Tokyo Drift - Decay Edition

Seul.
Un luxe dangereux, rare et presque perturbant. Mais un luxe le bienvenu, tout de même.
Ce soir, pas d'affaires à régler pour le clan, pas de business personnel, pas de paperasse ou de leçon à donner. Pas d'escorte postée non loin, à suivre le moindre de mes pas comme une ombre protectrice mais envahissante. Rien, personne, rien d'autre que moi, mes pensées et mes envies. Et j'ai décidé de céder à un caprice que je ne me suis pas permis depuis longtemps, ce soir. Un caprice de pneus qui crissent et d'adrénaline, de vitesse, de compétition. Cela faisait quelques mois que nous ne nous étions pas vu, foutue route. Est-ce que je t'ai manqué?

La pensée m'arrache un sourire, tandis que j'observe le gris froid du Track depuis la fenêtre de la portière. Derrière le volant, confortablement installé dans le siège conducteur, j'observe le dehors protégé par l'anonymat de vitres teintées. Et protégé tout court par leur blindage, aussi. Ca fait remonter quelques souvenirs, cette route. Des souvenirs grande-vitesse.

Des courses sont organisées ici sur une base base régulière. Ca attire un peu tout types de profils, des gens qui viennent de tout horizon avec pour seuls points commun cet attrait pour les belles voiture et cette recherche de sensations fortes. Plus jeune, je me présentais assez souvent ici, plusieurs fois dans le mois. Pas autant que d'autres arrachés qui y consacrent presque toute leur semaine... Mais quand même. De nos jours ? Un peu moins, j'ai d'autres obligations. Mais... Mais ça arrive que les deux coïncident : un trou d'emploi du temps, et une envie de course automobile. Comme ce soir.
Et grâce à la magie du bouche-à-oreille, j'ai pu vite être au courant de la course organisée pour dans pas longtemps.

Sur les docks, un rassemblement automobile prés des garages, avec masse de gens agglutinés autour. Il y a déjà pas mal de monde, certains sont sous le capot relevé, à trifouiller leurs moteurs, d'autres font crisser les pneus pour frimer, certains autres changent leurs roues. Les voitures en lice sont toutes impressionnantes à leur manière. Il y aura sans doute plusieurs courses ce soir, et si c'est comme d'habitude... Pour le moment, il s'agit de décider qui va concourir ou non.
C'est là que je m'incruste, vrombissement de moteur à l'appui.

Spoiler:

S'approchant des garages, une élégante voiture de sport gris foncé, vitres teintées, frappée du logo Toyota sur le capot. Sans néons, sans décalcomanies, sans modifications folles et extravagantes pour embellir, la sportive gronde à son arrivée, sobre, mais impressionnante. Depuis l'intérieur, j'observe avec un regard amusé les quelques têtes qui se retournent quand j'arrive au volant du bolide. Lentement, je m'approche jusqu'à arriver prés d'un visage familier, posté non loin des autres voitures au niveau des hangars.
La vitre se baisse sur un Kintaro en chemise grenat, un rictus aux lèvres.

- Ca faisait longtemps, Dave.
- Oh boy, monsieur trouve encore moyen de venir traîner ici ? T'es sûr que t'as rien de prévu sur ton emploi du temps de ministre ?
- Je ne serais pas là si c'était le cas. T'as une place pour moi?

Un échange de regard entendu entre moi et Dave, un vieil ami que j'ai rencontré à mes débuts ici. Ce grand brun costaud à l'air trop tendre pour son propre bien trempe dans les courses depuis toujours. Aujourd'hui il participe au bon déroulé de ces rassemblements... Donc l'avoir dans la poche n'est pas un mal.
Je le vois prendre un faux air d'hésitation un moment, jusqu'à ce qu'il finisse par hausser les épaules.

