TERMINE | Besoin d'information [FT Alessa]

Cela faisait maintenant neuf ans que sa mère avait disparu de la circulation de la terre. Etait-elle morte vivante, blessée. C'est ce que la jeune adolescente qu'était Envy voulait découvrir. La seule erreur qu'aurait pu faire son père, c'est de lui avoir dit la vérité lorsqu'elle avait eu l'age. Au contraire de son paternel qui avait abandonné depuis neuf ans, s'étant résigner que sa femme était probablement morte, Envy avait repris le flambeau de la recherche. Elle se refusait à croire que la milice n'est aucune quelconque foutues informations sur une disparition. Personne ne disparaisse comme ça sans raison, même a Decay. La lycéenne se refusait a le croire.

Prétextant une envie de ballade auprès de son père, la jeune fille avait fini par ressembler toutes les informations déjà en sa possession pour se rendre au commissariat central. Son père avait oublié de mieux planquer les rapports de police et Envy n'avait pas eu de mal les récupérer. C'etait devenue une adolescente plutôt rebelle. Toujours proche de son père, il lui avait manqué une figure maternelle. Le piercing fraîchement établi sur la langue en démontrant l'indécision de prendre le bon chemin.

Devant les bureaux, elle souffla un bon coup et rentrant dans l'enceinte du bâtiment. L'effervescence était à son maximum, les téléphones sonnaient, les quelques policiers en interventions poussait les délinquants qui râlaient.

- Oh, qu'est ce que tu fais ici ma jolie? Demanda un homme avec un sourire pervers, alors qu'il était poussé par un milicien.

Envy recula légèrement, apeurée. Il était encore possible de partir, mais elle ne fait pas. Elle était là, elle resterait jusqu'à avoir des réponses. La jeune étudiante s'assit sur les bancs d'attente et rouvrit les diffèrents dossiers, ceux qu'elle avait lu des dizaines et des dizaines de fois, relevant parfois la tête lorsque un incarcéré criait trop fort.

Une fois arrivée devant le guichet d'accueil, elle salua la policière. Cette dernière fronça les sourcils, effectivement, une jeune fille de son âge, qui plus est dans un commissariat pouvait éveiller des soupçons.

- Bonjour, je voulais avoir des informations sur la disparition de ma mère Eleanor Folley.

Comme un automate, la policière tapa sur son ordinateur, sans un regard vers Envy qui corna son dossier dans ses mains.

- Eleanor Folley, disparue depuis le 25 Février 2025. Elle n'est pas revenue de Decay depuis ce jour.

La policière releva enfin la tête pour poser les yeux sur la jeune fille sans un sourire.

- Ca, c'est la déposition de mon père, je le sais qu'elle est disparue depuis le 25 fevrier ! dit la jeune fille en se pinçant les lèvres. Ce que je veux savoir c'est votre dossier à vous.

- Tu as quel âge, gamine ?

- La question n'est pas là, si je suis là, c'est que j'ai l'âge de comprendre les choses non ? argua l'adolescente.

La policière changea légèrement d'expression, qu'Envy lui réponde, ne lui plaisait pas.

- Désolée, nous n'avons pas la permission de divulguer d'autres informations à des personnes mineures.

La patience de la jeune fille devenait de plus instable, elle était intelligente pour son âge, même un peu trop. Et là on la menait en bateau.

- C'est ça, ou vous n'avez aucune autre information concernant ce dossier ?

La policière se releva franchement agacée, apparemment.

- Je ne te permets pas, jeune fille, alors maintenant rentre chez toi !

- Rentrer chez moi, alors que ma mère est disparue depuis près de 10 ans. Hurla la jeune fille. Votre travail ça consiste à quoi, vous pouvez me répéter ?

- Tu te calmes, gamine, sinon je t'arrête pour outrage à un agent de police.

La petite brune avait les larmes qui commençaient a poindre aux coins de ses yeux, alors que l'espace autour d'elle était étrangement calme. Un policier s'approcha et posa sa main sur son épaule.

- Rentres chez toi, petite.

Ce n'était pas possible, ces miliciens étaient tous des incapables n'est-ce pas ?

Dure journée, à peu près comme toutes celles depuis l'arrivée d'Alessa en ces lieux. Cela ne faisait que quelques semaines au bas mot. Évidemment, certains avaient vu son arrivée du mauvais oeil, la jeune femme ayant apparemment eu des connexions pour le moins atypiques à Decay. Pourtant, certains l'avaient soutenue, la traitant comme un élément prometteur ou même comme un membre qui pourrait se révéler indispensable dans la traque de la pègre. Évidemment, la concernée avait ses propres objectifs ici. Elle n'était pas là sans raison, elle aurait pu suivre une brillante carrière de chirurgienne, de chercheuse. Pourtant, elle se retrouvait à croupir ici avec des gens qu'elle n'appréciait que très peu, des individus agissant tous sous couvert de motifs des plus discutables. Échappait-elle vraiment à cela ? Aux yeux des autres, sans doute pas. Aux siens, certainement.

