[PV] Ce que le chêne voit du bourgeon

CE QUE LE CHÊNE VOIT DU BOURGEON
♫ Now I Am Become Death ♪


Ryuuko descendit du taxi en sortant son parapluie, ajusta sa cravate. Elle leva le nez pour observer la vieille bâtisse face à elle. Ne portant pas plus d’attention à la peinture délabrée la travestie poussa la double-porte qui n’indiquait rien sinon le numéro 17. Une fois à l’intérieur l’immeuble n’avait pas meilleure allure. Les sols étaient vétustes et les murs dégageaient une odeur humide de moisissure. La japonaise retroussa son nez, prit les escaliers à sa droite et se présenta à un homme baraqué qui l’accueillit avec un sourire. Une porte plus loin se trouvait un complexe sportif mal équipé et moyennement entretenu. Ryuuko avait choisi ce lieu pour sa position géographique : Medellin était un quartier plus calme que les autres, surtout à proximité de l’Église. C’était probablement un lieu rassurant pour Envy, la demoiselle qui devait la rejoindre.

C’était Ryuuko qui avait porté l’attention de son patron sur la jeune femme, au détour d’une course commune. Malgré tout la travestie avait été soulagée qu’ils soient arrivés à temps et qu’Envy soit indemne physiquement. La japonaise craignait naturellement pour le mental de la victime d’harcèlement ; bien qu’à Decay ces mésaventures étaient monnaie courante. En outre Ryuuko avait manqué de tact pour ces mêmes raisons et comptait bien se rattraper aujourd’hui. Elle était cependant paniquée de devoir faire face seule à une femme, elle-même incapable d’aligner deux mots sans être maladroite face aux jolies dames. Nonobstant ce souci aujourd’hui était un cours, dans ses cordes qui plus est ! Tout irait bien. D’un geste vif la japonaise dégagea la manche de sa veste pour regarder sa montre. Il était bientôt l’heure.

Elle s’éclaircit la gorge et s’observa dans l’immense miroir taché posé au mur. Puisque l’entraînement d’aujourd’hui était un ordre de son patron Ryuuko était restée dans ses vêtements de travail : un costume masculin noir, avec une chemise noire, et une cravate noire. Une sobriété extrême. Elle soupira en baissant les yeux sur ses baskets à semelles blanches - obligatoires pour louer la salle. Elle n’avait de toute façon que très peu de vêtements pour homme, se faisant passer comme tel uniquement en dehors de chez elle. Et lorsqu’elle n’était pas dans son appartement à admirer son poisson rouge, elle travaillait. Ainsi Ryuuko n’avait que ses costumes noirs à porter. Bien sûr elle possédait quelques vêtements de sports : leggings, brassières et hauts aérés. Mais cela aurait immédiatement trahi son genre et il en était hors de question : comment aurait-elle pu faire face à Envy en tant que femme ? Sa timidité face aux gens de même sexe était trop importante.

Le temps perdu dans ses pensées la rattrapa et lorsque la porte s’ouvrit, Ryuuko fit volte-face d’un mouvement lent et mécanique, à l’instar d’un androïde. Ses membres étaient rigides et son sourire crispé. Elle balbutia d’un ton bas pour le garder grave :

« B-Bonjour, Envy-san. » Elle s’inclina légèrement, se redressa, puis détailla sa tenue. « V-Vous êtes prête pour quelques leçons ? »

Ses bras étaient immobilisés le long de son corps, même en se redressant. Elle n’avait qu’une hâte : rentrer dans le vif du sujet pour distraire ses songes. Cette séance allait la ramener loin dans ces souvenirs, comme cette salle de danse familière aux tapis miteux dans laquelle elle s’était parfois entraînée des années de cela.

Qu'est-ce qu'on mettait lors d'un cours de sefl-défense ? Bien sûr pas de robe, ni de jupe, c'était clair comme de l'eau de roche. Mais ensuite ? Un jean ? Un peu trop serré peut-être ? Un jogging ? C'était peut être là, la meilleure solution. Ce n'était pas un défilé de mode, de toute façon. Laçant ses baskets, dernière étape, la jeune infirmière se redressa et apres un dernier coup d'oil dans le miroir elle quitta son appartement.

Lors d'une de ses mésaventures, malheureusement très courantes à Decay, Envy avait rencontré Akemi et son subalterne, Ryuuji, qui soit disant passant l'avait sauvé d'un traumatisme certain. Un viol, trop habituel sur cette île. Qu'est-ce qu'elle serait advenue ? Serait-elle devenue une épave ou au contraire une machine de guerre, avare et assoiffée de vengeance. Même si la jeune brune avait du caractère, elle s'était sentie minable devant toute cette violence. C'était bien beau de vouloir rentrer dans Decay, mais il fallait avoir les épaules solides ! Et la question essentielle était celle-là : Les avaient-elle?