- J'me vois mal te recaler, c'est déjà tellement rare de t'voir dans le coin... J'ai une place, ouais. Mais fais vite, ça commence bientôt.
- « Faire vite », c'est le principe, non?
- T'es sûr que tu sais encore faire ?
- L'avenir le dira. Mais je suis plutôt confiant.

_ Alors ? T’en dis quoi, honnêtement ? », l’autre l’observait, les bras écartés, un large sourire aux lèvres. « Tu m’as dit que tu cherchais de nouvelles expériences et étendre tes compétences. En voilà une, je te le promets ! Et cela claque, j’te rassure ! », lâchait encore le Gros Jeff, comme il se faisait appeler dans le coin. L’homme ne roulait plus depuis plusieurs années mais tenait l’un des groupes qui roulait le plus souvent. Une vieille connaissance au Guerrier qui l’avait embauché de temps en temps pour quelques petits trajets rapides. Il avait le rire facile, même lorsqu’il roulait tellement vite que la route en devenait illisible. Mais depuis qu’il avait pris sa retraite de la vitesse, il avait aussi pris un coup de vieux. Et de bide, d’ailleurs.

_ Tu m’as toujours dit que tu n’avais pas peur de mourir ni d’un petit frisson ! » Et sortant des clés de sa poche, il les montrait de façon ostentatoire. « Cela te dirait pas de courir une fois pour moi et montrer ce que tu vaux réellement ? » Il riait, amusé. Après presqu’une heure à observer la vitesse et les voitures, le Mercenaire était désireux de s’essayer, de façon plus officielle qu’auparavant, aux courses de rue.

Il avait déjà testé par le passé, et avait amèrement rattrapé par le Mentor qui lui avait filé une belle raclée ce premier soir-là. « Si tu survis, tu gagnes déjà des thunes. Si tu finis dans le top trois, t’en gagnes plus et si t’es premier, tu te fais une petite fortune. » Le conduisant vers une première voiture qu’il montrait au Mongol, il continuait sa longue argumentation. « T’en perds vraiment que si tu crèves. Mais, s’il te plaît, garde la voiture en un seul morceau ! Cela coûte encore trop cher par ici. » D’un signe de la tête, Khan signalait qu’il ne voulait pas de la première voiture présentée.

La chasse continuait. Une autre suivait, ainsi qu’une troisième. « T’es plutôt du genre difficile, en plus. Mais c’est bien pour toi que je le fais ! Pour notre longue amitié, hein ! » Un mensonge bien emballé. Il le faisait pour l’argent avant tout. Parfois, quand Jeff ne pouvait pas le conduire, il lui fournissait un autre conducteur, ou seulement la voiture. S’il vivait encore, il doutait peu de ses capacités. Pour autant, le Track était une autre affaire. Sur un virage mal traité, un dérapage incontrôlé et une voiture virait directement dans les eaux profondes. Beaucoup disaient que, bientôt, avec le cimetière sous-marin, on verrait le fond. « Tant que tu me la coules pas, hein ! Ce serait bien, tu sais. »

Finalement, ils s’arrêtèrent devant une Subaru Impreza entièrement noire aux vitres teintées. Si l’autre tentait de vendre encore cette voiture, Khan savait que c’était celle-là qu’il voulait. Tendant la main, il laissait tomber son choix définitif. « Je roule pour toi, ce soir, Jeff. Et avec cette voiture. » L’autre riait. « T’as de bon goût !! Je t’aime encore plus. » Puis tapotant son ventre avant de lui caresser les testicules, une vieille tradition étrange, il le laissait prendre le volant.

Elle était entièrement noire. Vitres teintées, personne ne pouvait voir son visage sans son masque. L’embrayage sous le pied, il sentait le moteur qui se mettait à ronronner. S’alignant sur la grille de départ, il remit brièvement son masque alors que Dave s’approchait. « Hey, mais c’est toi, Khan ! Alors, Jeff a finalement réussi à te convaincre ! » Tapotant sur le toit de la voiture, il la regardait un peu plus en détail.