Elle passait généralement son temps à siroter un café plutôt amer dans le coin lui étant réservé, un genre de petit bureau, si seulement il était possible d'appeler ça ainsi. Il n'y avait aucun mur pour la séparer des autres, et les seules choses rendant son coin un peu différent des autres étaient quelques photos disposées sur sa table ainsi qu'un impressionnant tas de dossier bien ordonnés. La paperasse qu'on confiant systématiquement aux nouveaux en guise de bizutage, quoi. Pendant des heures, l'italienne feuilletait et triait ces dossiers à la recherche d'informations potentiellement ratées sur les enquêtes en cours. Et quand elle n'avait pas vraiment de chance, on lui demandait simplement d'organiser des emplois du temps. Un job s'apparentant bien plus à celui d'une secrétaire que d'une véritable milicienne. Fort heureusement, elle ne manquait jamais une occasion de faire ses preuves lors des rares fois où il lui fallait aller sur terrain, sans doute dans l'espoir d'être promue et de quitter cette situation des plus détestables pour une femme de son calibre.

Aujourd'hui, tout ne se passa pas comme d'habitude. Elle put entendre des voix s'élever au loin, dont une lui paraissant être suffisamment fluette pour appartenir à une mineure. Curieuse, elle passa sa tête au dessus de sa pile de dossiers et retira ses lunettes pour y voir plus clair ; l'hypermétropie pouvait parfois avoir ses avantages. Alessa put ainsi apercevoir un genre d'altercation entre une adolescente et quelques uns de ses collègues. Rapidement, les voix prirent encore plus d'ampleur. Et visiblement, ses acolytes présents n'étaient pas suffisamment compétents pour savoir gérer une telle crise. Elle souffla un coup et se leva de sa chaise, motivée par le simple fait d'obtenir le silence après être intervenue. Et lorsqu'elle se rapprocha enfin de la source de ce vacarme, elle put entendre correctement les détails de la conversation. Une mère disparue depuis années et personne n'ayant de réponses. Ayant elle-même vécu non pas une mais deux tragédies du genre, Alessa ne put retenir la vague de compassion s'emparant d'elle. Ses talons claquèrent sur le sol avec plus d'assurance, elle poursuivit son avancée et vint attraper le poignet de l'homme ayant posé une main sur l'épaule de la fille. Elle ne serra pas et ne fit pas preuve de la moindre violence. Pourtant, on pouvait lire une certaine rage indicible dans ses pupilles. Et, d'un ton étonnamment calme, elle s'exprima enfin.

« Vers qui le peuple se tournera-t-il si nous ignorons ses demandes ? Laissez-moi faire. »

Comme s'ils cherchaient tous à se débarrasser de cette tâche en premier lieu, ils ne s'opposèrent pas à la prise de décision de la nouvelle recrue. Comme d'habitude, c'était chacun pour sa poire, dans ces locaux. Personne ne se préoccupait des affaires d'autrui, et ça arrangeait bien la brune qui interpella la jeune d'une voix encore plus posée qu'elle ne l'avait été auparavant.

« Je vais voir ce que je peux faire pour toi. Je ne suis pas sûre d'avoir les informations que tu cherches, mais nous pouvons toujours aller vérifier ça. »

Un faible sourire lui fut alors adressé avant qu'elle ne se remette en marche, empruntant le chemin pris pour arrivé jusqu'ici mais en sens inverse. De temps à autre, en slalomant entre les autres bureaux, elle jeta un bref coup d'oeil derrière elle pour voir si la jeune ne se perdait pas. Puis, une fois arrivée, elle l'invita simplement à s'installer sur la petite chaise prévue pour les visiteurs et reprit la place lui étant assignée.

« Une disparition déclarée il y a dix ans, c'est ça ? Je n'ai pas beaucoup eu accès à des dossiers datant d'il y a aussi longtemps, malheureusement. Mais je retiens plutôt bien les choses. Si tu me donnes plus de détails, je peux peut-être retrouver quelque chose qui correspond. »

Alors qu'Envy allait être escortée vers la fin de sa recherche et pour ainsi dire la sortie du commissariat, ce ne fut pas le cas. Une jeune femme avait posé sa main sur le poignet de son coéquipier en arguant ce dont l'adolescente qu'elle était, avait compris comme un reproche. La petite brune fixa la nouvelle arrivée, alors que tout le monde était reparti vaquer à ses occupations. Envy était surement, le cadet de leurs soucis. Une adolescente, il était si facile de s'en débarrasser. D'un revers de main, on écrasait la mouche qui nous gênait.

Mais pas cette fois-ci, apparemment les dieux, aujourd'hui, étaient du côté de la lycéenne. Elle ne pratiquait pas la religion, mais la jeune brune avait toujours gardé la croix que portait sa mère ainsi que le collier qu'elle lui avait offerts. Relevant enfin la tête, Envy rencontra enfin le regard plutôt bien bienveillant, en comparaison de ceux qu'elle avait déjà croisés, de la gardienne de la paix. Une femme brune, elle était d'une élégance naturelle, grande qui inculquait le respect. D'une façon, elle lui rappelait sa mère.