Traversant les différents quartiers de la ville, la jeune femme accéléra la cadence. Il était près de trois heures de l'après-midi et étrangement, les ruelles étaient étrangement calmes. Ou pas... Ce n'était pas étonnant, les loups ne hurlaient qu'à la tombée de la nuit. Akemi lui avait donnait l'adresse par texto, lui expliquant qu'il ne pourrait pas être présent et que son garde-corps prenait le relais. C'était dommage, elle aurait bien voulu le revoir, peut être une prochaine fois... Pas que la compagnie de Ryuuji lui déplaisait, mais pour le peu qu'Envy l'avait côtoyé, c'était un homme plutôt peu loquace et extrêmement réservé. Là pour servir son maître, et rien d'autre. Après, elle se faisait peut-être une trop belle idée d'un cours maîtrisé par un Yakuza ?

Soufflant sur ses mains pour se les réchauffer, le ciel gris menaçait de lui tomber sur la tête et le vent n'arrangeait pas grand chose à la chose. Arrivée devant l'immeuble peut être moins insalubre que les autres, mais pourquoi s'attardait sur un détail futile ? Sa main poussa la lourde porte du bâtiment et elle s'approcha du gardien afin de lui demander où était le complexe sportif. Surement surpris de voir une femme aussi menue qu'elle s'intéresser au sport, il la dirigea d'un mouvement de pouce. L'infirmière le remercia d'un mouvement du menton et s'approcha de la porte. Respirant un long moment, la brune poussa le battant et fut légèrement ébloui par la lumière extrêmement forte par rapport au couloir, presque inexistante.

Envy sursauta lorsque la voix, qu'elle devinait celle de son professeur, retentit à ses oreilles et finit par lui sourire gentiment. Le détaillant, cet homme n'avait pas du tout changé, depuis qu'elle l'avait rencontré. Extrêmement timide, une voix assez claire et douce, l'acculant déjà de question.

- Bonjour Ryuuji, j'espère que je ne vous ai pas fait trop attendre ?

La brunette déposa son manteau sur une table abandonnée et baissa les yeux sur ses vêtements :

- Je ne savais pas ce qu'il fallait mettre pour un cours de self défense, j'espère que ça ira ? Demanda t-elle un peu soucieuse.

Envy releva la tête et fixa son interlocuteur et sourit un peu amusée, toujours aussi mal à l'aise envers les femmes, il était encore plus gêné lorsque son maître le laissait seul.

- Je vous remercie encore de m'avoir sauvé et de prendre le temps de m'apprendre quelques notions de défense...

Envy se mordit un peu la lèvre et ressert sa queue-de-cheval pour combler le malaise, puis lui fit son plus beau sourire pour lui faire comprendre que cet épisode était qu'un mauvais souvenir.

- Je suis prête !...

CE QUE LE CHÊNE VOIT DU BOURGEON
♫ Now I Am Become Death ♪


Aussitôt Ryuuko avait-elle posé ses yeux sur Envy que son estomac se noua. Heureusement elle était jeune : aussi, bien que naturellement jolie la yakuza n’était pas spécialement attirée par la demoiselle. Cela l’aiderait à garder la tête froide et ne pas rougir au moindre mot. Cela étant dit la japonaise restait mal à l’aise à l’idée de toucher ce corps féminin. Elle hocha la tête de gauche à droite pour balayer ses songes, repoussant ses craintes à plus tard ; mais ce tard arriverait bien vite.

« Non, je n’ai pas attendu. » Son sourire se tordit légèrement, par timidité. « Vos vêtements sont très bien. C’est surtout pour être à l’aise pour apprendre, mais vous ne porterez sûrement pas un jogging en situation réelle de toute façon. » Elle frissonna : avait-elle bien fait d’aborder le sujet ainsi ? Nerveusement Ryuuko plaça une mèche derrière son oreille et baissa les yeux. « B-Bien, allons-y... »

Elle inspira un coup et se plaça face à la jeune femme. Elle n’était pas experte du self-defense en réalité : elle avait appris à se battre pour tabasser à l’Arena et pour intimider voire torturer chez les Yakuza. Néanmoins les bases étaient plus ou moins les mêmes d’un art martial à un autre quand il s’agissait de se dégager d’une prise. La japonaise joignit ses mains, les doigts tendus. Ses épaules étaient soulevées par la tension et sa voix chevrotait un peu.

