Reflets d'asphalte | Tier'imprononçable

Il y’a des soirs comme ça, où rien ne semble aller dans le bon sens. Livia est restée invisible. Certains clients se sont montrés exécrables. Les affaires l’ennuient, au lieu de le motiver. Et cette pluie qui n’en finit pas de tomber, qui rend les rues glissantes et la conduite désagréable.

Une soirée parfaite pour terminer au Red Light, entouré de putes bas de gamme et de cocktails à moindre prix. Dans un crissement de pneus et une gerbe d’éclaboussures, la Harley pile devant le club, arrosant  dans la manœuvre les badauds se pressant devant l’entrée. Tant pis pour eux, songe l’italien en sautant au sol, les mains déjà à la recherche d’une cigarette. Sourcils froncés, regard masqué par une paire de lunettes teintées sur lesquelles le crachin dessine de longues traînées, il fend la foule sans se soucier des protestations qui résonnent dans son sillage, pénètre à l’intérieur d’un pas vif, et se dirige directement vers le bar, sans un coup d’œil pour les danseuses en place qui initient leur spectacle.

Il ne doit pas être bien loin de 22h, et Andrea a bien 4 ou 5 heures à tuer avant de reprendre du service. Agacé, trempé, et d’une humeur de dogue, il se laisse tomber sur l’un des tabourets jouxtant le bar, claquant nonchalamment des doigts pour attirer l’attention d’une des serveuses. « Un whisky. » réclame-t-il d’une voix sourde avant de se retourner légèrement pour contempler  un peu la salle. Il allume machinalement sa cigarette, repère une ou deux nanas susceptibles de l’intéresser, mais reporte rapidement son attention vers le comptoir lorsque sa consommation arrive. L’alcool passe toujours avant les filles.

J’étais sur le point de rentrer au Red Light, en tant que cliente cette fois, lorsque je sentis une énorme vague d’eau me glacer jusqu’aux os. Sous le choc, mon premier réflexe est de sortir un miroir et m’assurer que mon maquillage est toujours bien place. Horreur ! Mon mascara se met à couler. Bousculée et absorbée par mon obsession de rattraper ce véritable carnage, j’aperçois seulement du coin de l’œil le conducteur du bolide en faute. Les autres passants ne se gêne pas pour lui hurler dessus alors que je le vois pénétrer dans le bar, aux reflets de mon miroir.

J’arrange comme je peux les dégâts, mon primer est vraiment excellent, mon fond de teint n’a pas bougé. Trempée, je débarque en furie dans le bar et fonce droit sur le mec en question. Sans plus de cérémonies, j’enfonce ma lingette démaquillante qui à servi à rattraper le carnage dans son verre et je le défi du regard. « La même chose je fais en remuant mes doigts à l’intérieur sans le quitter des yeux santé ! Aux connards qui ne savent toujours pas conduire les motos. » Un cul sec et je claque le verre sur le bois du bar.

S’il avait pas été aussi con avec sa Harley, je me le serais bien tapé dans l’arrière boutique, entre deux lap dance. Harley. Un lueur scintille dans mon regard et alors que je lui colle ma veste blanche, désormais à jeter, dans les mains, je me penche sur lui et le fixe. Je pense que niveau bargitude, on a rarement vu mieux.

« Elle est à toi la Harley dehors ? T’as pas peur de la laisser comme ça ? J’ai vu des gens roder autour tout à l’heure, y’en a même un qui à posé son cul dessus. » je poursuis en montrant du doigts l’extérieur. Puis je croise les bras, sans pouvoir m’empêcher de me regarder dans le reflet du miroir derrière le mec en question.

Le verre, il n’a pas le temps de s’y intéresser longtemps qu’une nana s’approche, fourre sa saloperie dedans, et lui lance un regard qui lui donne instantanément envie de la gifler. Au lieu de ça, il soupire, soutient les deux prunelles colériques qui lui font face, et finit par esquisser un léger sourire. Tant pis pour le whisky, ce qui se trouve actuellement sous son nez se révèle bien plus captivant. Il reçoit la veste détrempée avec un haussement de sourcils, ne quitte pas la fille des yeux pour autant, la juge en silence, plutôt satisfait de ce qu’il voit, jusqu’à ce qu’elle ouvre de nouveau la bouche. « Pardon ?! » demande-t-il en se relevant brusquement, la crosse d’un flingue dépassant de sa veste taillée sur mesure.