La policière s'adressa à Envy avec douceur et calme avant de l'inviter à la suivre vers son bureau plutôt reculé, par rapport au guichet d'accueil. Envy n’hésita pas, récupérant son sac à dos tombé sur le sol pendant l'altercation elle suivit la jeune femme jusqu’à son secrétaire. La petite brune lança également un regard noir vers la milicienne à l'accueil qui l'avait totalement refoulée.

- Merci, dis la jeune adolescente en s'asseyant sur la chaise, d'avoir accepté de m'informer.

Elle se massa un peu la tête.

- Je sais que je ne suis pas la seule à vous solliciter, continua-t-elle avec un petit sourire.

La jolie policière lui rendit son sourire et lui demanda plus d'informations sur le dossier de sa mère. La jeune fille hocha la tête. Envy se rappela que trop bien le jour où son père et elle attendaient devant le check point. Il faisait froid, et la pluie commençait à tomber. Son père avait patienté des heures dans la nuit.Envy se souvenait toujours de son regard blessé et apeuré. Malgré le soulèvement de ces gangs cette même année, il avait espéré revoir sa femme, la mère de son enfant. Elle n'avait que sept ans, mais elle avait hérité une très bonne mémoire.

- Ma mère n'est jamais revenue de Decay, la même année où il y a eu la révolution des gangs, en 2025, il y a 9 ans précisément, annonça la jeune brune. Elle avait été sollicité pour effectuer des interventions. C'est une infirmière très réputée.

La jeune fille sourit, dire que la gamine qu'elle avait été, était fière d'avoir une maman et un papa dans le corps médical, était un euphémisme. Ce n'était pas pour rien qu'Envy voulait marcher sur les traces de  sa mère. Sauver des vies, réconforter les patients d'une intervention. Même si la jeune fille avait son caractère, elle n'en demeurait pas moins sociable et bienveillante, comme l’était sa mère.

- Elle est née le 4 juin 2000, j'ai le dossier que vous nous avait transmis, si vous le souhaitez, même si vous devez déjà l'avoir dans vos archives.

Envy sortit un grand bloc de papier ainsi, pour lui faire comprendre sans provocation aucune qu'elle était déjà bien informée et qu'elle était bien là, pour savoir ce que les gens veulent se tanner à cacher. Il fallait dire que la milicienne avait été la seule à lui porter de l'attention, il était hors de question qu'elle ne perde cette si belle occasion.

- Je sais que cette année là, vos collègues ont eu beaucoup a faire, continua la lycéenne, mais je suppose que les personnes qui ne sont pas revenus, doivent être activement recherchés. Je ne dois pas être la seule a avoir perdu la trace d'un membre de ma famille, si?

Envy sourit timidement, c'est vrai ils devaient en avoir des centaines de personnes qui recherchaient un père, une mère, un enfant, une sœur, un frère dans l'espoir de les retrouver sains et saufs.

D'un petit hochement de tête, lequel fut accompagné d'un sourire compatissant, Alessa voulut signaler à sa jeune interlocutrice que ce n'était rien, qu'il ne s'agissait que de son devoir. Pourtant, dans les faits, aucune des personnes ici présentes n'avaient de compte à rendre à qui que ce soit, aussi triste que cela pouvait paraître. Une ambiance à la fois froide et oppressante se dégageait des locaux dans leur ensemble, l'impression n'étant que toujours plus renforcée par les mines tirées par le personnel. De son côté, l'italienne ne pouvait que paraître un peu plus humaine peut-être, irradiant de cet aspect à la fois altruiste, compréhensif et chaleureux. Mais dans les faits, elle ne se détachait que très peu de cette fange, n'y échappant en l'occasion que grâce aux circonstances actuelles qui la poussaient à se montrer pleine de compassion. Elle aussi avait ses propres objectifs et sa propre vision des choses.

À présent attentive aux propos de son interlocutrice, Alessa releva chaque détail pouvant s'avérer utile pour les retenir dans un coin de son esprit. Aucune note manuscrite, aucune saisie sur quelque clavier que ce soit. La nouvelle recrue faisait entièrement confiance à ses capacités mémorielles pour l'office actuel, bien au courant de ses habiletés et limites depuis des années déjà. Cette mémoire ne cessait d'ailleurs de la tourmenter au quotidien, lui rappelant incessamment des événements qu'elle préférerait oublier, histoire de pouvoir avancer. Mais là n'était pas le sujet. La milicienne chassa ces quelques idées noires de son esprit et reporta pleinement son attention sur la jeune en face d'elle, soulignant les propos émis par quelques hochements de tête et ne prenant la parole que lorsqu'elle en eut l'occasion, ne souhaitant évidemment pas couper la plaignante dans son élan.