« J-Je vous propose de vous apprendre quelques techniques basiques aujourd’hui. Si vous souhaitez apprendre davantage et au fil du temps, nous pourrons toujours nous revoir. » Elle s’approcha subitement, prête à attraper Envy ; elle avorta son geste au dernier moment. Les yeux ronds elle accrocha le regard de la jeune femme. « E-Euh, je peux ? Je veux… Je vais juste vous montrer. »

Il était difficile de ne pas être mal à l’aise. Ryuuko sentait déjà la sueur couler le long de son dos et son expression demeurait intense. Fronçant les sourcils la travestie tentait de se concentrer sur son cours, bien qu’elle n’ait jamais tenté être un quelconque professeur jusqu’ici.

« Je vais vous prendre le poignet. » Aussitôt elle joignit l’acte à la parole. Sa poigne était ferme mais pas forte : Envy pouvait facilement s’en dégager. « L’erreur classique, dans n’importe quelle situation d’agression, est de vouloir utiliser sa force pour se dégager. » Le contact de sa peau contre la sienne faisait battre son cœur à tout rompre. Malgré cela Ryuuko restait concentrée ; elle posa ses iris sur ceux de la jeune femme. « En l’état, à en juger par votre masse et votre corpulence, les chances que vous soyez plus forte que votre agresseur est proche de zéro. »

Soudain la japonaise s'alarma. Elle baissa son regard sur sa main tenant encore le poignet d’Envy ; elle la retira brusquement. Elle n’avait pas eu besoin de ça si c’était juste pour parler ! La travestie commençait à se terrifier. Elle se justifia :

« C-Ce n’est pas une insulte, b-bien sûr ! » Et à présent, il lui fallait faire une démonstration : elle devait donc recommencer. Quelle idiote ! « J-Je peux ?... » demanda-t-elle une fois de plus avant de saisir le poignet d’Envy. On avait rarement vu professeur d’art martial aussi prévenant ; Ryuuko savait que ce n’était pas une qualité pour l’avoir expérimenté. Cela tendait à briser le rythme et égarer les élèves. « Si quelqu’un vous attrape votre poignet ainsi, saisissez le sien de votre main libre. » Sa main hésitante vient attraper celle de la jeune femme, son regard cherchant le sien pour obtenir une approbation. « Une fois que vous l’avez saisi en retour, faites un moulinet. » Elle imita le geste de sa main libre. « Comme ceci. »

D’un geste lent et doux, Ryuuko vint récupérer la seconde main d’Envy et la plaqua à plat contre le haut de son pectoral. Elle rougit très fortement : son bender serrait sa poitrine mais elle n’en demeurait pas moins une ! Elle ne faisait qu’effleurer étant donné la zone mais cela était suffisant pour totalement paniquer la timide yakuza.

« S-Si vous n’avez pas assez de force, poussez l’agresseur e-en plaquant votre ma… main contre sa poitrine, t-tout en faisant le moulinet. » Le rythme de ses mots était erratique, s’accélérant au fur et à mesure. Elle ajouta presque en s’écriant, affolée : « D-D’un geste sec ! »

Elle sursauta elle-même du ton qu'elle avait employé. Elle ramena ses deux mains contre elle avec un air navré.

« P-Pardon, je vous ai fait peur ? » Elle laissa tomber ses bras le long de son corps. « O-On recommence ? »

Cela n’aurait pas dû être une question. Il était clair que Ryuuko avait peur de s'imposer.

La jeune infirmière sourit poliment, essayant de détendre son professeur. Mais c’était peine perdue. Son interlocuteur était et resterait timide. Lorsqu'elle l'avait rencontré auprès d'Akemi, elle ne l'avait jamais entendu prononcer un mot. Ceci étant, Envy se doutait que s'il pouvait ne pas être obligé de parler à cet instant, il l'aurait fait. Elle savait que les Yakuza étaient très à cheval sur la hiérarchie et Ryuuji était simplement un subalterne. Etait-ce pour ça qu'il était aussi introverti ?

La jeune brune n'eut pas le temps de continuer de se perdre dans ses suppositions incongrues que le maître d'arme se retrouva face a elle, qu'elle en recula d'un pas, surprise. Mais le plus surpris était bien sur Ryuuji qui demanda l'autorisation de la toucher pour pouvoir entamer les gestes de self défense. Envy hocha la tête pour toute approbation légèrement mal à l'aise, également. Etait-ce parce que lui-même lui communiquait son stress, ou parce qu'elle se retrouvait dans le vif du sujet en présence d'un homme.

