Présentation en due Forme [PV McCoy]

Juillet 2040.

Ces derniers jours, le clan Ikigami connaissait des changements importants. L'émergence d'une nouvelle tête suite à la disparition de l'Oyabun Dragon annonçait évidement de nouveaux buts et de directives toutes neuves pour le clan, et la base allait forcément devoir faire avec. Fraîchement promue au rang de Shateigashira, Kanon avait un rôle facilitateur auprès des femmes et des hommes d'armes du clan, ses subalternes, afin que les perturbations de transition ne soient bientôt plus qu'un mauvais souvenir.

Elle savait bien qu'au fond, Shatei comme Kyodai n'auraient pas bien le choix de l'écouter et de se plier à la nouvelle norme. C'était cela ou l'exclusion. Et elle connaissait assez la nature humaine pour savoir que celle-ci craignait souvent plus le rejet de sa communauté que la mort, surtout à Decay qui était une ville de non-droit où il n'était pas bon de traîner seul. Ainsi, elle avait confiance en la plupart pour changer de paradigme et s'adapter assez rapidement, mais elle savait aussi que certains guerriers vieux de la vieille éduqués, endoctrinés, aux anciennes visions auraient forcément du mal à s'adapter au nouveau gouvernement, et seraient certainement moins enclins à respecter les volontés de la nouvelle Oyabun ; à savoir la revalorisation des femmes Yakuza qui n'avaient pas ou peu accès aux postes à responsabilités auparavant et la liberté de culte quand Dragon l'interdisait purement et simplement.

Deux départements avaient aussi été supprimés : le recel et l'assassinat. Kanon venait de ce dernier, aussi elle ne se gênait pas pour penser que cette promotion ainsi que cette nouvelle vision du clan l'arrangeaient forcément pour ne pas dire que la nouvelle mouture lui allait impeccablement, en plus de l'avoir délestée d'un mari encombrant. Pensées qu'elle garderait pour elle, évidement. Bref...la section de la guérilla et celle de la contrebande allaient avoir l'une comme l'autre un afflux de main d'œuvre important à gérer. Les travailleurs déjà en place allaient gueuler qu'on marche sur leurs plates-bandes et les laissés-pour-compte devront faire leurs preuves. L'ordre des choses seraient forcément bousculés : tout ceci était très bien mais annonçait des tensions qui se règleront peut-être d'elles-mêmes, ou peut-être pas. Il était trop tôt pour le dire.

Pour ces derniers jours, Kanon cherchait surtout à gagner la confiance des Kyodai et s'attaquerait aux Shatei sans doute un peu plus tard, lorsque sa rumeur aurait circulé dans le clan. En tant que "grands frères", il lui semblait plus logique de convaincre les Kyodai en premier, afin de ne pas s'attirer leurs foudres si ses ordres et leurs recommandations iraient en conflit sur le terrain ou ailleurs. Ce serait une bien mauvaise manœuvre. Et aujourd'hui, elle s'intéressait surtout au trafic d'explosifs. Ce n'était pas des...outils qu'elle avait eu l'habitude d'utiliser, aussi elle attendait de voir comment cela se passait précisément.

Il y avait quelques jours, elle avait envoyé un mail à l'attention des Kyodai de la section, leur demandant de choisir un représentant qui viendrait à sa rencontre. Emmett McCoy était un artificier d'à peu près son âge et d'expérience équivalente. Comme Kanon le connaissait de nom, elle supposait qu'elle avait sans doute déjà travaillé avec lui, de loin car leurs spécialités n'étaient pas les mêmes. Elle lui avait donc donné rendez-vous au sein du restaurant de l'Ichikaru pour la première phase de son plan. Kabukichô était un endroit sûr, sous contrôle Yakuza et personne ne se faisait de fausses idées à propos du clan Ikigami, après tout. L'Ichikaru leur appartenant, ils n'avaient donc rien à cacher.

La cloche intérieure du restaurant de nouilles sonna, Kanon reporta son regard terne vers le nouvel arrivant et il s'illumina. Le voilà !

"McCoy-san, bienvenue." dit-elle en lui présentant sa main. Oui, ce n'était pas très japonais, mais le Japon était pour elle un souvenir terriblement lointain, et elle avait noté que McCoy ne venait certainement pas de là non plus. Elle eut le réflexe de s'incliner légèrement cependant, par habitude... et pencha un peu la tête sur le côté. "Ne nous sommes pas déjà croisés lors d'une mission ces dernières années ?"

Khalkéus était toujours exaspéré quand on l'appelait le Fou de Milétos. Il détestait l'inexactitude de cette description, car il n'était pas de Milétos. Être traité de fou ne le dérangeait pas le moins du monde.

Arrivé devant l'Ichikaru il referma son livre et le rangea dans la sacoche qu'il portait en bandoulière. Ce n'était pas dans son habitude de lire les premières phrases d'un nouveau chapitre quand il savait qu'il allait devoir s'arrêter mais ce n'était pas sa première lecture de l'ouvrage alors cela n'avait plus autant d'importance. Il aimait bien le personnage de Khalkéus il n'était pas présomptueux au point de se comparer à lui mais il ne pouvait nier qu'ils avaient quelques points communs. Forgeron et ingénieur naval, cet homme avait construit le plus grand navire de son époque en dépit des superstitions et des avis de ses contemporains. Loin de prétendre avoir un tel impact sur son domaine d'expertise, Emmett se moquait tout autant des avis de ses contemporains et de ce qu'on pouvait penser de lui que le Fou de Milétos. Il faisait ce qu'il avait à faire comme il lui semblait devoir le faire et espérait simplement qu'on lui foute la paix en retour. Néanmoins, ces dernières semaines n'avaient pas été très réussies sur ce dernier point.