« Voilà qui m'arrange, commença-t-elle, songeant à ses études réalisées par le passé et aux stages qu'elle avait ainsi pu faire. Il se peut que je la connaisse, au moins de nom. »

Les yeux d'Alessa se posèrent ensuite sur le dossier tenu et mentionné par la demoiselle, déjà curieuse d'y voir les noms mentionnés à l'intérieur. Pourtant, quelques faits commencèrent déjà à se lier entre eux, permettant à la femme de creuser quelques hypothèses quant à l'identité de la personne disparue. Elle avait sa date de naissance, sa profession et la date à laquelle elle avait été déclarée disparue, soit trois éléments suffisamment importants et pertinents pour commencer à éliminer beaucoup de possibilités, au point de n'en laisser que très peu, si ce n'était pas une seule. Peu de temps après, la mine de l'italienne sembla s'éclairer soudainement, comme si elle avait mis le doigt sur quelque chose. Elle se rappelait effectivement avoir feuilleté un dossier présentant ces trois occurrences, mais n'arrivait pas encore à restituer le nom auquel il était associé, un office bien compliqué lorsqu'on prenait en compte l'amas considérable de paperesse qu'Alessa avait eu à gérer et passer en revue en quelques semaines seulement.

« Oui, je vois de quelle affaire il s'agit. Non-résolue depuis la plainte et malheureusement classée dans les dossiers à ne rouvrir qu'en cas de nouvelle piste. Bien que compatissante, Alessa ne comptait pas non plus passer de la paumade à la jeune, l'estimant suffisamment mature et éclairée pour comprendre ce que cela signifiait, que ses collègues ne se préoccupaient que très peu de ce genre d'histoires à moins de pouvoir les résoudre. C'est malheureusement la façon dont les choses fonctionnent ici. Ils ne veulent pas perdre de temps et de ressources, encore moins si cela concerne l'autre côté de l'île. Je doute que qui ce soit ait apporté de nouveaux éléments au dossier entre temps. »

Une dure réalité, celle d'une organisation pourrie et gangrénée n'agissait que dans son propre intérêt. Et bien que les choses étaient ici exprimées de façon plus subtile, le message restait le même ; la plupart des gens ici ne pensaient qu'à leur tronche, et l'adolescente avait sans doute pu le remarquer à la manière dont elle avait été accueillie et traitée ici. Sa situation n'intéressait probablement personne ici, personne à l'exception de celle actuellement en train de lui tenir compagnie. Celle-ci prit d'ailleurs la peine de mettre un peu d'eau dans son vin en assistant la jeune du mieux qu'elle le pouvait, en faisant preuve de toute la bonne volonté du monde. Après tout, il était assez rare de croiser une personne à laquelle on pouvait un tant soit peu s'identifier par vécu personnel.

« Les grandes lignes de ce que j'ai pu lire me reviennent. Je peux toujours essayer de voir si le dossier que tu as à disposition manque d'informations auxquelles tu n'as pas accès. Je peux le voir ? »

Une autre réalité était ici sous-entendue, celle que ces chiens ne transmettaient pas forcément tout aux concernés, gardant pour eux certaines informations s'ils les estimaient sensibles.

La belle policière se mit à se concentrer assez rapidement lorsque Envy lui soumit toutes les informations qu'elle avait en sa possession. Il fallait dire que c'était la seule à l'avoir défendue et écoutée dans le lot des gros enfoirés du commissariat. D'un calme impartial la belle brune n'hésita pas à dire ce que les gens pensaient tout bas. C'est-à-dire que ses collègues n'étaient pas du tout professionnels. Envy avait du mal à comprendre ce concept, si on n'étais pas un minimum sociable, pourquoi choisir un métier s'impliquant ouvertement à l'assistance d'autrui ?

L'affaire de sa mère était donc classée sans suite. Ce n'était pas possible, les femmes et hommes de Decay ne pouvaient pas disparaître comme ça sans réelles raisons. Sa mère l'aimait, aimait son père, avait construit un foyer, un cocon. À part sa mort qui l'avait empêché de revenir, elle ne pouvait pas s'être volatilisée sans raison. La jeune fille baissa le regard sur ses jambes crispant ses poings. La petite brunette avait toujours été forte devant son père, s'était toujours montré optimiste, mais qu'un officier de police lui fasse comprendre qu'il y avait sûrement peu d'espoir, avait un goût amer dans sa bouche. La rage et la tristesse se mêlant dans les larmes qui roulaient le long de ses joues.

L'adolescente avait beau le sourire facile, il était difficile de concevoir qu'à peine seize ans, elle avait perdu sa figure maternelle. Elle était assez remontée et là, elle n'avait qu'une envie, c'est d'envoyer tout valser devant elle. Elle savait comment ça allait finir, la jeune policière allait poliment la ramener vers la sortie. Son interlocutrice avait beau être gentille si elle n'avait pas d'autres informations, elle n'allait pas éternellement la garder. Alors que les espoirs de la jeune lycéenne s'envolaient progressivement en poussière, la grande brune s'intéressa à son dossier. Elle avait peut-être raison, certaines informations avaient fuité dans l'enceinte du commissariat. Envy lui tendit le paquet de feuilles en très bon état, en relevant la tête.

- Je suis désolée, dit la jeune fille en s'essuyant les yeux. C'est compliqué quand il faut être optimiste pour deux...

Reprenant son regard curieux, elle ne voulait pas qu'on s'apitoie sur son sort. Elle était là pour une bonne raison, pas pour pleurer les larmes de son corps.

- Il est peut-être possible qu'elle n'ait pas pu rejoindre le chekpoint ?  Demanda Envy. J'ai entendu dire qu'il y avait eu des vols de papiers.