Sa poigne sur son poignet était plutôt douce, mais pourtant son cœur rata un battement, alors que sa respiration s’accéléra et sa vue se brouilla. L'accélération de son rythme cardiaque tapait dans son crane et la jeune infirmière se retrouva dans la position lorsqu'elle s'était faite agressée, la voix de son interlocuteur n'était plus. Elle ne pensait pas qu'elle soit si traumatisée pour revivre cet épisode dans ses plus sombres ressentiments. Tout allait bien n'est-ce pas ? "hugh", était la seule chose qu'elle réussit à dire lorsqu'elle revint auprès du Yakuza réalisant qu'il lui avait lâcher le poignet. Qu'avait t-il dis ?

- Tout va bien, Ryuuji,  mentit-elle. On peut continuer....

Le professeur d'arts martiaux reprend son poignet avec prévenance et en respirant un grand coup, la jeune fille se concentra sur les paroles parfois tremblantes, ne voulant pas repartir dans un souvenir post-traumatique. Son regard toujours baissé sur son poignet, elle se concentre sur les mouvements distordus afin que la prise de Ryuuji n'existe plus. Des gestes doux et délicats pour qu'elle puisse assimiler.

La jeune infirmière hoqueta et finit par relever enfin la tête quand sa main frôla le torse de son professeur. Elle n'avait pas l'air, mais, elle n'avait jamais touché de prés un homme pourtant ce qui la perturbait le plus c'est le très minime renflement lorsque sa dextre se posa sur le milieu de sa poitrine. Le froissement du tissu qu'il portait faisait légèrement ressortir une poitrine, certes très discrète, mais une poitrine... Et non pas de pectoraux comme elle l'aurait imaginée... C'était tellement rapide, qu'Envy crut avoir rêvé. Mais la ferveur dont l'homme faisait preuve, la fit réaliser beaucoup de choses. Etait-elle finalement face a une femme ? Sa timidité envers la gente féminine avait peut-être une raison ?

- Ryuuji, calmez vous. Dit-elle avec un sourire. Respirez profondément, je ne vais pas vous tuer.

Elle lui prit avec délicatesse les mains et le fixa avec bienveillance. Le sien était fuyant, comme un petit chiot apeuré.

- Faisons une pause, le temps de reprendre nos esprits.

Cela faisait seulement cinq minutes qu'ils avaient commencé, mais ça les avaient tous les deux éprouver. Envy pour son agression, Ryuuji pour sa timidité et son malaise.

- Dites, Ryuuji, vous me permettez de vous tutoyer ? Je pense qu'on peut dire que l'on se connaît un peu quand même ? Dit-elle timide.

La jeune brunette se laissa s’asseoir sur le sol et l'invita à faire de même avec un sourire.

- En fait, je ne pensais vraiment pas que ça m'avait autant marqué, cette agression, dit Envy en frottant une mèche de cheveux entre ses doigts. Tu crois que je prends cette histoire trop au sérieux ? J'ai peut-être trop compté sur mon fort moral, mais lorsque tu as touché mon poignet la première fois, je me suis revu dans cette ruelle avec cet homme sur moi.

La jeune fille lui sourit timidement, les larmes aux yeux.

- Si vous n'avez pas été là, je sais qu'ils m'aurait sûrement tué après avoir abusé de moi...

Doucement, elle s’essuya les coins des yeux.

- J'ai vraiment du mal à vivre ici, comment faites vous, tout les deux ?

Elle avait beau être à Decay pour une bonne raison, toutes les personnes l'avaient prévenu, tout était beaucoup plus sombre ici.

CE QUE LE CHÊNE VOIT DU BOURGEON
♫ Labyrinth ♪


Ryuuko se maudissait. Aussi incertaine, elle ne pouvait que communiquer son angoisse. L’assurance était la plus réconfortante attitude à avoir et elle, était tout à l’opposé. À quoi avait pensé Akemi en l’envoyant faire ce cours à sa place ? La réponse était arrivée aussitôt. Exactement pour ce qui arrivait, en cet instant. La yakuza inspira un grand coup. Elle devait prendre son courage à deux mains et affronter cet obstacle. Après tout, Envy était encore une gamine : il n’y avait pas de quoi s’exciter ! Sa timidité ne quittait néanmoins pas si facilement sa voix chevrotante et son attitude hésitante. Même son élève lui conseillait de se calmer. La honte songea la kyodai en balbutiant un « O-Oui... » désœuvré.
Le contact soudain des mains de la jeune fille sur les siennes fit sursauter la travestie ; ce n’était pas un bon moyen de la calmer. Son coeur fit un bond mais elle ne dit rien, se contentant de fixer Envy avec un air béat. Elle acquiesça à sa proposition et soupira de soulagement lorsqu’enfin elle fut physiquement libérée.