« Je vais me les faire. Putain, merde ! » maugrée-t-il en attrapant la nana par le bras pour l’entraîner avec lui. La poigne qu’il lui impose ne lui laisse guère le choix, et ils se retrouvent bientôt à l’extérieur, sous l’averse qui redouble d’intensité. Sans se presser, l’italien sort son arme après avoir libéré la fille, en pointe la gueule sur le couple qui se trouve un peu trop près de sa bécane à son gout.

« Vous deux. Dégagez. Maintenant. » Les intéressés ne se font pas prier, levant les paumes en l’air tout en reculant, l’air penauds et disparaissent dans la nuit alors qu’Andrea inspecte son bijou. Pas de casse. Pas de trace. Rien à déplorer. Avec un soupir de soulagement, l’italien retourne donc vers la petite balance, se penchant vers elle lorsqu’il arrive à sa hauteur.

« Bien vu. Désolé pour tes vêtements, je t’offre un verre pour me faire pardonner ? » Il a la voix suave, dépourvue de la moindre trace d’accent, ne force pas son côté charmeur et se contente pour l’heure de lui proposer un vrai dédommagement. Sa propre veste est mouillée à force de boire la pluie, et ses longues mèches brunes lui collent au visage dans un tableau peu concluant. Tant pis pour les apparences, au point où ils en sont.

Loin de me douter de la suite des événements, la surprise qui me gagne lorsqu’il m’attrape par le poignet ne me contraint qu’à une seule chose, le suivre docilement. Son arme n’échappe pas à mon regard et un frisson me parcours l’échine alors que des flashbacks du braquage du Vieux Walmart me reviennent en mémoire. Quelle idée de mettre un dos nu par un temps pareil ? D’autant plus que je n’avais en réalité rien vu de tout ce que j’avais dis un temps plus tôt dans le bar. Tissu de mensonge qui s’avérait finalement vrai.

Mes deux mains au dessus de ma tête en guise de toute protection contre l’eau qui menaçait de ruiner une nouvelle fois mon makeup que j’avais passé un temps fou à esquisser devant mon miroir. J’ai un mouvement de recul lorsque je le vois sortir son arme et la pointer sur le couple qui déguerpit aussitôt. Je recule encore quand il vient vers moi, sans pouvoir me retirer de la tête qu’il a une arme sur lui. Mon imagination s’emballe. Un savant mélange entre peur et fantasme s’empare de moi et toutes sortes d’images aussi insensés les unes que les autres m’empêche d’être aussi réactive que je l’aurais voulu. Des gouttes d’eau se sont coincés entre mes cils maquillés et ma vision se trouble.

Je pense que la question est vite répondu. « OK ! » je lâche précipitamment après l’avoir dévisagé un long moment, perdu dans mes délires. Je m’engouffre une nouvelle fois dans le bar et m’installe aux mêmes places. Son verre souillé par ma lingette démaquillante est toujours là. « Tu devrais le boire, c’est un très bon whisky. » je lâche hilare. « Je peux pas rester comme ça je joins le geste à la parole en me montrant de bas en haut, je vais me changer, je reviens. » Et pendant que je rassemble le contenu de mon sac éparpillé tantôt sur le bar lorsqu’il m’avait traîné dehors, j’ajoute comme pour me justifier « C’est pas une excuse de merde pour t’esquiver, je bosse ici. En fait je déteste le whisky, commande une vodka redbull. » Puis je disparais sans attendre la moindre réponse. Arrivé à ma loge, je me débarrasse de mes vêtements trempés et enfile le premier truc qui me tombe sous la main. Soit un t shirt oversize que je porte comme une robe.

Je réapparais au bout d’une dizaine de minutes et reviens m’installer à ses cotés. « Alors, paraît que t’as eu ton permis dans un kinder surprise ? » Pleine de sarcasmes, j’étire un sourire et  soutiens son regard. Et je regrette de ne pas l’avoir gifler lorsque j’en avais eu l’occasion. Pourrir mes habits mérite amplement une gifle.

Il attend patiemment la réponse, hoche la tête lorsque c’est une acceptation qu’elle lui sert, et lui emboite tranquillement le pas pour la rejoindre à leurs places d’origine. Les verres n’ont pas bougé, et malheureusement, la serviette qui occupe le sien non plus. Il lève brièvement les yeux au ciel, retient la remarque qui lui vient, et esquisse à la place une nouvelle ombre de sourire.

On le paye si souvent pour rester imperturbable qu’il en garde des restes, et oppose rarement en société autre chose que ce vernis poli qu’il affiche à présent. Si on oublie la petite parenthèse du flingue, bien entendu. « Et tu es fière de toi, je présume ? » lâche-t-il avant d’en commander deux autres, un pour lui, et un pour elle. Il l’observe ensuite, la regarde ramasser ses affaires, et son sourire prend un accent moqueur quand elle lui fausse compagnie.