Les changements à la tête du clan avaient redistribué les cartes du pouvoir et fait prendre un virage inattendu aux activités du clan. Sans pour autant être complètement pacifié le clan allait renoncé à ses activités les plus belliqueuses. Ils avaient été un peu trop efficaces et on préférait sans doute les museler maintenant que de voir tout Decay se retourner contre Kabukichô. C'était compréhensible, même plutôt raisonnable, mais cela risquait de faire sombrer Emmett dans une routine bien trop pesante pour lui. Il avait cependant décidé de se tenir à carreau pour le moment, ne pas faire de vagues dans l'immédiat était le meilleur moyen qu'on ne vienne pas trop l'embêter, et d'aviser ensuite, quand tout ça se serait tassé, comment pimenter un peu son quotidien morose.

Puis vint le mail. La nouvelle Shateigashira voulait faire un brin de causette avec un "représentant" de la branche la plus détonante de son nouveau cheptel. Quand un chef annonçait à ses subordonnées qu'il avait besoin de "parler" à quelqu'un cela ne soulevait jamais un enthousiasme débordant chez les principaux intéressés. Cette fois ne faisait pas exception à la règle et l'hypocrisie nippone désigna volontaire Emmett McCoy pour cette entrevue. Certes c'était sans doute l'un des plus expérimentés sur la question épineuse des engins explosifs mais c'était surtout que ses collègues plus "japonais" avaient tous insisté pour que cela soit lui en usant d'arguments plus ou moins pertinents, refusant d'assumer qu'aucun d'eux ne voulaient y aller et que désigner tous le même individu était beaucoup plus simple, surtout quand personne le l'appréciait particulièrement.

Poussant la porte du restaurant, il n'eut aucun mal à reconnaitre celle qui lui avait donné rendez-vous. Serrant la main tendue de la Shateigashira, il ne manqua pas de se faire la réflexion que ce genre de salutation était assez inhabituelle. Sans doute essayait-il de mettre à l'aise le Gaijin qu'il était, cela le fit sourire intérieurement.

"- Ne nous sommes pas déjà croisés lors d'une mission ces dernières années ?
- Si vous aviez déjà besoin de faire sauter quelque chose, j'ai probablement été impliqué de près et de loin, Aizawa-dono."

Son japonais n'était pas parfait. Il n'avait généralement aucun mal à comprendre ses interlocuteurs mais ses tournures étaient encore par moment maladroites et ses conjugaisons pas toujours adaptées. Mais une fois un court temps d'adaptation passé pour ses nouvelles connaissances tout se passait très bien, en général. Néanmoins cela participait sans aucun doute à la mauvaise impression qu'il laissait à la plupart de ses collègues nippons.

Les deux quarantenaires allèrent s'assoir à une table et on vint immédiatement prendre leur commande. Le patron les avait reconnus, tout les deux, et savait quoi faire dans ce genre de cas pour déranger le moins possible les conversations souvent confidentielles que ce genre d'individus pouvait avoir à mener. Emmett n'ajouta rien de plus, après tout c'était sa supérieure qui avait demandé à voir quelqu'un, elle n'allait pas tarder à révéler le but de leur entretien... ou échanger des banalités. Dans ce dernier cas, Emmett risquait d'avoir du mal à cacher sa lassitude. Contrairement à la plupart des habitants du quartier, il se moquait bien des avis des autres sur lui et de toute cette notion de "garder la face" socialement.

Une affaire banale, oui, maintenant qu'elle en parlait cela lui revenait en mémoire. Effectivement l'histoire de ce Bob n'avait rien de mémorable aux yeux de l'artificier, pas de défi technique à relever, pas de nuit de travail interminables, juste la routine. Mais cela n'était pas le sujet de leurs retrouvailles si... émouvantes... en ce jour. Heureusement pour Emmett, son officier supérieure avait décidé d'en rester là pour les banalité et d'en venir aux faits. Elle avait décidé de passer à l'anglais, si ça pouvait lui faire plaisir Emmett s'en moquait bien, même imparfait son japonais lui était désormais presque naturel et ne lui demandait plus vraiment d'efforts. Cependant il se serait bien passé des formules à rallonge et des pincettes classiquement nippones prises avec chaque phrase, chaque mot.

"Merci de vous être déplacé, Monsieur McCoy. Vous devez vous demander pourquoi j'ai demandé à... Bla bla bla Les effectifs de la branche des assassinats ont été partagés dans les autres, n'est-ce pas ? Pourriez-vous me dire comment cela se passe de votre propre point de vue ?"

L'espace d'un instant il se demanda s'il était toujours chez les Yakuzas ou dans un bureau à écouter son nouveau manager dans un informal meeting cherchant le feedback de ses collaborateurs. Mais il savait très bien que la forme comptait énormément pour les Yakuzas, et pour la plupart des japonais en général. Il mit quelques secondes avant de hausser les épaules et de répondre. Son accent écossais était loin d'être aussi prononcé que dans sa jeunesse et Kanon ne devrait avoir aucun mal à le comprendre.

"Y'a eu quelques nouvelles têtes, oui. Chacun sait ce qu'il a à faire et tant qu'il n'y a pas d'accident je n'ai aucune raison de m'en mêler."

C'était une réponse sans doute trop simple et pas assez bien emballée pour la Shateigashira mais il était trop vieux pour jouer à ce genre de conneries. Si elle l'avait fait venir exclusivement pour parler bureau le repas risquait de leur paraître très long à tout les deux.