« Oui, bien sûr, tutoyez… Tutoies-moi. »

C’était quelque chose qu’elle ne tolérait absolument pas avec un japonais, mais elle n’était pas Kabukichô et, en tous les cas, en Decay. Ryuuko s’était habituée aux mœurs occidentales lors de ses longues années de vie dans le quartier de Chicago. En laissant une distance suffisante entre elles deux, Ryuuko s’assit à son tour à même le sol, après avoir lissé son pantalon comme s’il s’agissait d’une jupe plissée, par habitude.
L’atmosphère avait quelque chose d’étrange, comme si le temps s’était mis à s’écouler plus lentement. Ses yeux fixèrent la pluie tambouriner les lucarnes en haut du mur face à elle. Ses oreilles se concentrèrent un instant sur cet unique bruit alors que son regard baissait sur les murs vétustes et le sol abîmé. La voix d’Envy lui parvint, brisant le son monotone des averses.

« Non… Non, c’est normal, d’être secouée. » Elle tourna son visage vers la jeune fille pour lui sourire avec compassion. « C’est malheureusement courant à Decay… Les gens comme moi sont habitués… C’est ce qui m’a poussé à apprendre à me battre, aussi. » Glissant ses prunelles sur le plancher, Ryuuko ramena ses genoux à son torse. « J’avais l’impression que je ne ferai pas long feu, sinon. »

Elle fixa une nouvelle fois les minuscules fenêtres, perdue entre deux songes. Elle réfléchit un instant avant de répondre à la question pertinente de son élève.

« Les gens d’ici font avec, tout simplement. C’est comme vivre dans la pauvreté. On est enfermés dans cette situation. » Elle rit nerveusement. « Bien sûr, moi, c’est un peu différent. Je pourrais probablement retourner au Japon à tout moment, mais j’ai des devoirs ici. » Elle posa de nouveau les yeux sur Envy. Son expression témoignait une extrême patience et son sourire une gentillesse infinie. « J’habitais à Neo-Atlantis, avant. Quand je suis arrivée à Decay, j’ai cru… J’ai cru que je n’allais pas m’en sortir. J’avais du mal à vivre, exactement comme toi. A ce moment là, tu n’as que deux solutions… »

Elle marqua une pause durant laquelle ses longs cils caressèrent ses joues. Les yeux demi-clos, la voix plus basse, Ryuuko conclut :

« Te laisser détruire par cette ville jusqu’à ne devenir que l’ombre de toi-même. » Ses yeux sérieux se plongèrent dans les pupilles de son interlocutrice. « Ou trouver un moyen de résister et te battre pour survivre. »

Le clapotis des gouttes tambourinant contre les vitres de la pièce nuançait parfaitement avec l'état émotionnel dans lequel était la jeune infirmière. Le ciel grondait comme son cœur grondait de ne pas se satisfaire sa soif de savoir. Savoir ou sa mère aurait pu disparaître. Elle savait que les recherches allaient être longues et fastidieuses, mais ce qu'elle avait ignoré, c'est la dureté de la vie à Decay. Les gens sur cette île étaient imbus de leur petite personne, avare de plaisir charnels, et d'autres joyeusetés de ce genre. Elle avait pourtant des personnes autour d'elle, autant bienveillantes qu'elle-même, Midas, Akemi, Alessa, Ryuuji et malheureusement son cœur bien accroché n'était pas à la hauteur de la monstruosité de Decay.

Elle boit les paroles réconfortantes de la Yakuza comme la terre boit l'eau afin de se revigorer. Elle n’était qu'un petit roseau, loin d’être le rosier majestueux qu'était Akemi ou Ryuuji. Les filles ici pourtant avaient l'air de s’épanouir -certes à leurs façons-, mais de s’épanouir tout de même. La brune ne voulait surtout pas tremper dans quoique ce soit d'illicite, mais elle voulait tout de même se sentir bien et vivante. Chose qu'elle n'arrivait pas à ressentir. À Neo, au moins elle se sentait utile, et même si Envy s'occupait de la petite fille Midas, il lui manquait quelque chose. Les bras peut-être de son père? Elle les reverrait sûrement jamais. Des questions dont elle n'avait pas les réponses mais ce dont elle était certaine c'est que son dernier souffle serait ici sur cette ile. Dès lors qu'elle avait dépassé le checkpoint, elle avait su que son tombeau serait assiégé ici.

- Je suis venue ici pour une seule chose, c'est pour retrouver ma mère et n'avoir aucune piste me fruste énormément. dit-elle en posant ses mains derrière elle et relevant la tête vers le plafond. La petite fille que j'étais était trop sur d'elle. À croire que les enfants ont une détermination plus forte que n'importe quel adulte.