Il prend son temps pour rectifier la commande, s’installe un peu plus confortablement sur son tabouret, et retire sa veste humide qu’il plie soigneusement pour la glisser sous le tabouret. Sa compagne improvisée réapparaît dans une tenue plutôt adaptée à une chambre privée qu’à un bar rempli de monde, mais l’italien ne relève pas ce détail, se contente de lui rendre son regard avec quelque chose de provocant au fond des yeux.

« C’est fort possible. Mais ce n’est pas comme si j’en avais quelque chose à faire. Les gens aiment se presser les uns contre les autres, est-ce que c’est de ma faute s’ils ne s’écartent pas lorsqu’un véhicule arrive ? » Le sourire qu’il lui décoche est l’innocence incarnée, et il s’envoie le contenu de son verre d’une longue gorgée avant d’attraper le second. « Je garde le sky en ce cas, la vodka redbull manque de… raffinement ? »

Il hausse les épaules, se saisit du second verre, avant de revenir sur l’information qu’elle lui a lâchée un peu plus tôt. « Tu travailles ici tu disais, si tu veux me fausser compagnie, ne te prive pas, une autre prendra ta place. Prostituée, ou danseuse ? » demande-t-il sitôt sa pique lâchée, retrouvant un ton presque sérieux pour habiller la fin de sa question.

« C’est fort possible, je répète en ignorant le reste de ses explications donc tu ne nies pas être un motards à la con qui en a strictement rien à foutre des autres ? » Et évidement, je le suis dans son petit manège et bas des cils l’air innocent, peut-être avec un peu trop d’entrain, je dois avoir l’air cruche.

Je baille. S’il y a bien une chose que je n’étais pas, et ne serais sans doute jamais c’était bien raffinée. Je le fusille du regard, en coin, avant de demander à la serveuse – que je connais bien – de me refiler une paille. Je m’en saisis difficilement, gêner par mes ongles en gel de cinq centimètres. Au passage, je me perd dans la contemplation des reflets holographiques à la lumières des néons rouges. Des gouttes perlent de ma chevelure encore trempés, le dos du t-shirt doit à présent être translucide. La lumière noire en fait ressortir le blanc, qui contraste avec ma couleur de peau.

« Le sky me tabasse le crâne, la vodka passe comme du p’tit lait. Il faut ce qu’il faut, au moins je peux me vanter de bien connaître mon corps. » Un sourire suggestif aux lèvres, je ne le quitte pas des yeux pendant que j’aspire un peu de liquide. Ma mère m’a toujours dit que la vulgarité était ce qu’il y avait de plus beau chez une femme… Non c’est faux.

« Si j’avais voulu te fausser compagnie, je ne serais pas assise là, à supporter tes médisances sur la vodka redbull. Moi, je suis danseuse. » même si en réalité, il n’y avait pas vraiment de distinction à faire entre les danseuses et les putes. Notons qu’il n’avait pas employé le terme ‘pute’. « Pourquoi, je t’intéresse ? » je balance nonchalamment en essayant de me convaincre moi-même que la réponse ne m’intéressais pas vraiment.

Il laisse passer l’insulte sans mot dire, concentré sur la brûlure de l’alcool qui lui passe dans la gorge. Agréable. Plus que le discours de la nana. Il la regarde se débrouiller avec sa paille, esquisse un nouveau sourire avant de glisser un regard derrière elle, examinant les danseuses qui ondulent joliment des hanches dans les lumières tamisées. Il reporte son attention sur son invitée du soir, et hoche doucement la tête en terminant son verre, avant de rétorquer sans se presser.

« C’est un avantage en effet. Connaître son corps et ses limites. Concernant ma question, il se pourrait que ce soit le cas. Mais tout dépend du tarif. Et du nombre de queues que les travailleuses de l’établissement voient passer tous les soirs. Je ne suis pas fervent consommateur de viande avariée. » La fin de la phrase s’évanouit dans un murmure, mais le sourire qu’il arbore toujours dément une part de ses propos.

De nouveau, il explore des prunelles les femmes dont les mouvements lascifs évoquent bien plus un acte charnel qu’une simple danse, et étouffe un nouveau soupir en observant sa voisine. « En attendant, tu peux toujours me donner ton nom. Et commander un autre verre, si le cœur t’en dit. Je me sens d’humeur généreuse, ce soir. Ou ce sont juste tes vêtements mouillés qui me font de l’effet. » Elle l’amuse, finalement, cette nana, bien qu’il ne montre rien du début d’intérêt qui commence à le tenir.