_ Sacrée caisse avec laquelle il te laisse rouler. Je l’avais plus vu depuis que sa conductrice originelle est morte. Tu savais que c’était sa femme ? »

« Faire vite », qu'il m'a dit, hm ? Je suis confiant, ouais. Mais j'imagine que les autres sur la ligne de départ le sont au moins tout autant.

Six voitures alignées devant un trait fait à la craie sur le bitume. Deux japonaises, trois européennes, une américaine. J'observe les différents bolides, tous taillés pour la course. Néons, motifs et autres extravagances sont au rendez-vous, et si ce n'est pas ça, au moins une couleur pimpante qui tape à l'oeil... Sauf pour deux véhicules. Le mien, et la seconde japonaise : une Subaru Impreza directement à ma droite sur la ligne de départ. Je ne peux pas m'empêcher de m'attarder un instant dessus. Pourquoi ? Les vitres teintées, opaques. Non pas que ce soit si rare que ça, dans le milieu, mais une parfaite opacité, toutes fenêtres fermées.... ça n'est pas anodin.
Je suis bien placé pour le savoir.

Tous les autres pilotes sont visibles, et pour cause : ils veulent être vus. Vitre côté conducteur baissée, à faire des signes à la foule rassemblée prés du départ, avides d'attention, de reconnaissance... Mais pas moi. Et pas cet autre dans cette voiture-ci. A certains autres sied l'anonymat. Parfois par simple préférence, plus souvent pour de bonnes raisons. Dans mon cas ? Tout le monde n'a pas besoin de savoir que l'Oyabun du clan Ishii se perd parfois dans quelques courses de rue sur le Track, quand le caprice lui vient.Tout le monde n'a pas besoin de savoir que je continue de venir ici, même après toutes ces années. De façon plus générale, plus terre-à-terre ? Tout le monde n'a pas besoin de savoir que je suis seul au volant d'une voiture, sans escorte, loin de mon fief sur Kabukicho.
Non pas que je ne saurais pas gérer deux ou trois... Gêneurs. Mais je ne suis pas là pour ça.

Et toi, derrière ta Subaru. Qu'est-ce qui motive ton besoin de tranquillité, hm ?

La question résonné dans ma tête, une expression songeuse sur mon visage. Je finis par ne plus trop y penser : une curiosité passagère, qui s'estompe rapidement quand Dave se pointe devant nous, pour jouer le numéro qu'il a l'habitude de jouer ici plusieurs soirs dans la semaine.

- Boooon, vous connaissez tous la chanson, mais j'répète le refrain quand même au cas-où : D'ici jusqu'à la fin du track, en une fois. En participant à la course, vous acceptez la possibilité de finir au fond de la flotte ou dans le décor. Tout le monde gagne de l'argent, sauf les morts, mais vous leurrez pas : on retiendra que le nom du premier.

Okay. On a réglé les détails chiants, ouais ? Allez, ça roule ! Départ quand les fusées s'abaissent!

Et alors qu'il finit sa présentation, les choses continuent de suivre leur cours : une fille légèrement habillée qui s'approche, bras levés, une fusée à chaque main. Ses pas la mènent jusqu'à la ligne de départ, à son exact milieu, entre moi et la Subaru noire. Là, le moment de tension, où les moteurs grondent, où chaque pilote est prêt à partir à toute vitesse, prendre son avance dés lé départ. Yeux rivés sur la route, mains fermement agrippées sur le volant, jambe nerveuse, prête à pousser contre la pédale d'accélération. Cet espèce de nervosité qui monte, une adrénaline bien particulière. Tout le monde n'attend qu'une chose, qu'un signal : cette paire de bras qui se laissent tomber, suivis de la foule qui hurle.
Et le moment fatidique finit par tomber.

Tout le reste va très vite, littéralement. Très vite, très fort, très bruyant : les six bolides foncent en une soudaine prise de vitesse, et au diable les limitations. Symphonie de moteurs, cacophonie mécanique. Enfin... Dans mon cas, même si j'entends distinctement tout ça, c'est couvert par autre chose. Une musique qui tonne dans les enceintes à l'intérieur de ma voiture.