La petite brune se souvenait les fois où elle s’était disputé avec son paternel à coup "de toute façons lorsque je serais grande j'irais chercher Maman" avec la porte de sa chambre qui claque, la ferveur dont elle avait fait preuve lorsqu'elle avait rencontré Alessa. Elle aurait voulu retrouver son aplomb d’antan.

- Je crois que je cours après des souvenirs déjà perdus d'avance. Ma mère a disparu ici depuis presque 16 ans maintenant et je n'ai jamais eue de nouvelles. Je dois me faire une raison, je ne la retrouverai plus.

Il était peut-être temps de tirer un trait sur le passé et avancer vers l'avenir malgré les incertitudes qui planent sur Decay. Envy ne savait pas encore lire dans le futur, mais elle était assurée d'être entouré par certaines personnes bienveillantes et une chose était sure pour son père, Midas, Kassiope, Akemi, Ryuuji, Alessa, certains à peine rencontrés, elle ne mourrait pas aujourd'hui, pas sans se battre.

- Je veux vivre Ryuuji, pour toutes les personnes qui m'ont aidé à Decay. dit-elle en ancrant ses billes bleues dans ceux de son professeur.

Elle lui tendit amicalement la main afin qu'elles se relèvent toutes les deux en même temps.

- On reprend ? Demanda l'infirmière avec un sourire. J’aimerais arriver un jour à déstabiliser le grand Akemi, et qu'il voit comme j'ai progressé avec toi !

Bien sûr, il était peut probable qu'un jour Envy puisse amicalement parlant se battre avec Akemi, vu son haut rang, mais rien que d'y penser ça la motivait et lui mettait du baume au coeur !

CE QUE LE CHÊNE VOIT DU BOURGEON


Il était aisé pour Ryuuko de compatir aux doutes de la jeune fille. Decay était une ville sévère qui aimait davantage prendre que donner. Bercée par le son de la pluie battant les fenêtres, la japonaise écouta patiemment Envy. Elle opinait parfois du chef pour démontrer son attention et gardait ce sourire doux qui la caractérisait tant lorsqu’elle ne travaillait pas. Son cœur se serra : bien que leurs situations furent très différentes Ryuuko ne put s’empêcher de faire la parallèle avec sa propre vie. Elle pinça sa lippe sans rien dire, laissant place à la jeune femme de s’exprimer comme elle le souhaitait.

« J’ai envie de te dire d’y croire encore, mais d’un autre côté, si ta situation t’empêche d’aller de l’avant alors peut-être qu’il vaut mieux te faire une raison, en effet. » La travestie se tritura les doigts contre ses genoux, anxieuse malgré tout de l’interaction entre elle et Envy. « Peut-être peux-tu commencer par une pause dans ta recherche. »

Ryuuko n’osait pas dire le fond de sa pensée. Seize années n’étaient pas rien et Decay était bien plus petite qu’on ne le croyait : c’était bien trop de temps pour présager du bon. Néanmoins la japonaise ne voulait pas incarner un quelconque bourreau ou diseuse de mésaventure. Au final son discours disait tout et rien : c’était des phrases un peu bateau pour ne pas se mouiller. Elle n’en connaissait pas assez pour tergiverser intelligemment de toute manière. Malgré tout lorsque Envy affirma vouloir vivre pour ceux qui l’avaient aidé, le visage de Ryuuko s’illumina d’une tendresse sincère. C’était une belle mentalité et cette jeune femme avait une belle âme ; la yakuza espérait de tout cœur qu’elle survivrait dans cette maudite ville.

« C’est un bon objectif pour commencer. » affirma-t-elle avec un sourire amusé.

Ryuuko hésita un instant à prendre la main de son interlocutrice. Elle tendit la sienne, la recula, puis la saisit finalement en fuyant le regard azur d’Envy. Le rouge sur ses joues en disait bien assez sur son état émotionnel. Une fois debout la travestie se tapota les fesses par réflexe pour enlever l'éventuelle poussière. Elle rit avec honnêteté.

« Il va falloir travailler dur, alors. Le boss n’est pas si facile à battre qu’il n’en a l’air ! »

Surtout avec ses airs de midinette et ses attitudes concupiscentes. Ryuuko tenta de se détendre face à Envy et roula des épaules pour y relâcher leur tension.

