas ? Tu pourrais non ? Tes poignets ne sont pas liés. C'est parce que je suis ton supérieur ? Et là, tu aimes ce que tu vis ? »
Il rejette la tête du pauvre homme qui vient percuter le sol à nouveau. Un silence glauque s’est installé, personne n’agit, tout le monde se tait. Lex se redresse, essoufflé. Il pourrait s’effondrer d’une minute à l’autre, pourtant il se tourne vers le peu de personnes présentes, interpelle du regard, la mine rageuse et les poings serrés.
« QUELQU’UN A ENCORE QUELQUE CHOSE A DIRE !? »
Il reprend son souffle dans ce silence morbide, déglutissant avant de reposer son regard sur toi. Il est en colère, profondément en colère, mais pas contre toi. Tu n’aurais pas dû avoir à subir ça… Et lui n’a rien vu. Strictement rien vu… Coupable. C’est ce qu’il est alors qu’il te regard en serrant les dents. Ce genre de choses… laissent des marques, tant mentales que physiques, il ne le sait que trop bien. Alors pourquoi n’a-t-il rien vu ? Ça le bouffe. Il prend une grande inspiration puis se redresse totalement. Merde… Il saigne à nouveau maintenant, c’est malin. Est-ce que ça valait vraiment le coup de rouvrir ses plaies pour ça, au sens litéral comme au sens figuré ? Oui, probablement, pour lui en tout cas. Il a perdu les pédales c’est certain, ça faisait longtemps tiens… Si la douleur et la fatigue ne l’avaient pas restreint, il aurait continué de se déchaîner. Pourtant il reste droit, fait fi de sa blessure par balle sur son flan gauche et te lance un regard qui t’indiques de le suivre. Il se tourne vers la porte du fond pour rejoindre ses appartements, marchant lentement.
« Occupez-vous de lui et rentrez chez vous... »
Siffle-t-il au reste de l’assemblée. Il tourne la poignet et une fois de l’autre côté avec toi, il referme la porte. Derrière celle-ci, des escaliers qui mènent au premier étage, chez lui. Il se tient les côtes mais grimpe les marches sans dire un mot et ce, jusqu’à ce que vous soyez à l’intérieur de son appartement. La porte tout juste refermée, il s’effondre sur le canapé dans un soupire douloureux, les yeux clos. Un ange passe avant qu’il ne les rouvre, posant son regard sur toi, la mine mi coupable mi rageuse.
« Je sais. J’avais pas besoin de faire ça… Je sais aussi c’que tu penses et je te l’interdis, tu m’entends !? »
Grogne-t-il, le regard sérieux et ferme. Seppuku... Une tradition triviale encore bien trop ancré à son goût. Il connaît ton respect et ta fascination pour tout ce pan historique et traditionnel de la culture Yakuza, impossible que tu n’y aies pas songé, ne serait-ce qu’un peu. Il serre les dents, il faudrait peut-être qu’il songe à soigner sa blessure, ça serait pas du luxe… Mais une chose à la fois.
« T’avais pas à t’excuser. C’est… Plutôt moi qui devrait. J’ai rien vu et j’aurais dû, je sais ce que ça donne. J’peux même pas te reprocher de pas m’en avoir parlé... »
Il soupire doucement avant de te regarder à nouveau, déglutissant.
« Tu n’dis rien…? »
Devant lui, Lex est couvert de sang mais cela ne l’étonne pas. Decay était une ville brutale qui n'offrait rien de plus que du sang et des larmes. Akemi le regarda un instant, se sentant maigre et fragile dans l'ombre de ce colosse qu'il admirait tant. mais ce soir, il n'y avait pas de sourire de façade, pas de plaisanterie un peu fourbe pour parler d'autre chose. En face du Yakuza, il n'y avait rien qu'autre qu'une sorte de fantôme éthéré, un Akemi vidé de sa substance, de sa superbe. Ses yeux atones posés sur Lex ne le regardaient pas vraiment, comme s'ils cherchaient à fuir en regardant au travers de l'homme aimé pour oublier sa présence. Le destiné était bien ironique, de se retrouver ce soir en face de celui-même qu'il voulait éviter. Son corps réagit tout seul à l'ordre donné, cessant son mouvement pour se figer avec docilité. Un instant, Akemi ouvrit la bouche sur une phrase qui ne vint jamais, avorté au seuil de ses lèvres asséchées par l'angoisse. Ce n'était pas nécessaire... il se sentit mal alors que Lex le dépassa, rentrant la tête dans les épaules. Ce n'était pas nécessaire. Il ne méritait pas qu'on le venge de quoi que ce soit. Il ne méritait pas... l'attention de son frère. Il ne méritait rien du tout ; cette pensée piqueta sa peau livide d'une chair de poule visible, et le sang quitta son visage. A l'instant des premiers cris,d es premiers coups, Akemi avait complètement disparu de la scène. Il s'échappa en pensée en lui-même comme il le faisait toujours quand la situation devenait trop difficile pour lui. Une poupée, voilà ce qu'il était, par bien des aspects. Une poupée cassée dont même l'or ne peut combler les fêlures.