Il n’a pas pour habitude de traîner dans ce genre d’endroit, encore moins d’aborder les filles qu’on peut y trouver. Pas pour faire la conversation, du moins. Il s’étire souplement, réclame un nouveau sky à la femme qui s’affaire derrière le bar, et porte ses prunelles ambrées sur vodka girl. « Tu bosses ici depuis longtemps ? Les conditions sont bonnes ? » souffle-t-il en terminant le second verre pour attaquer le troisième.

Je m’étrangle avec ma vodka et me met à tousser bruyamment, encore un peu et j’étais partie pour cracher le liquide sur le bar et donner encore plus de travail à mes collègues. Je me tape la poitrine, plus par réflexe que dans l’espoir de retrouver une respiration normale. Et j’étouffe un rire alors que je lève mes yeux larmoyants sur lui, dans un air contrit. Il avait beau se cacher derrière l’étiquette du mec poli et charmant, il n’en restait pas moins, le connard qui m’avait ruinée ma veste blanche et failli ruiné mon makeup de la soirée au passage. Je me racle la gorge en essayant de reprendre contenance.

« Tu t’es trompé de coin, ici on vend pas de viande. Y’a le Vieux Wal... » je laisse ma phrase en suspens et lui offre un sourire forcé en guise de conclusion, avant de reprendre une gorgée. Quand est-ce que j’allais arrêté de repenser à ce braquage ? J’ai la main tremblante. D’abord parce que malgré que je me sois changé, mes pieds sont restés congelés dans ces escarpins ouverts de quinze centimètres et ensuite parce que ma tignasse n’avait toujours pas eu le temps de sécher. Mais surtout, parce que je sentais le manque monter en moi. Ajoutons à ça une bonne dose de souvenirs traumatiques et me voilà qui sifflait mon verre, toujours à la paille, n’omettant pas d’être bruyante sur la fin de son contenu. Le bon dieu à dit pas de gâchis.

Puis je finis par réaliser. « Ah mais... M.D.R. Non je t’arrête tout de suite, ce soir, j’bosse pas. » donc inutile de parler de tarif. Je l’observe du coin de l’oeil mater les filles qui se trémoussent sur la scène. Ça se voit que je ne suis pas de service ce soir, ça manque clairement d’ambiance. Je dois lutter intérieurement pour ne pas me lever et m’emparer de la barre pour leur apprendre comment ça doit se passer au Red Light, véritable combat intérieur que voilà. Bien utile pour éclipser de mes pensées cette phrase qui commençait à prendre trop d’espace ; ‘à quand la prochaine dose ?’.

J’utilisais mon nom de scène tant au Red Light que sur le Track, mais ce soir, je ne voulais ni être Tierwyfie ni Koryane. Tenter de lui donner un faux nom, il allait tôt ou tard entendre le nom de Tierwyfie, mais qu’importe, ce soir j’étais une cruche friande de vodka redbull, autant s’investir dans le rôle. « Tyler, et je vais reprendre la même chose. » je tords la paille entre mes doigts, faussement gêné, et je recommence, je bas des cils, timide. « Je pourrais presque rougir. » je déploie toute ma concentration pour ne pas exploser de rire. « Ca dépend de ce que tu veux dire par longtemps, mais disons que oui. En tout cas, assez longtemps pour savoir que t’es pas un habitué. » Il pose beaucoup de questions, pour un connard, mais j’ai bien conscience que c’est un moyen comme un autre de me faire la conversation. « Et toi, ça fait combien de temps que tu terrorises les gens avec cet engin ? »

Le whisky commence à lui chauffer agréablement le sang, tout en lui brouillant quelque peu la vision. Il tient bien l’alcool en général, mais aurait peut-être dû prendre la peine de manger avant de venir. Tant pis. Il hausse un sourcil en la voyant s’étrangler, ne fait toutefois rien pour l’aider, moyennement adepte des contacts physiques trop directs. Le changement d’expression ne lui échappe pas, mais il se contente de pincer les lèvres, se retenant de commenter.

Les faiblesses trop visibles sont souvent des pièges mal maquillés. Pourtant, la raison du changement d’attitude de son interlocutrice l’intrigue. Elle semble vite reprendre contenance, et l’italien termine son verre avec un nouveau soupir, avant de se frotter machinalement les tempes. « Tyler ? » répète-t-il, clairement amusé et pas franchement réceptif à son petit numéro de fille farouche.