Les medias avaient passé un reportage sur Decay. Les contrôles entre Neo et Decay avaient été renforcés et quiconque passé a Decay n'était certain de pouvoir revenir, d'autant plus si l'on avait plus de papier d'identité.

- Il se pourrait qu'on lui ait volé ses papiers d'identité et qu'elle soit resté coincé au Checkpoint ? Ça pourrait être logique, non ?

Retrouvant son aplomb qu'on lui connaissait, que son père et sa mère connaissait. Quand elle était petite, elle avait toujours été logique. Alors que d'autres enfants emboîtaient n'importe comment les formes, du moment que cela rentrait, Envy réfléchissait toujours avant d'agir.

- Si elle serait morte, vous auriez du retrouver son corps, non ?  Demanda la jeune brune. Je suis peut-être naïve, mais je refuse de l'abandonner et encore moins de croire qu'elle soit morte.

Son ton était légèrement froid, mais démontrer sa détermination. Elle sourit à son interlocutrice poliment. La policière lui inspirait confiance, elle n'étais pas là a se foutre de sa gueule et l'écoutait attentivement depuis le début de ses explications.

- Vous pensez que ça peut être plausible ?

Elle ne demandait pas sûrement pas des certitudes, mais des indices qui pourrait la mettre sur la voie de sa mère. Elle ne doutait pas de la parole de la policière, elle avait tout de même était la seule à l'avoir reçu dans son bureau.

Les mots d'Alessa semblaient avoir un peu chamboulé la jeunette. Une étape certes difficile mais nécessaire selon la bleue. Il n'était de toute manière pas bon de lui cacher la vérité. Les proches méritaient de savoir ce qu'il advenait de leur famille, que la réponse soit dure à entendre ou non. Malheureusement, le mode de pensée de l'organisation conduisait à de nombreux écarts. Rares étaient les fonctionnaires qui prenaient réellement la peine de s'attarder sur la situation des autres. Et puisque l'adolescente semblait chercher depuis longtemps, ou au moins attendre depuis un certain moment, il ne faisait nul doute qu'elle avait dû croiser tout un tas de gens, lesquels ont systématiquement refusé de l'aider ou même de l'écouter, surtout ici. Alessa ne fut donc pas surprise lorsque son interlocutrice se laissa brièvement porter par ses émotions ; elle comprenait.

« Aucun problème. Personne ne va te juger pour quelque chose d'aussi naturel. »

Et si jamais quelqu'un osait, quelles que soient ses motivations, l'italienne ne manquerait pas de lui faire ravaler ses mots sans le moindre tact. Qui pouvait bien rire de la détresse émotionnelle d'autrui ? Heureusement, même ses collègues sans coeur se trouvant à proximité ne semblaient pas vouloir s'y essayer ; sans doute avaient-ils mieux à faire, quoique certains se permettaient d'observer l'entrevue de loin, comme s'ils cherchaient à comprendre la femme ayant "du temps à perdre" et la gamine "qui n'a rien de mieux à faire que de faire saturer le système avec des demandes inutiles". Des mots encore plus durs – et surtout injustes – qui leur valurent un regard mauvais de la part de la nouvelle. Son autorité de l'époque n'était cependant pas suffisamment imposante pour leur faire décrocher autre chose qu'un simple haussement d'épaules suivi d'un retour à leurs occupations.

Les hypothèses fusèrent ensuite. La femme y prêta une oreille attentive tout en prenant le temps de mesurer leur portée. Elle finit alors par conclure que cela restait possible, ou au moins plausible. Un point restait cependant à clarifier, mais la jeune n'avait pas non plus totalement tort et pouvait donc se raccrocher à ces quelques bribes d'espoir, à défaut d'être abattue par la pire des nouvelles ou soulagée par la meilleure d'entre elles. Alessa souligna les possibilités d'un petit hochement de tête mais attendit d'avoir le temps d'en placer une pour corriger son interlocutrice sur un point unique.

« C'est possible, oui. Quant au corps, rien n'est dit. Nous ne pouvons pas testifier des procédés de chaque individu présent là-bas. Beaucoup de dépouilles ne sont pas retrouvées, beaucoup trop pour que ça relève de la coïncidence. Un ou plusieurs groupuscules doivent bien en faire quelque chose. Après tout, s'il n'y avait plus aucune loi réelle là-bas, rien n'empêchait les pires monstres d'agir et commettre des actes plus abominables encore. Pour les papiers, c'est fort probable. Les pièces disparues alimentent un trafic des plus complexes. On finit parfois par retrouver certains documents d'identité entre les mains de personnes n'ayant rien à voir avec leur propriétaire originel. »

Une fois ce propos étayé, elle centra son attention sur le dossier qui lui avait été confié il y a peu et se mit à le feuilleter, en passant les pages en revue plutôt rapidement. À force de trier la paperasse, Alessa avait pris l'habitude de localiser les éléments importants, en plus d'apprendre par coeur la façon dont étaient agencés les fichiers. De la sorte, il ne lui fallut pas bien longtemps pour en faire le tour. Et une fois ceci fait, elle déposa le tas de feuille sur le bureau en poussant un long soupir, lequel semblait empreint d'une certaine consternation.