Que voulez-vous. J'ai toujours un faible pour les classiques.
Un rapide regard dans mon rétroviseur me permet de remarquer avoir pris une légère avance sur le reste du peloton. Tout le monde se suit encore de prés, une proximité dangereuse considérant la route, la vitesse, les gens. Et surtout, les enjeux et ce qu'ils font aux gens.

Après tout. Un accident est si vite arrivé sur le Track, n'est-ce pas ?

Un étrange calme le submergeait. Silence dans la voiture. Les autres faisaient chauffer les moteurs, faisant ronronner les mécanismes internes des bagnoles. Tous se préparaient à la future course. Il n’y avait d’enjeu que l’argent, et le plaisir coupable d’une victoire sur le Track. Mais la mort rôdait. Dans les ombres. Dans les virages. Un peu plus tôt, dans la journée, il avait pas mal plu. Une pluie restée gravée dans la piste pour la nuit. Les pneus risquaient de glisser. Rouler trop vite s’avérerait d’autant plus dangereux. Dans son esprit, il se rappelait encore la vieille carte des Docks. Les zones importantes. Les virages. Il ne connaissait rien par cœur. Il devrait croire en sa propre expérience.

Dave prit la parole et l’excitation le prenait. Était-ce cela qu’ils recherchaient tous, à cet instant ? Ce goût enivrant qui lui montait dorénavant à la tête, qui le prenait telle une drogue. Il adorait toujours autant cette sensation. Comme les premières fois où il arrachait une vie. L’excitation qui montait à sa tête et aurait pu rendre fou n’importe quel homme. Il en était toujours aussi accro, même s’il ne désirait pas s’en rendre compte. Une inspiration. Pied gauche sur l’embrayage. Main sur le changement de vitesse. Il n’avait pas besoin de musique. Ses yeux étaient déjà rivés sur la route. Son cœur rentrait, sans même qu’il ne s’en rende compte, en harmonie avec le moteur. Il vibrait. Ronronnait. La route n’était que devant lui.

S’oublier. S’échapper.

Puis les deux bras tombèrent et il s’élança. Première. Deuxième. Troisième. Très vite. Trop vite. Déjà les spectateurs prenaient leurs propres voitures, en route vers la piste d’arrivée. Eux aussi étaient pressés, misant chacun sur leur concurrent. Peu misaient sur lui. De toute façon, personne ne le connaissait. Il comptait déjà être connu et reconnu. Personne ne saurait d’où il viendrait. Aussi, alors qu’il commençait bon dernier après les premiers virages, un sourire vint élargir son visage estropié. Ils ne savaient pas, devant, sa future stratégie. Il risquait gros. Sa vie. Les leurs.

_ Je ne compte pas perdre aussi facilement. » Il comptait même être le dernier sur la piste. Car tous les moyens étaient permis pour atteindre la première place. Quitte même à laisser, sur la piste, des morts et des blessés. Ainsi, dans la nuit, la Subaru Impreza disparut. Entièrement noire. Il venait de couper les phares, devenant comme l’invisible de la route. Une nouvelle accélération. Quatrième. Un autre virage et le cinquième se présentait à lui.

Puis, au virage suivant, comme un tonnerre, il avait allumé brutalement les grands phares. L’aveugler juste quelques secondes. Lui faire perdre pied. La route. Qu’il s’écrase dans l’eau. Qu’il s’écrase contre la rambarde. Il s’en fichait. Et dans les quelques secondes qui suivirent, il avait à nouveau coupé ceux-ci. Quitte à être dernier, il risquait de faire quelques morts sur la route. Il passait la cinquième. Grande ligne droite. Il devait rattraper rapidement le suivant. Plus il couvrait la distance, plus vite il roulerait tranquille.