« Ça va aller ? » s’inquiéta-t-elle alors qu’elle songeait à resaisir le poignet de son élève. « Tu as retenu ce que je t’ai expliqué tout à l’heure ? Si quelqu’un saisit ton poignet, tu dois attraper le sien avec ta main libre et faire un moulinet. Comme tu ne dois pas avoir beaucoup de force, je te conseille aussi de le repousser aussitôt en plaquant ta main contre sa poitrine. » Elle sourit avec embarras. « On y va ? »

Inspirant discrètement, songeant qu’il valait mieux se concentrer et ne songer à rien, Ryuuko se mit inconsciemment en position de combat. Pourtant, il était peu probable qu’un agresseur le fasse. Rapidement, elle attrapa le poignet d’Envy, fermement mais sans faire mal. La japonaise était prête à attendre le temps qu’il fallait et répéter mots et gestes autant que nécessaire si cela pouvait aider une jeune femme aussi admirable à survivre à Decay.

Enfin, Ryuuji se détendait et ce n'était pas plus mal. Il avait enfin souri, d'un sourire chaleureux et sans la moindre peur dans son regard. À croire que c’était plutôt son professeur qui était le plus traumatisé. Sa main était plutôt d'une poigne sincère et chaude. Celle qu'on apprécie d'attraper lors de notre période sombre. Celle qui nous remettait dans le droit chemin.

Le maître d'arme tente même de plaisanter, ce qui fit sourire la jeune infirmière. Il avait peut-être raison, arrêter de s'acharner sur quelque chose qui nous échappe était la meilleure des solutions. Mais ça ne voulait pas dire abandonner, et laisser -ou qu'elle soit- sa mère. Envy avait encore trop de caractère pour laisser ses mauvaises idées reprendre le dessus.

- Je suis une combative, ce n'est pas le grand Akemi que me fera peur ! dit-elle avec un petit rire.

Bien sûr, elle plaisantait, la petite brune avait énormément de respect envers les deux Yakuzas. Un profond attachement, car tout ce qu'ils faisaient pour elle, valait la peine de survivre dans cette ville de rustres, malgré ce qu'elle avait vécu, et ce qu'elle allait vivre ici.

La petite brune opina derechef lui faisant comprendre que tout allait bien. Concentrée sur la prise que son professeur avait sur elle et sur les mouvements qu'il lui avait montré, elle ne l’écouta que très peu. Les gestes de Ryuuji étaient certes beaucoup plus spontanés et moins tremblants, la jeune infirmière voulait se donner du mal et que son professeur soit fière d'elle. Étant la fille du directeur de l’hôpital central de Neo, il avait fallu qu'elle mérite sa place, alors elle se donnait à fond dans tout ce qu'elle entreprenait, c’était ça sa force. C'est pour cela qu'elle posa avec détermination sa main libre sur le poignet de son "agresseur", d'un coup prémédité, le tourna sur lui même en évitant de trop le tordre puis le regard bas porta son autre main sur la poitrine de son professeur.

Légèrement essoufflée, et totalement concentrée, elle réalisa un peu plus tard, que ce qu'elle soupçonnait quelques minutes auparavant s’avérer être juste. Sa main demeurait bien entre deux seins de femme, bien dissimulés sous les couches de vêtements. Relevant légèrement la tête, le bras toujours tendu, repoussant Ryuuji loin d'elle, elle rougit furieusement.

- Ah, désolée, dit-elle en s'abaissant en une courbette. Comme ça, c’était bien ?

Autant quand ce n'avait été qu'une supposition fugace dans son esprit, elle n'en avait pas fait fi, mais maintenant que c’était concret, comment fallait-il se comporter ? Ça ne la dérangeait absolument pas, mais elle se voyait mal lui dire "Ahah, en fait vous êtes une femme travestie en homme, c'est ça, ahah?". Elle était très mature pour certaines choses, mais pas celle-là vraisemblablement.

- On recommence ? demanda t-elle timide. Et promis, j'essayerais de ne pas toucher ta poitrine !

Hoquet de surprise, elle se couvrit la bouche honteuse. Autant on lui avait toujours dit qu'elle emmanait une douceur en elle, qu'on appreciait parrticulièrement, parfois elle avait le chic pour mettre les deux pieds dans le plat. Surtout que ce n’était pas un membre de n'importe quelle caste, les Yakuzas été basés sur le respect des hommes et la responsabilité des règles de coutumes. En aucun cas, Envy aurait voulu lui manquer de tolérance.

- Pardon, pardon. Je ne t'ai pas fait mal ? Je ne savais pas que j'avais autant de force dans le bras. dit-elle en resserrant sa natte, pour se donner contenance. Je suis desolée, je voulais pas t'offenser.

CE QUE LE CHÊNE VOIT DU BOURGEON


Ryuuko se laissa faire lorsque Envy lui attrapa le poignet. Elle exécuta la suite des gestes enseignés avec une rapidité suffisante, ce qui fit naître un sourire sur les lèvres de la japonaise ; un sourire rapidement rattrapé par la gêne. Elle fronça les sourcils pour se concentrer tandis que son coeur battait la chamade : elle espérait que son élève n’ait pas trop senti sa poitrine sous son bender.