« Comme je le pensais, rien ne me saute aux yeux. Je ne saurais malheureusement pas te dire si un élément est gardé sous confidence. Mais comme tu l'as dit, il est possible qu'elle ait simplement disparu et ne puisse actuellement par repasser le checkpoint. Tant que rien ne prouve les contraires, les possibilités qu'elle soit en vie sont bien réelles. »

La gardienne de la paix avait été directe, ne passant par aucun détour. Les explications étaient claires et concises. Digne de son métier. Même si ça pouvait ébranler la lycéenne, elle préférait qu'on lui dise les choses brutes plutôt qu'on essaie de l'embobiner. Les informations du dossier de sa mère étaient donc restées telles quel. Effectivement, s'il n'y avait eu aucune preuve ou autre, le dossier n'avait pas été rouvert. Donc les éléments de l'enquête s’étaient arrêtés à la déposition de son père et tout laissé penser que sa mère soit toujours en vie.

Cette affirmation égaya le cœur endolori de la brunette. Il était difficile pour elle de toujours être optimiste alors que son père avait baissé les armes au bout d'un an de recherche. Les adultes au contraire de leurs enfants avaient souvent la défaite facile. Il lui avait souvent répété qu'elle ne reviendrait sûrement jamais, son cœur de petite fille n'avait jamais voulu y croire. Sa mère était partie faire une balade l'année de ses huit ans, et après ses huit ans, elle s’était toujours dit qu'elle reviendrait. Les enfants avaient toujours une imagination débordante pour se protéger d'une réalité trop dure pour eux.

Il était maintenant évident qu'il fallait que la lycéenne finisse ce qu'elle avait commencé. C'est a dire continuer ses recherches et des informations. La milice ne pouvait plus rien faire pour elle. Enfin, la seule qui l'avait aidé, était la brune qui lui avait donné les seuls renseignements qu'elle avait en sa possession. Quand elle aura fini ses études, elle partirait à Decay pour la retrouver.

-- Désolée de vous poser cette question, mais ne pensez-vous pas qu'au vu des circonstances, les gens ne fassent leur recherche de leur côté ?

C’est vrai que pour le peu de considération que la milice avait pour les habitants de Decay et Neo, il était fort probable que les personnes enquêtent sur leur disparu. Envy ne parlait pas de son interlocutrice, elle avait donné des informations, certes déjà connues par la jeune fille, mais c’était la seule à l’avoir écouté.

-- Je veux dire, vu le peu de reconnaissance de la milice envers la population, cela ne les incitent-ils pas à se mettre en danger pour retrouver leur disparu ?

Elle fixa la brune doucement.

-- Je ne parle pas de vous, je vous remercie encore de m’avoir écouté, dit-elle en tortillant le dossier qu’elle lui avait rendu. -Pensez-vous que c’est possible d’aller sur Decay ?

Envy ne perdait rien à demander, elle savait que ce n’était pas pour toute de suite, qu’elle n’avait pas l’âge requis pour quitter la demeure familiale, mais elle voulait le savoir. Lorsque le moment serait venu de partir chercher sa mère.

-- Les personnes qui passent le checkpoint n’ont vraiment plus de possibilité de revenir à Néo ? Demande la jeune lycéenne.

Il fallait avoir les informations les plus précises pour pouvoir comprendre le fonctionnement du checkpoint.

La prochaine réponse, bien plus simple à donner, ne manqua pas d'être sifflée par une Alessa amusée et très loin de prendre le fait avancé par la jeune pour elle-même. Après tout, elle n'appartenait à ce groupe que depuis trop peu de temps et n'y trouvait de toute manière son compte qu'au travers de ses ambitions personnelles, non pas au travers de ses collègues véreux à la morale probablement plus inhumaine que le pire des soixante-douze fléaux de l'Ars Goetia. Ces derniers, au moins, étaient parfois porteurs de bons augures ou même d'idées foncièrement altruistes et bienveillantes. Deux concepts qui échappaient malheureusement à la plupart des gens présents ici.

« Oh que si. Nous avons déjà eu vent de disparitions supplémentaires car certains proches ne peuvent plus se contenter d'attendre veinement. Elle marqua une pause, s'accouda sur son bureau pour se pencher vers l'avant et reprendre à volume bien plus bas, histoire d'être sûre que ses voisins aux oreilles baladeuses ne puissent pas l'entendre en l'instant. Je les comprends. Les affaires trainent sur des années car elles sont laissées à l'abandon par ces chacals. Et, en plus de ça, la plupart reste non-résolue. C'est à croire qu'ils se préoccupent peu des gens et de leurs problèmes. Decay par-ci, Decay par-là. Tout ce qui importe les boss, c'est d'aller faire régner leur loi là-bas pour avoir la mainmise sur le territoire. »

Ou en tout cas, c'était de cette façon que l'italienne interprétait les faits à chaque fois qu'elle avait vent de Decay par les plus hautes sphères de la milice. Elles prenaient part à une guerre d'intérêts entre plusieurs partis donc le leur et celui des gangs. Raison de plus pour qu'Alessa y soit opposée puisqu'elle tenait à protéger une de ces organisations si chère à son coeur. Ne rien pouvoir faire pour le moment la tourmentait. Elle n'en avait ni le pouvoir ni les épaules, mais elle espérait au moins changer ça au fil de son ascension, tout comme elle désirait changer la milice même, que ce soit dans son fonctionnement, dans ses institutions ou même dans ses objectifs. Une organisation davantage tournée vers le peuple, un idylle encore loin d'être atteint et qu'elle devait se contenter d'exercer à son échelle, notamment en fournissant des réponses transparentes à sa jeune interlocutrice dont les faibles espoirs se portaient à présent sur la possibilité de se rendre à Decay.