Il l’a sûrement trop vu, et bien trop pratiqué pour tomber encore dans le panneau. La nana qui lui fait face n’a pas froid aux yeux, et perd son temps à tenter de lui faire croire le contraire. Il croise les mains sur le comptoir sans la lâcher des yeux, un nouveau sourire lui venant alors qu’il la détaille tranquillement « Pas suffisamment longtemps pour les empêcher de se faire gicler dessus apparemment. » murmure-t-il en observant la tenue de sa compagne avec insistance. « Dis-moi, ta réaction, là, juste avant que tu changes de sujet, quand tu parlais du Walmart. Y’a eu un problème ? Il s’est passé quelque chose ? Enfin, quelque chose qui te concerne ? »

Il a eu vent des rumeurs, se demande si elle y était, si elle est mêlée à l’affaire d’une manière ou d’une autre. Il réfléchit quelques secondes, reste silencieux avant de se tourner vers le bar pour passer leur nouvelle commande. Lorsque son regard revient sur la fille, il est plus interrogateur que taquin. Il veut vraiment savoir, et en oublie toute prévision concernant cette soirée. Il n’est pas venu chercher des informations, mais juste une femme et quelques verres. Finalement, les informations vont peut-être venir d’elles-mêmes, puisque la femme ne semble pas au programme.

Je soutiens son regard alors qu'il me murmure cette phrase si ambiguë que mon imagination s'emballe une nouvelle fois. Ce mec est un putain de beau gosse, et il conduit une moto bordel. Mais une pensée subsiste, il est armé. Sans quoi, il y a de fortes chances pour que nous nous soyons déjà retrouvé dans un coin plus... privé, à réaliser mes fantasmes. L'espace de quelques secondes, mon corps entier se crispe à l'entente du nom du vieux supermarché. Une tension monte en moi. Juste à ce moment là, la serveuse me demande si j'ai terminé mon verre, j'en profite pour détourner le regard, soucieuse de lui cacher mon expression. Malgré toutes ses années sur la pistes à me trémousser, masquer mes émotions est toujours ce qui me fait défaut. Je tends mon verre à la femme, acquiesçant à sa question.

Je ne refais pas face à l'homme tout de suite. Silencieuse, je parviens difficilement à contrôler le flux de mes pensées. Pourquoi s'intéresse-t-il à ce détail en particulier ? Je doute que ce soit parce qu'il se soucie des états d'âmes d'un morceau de viande avarié. Finalement je me tourne vers lui, littéralement. Mon corps entier pivote en sa direction, posant les coudes contre le comptoir, nous conférant une atmosphère plus intimiste. Ma réponse à l'air de réellement l'intéresser, ça il n'y a pas de doute. Ce sont ses motivations que je n'arrive pas à déceller. Cet homme est si paradoxale que je ne parviens pas à le cerner comme je le voudrais. Quelle est la bonne attitude ? Je suis déstabilisé parce que je suis habitué à caler mon attitude sur celle de mon interlocuteur. Or, il ne laisse rien transparaître tant dans son non-verbal que son verbal. Je suis face à une surface lisse, sans aucune prise. Pour autant je ne me dégonfle pas. Je continue mes minauderies et mon petit manège bien consciente qu'il n'est pas indifférent à mon charme.

« Sauf si Monsieur le gicleur vit dans une grotte, tout le monde ici sait ce qu'il s'est passé là-bas. » éludai-je d'une voix un peu plus lascive que je ne l'aurais voulu.

A présent sur la défensive, je me cache derrière cette attitude charmeuse pour me redonner un peu de contenance. Ce qui n'est pas chose difficile puisqu'il me plait vraiment.  Porter une arme à Decay n'a rien d'extraordinaire. Mais sa façon de s'exprimer, sa gestuelle, son attitude générale est celle de quelqu'un d'important. Un homme d'affaire, un gradé de la milice, un chef de gang... qui sait. Je sais qu'il faut que je me méfie de lui, mais la façade qu'il offre est si lisse, qu'elle endolorit mon instinct de survit. Peut-être que l'alcool y joue un rôle important aussi. Je me surprends même à espérer que sa question soit sans aucune arrière pensée, et que peut-être il s'intéresse véritablement à mes états d'âmes.

« A moins que tu préfères que je continue a te donner des surnoms débiles, tu pourrais toi aussi me donner ton nom, Crusoé ? » C'est ma mère qui m'avait raconté l'histoire de cet homme. A dormir debout. « Et tu fais quoi dans la vie ? » Pas que j'espérais qu'il me dise s'il était un homme dangereux, mais sa prestance me mettait légèrement la pression. Hormis sa beauté naturelle, cette opacité avait quelque chose d'attirant. Un peu comme l'était l'interdit.