« Non, commença-t-elle en japonais par réflexe puisqu’elle s’excusait machinalement, il n’y a pas de mal. » conclua-t-elle en anglais cette fois. « C’était très bien pour un premier essai. » Elle augmenta son sourire puis désigna son petit pectoral gauche de l’index. « Mais je vous… te, conseille de repousser dans cette région avec le plat de ta main. Si tu es trop sur la p-poitrine, fourcha-t-elle en baissant les yeux avec honte, et de manière générale le centre du buste, tu n’arriveras pas à perturber l’équilibre de ton adversaire. »

Envy proposa de recommencer et Ryuuko acquiesça, non sans embarras, bégayant :

« O-Oui, sans toucher la poitrine cette fois ! »

Elle ponctua sa phrase d’un rire jaune, ses traits tendus avec aussi navré que gêné. Les rôles s’inversèrent soudain puisque ce fut au tour d’Envy de s’emberlificoter en se couvrant la bouche. Ryuuko cilla un instant, puis deux, avant de retenir un soupir. Elle avait donc bien senti… Pour autant la japonaise ne se défila pas et se saisit de sa meilleure arme dans ce genre de situation malheureusement récurrente : feindre l’ignorance. Faire comme si de rien n’était.

« N-Non, ne t’inquiètes pas, j’ai suffisamment de muscle pour encaisser. » Elle croisa ses bras plusieurs fois pour exprimer la négation. « Je ne suis pas offensée. J’ai loupé quelque chose ? »

Elle rit encore un peu nerveusement puis se mit en position.

« Allez, réessayons une fois. Je te montrerai un autre enchaînement après. »

C’était bien la première fois qu’elle était si pressée d’attraper le poignet de son élève. Ryuuko parvenait avec difficutlé à la regarder dans les yeux.

Pourtant, son professeur ne releva pas, feignant l'indifférence d'une façon tellement déconcertante qu'Envy cru avoir rêver. Étant une infirmière, elle avait touché toutes les parties de corps qu'on pouvait soigner, alors elle était sure de ce qu'elle avait senti pour la deuxième fois. Toutefois, le Yakuza préféra le détachement après la gêne passée. La jeune brune fronce les sourcils, apparemment le sujet ne devait pas être mis sur le tapis, vu le soupir de son homologue, et elle se sentait un peu bête d'avoir été ouvertement insolente.

Reprenant sa position initiale, et perdue dans ses pensées et ses propres agissements, Envy eut du mal à capter l'emprise que Ryuuji avait sur son poignet qu'elle sursauta à l'entente de son prenom. Dans la précipitation, ses gestes furent beaucoup plus brouillons que la première fois et le maître d'arme se retrouva au sol avec l'infirmière sur lui. Autant lorsqu'elle était concentrée, ses mouvements étaient d'une netteté fulgurante, quand elle avait l'esprit embrouillée c'est tout à fait le contraire qui se produisait.

- Excuse moi !  dit-elle en se relevant d'un bond. J'étais dans mes pensées et mes pieds se sont emmêlés.

Elle lui tendit une main pour l'aider à se relever et lui sourit pauvrement.

- Je n'étais pas concentrée...  dit-elle en passant ses mains sur ses vêtements pour les défroisser. Justement, là, qu'il faut être particulièrement concentrée, je ne le suis pas.

La jeune infirmière laissa échapper un rire cristallin. C'est vrai que lors des agressions, il était difficile de ne pas être concentré sur ce qui se passait, mais la peur et l'angoisse tétanisaient tous les membres qui rendait impossible tout mouvements.

- Promis la prochaine, je serais irréprochable !

Et cette fois, ce fut le cas, ses enchainements furent agiles sans être brusques et elle réussit a appliquer les conseils de son professeur pour améliorer sa technique. Elle n'avait pas une carrure d'athlète, sa silhouette lui permettait toutefois une très belle agilité.

- C'était mieux cette fois-ci ?  Demanda t-elle avec un sourire assez fière d'elle. Je crois avoir pris le bon enchaînement !

Elle se dirigea vers son sac de sport et en sortit de brique de lait à la fraise puis se tourna vers son professeur avec un sourire et lui tendit.

- Ce sont mes préférés ! Et je me sentirai offusquée si tu n'acceptes pas, c'est la moindre des chose avec tout ce que tu fais pour moi ! Alors tu n'a pas le droit de refuser !

Envy lui fit des petits yeux de chatons malheureux. En général ça marchait toujours ! Enfin avec son père.