Il reste ici, parce qu'on lui a demandé. La poigne de Lex sur son bras lui laissait en impression de douleur, et il se frotta le bras sans rien dire, le regard fuyant, absent. Rien de ce qui se passa dans le nightclub ne sembla l'atteindre et il demeura silencieux, figure marmoréenne au regard vitreux, l'esprit courant déjà vers de bien funeste mais honorables projets. Que lui restait-il ? Le geste de Lex le touchau autant qu'il l'humilia plus avant, le faisait passer pour un privilégié là où il n'était qu’une putain. Son ami, son tendre ami, son tout, celui qu'il aimait le plus au monde s'humiliait à cause de lui. Lex ne méritait pas ça. Lorsqu'un silence glauque s’installe après que l'homme ait crié, Akemi n'ose rien dire ; il en aurait pourtant envie, mais rien ne vient. La colère de Lex l'atteint dans ce qu'il a de plus fragile et il se sent déjà prêt à pleurer, mais il fait avorter ce maelstrom de sentiments pour demeurer cette poupée qu'il a toujours été. Juste de la porcelaine inexpressive, silencieuse. Et, constatant la scène, il a encore plus envie de mettre fin à ses jours. Par amour, pas par honte. L'évidence le heurte d'un coup, lui volant ses dernières forces : mourir par amour... et le voici à la suite de Lex, toujours silencieux, le suivant car il le faut. Son ami saigne et il se penche un peu pour essayer de voir à quoi ressemblerait la blessure. Était-ce grave ? Était-il venu ici pour lui, alors qu'il était blessé ? Une vague d'émotion prit Akemi à la gorge, mais il ne dit rien. La prévenance de Lex, bien qu'habitée par la colère, le toucha au plus profond de son cœur. Portant la main à son cœur soudainement affolé, le jeune homme prit une longue inspiration : calme-toi, mon cœur. Ça n'a pas de sens.
Akemi demeura debout en face de son ami qui s'écroula sur son canapé, se déchaussant tranquillement pour laisser ses chaussures près de la porte d'entrée ; ces gestes anodins l'aidaient à reprendre ses esprits, à s’abîmer dans des choses triviales et rassurantes ; il savait très bien que qu'allait dire son aniki, et qu'il ne pourrait aller contre. Si Lex le lui ordonnait, il vivrait volontiers dans la honte et la douleur. Si Lex l'exigeait, il assumerait cette souffrance avec le plus beau des sourires. Car Akemi ne peut lutter contre cet homme qu'il admirait depuis si longtemps et pour lequel il nourrissait en secret les plus tendres sentiments que les hommes pouvaient s'offrir. Pourtant en face du Yakuza, c'était un être esseulé qui se tenait débout, blême et sans sourire, épuisé d'avoir trop lutté mais qui s'inclina tout de même.
"Je ne le ferais pas, si c'est ce que tu veux", répondit Akemi d'une voix monotone, blanche et usée, presque robotique, "je ferais comme tu me dis de faire."
Akemi ne discutait jamais aucun des actes de son ami, et c'était pour cette raison qu'il avait sciemment éludé une partie de leur discussion ; pourquoi juger, ou plutôt comment juger quelqu'un comme Lex ? Passif, Akemi obéit malgré sa tristesse ; si tel était le souhait de son aniki, il vivrait. Il assumerait la honte, et demeurerait à ses côtés. Il fallait du courage pour mourir, comme du courage pour demeurer en vie. Lui, il obéirait. C'était plus simple. En face de Lex, il n'offrit rien, silencieux comme les pierres mais attentif comme la grue. Mais le jeune homme révéla soudain la tête en entendant parler d'excuse.
"Je t'interdis de t'excuser", lui répondit-il d'une voix plus sèche qu'il ne l'aurait voulu, "ne t'humilie pas pour moi, je n'en vaux pas la peine."
La sincérité soudaine d'Akemi enflamma ses sens au point de faire rosir son visage d'ordinaire si lisse, si parfaitement maîtrisé. Il se sentait fragile ce soir bien qu'ils avait qu'il n'aurait aucun compte à rendre. C'était juste... difficile de soutenir le regard de Lex après s'être rendu coupable d'avoir laissé son père le prostituer à des fins personnelles. Et pourtant, le jeune homme baissa les yeux et fuit Lex du regard lorsque ce dernier l'observa un instant.
"Il n'y a rien à dire, j'ai donné mon corps et je suis une putain. J'ai de la chance que tu me gardes dans le clan, même si je ne mérite pas cette chance. Mais je ne remet pas en compte tes décisions, et je vivrais parce que tu me l'a demandé."
La voix d'Akemi ne tremblait pas mais avec cet aspect monotone des gens qui se sont abandonnés. Reculant de quelques pas, le jeune homme exécuta un parfait dogeza, la prosternation japonaise : il joint lentement les mains, se mit à genoux et posa son front contre le sol. Genoux, coudes et front touchaient le sol pour exprimer la profondeur de la honte mais aussi du respect qu'il avait pour son aniki. Il avait toujours été un homme de tradition, un peu excessif dans sa politesse et dans l'admiration de son supérieur et ami. Il n'avait pas toujours été franc avec lui, ni même courageux. Mais en face de Lex, seul le dogeza lui vint en tête. Il pouvait ainsi se soumettre totalement et désespérément. Plus la posture est impressionnante, et éventuellement douloureuse, mieux c'était. Symboliquement, le dogeza exprimait tout ce qu'Akemi ressentait pour son ami, du plus noble au plus tristement humain. parce que son amour passait aussi par la soumission, mais il était sûr que Lex ne comprendrait pas cette idée.
"Je ne suis qu'une putain, et je ne mérite pas ta bonté, aniki",,il reprit, sans relever le front du sol, "je te dois la vie, depuis ce jour sur les docks. Elle t'appartient donc, tu peux en faire ce que tu désires."
Il pensait aussi qu'il faudrait soigner cette vilaine blessure, mais ne voulait pas approcher son ami tant que les choses n'étaient pas dites sur le sujet du jour. Lex était un costaud, il le savait. Il ne se sentait pas encore la légitimité pour le soigner, n'osant même pas le regarder.