« Oui, ça l'est. Néanmoins... Certains ne reviennent pas. Disons que quelques-uns de mes collègues peu scrupuleux baignent dans le trafic de papiers. Si les tiens sont volés, tu n'as plus moyen de revenir ici. Si j'étais toi, je ne jouerais pas avec la chance de la sorte, pas sans avoir une certaine assurance pour t'en sortir en cas de pépin. »

Une assurance comme celle qu'elle pouvait obtenir de son côté mais dont elle ne pouvait malheureusement pas parler ; pas ici, pas maintenant. Alessa risquait beaucoup trop gros si elle commençait à l'ouvrir à ce sujet. Alors elle se tut, laissant planer un bref instant de silence avant de le rompre elle-même en rajoutant quelques précisions à ces propos précédents.

« Des contacts, je veux dire. Que ce soit chez nous ou de l'autre côté. Dans tous les cas, il te faut une personne avec suffisamment d'influence pour s'assurer que tes papiers ne finissent pas entre de mauvaises mains. Après ça, la seule chose dont tu devras te préoccuper, c'est de ta sécurité une fois passée de l'autre côté. Passer par le checkpoint te garantit d'arriver sur le territoire des italiens. Ce ne sont pas les plus belliqueux, ils ont une réputation à entretenir après tout, mais tu dois tout de même t'assurer de ne pas marcher sur leurs plate-bandes. Par contre, si par miracle tu parvenais à rentrer dans leurs bonnes grâces, ton séjour sur les lieux serait de suite beaucoup moins risqué. Ils seront les premiers que tu rencontreras et donc les premiers à qui tu voudras t'allier. Le reste ne dépend que du prix que tu es prête à y mettre. »

Il était évident que la milicienne n'était pas toujours d'accord avec les actions du commissariat. Les personnes désespérées partaient bien de leur côté pour retrouver leur défunt ou leur disparu. La police ne faisait plus rien pour retrouver leurs citadins. Si cela continuait, Neo allait devenir une ville fantôme, victime de la bêtise gouvernementale. Le gouvernement ne cherchait pas plus loin que leur petit confort dans les hautes tours gradées, devant leur fenêtre, un verre whisky à la main, en ricanant de chaque disparition. C’était comme ça que la jeune lycéenne voyait les dirigeants de cette ville. C'était méprisable, ils étaient tous méprisables. Et ce que la jeune femme continuait à lui apprendre, ne la faisait pas redescendre de sa colère.

- Je vois... Dit la jeune brune. Nous sommes simplement des acteurs pour gonfler le pouvoir d'achat de la ville. Tout ce qui touche les gens est le cadet de leur soucis.

Le souci n’était pas d'aller à Decay mais d'y revenir d'après les dire de la jeune gardienne de la paix. Certains de ses collaborateurs au sein du commissariat étaient donc corrompus jusqu’à dérober les papiers des personnes fragiles psychologiquement et n'avoir plus de possibilité pour revenir. C’était encore contradictoire avec le but premier de la milice, à savoir de protéger les habitants de Neo. Les forcer a rester à Decay ne les envoyaient pas une mort certaine ? Les castes n'étaient pas assez accusés de meurtre pour leur servir sur un plat des gens déjà brisé par leur passé?

La jeune brune grogna un peu entre ses dents, il fallait qu'elle redouble d'efforts pour ne pas succomber aux magouilles de ces gens vicieux. Et justement, la brune en face d'elle lui proposa une certaine solution pour ne pas se retrouver sans ressources une fois passer le checkpoint. Les Italiens, d'après les dires de la gardienne de la paix, n’étaient pas les plus dangereux et pourraient être une porte sécuritaire lors de sa venue sur l’île.

- Vous avez des contacts au sein des Italiens, vous ? dit Envy un peu bas pour que personne ne les entendent.

Elle se doutait que si le gang des Italiens s'était glissé dans la conversation ce n’était pas sans coïncidence. En regardant bien la milicienne avait les traits d'une ritale. Brune, des yeux noirs expressifs, une prestance bien italienne. Travaillait-elle pour le compte des Lombardi avec pour couverture la milice ? Mais était-ce important, du moment qu'elle l'avait aidé?

- Rentrer à Decay signifie obligatoirement être protégé par un gang? C'est beaucoup plus sure ? Demanda la petite brune.

Envy encadra dans son cerveau de jeune adolescente le mot GANG. Il n’était pas d'actualité qu'elle pose ses valises à Decay et encore moins qu'elle intègre un quelconque clan, mais il était toujours judicieux de récolter toutes les informations qui pourraient l'aider lorsqu'elle aurait décidé de partir.

- Nous avons aucune chance de survie si l'on n'intègre pas une caste? Les civils sont des proies faciles au cœur de Decay, c'est bien cela?

La jeune fille savait que tout ça la dépassait. Que penserait son père s'il savait qu'elle était venue fouiner des informations au comissariat central sans son accord? Mais que faisait-il lui aussi ? Il se morfondait, se noyait dans le travail attendant la cruelle nouvelle qui n'arriverait probablement jamais. La pêche aux informations avait commencé aujourd'hui et elle allait continuer jusqu’à ce qu'Envy en est le cœur net.

- Dites, vous allez peut-être me trouver impertinente, commença la jeune fille, mais est-ce qu'il serait possible que je puisse revenir vous voir si j'ai d'autres questions ? Enfin, je veux dire vous plus que quelqu'un d'autre ici.

Une réalité un brin trop fataliste du point de vue de certains. Pourtant, il était nécessaire pour chacun de s'en rendre compte aussi tôt que possible afin de ne pas finir écrasée sous le poids de celle-ci. Alessa ne le savait que trop bien. Rien n'était blanc ou noir, tout demeurait nuancé. Certaines de ces nuances restaient pourtant plus sombres que d'autres, comme celles supposée refléter l'état de cette ville et de son gouvernement égoïste, quoique quelques individus du petit peuple n'étaient parfois pas mieux, comme pouvaient le témoigner une poignée de miliciens travaillant ici.

« L'argent et le pouvoir font tourner les têtes, ce n'est pas nouveau. L'insularité n'arrange rien. Il est plus compliqué de contenir ces phénomènes lorsqu'aucune nation voisine ne peut agir en tant que faire-valoir, lorsqu'il n'y a aucune compétition directe. »

Un soupir lui échappa, son regard se perdit brièvement. L'espace d'un instant, elle se mit à rêver de l'Italie et de l'Europe dont ses parents lui avaient tant parlé, et sur quoi elle avait tant lu dans les livres et manuels scolaires. Les rivalités entre les pays avaient effectivement tendance à créer une dynamique dans laquelle chacun cherchait à élever sa patrie au dessus des autres. Ce phénomène se reflétait également dans les compétitions sportives ; d'aucuns ne se sentent plus nationalites que lorsqu'ils encouragent leur équipe. Cette notion de rivalité manquait à Neo ; et peut-être qu'elle se développera à Decay un jour, bien que sous une forme moins reluisante. Mais en l'attente, il fallait endurer, car ce n'était pas le peuple accablé de Neo qui allait entreprendre quoi que ce soit contre un gouvernement prêt à faire appel à une milice pour faire taire l'opposition.

« J'en avais, répondit Alessa tout en reprenant ses esprits, veillant à ne transmettre comme information que ce que ses collègues pouvaient déjà savoir sur le sujet. Même en parlant à voix basse, elle craignait toujours de se faire prendre. Pas ici, c'était bien trop risqué. C'est désormais une époque révolue. »

Dans un même temps, elle s'empara d'un stylo et d'un bloc de post-it dans lequel elle piocha pour anoter quelques éléments sur les dossiers transmis par la jeune. Puis, au milieu de toutes ces annotations, elle en glissa sur plutôt concise ; un numéro de téléphone. Le sien, pour être précis. Elle comptait lui laisser afin de s'organiser une autre entrevue avec l'adolescente, une qui serait certainement plus à l'abri des regards inquisiteurs et des oreilles baladeuses. Une fois ceci fait, elle fit pivoter l'amas de feuilles, le poussa pour le faire glisser jusqu'à l'autre bout du bureau et laissa son interlocutrice s'en emparer de nouveau avant de reprendre la conversation où elle avait été arrêtée.

« C'est effectivement beaucoup plus sûr, oui. Je n'irais pas jusqu'à dire que rester indépendant garantit des ennuis, mais les chances de s'en sortir s'en voient fortement diminuées. Les maux de Decay sont très nombreux. Ne pas être sous la protection de quelque organisation que ce soit, ça revient à s'aventurer dans un bois rempli d'ours et de loups en trainant des kilos de viande fraîche à l'air libre. »

Un nouveau soupir s'échappa d'entre ses lèvres. L'image paraissait elle aussi fataliste mais demeurait cohérente avec le contexte. Certains gangs ne faisaient preuve d'aucune pitié envers les individus vulnérables. Eux aussi vivaient pour s'enrichir et glaner autant de pouvoir que possible. Aussi malheureux cela pouvait-il être, ce n'était que l'ordre naturel des choses dans les zones de non-droit. Alessa ne comptait certainement pas envoyer cette pauvre petite là-bas sans s'assurer de sa détermination et sans l'avertir de tous les dangers l'attendant au-delà du checkpoint. Elle ne pouvait pas s'y résoudre.

« Évidemment. C'est la seule façon de faire bouger les choses, pour le moment. Ca me fait plaisir de t'aider. N'hésite pas si jamais tu as besoin de réponses ou d'un coup de main. »